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vendredi, 18 avril 2014

Syrie/Ukraine/OTAN : analyse géopolitique

Syrie/Ukraine/OTAN : analyse géopolitique Entretien avec Robert Steuckers

Merci au "Cercle des Volontaires" de Belgique:

http://www.cercledesvolontaires.fr/2014/04/18/syrie-ukrai...

 

Dans le cadre d’un sujet de mémoire d’une étudiante à Bruxelles, Robert Steuckers nous délivre une brillante analyse historique et géopolitique sur la Syrie et l’Ukraine.

Il est revenu sur les révolutions tunisienne et égyptienne ainsi que sur les tentatives de déstabilisation de ces pays. L’Algérie, dont le régime militaire socialiste tente de résister, est sans doute la prochaine tentative de déstabilisation en Afrique du Nord. La Syrie reste une particularité dans ce qu’on appelle le « printemps arabe » et Robert Steuckers expose le rôle de l’armée et du régime baassiste dans le fonctionnement du pays. Nous apprenons aussi que le cas de la Syrie et de la Crimée sont liés historiquement,  ce depuis le XIXe siècle, l’enjeu principal étant le contrôle de la Méditerranée orientale.

L’instrumentalisation d’un islam « radical » par le courant wahhabite dans le Caucase est aussi traité dans cet entretien, mais aussi le rôle que devait jouer l’Union Européenne dans la conférence de Genève II, ainsi que les réformes qui s’imposent dans le cadre des nominations des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Ce brillant exposé de Robert Steuckers nous permet de disséquer les enjeux qui se déroulent dans le bassin méditerranéen oriental et le Moyen-Orient.

Pour rappel, Robert Steuckers est une grande figure de ce qu’on appelle la « Nouvelle Droite », ancien membre du mouvement GRECE et fondateur du mouvement « Synergies européennes ».

A diffuser très largement.
E.I.Anass

jeudi, 17 avril 2014

La Révolution conservatrice allemande...

La Révolution conservatrice allemande...

Les éditions du Lore ont publié début avril un recueil de Robert Steuckers intitulé La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis. Figure de ce qu'il est convenu d'appeler la Nouvelle Droite, Robert Steuckers a, à côté de ses activités de traducteur, animé plusieurs revues de qualité comme Orientations et Vouloir , et est un de ceux qui, avec Louis Dupeux, Giorgio Locchi, Thierry Mudry et Edouard Rix, a le plus contribué à faire connaître dans l'aire francophone cette galaxie d'auteurs, de groupes et de revues, actifs dans l'Allemagne de Weimar, qu'Armin Mohler a englobé sous l'appellation de Révolution conservatrice. Un ouvrage indispensable, et depuis longtemps attendu ! ...

L'ouvrage est disponible sur le site des éditions du Lore : Editions du Lore

 

la-revolution-conservatrice-allemande-biographies-de-ses-principaux-acteurs-et-textes-choisis.jpg

" Si la vulgate considère la Révolution conservatrice allemande comme un « laboratoire d’idées », il n’en demeure pas moins que cette dernière représente une extraordinaire aventure métapolitique qui inspire encore beaucoup d’idéologues, de philosophes et d’artistes aujourd’hui à travers le monde.

L’une de ses grandes figures, Arthur Moeller van den Bruck, proposa en son temps de penser un système politique qui succéderait au IIe Reich bismarko-wilhelminien au-delà des clivages gauche/droite, où les oppositions entre socialisme et nationalisme seraient sublimées en une synthèse nouvelle.

Dans ce recueil de grande densité, Robert Steuckers (ex-G.RE.C.E, Vouloir, Synergies Européennes) a regroupé la majorité de ses textes sur le sujet. Le lecteur y découvrira notamment les conférences pointues données par l’auteur entre 1994 et 2013 ainsi que diverses notices biographiques d’acteurs, illustres et moins connus, de la Révolution conservatrice allemande. "

 

lundi, 17 février 2014

En souvenir de Gilbert Sincyr

Robert Steuckers:

En souvenir de Gilbert Sincyr (1936-2014), Premier Président européen de “Synergies Européennes”

3076329118.jpgJ’ai rencontré pour la première fois Gilbert Sincyr à l’Ecole des Cadres du G.R.E.C.E. de 1980, baptisée “Promotion Thémistoklès Savas”, du nom d’un camarade grec, tué quelques mois plus tôt dans un accident de moto, alors qu’il sillonait les routes étroites et sinueuses des montagnes de l’Epire. Cette “Ecole des cadres” était rondement menée par Philippe Marceau qui, plus tard, sous son vrai nom, animera les structures des “Identitaires” avant de s’en dissocier récemment pour aborder d’autres activités. Marceau était cadre d’entreprises et abordait les choses de manière pragmatique: il avait notamment fait activer une caméra qui nous filmait alors que nous devions prononcer un bref exposé ou répondre à des questions critiques venues d’un public certes fictif mais dont les interpellations étaient bel et bien calquées sur celles que formulaient les participants aux activités du G.R.E.C.E. qui vivait alors sa période de gloire, bien ancré qu’il était dans le monde médiatique grâce au “Figaro Magazine”. Dans ces exposés filmés, pas question de se gratter le nez, de jouer avec un stylo à billes, de se tordre les paluches car le film montrait combien de tels gestes inconscients étaient ridicules: immense leçon de modestie et de maîtrise de soi! Marceau avait aussi prononcé un exposé d’une clarté limpide sur les types de personnes à recruter pour animer des cercles locaux, des antennes régionales, etc.: je m’en suis toujours souvenu! On était loin du pilpoul que d’aucuns ont reproché au G.R.E.C.E. quelques années plus tard, après que Marceau eût tiré sa révérence.

Sur les crêtes du Lubéron

Cette “Ecole des cadres” avait prévu, comme d’habitude dans toutes les activités du G.R.E.C.E. en Provence, une longue promenade sur les crêtes du Lubéron. Gilbert Sincyr était dans mon équipe et jouait le rôle du serre-file derrière les plus jeunes, dont Patrick Bouts, Stefano Sutti Vaj et moi-même, qui gambadions comme des cabris. Sincyr m’a alors dit qu’il venait de fêter ses 44 ans et qu’il avait beaucoup “crapahuté” (terme militaire qu’il m’a appris!) en Algérie pendant le conflit qui avait opposé la France au FLN. Gilbert Sincyr, originaire de Picardie, de la région d’Abbeville, avait en effet servi en Algérie de 1958 à 1961 comme conscrit dans une unité de combat particulièrement efficace et y avait gagné une citation. Il s’était ensuite installé dans la région de Toulouse. Après l’“Ecole des cadres” de 1980, j’ai revu Gilbert Sincyr en Provence, à Roquefavour, en juillet 1984, où il était accompagné de son fils. C’était à l’occasion d’un séminaire spécial organisé par Guillaume Faye, à l’époque infatigable animateur du département “Etudes et recherches” du G.R.E.C.E. Nous avons eu quelques conversations banales, sur la famille, les études, le quotidien, réalités prosaïques sur lesquelles Gilbert Sincyr a toujours voulu demeurer branché, avec raison, car elles sont le socle incontournable de toutes nos actions (et Heidegger ne l’aurait pas démenti...). Gilbert Sincyr m’a aussi parlé, au cours de ces journées, de ses activités de délégué syndical au sein de son entreprise, qualité inhabituelle en milieux néo-droitistes à l’époque.

Deux ans plus tard, Gilbert Sincyr remplace Jean-Claude Cariou au poste de Secrétaire-général du G.R.E.C.E. Tâche ardue et ingrate car l’éviction de Cariou, à cause des manigances abjectes d’Alain de Benoist et de sa clique de séides infréquentables, a été une page fort sombre de l’histoire du G.R.E.C.E, sur laquelle je me suis déjà exprimé (*). C’est bien sûr une époque où le G.R.E.C.E. ne dispose déjà plus de “fenêtres” dans le monde médiatique, celui qui compte vraiment dans l’Hexagone: ses équipes ont été exclues du “Figaro Magazine” et l’entreprise ambitieuse d’Alain Lefèbvre, “Magazine Hebdo”, a également capoté au bout de deux années, étouffée par le refus des publicitaires d’acheter des pages dans ce “news” d’un non-conformisme finalement assez ténu. Par ailleurs, les options trop “droitistes” de ces organes de presse ne cadraient plus exactement avec l’évolution intellectuelle et critique du mouvement, où l’on avait décidé, dorénavant, de mettre l’accent sur une défense des valeurs historiques européennes contre les non-valeurs imposées par le soft power de la “Communauté atlantique”, sur la nécessité d’une déconnexion par rapport à l’O.T.A.N. et aux institutions économico-financières de l’Occident, toutes positions que le public de droite, giscardien ou chiraquien, n’était pas prêt à accepter. Gilbert Sincyr devait alors gérer son secrétariat dans un espace où s’accumulaient les porte-à-faux. Quand Sincyr était Secrétaire Général du G.R.E.C.E., je n’ai pratiquement jamais eu affaire à lui, l’année 1986 ayant été la plus dynamique et la plus active du groupe E.R.O.E. (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”), qui, au départ de Bruxelles, travaillait très étroitement à l’époque avec ses amis britanniques du groupe IONA et allemands du “Gesamtdeutscher Studentenverband” (GdS), ainsi que dans un cadre belge bien bilingue, grâce notamment aux efforts d’Erik Van den Broele, de Bruges, et du regretté Reinhard Staveaux, de Ternat, décédé prématurément quelques années plus tard. A cette époque, où je ne passais presque plus à Paris, je n’ai eu qu’une très brève conversation avec Sincyr dans les locaux du G.R.E.C.E., rue Charles-Lecocq dans le XVème. Manifestement, de Benoist, inquiet et jaloux du succès, finalement fort modeste, de l’E.R.O.E. avait raconté à Sincyr pis que pendre à notre sujet —car tous ceux qui lui déplaisaient étaient toujours décrits comme de “dangereux extrémistes” ou des “terroristes potentiels”— et le Secrétaire général du G.R.E.C.E., qu’était devenu Sincyr, prenait alors des airs fort soupçonneux en me posant des questions sur nos activités.

Un secrétariat général très difficile

Mais tout en prêtant l’oreille aux médisances fielleuses d’Alain de Benoist, heureusement contrebalancées par les analyses plus rationnelles de la situation que posait Guillaume Faye à l’époque, Sincyr s’apercevait que le navire prenait eau de toutes parts. Cariou laissait derrière lui un grand vide, d’autant plus que le prestigieux Président, le Prof. Jean Varenne, indianiste de réputation internationale, avait été écoeuré et atterré par le comportement inique des hommes de mains français et vietnamiens d’Alain de Benoist, lors du “procès” interne intenté contre Cariou, viré illico pour avoir osé demandé un salaire décent pour Faye, à l’époque principal animateur de la revue “Eléments”. Varenne avait définitivement quitté les locaux de la rue Charles-Lecocq, sans mot dire et sans plus jamais donner de nouvelles. D’autres avaient fondé une association parallèle, l’I.E.A.L. (“Institut Européen des Arts et des Lettres”), qui appuyait l’E.R.O.E. dans ses initiatives françaises ou franco-belges (et c’est surtout cela qui inquiétait de Benoist...). Ensuite, au printemps de l’année 1987, Faye prend définitivement congé du G.R.E.C.E, en rédigeant une lettre très pondérée et équilibrée aux amis de son combat métapolitique, puis anime, dans un premier temps, les cercles bretons de Paris avec son ami de toujours, Yann-Ber Tillenon, avant de disparaître pendant une douzaine d’années dans l’univers très différent du show-bizz. Au bout de dix-huit mois, Sincyr est bien forcé de s’apercevoir, à sa grande désolation, que la baraque est vide, sauf bien entendu le bureau capharnaümesque de l’intrigant-en-chef, flanqué de son bougre-à-tout-faire que j’aimais à surnommer “Vlanparterre”, loueur de microphones et recruteur de tirailleurs tonkinois (on me comprendra...). C’est alors au tour de Sincyr, désabusé, de tirer sa révérence, de retourner à Toulouse et de dresser le bilan avec ses amis de la région, fort nombreux, au départ, à avoir été séduits par le combat métapolitique du G.R.E.C.E. Ces personnalités du pays toulousain, du Languedoc et du Bordelais vont alors, autour de Sincyr, réfléchir à d’autres possibilités de réamorcer un combat métapolitique efficace sans qu’il ne soit, cette fois, handicapé par l’irrationalité puérile et malfaisante de personnalités narcissiques, de vieux gamins immatures à problèmes irrésolus, et sans véhiculer un flou artistique permanent et désorientant quant au message à transmettre. C’est fort de ce repli, de ce “withdrawal” introspectif, que Sincyr me recontactera cinq ans plus tard.

En attendant, onze ans se sont écoulés depuis notre première rencontre en Provence: Sincyr a désormais 55 ans. A l’automne 1988, Charles Champetier, qui n’a que dix-neuf ans, a pris contact avec le G.R.E.C.E. moribond, végétant autour de de Benoist et de son drôle de zouave de Vlanparterre. Champetier donne réellement une impulsion nouvelle à l’association qui, grâce à ses très jeunes recrues, va connaître une renaissance vigoureuse dans les années 1989 et 1990. Le G.R.E.C.E. est désormais flanqué d’une structure modeste mais efficace que l’on a appellé “Nouvelle Droite Jeunesse” (N.D.J.). Elle publie un bulletin, “Metapo”, que je fais imprimer à Bruxelles.

Universtié d’été 1991

Début 1991, après une épuration de cette structure, à l’instigation du grand comploteur habituel, le G.R.E.C.E.-N.D.J. se rétrécit, perd quelques fortes personnalités jeunes (issues des milieux néo-gaullistes ou gaullistes de gauche) et s’aligne sur la politique erratique des “aggiornamenti” constants et quotidiens, sur la fébrilité touche-à-tout d’Alain de Benoist qui prend un malin plaisir à choquer et à désorienter ses propres vieux amis, au lieu de leur expliquer calmement, avec bienveillance, la nécessité qu’il y a parfois (mais pas toujours...) à adapter le discours sans renoncer à l’essentiel. Champetier, malheureusement, fasciné au mauvais sens du terme par son “Maître”, embraye sur cette politique néfaste, croyant bien faire et n’ayant plus rien à perdre car son militantisme trop zélé l’a conduit à rater ses études: il est désormais un jouet aux mains de son manipulateur retors. L’Université d’été du G.R.E.C.E. de 1991 est une catastrophe, alors que celle de 1990 avait été un franc succès. Sous l’impulsion de Maurice Rollet et d’Arnaud Hautbois, les veillées, en cette campagne isolée de l’arrière-pays aixois, comprenaient, faute d’autres distractions, des libations diverses mais surtout des sketches amusants, imités, le plus souvent de ceux de Thierry Le Luron, vedette du show-bizz à l’époque. Hautbois était un virtuose de ce genre de spectacle et un bon imitateur de Le Luron. Pendant que Hautbois se démenait sur la scène improvisée, le lugubre de Benoist était au fond de la salle, l’air sinistre, la trogne grimaçante, le cul pincé, la lippe nicotinée prête à éructer, et désapprouvait l’humour (faculté dont il est effectivement dépourvu) des animateurs. L’un d’eux, ami de Guillaume Faye, E.L., avait émis quelques blagues en chantant dans une fausse langue soi-disant “vieille-slavone”. Ces histoires drôles et ces contrepèteries étaient peut-être un peu lourdes mais je ne me souviens pas de leur teneur tant elles étaient somme toute anodines, en marge des sketches de Hautbois. Aussitôt, de Benoist ordonne qu’E.L. soit jugé par un tribunal composé à la hâte, présidé par le nouveau Secrétaire Général Xavier Marchand. Les “juges” s’installent alors à une grande table disponible dans une pièce annexe et le “prévenu” doit s’installer sur un vieux siège avant de Peugeot 403, au tissu complètement élimé, sans pieds, ce qui le place automatiquement très bas —les longues jambes de cet homme de haute taille étant pliées, avec les genoux à hauteur de son menton— par rapport à ceux qui vont, dans ce tribunal de sotie, prononcer sa condamnation avec toute la sévérité voulue. J’étais effaré du spectacle mais le prévenu n’était guère impressionné: il répondait en rigolant et augmentait ainsi la fureur de ses interlocuteurs, qui fulminaient des imprécations “logorrhiques” sans rien entendre. Maurice Rollet était bien embêté et aurait voulu éviter cet incident grotesque. Je regardais la scène par une fenêtre et je m’esclaffais, incapable de retenir un rire homérique en zyeutant les tronches courroucées de Benoist et de Marchand. A côté de moi, une militante du Périgord, qui avait suivi la ligne de retrait préconisée par Sincyr et ses amis des pays occitans, qui était venue espionner les néo-grecistes, me dit que ce type de comportement n’est pas d’esprit “communautaire” comme il faudrait l’entendre et que les déviances idéologiques boîteuses et fumeuses émises depuis l’épuration récente de la N.D.J. ne faisaient que jeter le désarroi et la confusion dans les esprits. Elle me signale qu’une structure alternative a été construite à la manière d’un “second échelon” et que ce second échelon aurait bien besoin de mes compétences.

J’entendais tout de même respecter mon serment de rester fidèle à la structure de départ, sans doute parce que je suis naïf et candide comme Tintin, ou du moins que je l’étais encore à l’époque, où je n’avais que 35 ans. De toutes les façons, il fallait que je montre à autrui, amis comme adversaires, une bonne cohérence dans mes engagements, faute de quoi j’aurais eu l’air ridicule. Mais je ne contestais pas la nécessité de corriger le tir, vu que l’association, qui avait pourtant connu une renaissance entre 1989 et début 1991, repartait de plus belle en quenouille, sous la fausse direction d’une parfaite marionnette comme Xavier Marchand, nouveau “Secrétaire général” et, par là, successeur de Sincyr. Des paroles de la jeune dame du Périgord, je retenais donc avec satisfaction qu’il existait un “second échelon” capable, éventuellement, de mieux fonctionner, composé d’hommes et de femmes formés au G.R.E.C.E. des temps héroïques, peu enclins à varier selon les humeurs et les dernières lectures ou propos commensaux d’Alain de Benoist. Marchand avait cependant surpris mes conversations avec la militante périgourdine et répéré une de nos escapades en Mini Morris vers le bureau de poste de Ventabren, afin de pouvoir causer à la terrasse d’un bistrot local sans craindre les oreilles indiscrètes. Aussitôt Marchand m’a soupçonné (et son patron avec lui) de faire partie du “second échelon”. Plus tard, à Paris, Marchand, la mine coléreuse, m’apostrophe en me parlant de ce “second échelon”: je fais le bête parce que je n’en sais finalement pas grand’chose, la militante périgourdine ayant été très vague comme il se doit; Marchand enchaîne, me décrit parfaitement ce que cette structure encore inconnue représente en réalité et me déclare tout de go que ce “second échelon”, véritable incarnation du mal pour de Benoist, dispose désormais de plus de militants et de fonds que son propre G.R.E.C.E.! Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd! Quelques semaines plus tard, une voix venue du “second échelon” me précise au téléphone qu’une fidélité au G.R.E.C.E. n’est pas incompatible avec une participation discrète aux séminaires du “second échelon”. Je participe à l’un d’eux et c’est là que je revois Sincyr qui me dit être l’un des principaux hommes-orchestre de ce “second échelon” et que son intention avait toujours été de poursuivre le combat métapolitique qu’il avait promis de mener, comme moi, quand il était au G.R.E.C.E.: la déréliction dans lequel celui-ci était plongé empêchait tout un chacun de travailler de manière cohérente à une oeuvre métapolitique donc de respecter son serment.

Ce n’est qu’après le colloque du G.R.E.C.E. de décembre 1992 que je romps définitivement avec le petit club gravitant autour d’Alain de Benoist, qui avait mené tout au long de l’année, sous la houlette de Marchand et à l’instigation de Benoist himself, de véritables cabales contre ma personne, notamment parce que je collaborais à la revue de Michel Schneider “Nationalisme & République” et, bien sûr, parce que j’étais désormais considéré comme une “taupe” du “second échelon”. C’était peut-être amusant de démonter les intrigues à deux sous de ce jeune sot de Marchand mais les plus courtes étant les meilleures, cela devenait fatigant à la longue, d’autant plus que le seul garçon chaleureux et jovial de la bande, Arnaud Hautbois, venait d’être viré sous des prétextes futiles, poursuivi par la haine de son concurrent, Arnaud Guyot-Jeannin, qui ne rêvait que d’une chose: prendre sa place, remplacer sa truculence et sa jovialité par un guénonisme de Prisunic. Cependant, dans mes conversations avec Sincyr, j’avais bien précisé que notre combat métapolitique devait être public et surtout visible, au nom de la notion de “visibilité” que préconisait Carl Schmitt, sans doute inspiré, catholique rhénan qu’il était, par le verset évangélique qui dit que l’on ne peut cacher un luminaire sous un boisseau.

Sortir le luminaire du boisseau

L’occasion de sortir le luminaire du boisseau se présente en janvier 1993. Après avoir entendu les arguments des uns et des autres suite à mon départ définitif du G.R.E.C.E., j’ai fini par estimer, avec Christiane Pigacé et Thierry Mudry, qui collaboraient tous deux à “Nationalisme & République” comme moi, que les rencontres provençales d’été devaient être maintenues et entretenues sans les vaudevilles organisés par Rollet (qui faisait dans le burlesque) et de Benoist (qui avait fait dans le fouquier-tinvillisme de carnaval). Grâce à Philippe Danon, ancien cadre d’Alcatel, ami des Mudry, nous avons pu disposer d’un gîte rural de haute qualité en Provence. Sincyr était enthousiasmé: il voulait lui aussi sortir le luminaire du boisseau et nous lui offrions là une occasion rêvée, un projet cohérent et bien étayé. Il crée alors la F.A.C.E. (“Fédération des Activités Communautaires en Europe”), structure formelle qui sort partiellement le “second échelon” de l’informalité et du silence. Ce sera donc la F.A.C.E. qui organisera les deux premières universités d’été provençales (1993-1994), organisées sous la quadruple houlette de Christiane Pigacé, Thierry Mudry, Alessandra Colla et moi-même et sous le patronnage de Julien Freund. Plusieurs associations, groupes d’amis, structures modestes et informelles avaient mis leurs efforts en commun grâce à l’appui de Sincyr. Cette première université d’été fut donc un succès. Inespéré au départ!

 

covnew10.jpgAu printemps 1994, nous décidons, à Munkzwalm en Flandre orientale, de mettre sur pied “Synergies Européennes”, dont Sincyr sera le premier Président européen. Ce fut une aventure formidable qui durera une bonne dizaine d’années et qui ressuscitera en 2007 sous la forme d’un blog, alimenté chaque jour par des articles de fonds ou des vidéos, désormais connu sur la planète entière. En 1995, l’Université d’été connait un nouveau succès remarquable, alors qu’en 1994 elle avait été moins fréquentée. A partir de 1996, elle se tient en Italie, d’abord à Madesimo près du Splügenpass, très haut dans la montagne, où Sincyr et moi partagions une chambre dont la fenêtre offrait une vue imprenable sur la vallée. En 1997, elle se tiendra à Varese. En 1998 dans le Trentin. Plus tard, elles se tiendront à Pérouse et à Gropello di Gavirate, sur les bords du Lac de Varese, avec vue sur le Monte Rosa (ou Lyskamm) dont Julius Evola avait escaladé la face nord. Ensuite, de 2001 à 2003, elles se tiendront en Allemagne, à Vlotho im Wesergebirge. Entre les universités d’été, de nombreux séminaires s’organiseront en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Autriche, au Portugal, etc. Comment ne pas se souvenir de notre voyage commun à Lisbonne, début novembre 1993, où nous devions inaugurer une antenne? Comment oublier ce passage au Cabo da Roc, point le plus occidental du continent européen, où nous avons grelotté sous un vent très froid venu du grand large?

1998: année fatidique

Rétrospectivement, je regrette que l’année 1998 ait provoqué notre rupture pour des raisons finalement indépendantes de nos volontés. Je vais m’expliquer. D’abord la fusion fin 1997 entre la D.E.S.G. (“Deutsch-Europäische StudienGesellschaft”) de Hambourg et “Synergies Européennes” donne un poids plus lourd au pôle allemand et, par ricochet, au nouveau Président de “Synergies Européennes-France”, le Professeur Jean-Paul Allard, brillant germaniste, qui prend la parole au Château de Sababurg en Hesse lors de la journée d’étude, organisée pour sanctionner la fusion entre les deux associations, journée mémorable appuyée par la présence du Croate Tomislav Sunic et d’une forte délégation autrichienne. Allard et moi estimions que nos activités ne pouvaient opérer un retour en arrière, c’est-à-dire servir de prélude à une réconciliation hypothétique avec le G.R.E.C.E., sur base d’un travail assidu dont nous aurions dû donner le meilleur exemple et impulser de la sorte une dynamique entraînante. Sincyr avait toujours cultivé l’illusion qu’une telle réconciliation “pan-néo-droitiste” lui aurait permis de demeurer fidèle à tous ses serments de combattant métapolitique et de voir l’avènement d’un mouvement plus vaste, regroupant dans l’unanimité tous ceux et celles qui partageaient nos valeurs. Allard lui avait démontré l’impossibilité d’une telle réconciliation, vu les intrigues permanentes de Benoist et d’autres personnages peu reluisants, et ce fut là l’objet majeur de leurs conversations dans les avions qui les avaient menés de Lyon à Hanovre et retour. Allard ne percevait pas l’utilité non plus de revenir au “repli” qui avait permis l’éclosion du “second échelon”. Sincyr, qui n’était pas a priori germanophile (bonne chose car il faut se méfier des dérives saugrenues de bon nombre de Français germanophiles qui ne parlent pas l’allemand), qui avait simplement conservé une admiration sincère pour des légionnaires allemands sacrifiés en Algérie à ses côtés, s’est-il méfié de cet apport germanique prestigieux qui aurait pu déplaire à certains de ses amis, peu soucieux, à juste titre, de singer des germanophiles infréquentables de la place de Paris ou d’ailleurs dans l’Hexagone? On peut émettre l’hypothèse. Mais la D.E.S.G., fondée en 1964, a toujours été d’un européisme positif et n’a jamais basculé dans un nationalisme anti-démocratique et hystérique. Elle était le meilleur interlocuteur dont on pouvait rêver en Allemagne. Il suffit de consulter la collection des cahiers “Junges Forum” qu’elle éditait.

Malgré les succès des séminaires de “S.E.-Ile-de-France” sur l’Allemagne et sur la Russie, Sincyr sera déçu par la faible affluence lors d’un troisième séminaire parisien sur le thème de “Littérature et rebellion” où Marc Laudelout, du “Bulletin célinien”, et Nicole Debie, célinienne historique, avaient pris la parole aux côtés du philosophe futuriste et heideggerien Jean-Marc Vivenza. Le sentiment d’être supplanté par Allard qui, de surcroît, partageait ma politique de “visibiliser et de pérenniser la rupture”, et la déception suite au séminaire parisien si peu fréquenté du printemps 1998 sont, à mes yeux, les deux raisons majeures qui vont conduire Sincyr à désespérer de notre propre création, lancée au début des années 90. J’aurais aimé avoir avec lui une conversation rétrospective sur cette année 1998, où il semble avoir perdu espoir, alors même que des horizons nouveaux s’ouvraient à nous, notamment grâce aux contacts pris lors de la journée d’hommage à Julius Evola, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Cette journée avait rassemblé à Vienne, dans les locaux de la “Burschenschaft Olympia”, des amis venus d’horizons divers, d’Italie, de Hongrie, d’Allemagne, d’Autriche, de Grande-Bretagne, de Suisse et de Belgique. Les questions que j’aurais voulu poser à Sincyr sur ses réticences de 1998 demeureront pour toujours sans réponse et je le regrette vivement. Comme je regrette qu’une maladie foudroyante ait mis un terme prématuré à la carrière du Prof. Jean-Paul Allard, qui n’a plus pu exercer ses fonctions de Président de “Synergies Européennes-France”.

Nos contradictions

Le décès de Gilbert Sincyr le 6 février 2014, et l’hommage qui lui est dû pour sa fidélité constante et inébranlable au combat métapolitique, ne doit pas nous amener à nous voiler la face. Il y avait entre lui et moi des contradictions accumulées —qui ont atteint en 1998 une intensité difficilement gérable— et les dévoiler dans cet hommage n’a pour but que de servir l’histoire authentique (et non trafiquée) de nos initiatives (dont certains ont déjà la nostalgie, à commencer par moi-même) et, plus essentiellement encore, de montrer des ambigüités qui ne doivent plus jamais se répéter; elles doivent plutôt servir à éclairer ceux qui, jeunes et ardents, s’engagent, aujourd’hui, dans un combat métapolitique, quel qu’il soit mais dont les modèles auront peut-être été les nôtres, parmi de nombreux modèles possibles. L’année 1998 a sanctionné la rupture entre Sincyr et moi; elle reposait sur trois faisceaux de motifs: 1) la définition du paganisme; 2) les ambigüités dans l’attitude à adopter vis-à-vis du G.R.E.C.E. et 3) l’attitude qui consiste à écouter ou à ne pas écouter les sirènes séductrices de tiers mal intentionnés ou de pseudo-camarades trop timorés, en l’occurrence ceux qui se présentent comme amis mais veulent la disparition de votre structure, parce qu’elle est perçue comme concurrente ou comme dangereuse (pour leur confort personnel ou leur quiétisme paresseux). Précisons ces trois points. 1) Sincyr cultivait une vision naïve du paganisme qui, à mon humble avis, risquait de discréditer le mouvement si elle s’exprimait de manière trop visible. Pour moi, pour Vivenza ou pour Allard, le “paganisme” était un retour aux Grecs, aux racines classiques de notre culture européenne, par le biais de la philosophie contemporaine, notamment Heidegger. Nous étions conscients également de la nécessité d’une liturgie basée sur le rythme des saisons, comme l’avait préconisé David Herbert Lawrence (**) dans son petit livre intitulé “Apocalypse” ou sur la nécessité de renouer avec les idées religieuses rénovatrices de l’époque qui avait immédiatement précédé la “révolution conservatrice” (***). Mais qui dit liturgie ne doit pas nécessairement s’ingénier à inventer de nouveaux rituels, détachés de tout contexte, qui peuvent trop aisément s’assimiler à de la parodie. Ces nouveaux rituels et ces quelques ornements ou objets pseudo-sacerdotaux, auxquels Sincyr tenait beaucoup, expliquent notamment l’attitude dubitative de nos amis espagnols et, par voie de conséquence, l’enlisement de S.E. en Espagne.

Ensuite, 2) il y avait l’ambigüité que cultivait Gilbert Sincyr face au G.R.E.C.E., auquel comme moi, il avait prêté serment. Mais un serment à mes yeux crée une “Eidgenossenschaft” qui doit impérativement fonctionner dans les deux sens. Au G.R.E.C.E., après les départs de Marceau et de Cariou, les valeurs —qui devraient nécessairement structurer toute “communauté du serment”— ont été systématiquement piétinées par de Benoist, être incapable de s’aligner sur des vertus fortes et admirables comme la fidélité et incapable aussi de percevoir la sacralité que revêt tout serment, en dépit des pensums qu’il a gribouillés à tours de bras, au début de sa carrière, sur la fidélité des anciens Germains ou autres ancêtres réels ou imaginaires. Aucune société alternative, contestatrice d’un quelconque ordre établi, ne peut cependant fonctionner sans de telles vertus et sans hommes capables de les incarner. Une société alternative n’est pas un parti politique en place, bien établi, où ce genre d’intrigues est monnaie courante, comme nous l’apprennent les actualités, chaque jour qui passe. J’étais donc partisan de bien visibiliser la rupture entre S.E. et le G.R.E.C.E., en la soulignant, dans chaque numéro de nos revues, au détour de quelques phrases sarcastiques ou moqueuses, de manière à ne jamais être assimilé au pandémonium greciste, à ne jamais avaliser les évictions iniques qui avaient marqué l’histoire trouble du mouvement, surtout dans les années 80. Sincyr, plus âgé et certainement d’un tempérament plus conciliateur que moi, voulait “oublier” ces dérapages qu’il jugeait certes navrants mais non rédhibitoires pour façonner un (très) hypothétique futur néo-droitiste unanimiste et consensuel. Personnellement, j’estimais que ce “modus operandi” greciste et benoistien, tissé d’intrigues glauques et d’évictions iniques, était indéracinable et, par voie de conséquence, les “oublier” revenait à s’y exposer une nouvelle fois, ultérieurement, avec le risque de faire capoter de bonnes initiatives où de Benoist n’aurait pas été la seule, l’unique, l’incontournable vedette et surtout, où il n’aurait pas pu bénéficier de toutes les ressources de la caisse. Gommer le passé, l’oublier, est un stratagème de “Big Brother” dans le “1984” d’Orwell: notre option nous mène à percevoir l’histoire telle qu’elle est, sans tenir compte des travestissements imposés par le “Parti” ou par “Big Brother” ou par une quelconque instance censurante. Ce doit être vrai pour l’histoire des peuples comme pour l’histoire des structures où nous avons été actifs. Point à la ligne. Pas question de transiger sur ce principe.

Sincyr n’aimait pas mes petits “poulets”, mes allusions, mes sarcasmes, dont je ponctuais parfois la longue rubrique des “activités communautaires en Europe” qui paraissait dans presque chaque numéro de “Nouvelles de Synergies européennes”. Il estimait que c’était des “attaques personnelles”. Je rétorquais que mes “attaques” étaient bien moins perverses, n’étaient pas aussi vicieuses que les tentatives permanentes de dénigrer nos activités, de faire pression sur les personnes qui nous louaient ou nous prêtaient salles et locaux, nous accordaient leur patronage, participaient à nos activités comme orateurs. Qui plus est, je faisais remarquer à Sincyr, qui, au nom de son unanimisme consensuel, ne me croyait pas, ne voulait pas me croire, que toutes ces attaques venues de Paris le prenaient aussi grossièrement pour cible, le traitaient de “beauf” et de “boeuf”, tandis que moi, évidemment, j’étais le “Grand Satan”, le “Belge” (Benoist étant sur ce chapitre le meilleur disciple de Coluche, tant et si bien qu’on pourrait, en ce qui nous concerne, lui ôter le label de “ND”, qu’il n’aime pas, sans doute à juste titre, pour le remplacer par “NC” ou “Nouveau Coluchisme”, ce qui le ferait culbuter dans les rangs d’une certaine gauche, le lavant ainsi, enfn, de tout soupçon d’infâmie...). Dans une lettre de novembre 1998, je dressais à Sincyr la liste quasi complète des pressions exercées par le G.R.E.C.E. ou ses séides contre nos initiatives, dont une des dernières en date avait été de téléphoner au propriétaire d’un château en Lorraine, qui nous avait prêté une salle pour tenir un colloque géopolitique où deux “bêtes noires” de de Benoist prenaient la parole: le politologue Alexandre Del Valle et moi-même. C’est malheureusement par cette lettre de novembre 1998 que nos relations se sont terminées, du moins provisoirement jusqu’en octobre 2012: Sincyr avait achevé son quinquennat de président et son poste était passé à Alessandra Colla de Milan. Il ne voulait apparemment plus tenir un rôle dans un espace “néo-droitiste” français (ou assimilable), déchiré par ce qu’il percevait comme une “guerre civile”. Pour moi, il fallait garder raison et oeuvrer dans un espace propre et assaini, débarrassé d’intrigues ineptes, pour exprimer sans détours des vérités politiques, métapolitiques, culturelles, philosophiques, toutes pertinentes “hic et nunc”, sans devoir me référer et me soumettre à des cercles de vieux copains, certes fidèles les uns aux autres, ce qui est bien, mais incapables d’accepter de nouvelles fidélités, des combattants plus jeunes et surtout de les conserver dans leurs rangs. Attitude négative et incongrue que l’on ne peut évidemment reprocher à Sincyr, qui a tout fait, dans la mesure de ses moyens, pour échapper à ce type d’impasses dans le réseau associatif néo-droitiste. Ensuite, pour moi, pas question d’exporter dans toute l’Europe les querelles suscitées par les atermoiements, les jalousies, les ressentiments, les intrigues et les caprices de de Benoist. Dans ma lettre de novembre 1998, j’exprimais mon point de vue à Sincyr en lui expliquant que sa fidélité au seul “camp” (mot dont je contestais l’usage!) de la ND historique le faisait chavirer dans une forme de recrutement endogame, conduisant forcément à un ressac permanent voir à la sclérose et à la dégénérescence, alors que le but de toute manoeuvre de recrutement est de pratiquer l’exogamie pour pouvoir disposer en permanence de ressources humaines neuves et combattives. “Synergies européennes” ne pouvant en aucun cas devenir une “gérontocratie”.

“Grand Nuisible” et “bathyscaphistes”

Enfin, 3) Sincyr a trop écouté les voix de ceux qui nous dénigraient en jouant sur sa fibre consensuelle, expression d’une naïveté admirable car, en effet, il vaut mieux être un naïf qu’un intrigant: c’est plus propre, c’est plus sain, c’est plus honorable. Parmi ces voix, il y avait évidemment le “Grand Nuisible” habituel qui promettait à Sincyr, sans avoir la moindre intention de tenir ses promesses, de lui donner de nouvelles responsabilités dans une structure fusionnée, unanime et enfin consensuelle, à la condition bien sûr que le “Grand Méchant” pondeur de poulets sarcastiques, c’est-à-dire moi, l’adepte de la “thérapie du miroir”, soit éliminé de la danse. Je ne pense pas que Sincyr ait vraiment cru à ces promesses mais il a peut-être pensé, oui, que j’étais un élément perturbateur dans la classe et qu’il fallait m’isoler pour que je ne trouble plus le consensus qui allait revenir très bientôt, allelouïa, d’autant plus que 1998 a été l’année du retour de Guillaume Faye dans l’espace métapolitique néo-droitiste (ou assimilé, Faye n’ayant pas la manie des étiquettes). Gilbert Sincyr a certainement été l’un de ceux qui avaient espéré le plus ardemment ce retour. Faye débarque à Bruxelles à la fin de l’hiver 97-98 et m’annonce, dans une ambiance de liesse aux tables de la taverne “Le Cent Histoires”, qu’il reprend le combat et que de nouveaux livres sont prêts à être mis sous presse. Il accepte de participer à notre Université d’été du Trentin, à la grande joie de nos correspondants allemands de l’ex-D.E.S.G., devenue “Synergon-Deutschland”, et de Tomislav Sunic, tous présents à Bruxelles, le jour du retour de Faye. Champetier interviewe le “fils prodigue” de la ND historique pour “Eléments”. Sincyr aurait dès lors pu croire à une fusion rapide grâce au retour de Faye. La clique autour de de Benoist, elle, a craint une alliance Faye/Synergies qu’elle aurait difficilement pu contenir. Je ne saurais malheureusement jamais comment Sincyr a perçu ce remaniement dans le paysage associatif néo-droitiste, nouvelle donne qui n’existait pas au moment où il construisait patiemment son “second échelon” et participait aux activités publiques et visibles de la F.A.C.E. et de “Synergies européennes”. Le retour de Faye, mes positions intransigeantes pour préserver l’autonomie de S.E., comme Jean van der Taelen et moi avions préservé l’autonomie d’E.R.O.E. à Bruxelles, la rage irrationnelle et délirante d’Alain de Benoist à vouloir briser toute autonomie soustraite à son contrôle erratique et capricieux avaient désespéré Sincyr. Il jette l’éponge. Il ne reviendra pas au G.R.E.C.E. D’autres amis, trouillards, lui disent —et il m’avait rapporté leurs paroles— qu’il faut procéder à une “immersion profonde”, soit se soustraire à toute visibilité. A Bruxelles, moqueurs, nous les appellions les “sous-mariniers” ou les “Commandants Cousteau” ou les “bathyscaphistes”, ou encore les “scaphandriers cyclistes”, le langage coloré étant notre marque favorite, zwanze et gouaille obligent.

Du silence à l’écologisme pratique et localiste

Sincyr restera silencieux pendant la guerre de Yougoslavie en 1999, où Laurent Ozon déploie son mouvement “Non à la guerre”, avec l’énergie qu’on lui a toujours connue. Il ne dira mot non plus lors de la cabale menée par de Benoist et Champetier contre Faye en 2000, où ces deux brillants sujets dénoncent leur ancien ami —qu’ils avaient pourtant interviewé pour “Eléments” en 1998— dans la presse italienne et envoient des communiqués condamnant ses positions à une liste impressionnante de journalistes du “Monde”, de “Libération” et du “Nouvel Observateur”, dans le fol espoir d’apparaître comme de braves nouveaux gauchistes soft face à un méchant Faye hard pourfendant les idéologies et les lubies dominantes, au risque de se faire crosser par un jugeaillon parisien (ce qui fut fait...). Champetier, maladroit, envoie ce courriel avec les adresses lisibles par tous, parce qu’envoyées en mode “CC” et non “CCI”. Par cette maladresse informatique, il tombe le masque, et fait tomber celui de son chef, mais il est à son tour évincé fin 2000. Sa servilité et sa veulerie n’ont servi à rien. Son commanditaire était plus veule que lui, et surtout plus retors, et n’avait cure de cette fidélité que son féal disciple avait toujours montrée sans faiblir jusqu’à participer à une délation particulièrement sordide mais qu’il croyait juste de commettre pour assurer le triomphe de son vil Maître, pour les siècles des siècles, et où il aurait reçu un petit morceau de sa gloire, une portion congrue et, sans doute, une entrée dans les dictionnaires de noms propres. La série noire des évictions a donc continué... Ce comportement suscite alors la réaction d’un “Cercle Gibelin” qui lance sur la grande toile des “manifestes dextristes” en préconisant, comme le voulait d’ailleurs Sincyr au départ, une réconciliation des pôles de la ND (G.R.E.C.E., T&P et S.E.), sous les auspices d’une personnalité non contestée (Mabire ou Venner). Sincyr n’intervient pas dans le débat. Je ne saurais jamais ce qu’a pensé Sincyr de tous ces soubresauts de l’année 2000.

A partir de décembre 1998, Gilbert Sincyr n’opte pourtant pas pour un retrait total, pour la stratégie étonnante que préconisaient les “bathyscaphistes” de ses amis. Il était un amoureux de la nature. Il admirait Paul-Emile Victor et le Commandant Cousteau. Il avait été séduit, au début de l’aventure de “Synergies européennes” par les travaux de Laurent Ozon et par la revue de son équipe, “Le Recours aux Forêts”, surtout par les deux numéros exceptionnels sur l’urbanisme et la “bonne alimentation” que l’écologiste le plus original de France avait publiés suite à son passage chez les Verts d’Antoine Waechter et à sa lecture méticuleuse des théories d’Edward Goldsmith. Gilbert Sincyr va donc s’occuper d’écologie dans un mouvement local qu’il baptise “D’abord Vert”, actif surtout dans la périphérie toulousaine. On verra alors Sincyr renouer avec son passé écologiste, avec l’admiration qu’il vouait à Paul-Emile Victor, en inaugurant des marchés de Noël, des foires aux produits régionaux, en plantant des arbres avec les enfants des écoles. Sincyr était devenu un “localiste” très actif dès le début de la première décennie du 21ème siècle. Nos chemins étaient séparés: pour moi, les années 2002 et 2003 ont été très difficiles, vu que le Ministère de la Justice, sous la brillante gestion d’une ministresse aussi incompétente que prétentieuse, ne payait plus ses experts, vu que la Région bruxelloise ne payait plus les bureaux d’architecture qui me confiaient des travaux, j’ai dû faire le gros dos, laisser passer l’orage et, en décembre 2003, j’apprends que ma mère est atteinte d’un mal incurable, que son grand âge (89 ans) va permettre de ralentir, toutefois après une opération très meurtrissante et un recul général de ses facultés mentales. Fils unique, elle est dès lors à ma seule charge. Je la maintiendrai chez elle, en ses foyers, jusqu’en février 2008, alors que les médicastres et les Diafoirus de l’hôpital Saint-Jean voulaient l’enfermer dans un “mouroir”. Elle rendra l’âme en décembre 2011. Les revues “Nouvelles de Synergies européennes” et “Au fil de l’épée”, émanations de “Synergies européennes” et créées sous les auspices de Sincyr, paraissent jusqu’en 2002 et 2004, année où je rencontre Ana, ma deuxième femme flanquée de son petit chien “Gamin”, avec qui j’ai entamé une nouvelle série de voyages à travers l’Europe. A partir de janvier 2007, nous lançons à Bruxelles, le blog http://euro-synergies.hautetfort.com qui sera suivi plus tard par http://vouloir.hautetfort.com et http://archieveseroe.eu , animés tous deux par une équipe parisienne. La dynamique était relancée et je ré-amorçais en Europe mes tournées de conférence, en bénéficiant finalement d’une logistique mise en place dans les années 90 par “Synergies européennes” et appuyée cette fois par la notoriété qu’a acquise le blog au fil de ces sept dernières années. Eh oui, le petit Belzébuth de Bruxelles n’est pas mort malgré les trente ans de guerre qu’on a menées contre lui. Espiègle à l’instar d’Uilenspiegel, il continuera à adresser ses pieds-de-nez aux sots qui se prennent pour des phares de l’humanité.

Des Mérovingiens aux Pippinides

51CVkipR9zL._SY300_.jpgFin de la première décennie du 21ème siècle, Gilbert Sincyr, lui, se lance dans la rédaction de plusieurs ouvrages: sur le paganisme, son violon d’Ingres, où il recevra, prix de consolation, une maigre préface d’Alain de Benoist, mais aussi et surtout sur une période de l’histoire européenne et gauloise-française finalement peu connue et négligée par notre mouvement de pensée: la période qui va de la disparition de l’Empire romain, avec Aetius, à l’émergence de la Gaule mérovingienne et à la réaction austrasienne face aux rezzous maures venus d’Espagne occupée. Philippe Randa aura la bonne idée d’éditer tous ces ouvrages historiques de Gilbert Sincyr et, ainsi, d’occuper un créneau vide dans l’historiographie néo-droitiste. Créneau qu’il s’agit encore de compléter d’apports nouveaux. Sincyr a ouvert la voie, modestement: à ses successeurs, d’où qu’ils viennent, de poursuivre sur la sente qu’il a commencé à tailler pour nous tous. Nous participons ensuite tous les deux à un ouvrage collectif, “Force et Honneur”, sur les grandes batailles qui ont marqué l’histoire européenne, mais sans nous rencontrer.

Ce fut un deuil qui nous a permis de renouer nos relations rompues en 1998. Je possédais l’adresse électronique de Sincyr mais ne lui envoyais rien car il ne m’avait rien demandé. J’apprends en octobre 2012 le décès du politologue italien Mariantoni, qui avait participé à quelques-unes de nos universités d’été. Ce spécialiste du Proche et du Moyen Orient vivait en Suisse et était l’un de nos fidèles. J’envoie le faire-part à Sincyr qui me répond, le 24 octobre 2012: “La mort de Mariantoni est une grande perte. Son combat restera pour nous un exemple”. Phrase simple qui exprime une gratitude sincère. Ensuite Sincyr se réconcilie avec moi, en une seule phrase concise, et termine son courriel par la formule, très importante à ses yeux, “Que les Dieux te soient propices!”. Le 12 novembre 2012, il me transmet des nouvelles d’un ami toulousain. Le 21 janvier 2013, il écrit, tristement, suite à l’envoi de mon hommage à Yves Debay, camarade d’école, tombé en Syrie, à Alep, dans le cadre de son métier de reporter de guerre: “Les rangs de nos amis s’éclaircissent”. Le 22 mars 2013, il me remercie de lui avoir envoyé le texte d’une de mes allocutions à Nancy, sur la notion de “patrie charnelle”, qui lui tenait fort à coeur. Le 24 avril, je lui écris pour lui dire que je ne pourrai pas être présent à Paris pour le lancement de l’un de ses livres. Il me répond: “C’est dommage que tu ne puisses pas venir, cela aurait fait une occasion de nous revoir”. Et sûrement de remettre beaucoup de choses sur le tapis. Je n’ai jamais revu Gilbert Sincyr. Je me promettais de le revoir à Toulouse en août 2014, lors de mon retour annuel d’Espagne. La Camarde en a décidé autrement. Adieu donc, camarade, mais sans toi, l’histoire de notre aventure commune, celle de “Synergies européennes”, demeurera toujours incomplète. Je vais écouter les “Oies sauvages” et le “J’avais un camarade”, que tu as dû murmurer en Algérie, face aux corps sans vie de quelques-uns de tes camarades de combat et de ces légionnaires allemands et européens que tu as un jour évoqués dans une conversation. Je sais que cela te fera un immense plaisir car tu es allé les rejoindre. Ne t’inquiète pas: nous te rejoindrons tous, quand nos heures seront venues. En attendant, nous continuons le combat en pensant à la phrase finale de ton éditorial du n°2 de “Nouvelles de Synergies européennes” (juillet 1994): “On dit que la vie est un combat. Pour nous c’est une chance: nous aimons l’une et l’autre”.

Robert Steuckers.

Forest-Flotzenberg, 15 février 2014.

Notes:

(*) Cf. sur le site http://robertsteuckers.blogspot.com l’article “L’apport de Guillaume Faye à la Nouvelle Droite et petite histoire de son éviction” (qui a servi de préface à une nouvelle édition italienne de son livre “Le Système à tuer les peuples”) et l’entretien accordé à Pavel Tulaev, Président de “Synergies Européennes-Russie”, intitulé “Answers to Pavel Tulaev”, mis en ligne en février 2014.

(**) Cf. Robert Steuckers, “Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923), inspirateur du Cercle de Stefan George”, in Vouloir, n°8 (nouvelle série), automne 1996 (conférence prononcée à Madesimo, été 1996, Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable aujourd’hui sur http://robertsteuckers.blogspot.com ) & Robert Steuckers, “Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence”, in Vouloir, n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (conférence prononcée à Madesimo, été 1996, Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable aujourd’hui sur http://robertsteuckers.blogspot.com ).

(***) Cf. Robert Steuckers, “Eugen Diederichs et le Cercle Sera”, in Vouloir, n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (consultable sur: http://robertsteuckers.blogspot.com ).

vendredi, 07 février 2014

Answers to the questions of Pavel Tulaev

Answers to the questions of Pavel Tulaev
About my modest biography, my experiences in the French New Right Circus, etc.

 

Dear Robert Steuckers, you are among the few West European journalists or publicists who profoundly understand the history and geopolitics of Russia. We know each other now since more than fifteen years and that’s why I find this interview is important. First of all, would like to introduce yourself, to tell us about your profession, your specialisation, your titles, etc. ?
 
RS: Well, there is nothing special about me. I was born in Uccle/Ukkel in January 1956 in a quite poor family. My father was the son of a peasant having a family of seven children and came to Brussels to find a job as a servant in 1933. He didn’t want to go to school to become a schoolmaster, didn’t want to work on the farm feeding the pigs and couldn’t find a long-lasting job in his province. My mother, who died recently in December 2011 at the age of 97, was the daughter of a beer brewer and seller, who, at the age of 14, left his village, where his own father had also seven children and only one cow he had to drive along ways and paths in his village in order to let her graze as he had no meadow of his own.
 
lancier_belge.jpgIn Brussels my grand-father became the helper of a baker and then could be hired by the army to replace a rich son of a bourgeois family, who had no lust to do his military service (at that time conscription was not yet compulsory in Belgium). He served for three years in the 2nd and 4th Lancers, an elite light cavalry regiment, in which he got the noble attitude in his daily gestures he kept till his last breath, almost 87 years old. With the money he got from the rich family to do military service instead of the son of the house, he could buy and take over the small business of a retired or passed away brewer and marry my grandmother in 1908, the very year one of his sisters migrated to the United States, to Indiana, to run a farm with her husband: they too had seven children. My mother’s parents started a trade in beers and lemonades, which lasted 80 years, being taken over by my uncles in 1953. My grand-parents’ youngest son retired in 1988. My grandfather was called up in August 1914 and participated in the First World War as a sergeant in the transport units behind the Yser Front in Flanders. He swallowed mustard gas (Yperite), suffered ten years long from the effects of this nasty chemical but could recover after a terrible pneumonia, due to lung complications, in 1928. Even if he could earn a good life by selling beers to pubs and private customers, he was the model of an ascetic, eating almost no meat, only oats with milk and eggs, together with rhubarb and prunes that he cultivated in his own garden. He wanted to remain thin to mount horses in case if… but he had no horse anymore. He bought motorcars and lorries that he was never able to drive himself: this was the task of his sons. He used to say: “Modern times are preposterous: they all need a motor under their bottom even for a distance less than 500 yards”. My grandmother was even more ascetic and left me one of her often quoted saying: “Clock hours (i. e. measured time) are for fools, the wise know their time” (‘t Uur is voor de zotten, de wijzen weten hun tijd). In this sense, she was exactly in tune with the celebrated German writer Ernst Jünger, when he theorized his ideas about time.
 
My father came to work as a servant to the House of Count Willy (Guillaume) de Hemricourt de Grunne in 1938. In the summer of this year he made his first trip outside Belgium to a village in Franche-Comté, near the Swiss border, where Count de Grunne had inherited a wonderful mansion house from an aunt who had inherited it from his own grandfather, the French Catholic thinker and politician Count Charles de Montalembert. I still spend some days in this part of Europe twice or three times a year. In August 1939, just a few days after the Molotov-Ribbentrop agreement, my father was called up in the Belgian army, was sent to barracks near the German border during the phoney war, then to the Beverloo military camp, where he underwent the German air attack by Stuka bombers in the early morning of May 10th, 1940. After his duty, as no Flemish conscript soldiers were taken prisoner of war and sent to Germany, my father went back to the House of Count de Grunne, where he worked till his retirement in 1978. Some months later Willy de Grunne died, just three days before his 90th birthday.
 
My youth was spent in the marvellous surrounding Willy de Grunne created in the large garden behind his house in Brussels, which was a marvel of architecture designed by the genial Belgian architect Brunfaut in the early Twenties. Willy de Grunne wanted to have different flowers in his garden in spring, summer and late summer, so that I always could play among the most beautiful selection of plants that a team of very able professional gardeners kept with love and care. The mansion in Franche-Comté is still a marvel today and is now run by his grandson, whose father was Russian and son of a White Guard officer and later one of the best teachers of your language in Belgium. The surroundings created by Willy de Grunne made of me a youth completely immune to the seductions of modern world, but simultaneously I was perhaps also affected by a serious handicap: I could never understand the way of working in factories or offices, with the artificial rhythms and hierarchies they imply.

 

eliz.jpgThe world of my youth was a world with only personal, friendly relationships never determined by contracts, only by pure genuine human and manly confidence, based on the given word you never withdraw. Books were important in this world, as Willy de Grunne had, among other tasks as a diplomat, to read books for Queen Elizabeth Wittelsbach, a Bavarian Duchess, who became Queen of the Belgians in 1909. Willy de Grunne was Grand Master of her House in the Thirties. Queen Elizabeth was, just as her whole Bavarian family in Munich, an excellent sponsor of arts, music and museums. We owe her the Egyptology Museum in Brussels and among many other things the world famous “Concours Reine Elizabeth”, promoting young talented musicians from all over the world. Many young Russian musicians participated in this prestigious competition. Besides, Queen Elizabeth has been (and still is) criticized for being of German origin and for having refused to boycott the USSR and China during the Cold war. She ended her life in the Fifties and the early Sixties by acquiring the then sulphurous reputation of a “Bolshevik Queen”. She died in 1965.

Now, I became a so-called “intellectual” thanks to my father’s sister Julienne, who had a diploma of schoolmistress, had married Hendrik Lambrechts, a Flemish schoolmaster in ‘s Gravensvoeren (Fouron-le-Comte), and had a son, Raoul, who after his father’s death in 1949, became a political scientist having studied at the prestigious University of Louvain, after brilliant secondary school studies (Latin and Greek) achieved at the Flemish “Heilig Hart College” (“Sacred Heart College”) in Ganshoren near Brussels. My aunt was very proud of her son. But unfortunately Raoul died in 1961 from a heart disease that would now be easily cured. I was only five years old when I was brought to the University Hospital in Louvain to see him dying after a previous operation that provoked a blood clot that stroke his brain. The vivid and awful memory of this dying unconscious young man, his desperate eyes and the frightful calls of his mother remain in my mind till now. After Raoul’s death my father was told and even ordered by his sister to make all the efforts needed to let me study at a University, because, she said, “our old Province Limburg should have an elite born out of peasant families”. I was given the task, even the burden, to replace Raoul in the family: a man had been killed, another had to take his place. Aunt Julienne died in 1991. I saw her some days before her passing away. She was as happy as happy can be. A bright smile illuminated her face, although she was suffering a lot due to the dog days: finally, not only me, the crazy boy full of silly fantasies, had something like a diploma, but also the daughter of her daughter, who just got her diploma of political scientist at the State’s University of Ghent. One of my cousins found the right words when she held a very well balanced speech in the church on her burial day: “A grand and simple lady”.
 
These family circumstances explain why I was first sent to a good primary school in the part of the City where I’ve always lived. The teachers were severe and taught us parsing very well, which has been of the uttermost importance for my further studies in Latin in the secondary school and in German, English and Dutch for my studies at University or at the Translators’ and Interpreters’ School. After the usual six years of primary school, I was sent to a secondary school not far from home, where my father, after a good briefing of Aunt Julienne and of Willy de Grunne, let me be registered in the Latin classes. I couldn’t understand why I had to study Latin when we both went to this impressive old school to meet a friar responsible to register the new pupils. He told me when I asked him why Latin was for that a secondary school is like a train with several cars, that my seat had been booked in the Latin car and if after a year or a couple of years I couldn’t feel well in this kind of luxury or first class car, they would book a seat for me in another one, perhaps less prestigious but even more efficient and pragmatic. But I immediately liked to study Latin, especially words and etymologies, and never failed any examination in this subject. My crux during the years of my secondary school had been maths not because I had a prejudice against maths —on the contrary— but because in September 1967, some crazy and criminal minds had decided to introduce “modern math” (singular!) without any pedagogical preparation: modern math is indeed too abstract to understand for children younger than 12 or 13 years and I was only 11 when I started secondary school. I was saved at the end of the first year because fortunately some clever minds had rung the alarm bell and imposed algebra in the traditional way.
 
During the fifth year, the so-called Latin “poetry class”, I became firmly decided to learn modern languages, more precisely German and English at University. After two years I changed for the Translators and Interpreters School, which was not far from my home. After four years I got the diploma of English and German translator. To obtain it I had to translate and comment a book of Ernst Topitsch and Kurt Salamun criticizing “ideologies” as constructed systems that prevent real pragmatic thoughts to develop or that serve as crushing instruments to perpetuate the domination of false elites (like the pigs in Orwell’s Animal Farm) becoming gradually out of touch.
 
So I became successively a clerk by Rank Xerox (to answer calls in several languages), the dumbfound redaction secretary of Benoist’s magazine “Nouvelle école” (having had the privilege to analyse on the very field the preposterousness of the all business lead by this silly old wet blanket of Benoist), a soldier doing his military service in the 7th Company Logistics for ten short months in Saive (near Liège), in Marche-en-Famenne, in the marvellous Burg Vogelsang and the village of Bürvenich in Germany along the border, a freelance translator and interpreter for twenty years (with a lot of different customers active in all possible social fields), a sworn translator for the Ministry of Justice, a private teacher, one among the numerous freelance assistants of Prof. Jean-François Mattei, who published in 1992 the “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques” for the “Presses Universitaires de France”, and, as a wonderful and enthralling hobby, the metapolitical fighter you’ve known since now more than fifteen years. As a metapolitcal fighter, I was first a young and second-rank animator of the Brussels’ GRECE-group around Georges Hupin, an occasional pen pusher for his small bulletin “Renaissance Européenne” (still published nowadays as the organ of Vial’s “Terre & Peuple” movement in the French-speaking part of Belgium), then the founder of “Orientations”, the redaction secretary of “Nouvelle école”, one of the founders of the Brussels’ EROE–group, the founder of “Vouloir” together with Jean E. van der Taelen, a speaker having wandered throughout Europe to address meeting or participate to seminars of all kinds, a member of Faye’s “Etudes & recherches”-club within the “nouvelle droite”, then the organiser together with others of the Munkzwalm-seminars in Flanders, one among the founders of “Synergies Européennes” (together with Gilbert Sincyr and Jean de Bussac) and organisers of all the activities lead by this European group, including the publication of “Nouvelles de Synergies Européennes” and “Au fil de l’épée”.
 
You have a universal outlook that can be called encyclopaedic. How did you get your education? Whom can you consider your teachers? Who are the authors and which are the books that have influenced you most?
 
If once in your life you decide to become a metapolitical fighter you have of course as a duty to read ceaselessly and to acquire willy-nilly this “encyclopaedic outlook” you talk about. Moreover if the metapolitical purpose you follow is to re-establish European culture in all its richness the piles of books awaiting you reach permanently the ceiling. I got my education at school and nowhere else. It would be dishonest and conceited to invent a story trying to demonstrate somehow the contrary. Schoolbooks for the subject “History” were and are still good in Belgium. You have simply to assimilate the contents and to complete them with further readings. Of course, I owe a lot to our Latin teacher Simon Hauwaert and our philosophy teacher Lucien Verbruggen, not only for their lessons but also for the long tours they organized for us in Greece and Turkey, in order to discover Ancient Greek civilisation. When I was sixteen and a half, I was brought by the circumstances of these long school trips in the streets of Athens or Istanbul and visited Ankara’s Hittite Museum just one day after having had a short tour around Cappadocia’s cave dwellings and Byzantine churches. This was an even so good training in fact than school curriculum in itself. Another good thing was that we had to prepare every year for Hauwaert and his successor Salmon a paper on a classical Latin topic together with a grammatical analysis of an original text (I had with my late friend Leyssens, a future gynaecologist, who died in a mountain accident at 42 leaving three orphan sons, to study successively Lucretius’ De rerum naturae, a part of Plinius’ Natural History and Plautus’ theatre). The last year Rodolphe Brouwers, our French and History teacher, compelled us to write a paper on history: I had to write a survey about the COMECON countries (Poland, Czechoslovakia, Bulgaria, Rumania, Hungary). Brouwers had also the good idea to let us parse in all details Bossuet’s speeches in order to let us discover the good balance of a possible barrister’s plea or to be able later to coin speeches along the same stylistic guidelines in order to let them be better understandable only by giving them a well-balanced rhythm à la Bossuet. It has been very useful each time the GRECE-people asked me to address their annual meeting held in Paris or Versailles. During a first year at University, I followed the lectures of René Jongen in German grammar and had a course of German literature by the Flemish writer Paul Lebeau. Later I had English grammar by Jacques Van Roey, as well as good introductory lectures in history, among which the ones of Léopold Génicot on the West European Middle Ages were the most memorable. At the interpreters’ school, two years later, we had excellent practical trainings in modern languages.
 
What concerns the specific New Right literature I was deeply influenced by Pierre Chassard’s introduction to Nietzsche’s philosophy (“Nietzsche, finalisme et histoire”), which compelled me to read Nietzsche more critically and to be definitively defiant in front of all kinds of ready-made idealistic notions (the ready-made “Platonisms” that lards unrealistic political programs) and to know that moralistic arguments are too often escapism and rejection of plain common sense. I had already read Nietzsche’s “Antichrist” and his “Genealogy of Moral” but I had then as a boy of 14 or 16 no serious guidelines to understand actually the purposes Nietzsche had by writing this two cardinal books. In 1970, when I was in the 3d class, I asked my French teacher Marcel Aelbrechts which novels I had to read: all he suggested me was excellent but the main book in the series was undoubtedly the “Spanish Testament” of Arthur Koestler: so I got fascinated by English novels not through the English teacher (who at that time was also an excellent man, Mr. Mercenier) but through the French teacher, an old mischievous friar, who was certainly not sanctimonious (and with whom I had a real boxing fight at the end of my studies because he tried to prevent me to beat the math teacher; we nevertheless remained good friends; normal people fight and shout at each other: the political correctness says today that such attitudes are wrong but in no other period of history so many people had to look for the help of the psychiatrist or to swallow sedating pills; so “political correctness”, as we can objectively state, is surely bad for your health…).
 
lhomme-revolte-camus.jpgMy next French teacher was Jacques Goyens, who is now retired of course and considered nowadays as a main French-speaking Belgian author. He introduced us to poetry (Rimbaud, Leconte de Lisle, Baudelaire, Verlaine,…) and to present-day literature. During springtime 1972, Jean-Paul Leyssens and I worked on Albert Camus and we stressed mainly his philosophical ideas, inspired by Nietzsche and written down in “L’homme révolté”. Goyens was disappointed because we had coined a portrait of Camus as a Nietzschean philosopher and therefore neglected his main contribution to the genuine French literature of the Fifties. But in the end I was happy to have learned about the philosophical dimension of Camus’ work and Goyens was perhaps thoroughly right as Camus is more important as a writer than as a philosopher, but what both parties forgot was the rather complex context in which Camus’ political views developed at the time when existentialism was fashion in Paris. In March 1973, Goyens took us away from school to visit an important exhibition at the Belgian Royal Museum of History and Archaeology: it was about the glorious medieval period of the so-called Rhine-Meuse civilization between the 9th and the 15th centuries. This region is indeed the cradle of the Western Imperial tradition, as the reaction against the Merovingian decay (our first “Smuta”) took place in the area between Meuse, Rhine and Mosel among the Pippinide clan of Charles the Hammer (Charles Martel) and as Charlemagne settled his main capital in the City of Aachen, from where a kind of Renaissance of Ancient thought took place long before the more widely known Italian Renaissance of the 15th Century. I was just seventeen then but the idea that our own imperial cradle was so near to my place fascinated me especially as my father’s family is from Flemish Limburg, an area close to this fertile and green cradle county. Jean Thiriart too liked to stress that his family originated from the Walloon part of this Rhine-Meuse area and that therefore the European idea was his own as the Carolingian Imperial idea had been the one of his ancestors.
 
In the translators’ and interpreters’ school we had good grammar and lexicology teachers like Potelle, Van Hemeldonck and Defrance (who had had a tremendously active life and had founded one of Belgium’s more prestigious bookshop in Ostend before becoming a teacher and who brought us to Berlin in 1977 and to Munich in 1978 during two memorable students’ trips). What concerns more specifically geopolitics and history, the lectures of Mrs. Costa, based on a German official handbook, whose title was “Zweimal Deutschland”, provided us a thorough knowledge in recent German history, which is the key to understand the process of geopolitical and political alienation in Europe after 1945. The history lectures of Prof. Peymans stressed the political and philosophical specificity of the liberal and subversive Western hemisphere (Britain, USA, France), which, in order to be able to develop, had to get rid of all the traditional institutions generating the peoples’ identity or of all the “atavistic forces” as Solzhenitsyn called them while he was defending old Russia against all the endeavours of the wild Westernization you have endured in your country. During the two last years in the translators’ school, we had lectures in international politics and current affairs given by Mrs. Massart, who agreed to let me comment and introduce Jordis von Lohausen’s book on geopolitics. My destiny as a “geopolitician” within the New Right groups was settled once for all. Having read the German “geo-economicist” Anton Zischka about Eastern Europe in order to be able to write out Brouwers’ history paper in 1974, my non Western vision of European history was from then on quite complete, as Mrs Costa’s lectures on recent German history, Zischka’s nostalgia of a united European area without any Iron Curtain and Lohausen’s Central European vision of history and geography made me immune for all strictly Western or NATO world visions.
 
As I’ve already told it to our Scandinavian friends in an interview they submitted me, historical atlases were important for me, among them I want to quote the “DTV-Atlas zur Weltgeschichte” and Colin MacEvedy’s British atlases issued by the celebrated Penguin publishing house in Harmondsworth, England.
 
You know some European languages and make a lot of translations. Why didn’t you study Russian or any other Slavonic language?
 
I’ve got a diploma for the English and German languages. As we spoke Dutch and French at home and more generally in Brussels’ everyday life, I was quasi born as a bilingual boy. My school education was in French as most of the Flemish schools disappeared in the late Forties and early Fifties because the Germans had supported a policy of “Rückgermanisierung” or “re-Germanization” during their second occupation. After 1945, the “Germanization” policy, that had been launched through the financial support for a revival of the Flemish language, was of course cancelled and the Belgian establishment inaugurated a policy of “Rückromanisierung”, that decelerated later because people started to send their children back to Flemish schools again, mostly because they weren’t attended by so many immigrants. This phenomenon of “Rückromanisierung” was especially the case in the Southern municipalities of Brussels. My cousin Raoul could attend a Flemish high quality secondary school in the Northern part of the urban area. An education in French was not as such a bad thing, of course, but we thought anyway that, even if French is a very important world language, the policy of “French alone”, followed by some Frenchified zealots within the Belgian establishment in Brussels lead to a kind of closeness or isolation, as Dutch/Flemish is a excellent springboard to learn English, German and Scandinavian languages. The left liberal and socialist Flemish author August Vermeylen, at a time between 1890 and 1914 when socialism in Belgium wasn’t uprooted (and an uprooting force as well) and produced excellent and original cultural goods, used to say that we had to be Flemings again in order to become good Europeans (in Nietzsche’s meaning of the phrase). Vermeylen didn’t exclude French as a language of course but wanted people to open their minds to the cultural worlds of Britain, Holland, Germany and Scandinavia. In this sense I am a socialist à la Vermeylen. And my own boy went to a Flemish school, despite the fact that his mother was born in Wallonia and had to learn Dutch as an adult.
 
To learn Slavonic languages at the time of the Cold War was almost impossible as you couldn’t meet native speakers in common professional and everyday life surroundings. When I was eleven years old in summer 1967, just after having achieved primary school, I went to de Grunne’s place in Franche-Comté, where he had invited “Babushka”, the grand-mother of his grand-children. “Babushka” was a fantastic elderly woman, who taught the Russian language to her grand-sons and I helped her to keep them and bring them to a playing area with a toboggan in the village. During these afternoons, only Russian was spoken! About more than one year later, I went for the first time in my life to a real theatre (i. e. not a wandering theatre for school children) to watch an adaptation of Dostoievski’s “Crime and Castigation”, written by Alexis Guedroitz, de Grunne’s son-in-law, and masterly performed by the troupe of the famous Belgian actor Claude Etienne, who played the role of the investigating police principal. This was not the only Russian presence in my childhood: the wife of our neighbour was Russian and I played as a boy with their half-Russian children. More: her father, a former Colonel of the Czar, had an old batman, a giant and handsome mujik, who worked in their little shop producing children disguises for carnivals and fancy fairs, as they had to make a living when they came back like many White Russians completely ruined from Congo where the Belgian authorities had sent them before this Central African country became independent. This former corporal batman of the White Army was fascinated by the little boy I was because —I disclose it here for the first time as I’ve always been too shy to tell it— I had been elected in 1958 the most beautiful baby boy of Belgium: this has been my very first diploma but since then I grew old and ugly! As a simple man, the old Russian White Gardist was very proud to be the neighbour of the most beautiful baby boy of Belgium and once a week this poor penniless man bought for me a bar of chocolate in our street’s sweets shop and put it in the letter box. My mother told me that this was a real sacrifice for such a poor man and taught me to respect sincerely this modest and kind weekly gesture of gentleness. But I kept in mind that all simple Russian men were generous and not avaricious, so I always have picked up denigrating propaganda, be it the German one of WWII or the NATO one of the Cold War, with an extreme scepticism.
 
When I moved to Forest again in 1983, my neighbour was the celebrated nurse Nathalia Matheev, daughter of another Czarist officer, who died fighting the Red Army in Crimea. She was loved by all our neighbours and died just a few days before my son was born. In her flat, where I live now, many Russians of the Twenties’ emigration came to pay her a visit, especially on Easter Day, when “Paska” and vodka with fruit juice were served: among them a cousin of Admiral Makharov and the German-Baltic Count von Thiesenhausen, who at Nathalia’s burial mass, stood upright at the respectable age of 83 during three long hours, holding a candle and singing the old sweet Slavonic burial songs, without a single minute of rest. Nathalia studied nursery in Brussels after having left Russia and was even sent as a volunteer of the Belgian Red Cross to Peru to manage a health centre high in the Andean mountains in 1928.
 
I tried by my own to learn Russian through an Assimil method when I was sixteen in 1972. I discovered Indo-European comparative etymology in our reference schoolbook “Vocabulaire raisonné Latin-Français” of the Belgian Latinist Cotton, where you could find the roots of all the Indo-European basic vocabulary, so I was inclined at that time to start studies of comparative linguistics and I decided shortly before the Easter holiday that I traditionally spent at the Flemish sea resort of De Haan, together with the future gynaecologist Leyssens, whose grand-father had a house there. I stayed alone in a charming and cheap hotel as my father loathed to spend weeks at the sea side: he was a land peasant unable to understand the importance of the sea, “a space you cannot cultivate and whose water is salty and undrinkable for men and cattle”. Every morning and every evening, after a complete day outside by foot or by bike even under the rainy and cold skies of the West-Flemish coastal district in March or April, I studied a lesson of Russian, another of Welsh and a third one of Swedish, in order to discover a Slavonic, a Celtic and a Teutonic language that I didn’t know. This was of course silly —a crazy idea of a funny teenager— as you cannot study such a spectrum of languages by your own without a well-established didactic frame and able teachers. So the experience didn’t last long. At the translators’ school, I started a Danish course but the extremely sympathetic lady, in charge of these lectures, died two weeks later and we had to wait for some weeks or months to find a new teacher, who came only at the very end of the academic year. In 2008, I was offered a free course of Russian but this initiative, due to several reasons, collapsed rapidly, chiefly because it couldn’t match into the scheduled and compulsory school activities.
 
So at the time of the Cold war, it was easier to learn German and English, two languages that are closer to our own Dutch and Flemish, in their official varieties as well as in their many dialects. I could have a better and direct access to these languages than to Slavonic or Celtic languages. In a speech held at the very beginning of the academic year 1976 (the day the underground train of Brussels was inaugurated), Alexis Guedroitz told the assembled teachers and students that Russian was a language that you can only acquire properly “with your own mother’s milk”. To study correctly a subject implies not to get rid of the quality of “otium”, giving you time and pleasure and banking on pieces of knowledge you already and naturally have, avoiding at the same time painful efforts that could spoil your life and degenerate into “negotium”, i. e. the feverishness of a greedy businessman who is never satisfied of what the gods give him. If I can read —and not properly speak— Latin languages is due to the fact that Simon Hauwaert was a very demanding Latin teacher. Shortly before my grand-father died in December 1969, I only had experienced a couple of years in the Latin classes and discovered next to his old worn-out and brownish armchair a copy of “Oggi”, a popular Italian magazine —I still cannot imagine how this magazine arrived there as my grand-father couldn’t understand a single word of Italian— and stated that I could understand for my own many sentences, thanks to the efforts of our Latin teachers (Philippe, Dumont, Salmon). Later, when Georges Hupin opened in 1979 a first office for the New Right/G.R.E.C.E. branch in Brussels, I could read copies of Marco Tarchi’s leading bulletin “Diorama Letterario” and of Pino Rauti’s weekly “Linea”, which were among the best the movement produced in Western Europe at that time. So I decided to try as much as possible to understand and translate the articles. I took the opportunity between January and October 1982, when I was out of work and had to wait to be enlisted in the army, to study the general features of Italian and Spanish, in order to acquire at least a passive knowledge of these languages; the purpose of this superficial studying was to get able to gather as much information as possible from Southern European publications in order to feed the New Right magazines with original stuff. What concerns Portuguese texts, I had been spoilt by the publisher of “Futuro Presente”, the New Right quarterly issued in Lisbon at that time. He came regularly to Paris, when I worked for “Nouvelle école” there in 1981. We often had the opportunity to have meals together. I helped myself to read these magazines with a copy of an Assimil method for Portuguese and an old dictionary.

We started our cooperation at the time you published “Nouvelles de Synergies Européennes” and animated the groups called “European Synergies”. Would you like to remind us the history of this organisation? How did it start?

 

 

As you know it, I had been active in several “New Right” initiatives in Belgium and France since 1974 and became a member of the GRECE-group in September 1980 after having followed a special summer course in July 1980, which took place in Roquevafour in Provence. I worked for “Nouvelle école” during nine months in 1981, came back to Belgium in December 1981 to do my military service and started, with the help of Jean E. van der Taelen, to activate a club in Brussels, that was called “EROE” (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”) in order to be completely independent from the Parisian coterie around Alain de Benoist and of course to be protected from all the quarrels and campaigns of hatred he used to rouse against his own friends and partners, especially against Guillaume Faye. From August to December 1992, I stated that cooperation with the crazy Parisian pack would be quite impossible to resume even in the very next future and that all type of further collaboration with them meant a waste of time, a time we would have spent arbitrating quarrels between new and former friends of Benoist or defending ourselves against preposterous gossip. After I had left the 1992 summer course in Roquefavour earlier, as I was fed up with the quarrels between de Benoist and GRECE-Chairman Jacques Marlaud, who, after having been insulted in the worst of all possible ways, was supposed to be prosecuted next to me in front of a Court composed of Benoist himself, a stuck-up simpleton and a snitch called Xavier Marchand and the usual godawful yesman Charles Champetier (nicknamed “His Master’s Voice”). Marchand had to play the role of the Prosecutor; he tried to make an angry face but was very nervous, his jackass’ look betraying obviously the fact that he was playing a part that had previously been dictated to him. As a good bootlicker pupil, he did his homework with application and started to accuse Marlaud and myself, first to have given articles to Michel Schneider’s magazine “Nationalisme & République”, an activity that had been forbidden a posteriori, and second to have started a non very accurately defined “plot” in favour of Schneider (who had no intention at all to plot against the Parisian bunch but only wanted to give a new life to the group he once founded, the CDPU [= “Centre de Documentation et de Propagande Universitaire”], of which my old friend Beerens was the correspondent in Brussels). After Marchand’s vociferated speech, I simply asked him to repeat his accusation. He resumed his clumsy plea but the contents of the second version were slightly different than the ones of the first version: poor simpleton Marchand hadn’t learned properly by heart his lesson… I said: “Which is the correct version? If it’s version B, then version A is false and…”. Benoist, Marlaud and Marchand, all nonplussed by this apparently harmless question, started immediately to shout loudly at each other, giving the very amusing spectacle that a quarrel between Frenchmen always is, while Champetier remained silent and was blowing the smoke of his cigarette up the air. After they all had uttered their grievances loudly, they left the backyard, where the trial should have taken place, and only Benoist followed me, repeating ceaselessly that “he liked me” while he walked heavily with his flat feet through the marshy meadow next to the river flowing along the park where the Summer course’s beautiful old mansion stood, disturbing the siesta of a good score of frogs and toads, that jumped away, cawing clamorously, to escape the hooves of this huge approaching pachyderm blowing a nasty gas cloud of cigarette smoke. I left the summer course, telling cocky Marchand, who had made a cock–up of the wannabe trial, that he should find immediately a car to travel to Aix-en-Provence. As he of course asked me why, I said that he had to buy an Assimil method to learn German, as I was about to leave and as he had of course to replace me as a translator for the German group. He had exactly a couple of hours to become fluent in German. 
 

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I decided to leave definitively in December after they refused to pay me back the copies of my magazines that had been sold during the annual meeting, as well as the ones of “The Scorpion” Michael Walker had asked me to sell for him. I had already the impression to be a clown in a awkward circus but if this role implied to lose permanently money, it was preferable to leave once for all the stage. I had the intention to devote myself to other tasks such as translating books or private teaching. This transition period of disabused withdrawal lasted exactly one month and one week (from December 6th, 1992 to begin January 1993). When friends from Provence phoned me during the first days of 1993 to express their best wishes for the New Year to come and when I told them what kind of decision I had taken, they protested heavily, saying that they preferred to rally under my supervision than under the one of the always mocked “Parisians”. I answered that I had no possibility to rent places or find accommodations in their part of France. One day after, they found a marvellous location to organise a summer course. Other people, such as Gilbert Sincyr, generously supported this initiative, which six months later was a success due to the tireless efforts of Christiane Pigacé, a university teacher in political sciences in Aix-en-Provence, and of a future lawyer in Marseille, Thierry Mudry, who both could obtain the patronage of Prof. Julien Freund, the most distinguished French heir of Carl Schmitt. The summer course was a success. But no one had still the idea of founding a new independent think tank. It came only one year later when we had to organise several preparatory meetings in France and Belgium for a next summer course at the same location. Things were decided in April 1994 in Flanders, at least for the Belgians, Italians, Spaniards, Portuguese and French. A German-Austrian team joined in 1995 immediately after a summer course of the German weekly paper “Junge Freiheit”, that organized a short trip to Prague for the participants (including Sunic, the Russian writer Vladimir Wiedemann and myself); people of the initial French team, under the leading of Jean de Bussac, travelled to the Baltic countries, to try to make contacts there. In 1996, Sincyr, de Bussac and Sorel went to Moscow to meet a Russian team lead by Anatoly Ivanov, former Soviet dissident and excellent translator from French and German into Russian, Vladimir Avdeev and Pavel Tulaev. We had also the support of Croatians (Sunic, Martinovic, Vujic) and Serbs (late Dragos Kalajic) despite the war raging in the Balkans between these two peoples. In Latin America we’ve always had the support of Ancient Greek philosophy teacher Alberto Buela, who is also an Argentinian rancher leading a small ranch of 600 cows, and his old fellow Horacio Cagni, an excellent connoisseur of Oswald Spengler, who has been able to translate the heavy German sentences of Spengler himself into a limpid Spanish prose. The meetings and summer courses lasted till 2003 and the magazines were published till 2004. Of course, personal contacts are still held and new friends are starting new initiatives, better adapted to the tastes of younger people. In 2007 we started to blog on the net with http://euro-synergies.hautetfort.com in seven or more languages with new texts every day and with http://vouloir.hautetfort.com and http://www.archiveseroe.eu/ only in French with all the articles in our archives. This latest initiative is due to a rebuilt French section in Paris. These blogging activities bring us more readers and contacts than the old ways of working. As many people ask to read my own production, mostly students in order to write some short chapters in their papers or to be able to write out proper footnotes, I decided in October 2011 to publish my own personal archives on http://robertsteuckers.blogspot.com/

What are the main goals of “Synergies Européennes”?
 
Now the very purposes of “Synergies Européennes” or “Euro-Synergies” were to enable all people in Europe (and outside Europe) to exchange ideas, books, views, to start personal contacts, to stimulate the necessity of translating a maximum of texts or interviews, in order to accelerate the maturing process leading to the birth of a new European or European-based political think tank. Another purpose was to discover new authors, usually rejected by the dominant thoughts or neglected by old right groups or to interpret them in new perspectives.
 
“Synergy” means in the Ancient Greek language, “work together” (“syn” = “together” and “ergon” = “to work”); it has a stronger intellectual and political connotation than its Latin equivalent “cooperare” (“co” derived from “cum” = “with”, “together” - and “operare” = “to work”). Translations, meetings and all other ways of cooperating (for conferences, individual speeches or lectures, radio broadcasting or video clips on You Tube, etc.) are the very keys to a successful development of all possible metapolitical initiatives, be they individual, collegial or other. People must be on the move as often as possible, meet each other, eat and drink together, camp under poor soldierly conditions, walk together in beautiful landscapes, taste open-mindedly the local kitchen or liquors, remembering one simple but o so important thing, i. e. that joyfulness must be the core virtue of a good working metapolitical scene. When sometimes things have failed, it was mainly due to humourless, snooty or yellow-bellied guys, who thought they alone could grasp one day the “Truth” and that all others were gannets or cretins. Jean Mabire and Julien Freund, Guillaume Faye and Tomislav Sunic, Alberto Buela and Pavel Tulaev were or are joyful people, who can teach you a lot of very serious things or explain you the most complicated notions without forgetting that joy and gaiety must remain the core virtues of all intellectual work. If there is no joy, you will inevitably be labelled as dull and lose the metapolitical battle. Don’t forget that medieval born initiatives like the German “Burschenschaften” (Students’ Corporations) or the Flemish “Rederijkers Kamers” (“Chambers of Rhetoric”) or the Youth Movements in pre-Nazi Germany were all initiatives where the highest intellectual matters were discussed and, once the seminary closed, followed by joyful songs, drinking parties or dance (Arthur Koestler remembers his time spent at Vienna Jewish Burschenschaft “Unitas” as the best of his youth, despite the fact that the Jewish students of Vienna considered in petto that the habits of the Burschenschaften should be adopted by them as pure mimicking). Humour and irony are also keys to success. A good cartoonist can reach the bull’s eye better than a dry philosopher.
 
In 1997, Anatoly Ivanov, a Russian historian, polyglot and essayist registered the Russian branch of the “European Synergies” in Moscow. How did you learn about him?
 
I don’t remember quite well but I surely read some sentences about him and his work in an article of Wolfgang Strauss, who wrote an impressive amount of articles, essays and interviews about Russian affairs in German and Austrian magazines as Criticon, Aula, Junges Forum, Staatsbriefe, Mut, Europa Vorn, etc. The closest contact I had at that time was with the team of Junges Forum in Hamburg, which also published next to Strauss’ essays a monthly information bulletin called DESG-Inform (DESG meaning “Deutsch-Europäische Studiengesellschaft”). In this context, I received a copy of a German translation of his very important book Logika Koshmara (Logik des Alptraums) published in 1993 in Berlin with a foreword and a conclusion of Wolfgang Strauss, explaining the world view of the new Russian dissidents, who were not ready to exchange communism for the false values of the West. After the publishing of Logik des Alptraums, Ivanov was regularly quoted in the DESG bulletin or in Strauss’ long and accurate essays in Staatsbriefe. But the very first contact I had was a letter by Ivanov himself, in which he introduced himself and sent some comments that we translated or reproduced for Nouvelles de Synergies Européennes or Vouloir. After having received this letter, I phoned him, so that we could have a vivid conversation. The rest followed. But I am sad that I never could meet him till yet.
 
The same is true for Strauss: I should like to remember here that the very first German article I summarized for Hupin’s Renaissance Européenne was a Strauss’ contribution to Schrenck-Notzing’s Criticon about the neo-Slavophile movement in Russia. I met Strauss only once and too briefly: at a Summer Course of the German weekly magazine Junge Freiheit near the Czech border in the region of Fichtelgebirge in 1995. The representative of Russia was then Vladimir Wiedemann, whose speech I translated for Vouloir.
 
Since then our magazines ‘Heritage of the Ancestors” and “Atheneum” have published news about the “European Synergies”, some of your articles in Russian translation and reviews about such publications as “Nouvelles de Synergies Européennes”, “Vouloir”, “Nation Europa”, “Orion”, etc. Do you find such an initiative important? Why?
 
It is indeed important to inform people about what happens in the wide world. The pages “Atheneum” dedicates to the activities of other groups in Europe or elsewhere in the world replace or complete usefully the information formerly or still communicated by DESG-Inform, Diorama Letterario, Nation Europa, Nouvelles de Synergies Européennes, etc. Recently, i. e. in the first days of June 2011, when I was interviewed in Paris for the free radio broadcasting station “Méridien Zéro”, the two young journalists declared to regret the lack of information about what is said, published or broadcast in the so-called “New Right” or “Identitarian” movements throughout Europe, since “Nouvelles de Synergies Européennes” ceased to be published. They both found that the ersatz of it on the Internet was not sufficient, although one of them produces every week, depending on the topics they are dealing with, an excellent survey of webpages, books and magazines on the “Mériden Zéro’s” website. The same kind of intelligent survey should be done regularly for books because there is one big difference between the time, when the New Right began to develop at the end of the Sixties and in the Seventies, and now: many topics aren’t taboo anymore, such as geopolitics or Indo-European studies at scientific level. Lots of books on the main topics the New Right wanted to rediscover at the time when such topics were repressed are nowadays issued by all possible publishing houses and not only by clearly identifiable conservative or rightist publishers. For general news on current affairs, we can bank on a German friend to issue monthly a general survey of interesting topics gathered from the German press and on a Flemish friend for the same purpose, but this time twice or three times a week. The Flemish “Krantenkoppen” (= “papers’ heads”) are in four languages (Dutch, French, German and English). You can jump into the web to discover them regularly by paying a visit to : http://euro-synergies.hautetfort.com/. In Italian you can get daily a excellent collection of articles on http://www.ariannaeditrice.it/. A good survey of the American non conformist press and webpages can be found on Keith Preston’s site : http://www.attackthesystem.com/. But you and the Méridien Zéro journalists are right: the instrument should be widened and rationalized. This one important goal to reach for all those who were formerly confident of the “Synergies Européennes” network.
 
You also published articles and interviews of us all in the bulletin “Nouvelles de Synergies Européennes” and in the journal “Vouloir”. Had these texts some echo? Who among your readers did pay more attention to our material and about Russian matters in general? Was it Wolfgang Strauss, Jean Parvulesco or Guillaume Faye?
 
parvul10.jpgAll our readers agreed that our articles about Russia or Russian authors and our interviews of Russian personalities were of the uttermost importance. Strauss and Parvulesco received the magazines regularly. I had regular contacts with Parvulesco, who unfortunately died in November 2010 (cf. The category “Jean Parvulesco” on http://euro-synergies.hautetfort.com ), and I know that he always read attentively everything coming from Russia: one should not forget that Parvulesco was among the first thinkers in France who were aware of the dangers epitomized by Brzezinski’s strategic projects in Central Asia and elsewhere, be it along the “New Eurasian Silk Road” or in the Caucasian and Pontic areas. Articles like “La doctrine des espaces de désengagement intercontinental” and “De l’Atlantique au Pacifique” (and within this important geopolitical manifesto, the paragraphs under the subtitle “Zbigniew Brzezinski et la ligne politico-stratégique de la Chase Manhattan Bank” – Both texts can be read in “Cahier Jean Parvulesco”, Nouvelles Littératures Européennes, 1989).

 


But at a first stage, we have to thank retrospectively the guy who translated Russian texts under the pseudonym of “Sepp Staelmans” (a “Bavarianification & Flemishification” of “Josef Stalin”!). He came to us, when he was sixteen and we all were still students, and asked to our friend Beerens what he could do for the movement: Beerens, who in this very evening had most probably drunken too much red wine, told him: “You should learn German and Russian!”. Incredible but nevertheless true: the young lad did it! Many other translations were done by girls who were trainees in my own translation office. More students indeed study Slavonic languages now than formerly, simply because there is no Iron Curtain anymore and they can meet youth of their own age in Slavonic countries. Michel Schneider, who once published the interesting political magazine “Nationalisme et République”, stayed in Moscow for a quite long time and sent us articles too. The former readers of Schneider’s magazine welcomed heartedly of course the Russian stuff he sent to us.
 
One day in Paris, just after having jumped out of the train from Brussels, I had a meal in the famous “Brasserie 1925”, just in front of Paris’ “Gare du Nord”, with a young lady, an incredibly attractive and intelligent woman seeming to come just out of the most beautiful fairy tale. She belonged to the team around the most efficient French present-day Slavists, such as Anne Coldefy, Lydia Kolombet or Marion Laruelle. They wanted to have copies of all our publications dealing with Russian topics for their archive.

Many other articles or essays on Russian matters were inspired by German books of Slavistics produced by the publishing house Otto Harassowitz in Wiesbaden. This publishing house is indeed specialized in Russian ideas and topics and issues regularly a thick journal called Forschungen zur osteuropäischen Geschichte (= “Studies on East European History”), where we could find many inspiring texts.
 
Can we call our own initiatives as belonging to the transnational “New Right” movement? How would you define this ideological movement? Who are its leaders?
 
The phrase “New Right” has of course many different significations. Especially in the Anglo-Saxon world it can delineate a rather multiple-faced libertarian movement inspired by Reaganomics, Thatcherite British conservatism, i. e. an renewed form of the old liberal Manchesterian way of managing a country’s economy, etc. The main theoreticians who inspire such a British or Transatlantic view of politics, state or economics are Milton Friedman, Friedrich von Hayek or Michael Oakshott. This is not, of course, the way we would define ourselves as exponents of a “New Right” (although in some particular aspects, beyond economics as such, Hayek’s notion of “catallaxy” is interesting).
 
Personally I would say that I belong to a synthesis of 1) the German “Neue Rechte”, as it had been accurately defined by Günter Bartsch in his book “Revolution von Rechts?”, 2) of the French “nouvelle droite” as it has been coined by Louis Pauwels, Jean-Claude Valla and Alain de Benoist at the end of the Sixties and 3) of the Italian initiatives of, first, Pino Rauti and his weekly paper “Linea”, and, second, of Dr. Marco Tarchi and his journals “Diorama letterario” and “Trasgressioni” before they started sad aggiornamenti in order not to be insulted by the press.

Img 7_Pauwels.jpgThe German “Neue Rechte”, as defined by Günter Bartsch, is a bio-humanist movement, opposed to technocracy in the widest sense of the word, has got a biological-medical view on man (on anthropology). This implies the rather well-known option for ethnopluralism, which, subsequently, implies an option for all kinds of “liberation nationalism”, within and outside Europe, and for a broad conceived “European Socialism”. The story of the French “nouvelle droite” is better known throughout the world due to the many essays or books written about it since more or less four decades but not so much has in fact been written about the link between, on one hand, the early G.R.E.C.E.-Groups and, on a second hand, Louis Pauwels, editor of the futurology and prospective journal “Planète”, the organized “Groupes Planète” throughout France’s regions, the specific interpretation of the May 1968 ideology of Herbert Marcuse that had been developed in the numerous essays of the magazine, the critical approach of Western materialism, the speculations of Arthur Koestler about biology (“The Ghost in the Machine”) and his attraction towards parapsychology, the influence of the Gurdjieff group on the all venture, the presence in the redaction team of the Belgian thinker Raymond De Becker with his particular interpretation of Jung’s psychoanalysis (and his past as a “crypto-fascist” activist in the Thirties and the Forties, afterwards fascinated by Jungian psychoanalysis during the seven years he spent in jail). Moreover, “Planète” was in a certain way “ethnopluralist” as it supported the Occitan revival in Southern French regions such as Provence and Languedoc. Purpose was of course to dismantle the materialistic and rationalist Jacobine French State. From my experience in the New Right groups, I consider as essential the following topics: the metapolitical way of working, the critical view on the Western world (developed in a special issue of “Nouvelle école” on America and a remarkable issue of “Eléments” on the “Western civilization”), the exploration of the German Conservative Revolution through thinkers like Spengler, Jünger, Moeller van den Bruck or Carl Schmitt.
 
The Italian magazines were more interested in pure political sciences, even in some popularized articles from “Linea”, describing mostly the life of important and original political figures and of political scientists (such as Pareto, Mosca, Sombart, Weber, Sorokin, etc.) and explaining the main trends of their works. For us in Belgium the critique the Italian fellows developed to reject partitocracy was more interesting than the French or German ideas or debates. Why? Simply because the corrupted situation in which we lived and still live, the impossibility to realise genuine political programmes and an authentic reformation aiming at solving actual problems was very similar to what happened and still happens in Italy: in France, De Gaulle had made it possible to escape the narrowness of the 4th Republic’s petty politics and had suggested original ideas such as the workers’ participation, the “intéressement” of a factory’s personnel in the benefits of their company or a new form of Senate with representatives of the regions and the professions and not with aloof professional politicians, who could after some years of parliamentary life become totally cut from all social realities. Nothing of all these intelligent projects after him became reality but nevertheless at the end of the Seventies, there was still hope to translate these seducing programmes into French political life. In Germany at that time, the full results of the post war reconstruction could be felt and at that time the country didn’t experiment the impediments generated by the many dissolving consequences of a partitocratic system.

The French “nouvelle droite” acquired a worldwide reputation after a team around Jean-Claude Valla could manage in the autumn 1978 to man the redaction of a new and broad dispatched weekly magazine, the “Figaro Magazine”. Alain de Benoist was among the new journalists selected and took over the “rubrique des idées” (the “ideas’ column”) he already had run in the Figaro daily paper’s literary supplement, which was issued every Sunday. Louis Pauwels, the head of the new weekly “Figaro Magazine” and former chief animator of the “Groupes Planète” had accepted the deal proposed by the young wolves within the GRECE-team that proceeded from small national-revolutionist groups, students’ associations and tiny political parties that had failed to score sufficiently during several rounds of general or local elections in the Sixties. They all formerly were more or less linked to the monthly magazine “Europe-Action” mainly supervised by Dominique Venner. The events of May 1968 proved that the left or all the leftist non communist caucuses had actually seized the cultural or metapolitical power in France and elsewhere in Western Europe. Nowadays many studies tend to demonstrate that the American OSS and later the CIA had created artificially the 68 uprising in order to weaken Germany which became at the end of the Sixties an economical and industrial power again and to weaken also France which under De Gaulle became a nuclear military power having developed a competitive aircraft industry (Bloch-Dassault with the celebrated Mirage fighters that had been sold to Israel, India, Australia and Latin American countries as well as to some European countries such as Belgium). But in a first step the purpose of the metapolitical fight was to criticize and to suggest a counter-power to the 68 ideology as well as to defeat the heavy influence the communists still had in the French press at that time. This brought the “nouvelle droite” in a kind of precarious balance as, on the one hand, they still had columns in “Valeurs actuelles” and “Le Spectacle du monde”, which were publications owned by the press magnate Raymond Bourgine, who was an Atlanticist, and as, on a second hand, they had started to develop a thorough criticism of American values in both their separate home magazines “Nouvelle école” (1975), under the brilliant intellectual leadership of the Italian Giorgio Locchi, and “Eléments” (1976) under the vigorous supervision of Guillaume Faye.
 
Other ambiguity: Pauwels within the network of the “Groupes Planète” had staunchly supported some social criticism of the pre-68 movement and stressed the importance of the more or less Nietzschean notion of “one-dimensional man”, as a possible aspect hic et nunc of the “Last Man blinking his eye” whose deleterious influences one had to fight against, as well as the notion of an “Eros” able to wipe out all the petty consequences of a hyper-civilized and hyper-rationalized Western world, both notions having been theorized in Herbert Marcuse’s main books in the Sixties; now, in the columns of the brand new glossy “Figaro Magazine” (or abbreviated: “FigMag”), all the effects of the pre-68 and genuine 68 movement were submitted, with the help of the formerly marginal “pre-new right” would-be journalists, to a thorough criticism leading to a final and total rejection, in name of a new conservatism aiming at preserving the values of the West or at least of Old Europe. More than one theoretical gap between these discrepancies were not filled, leading in the four or five following years to a quite large array of misunderstandings. The eternal problem of lack of time couldn’t solve these discrepancies, leading at the end of 1981 to a clash between de Benoist and Bourgine, then to a recurrent blackmailing of Pauwels, who was threatened by attrition in the way advertisement agencies refused to place ads in the weekly FigMag. The constant blackmail Pauwels underwent aimed at sacking the “New Right” people and at throwing them out of the “Figmag” for the sole benefit of the exponents of the new ideological craze, coined by the system’s agencies: neo-liberalism.
 
A Russian “New Right” cannot be of course a tributary of all these Western European aspects of a general conservative-revolutionnist criticism of the main modern ideologies or political systems. A Russian “New Right” must of course be an original and independent stream, a synthesis of Russian ideas. According to the German Slavist Hildegard Kochanek, the Russian source of a general conservative revolutionist attitude lies of course in the Slavophile tradition, taking into account values like “potshvennitshestvo” and “samobytnitshestvo”, i. e. the roots of the glebe and the genuine political sense of community (“Gemeinschaft” in German). This implies, still according to Mrs. Kochanek, a kind of socialism, very different than the historical dominant forms of socialism within the 1st, 2nd and 3d Internationals, the West-European social democracies or the Soviet communism. Mrs. Kochanek sees Vladimir Soloviev and Sergej Nikolaïevitch Bulgakov (1871-1944) as the spiritual fathers of a spiritualized socialism, inspired by the very notion of Greek-Byzantine Sophia. Bulgakov, as an émigré in Paris, in the Twenties and Thirties, was clearly conscious of the lack of ethics in the several forms of real existing socialisms or communisms. Sophia and ethics help to break the vicious effects of “economical materialism” of both communist and social democratic doctrines, which are in the end not fundamentally different from the utilitarian Anglo-Saxon bourgeois ideology (“burzhuaznost”), as it was theorized by Jeremy Bentham and later by David Ricardo. Society, according to Bulgakov, cannot be seen as a mere mechanism of individual atoms trying to realize their own petty interests. In fact, Bulgakov produced long before the existence of a “New Right” a complete critique of the Western ideologies, that Guillaume Faye tried to formulate again —but this time in a non Christian intellectual frame— in his very first articles on “Western Civilisation”, published in “Eléments” in 1976, as well as in several articles and short essays about economical theory (but the main book Faye wrote about his views on economics was thrown into the wastebasket by de Benoist… I could only save some pages that I published in my “Orientations”, Nr. 5; the rest was spoilt by Faye himself, who used to clean his pipe with the scattered sheets…). In the former Soviet Union, Mikhail Antonov wrote some articles in 1989 in the well-known Moscovite journal “Nash Sovremennik”, urging the Russian economists not to adopt the Western unethical forms of economics but to continue Bulgakov’s work (see: Hildegard KOCHANEK, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion – Eine Diskursanalyse, Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 1999); in the eyes of Bulgakov, it is impossible to let economics not be counter-balanced by ethical brakes. Without such “brakes”, economics tends to invade the whole sphere of human activities and to destroy all other factual, intellectual or spiritual fields in which mankind is evolving. Hypertrophy of economics leads to an extreme “fluidity” of human thoughts and actions: as Carl Schmitt explains it in his posthumous “Glossarium”, we aren’t Roman surveyors anymore but seamen writing “logbooks”. He meant that we have lost all links with the Earth.
 
So we expect to learn more about Russian ideas through a totally independent Russian “New Right”, that wouldn’t in no respect imitate Western models.

When you ask me who are the leaders or the leading personalities of the Western European New Right, I will have to enumerate country by country the men who were and are the main exponents of this diversified ideological current. I’ll only select France, Germany, Italy, Spain and Austria. In France, the leading personality is of course Alain de Benoist, who seems to personify the movement in its wholeness. According to Pierre Chassard the core group that intended at the very beginning to launch a metapolitical struggle and to spread “other ideas” than those in power was a college of friends, was mainly built by old members of “Europe Action” or the “Fédération des Etudiants Nationaux”, or even people having tried initiatives in the Fifties. They selected some younger collaborators. Alain de Benoist was among the members of this new generation: he had been selected because he had made good synthesized reviews of books and magazines and had coined well balanced definitions for “L’Observateur Européen”, a bulletin which was at the same time the heir publication of the “Cahiers Universitaires”, the intellectualized publication of a students’ association (FEN – Fédération des Etudiants Nationaux), and later a supplement to Dominique Venner’s monthly “Europe Action” (“Europe Action Hebdomadaire”). After Venner resigned in July 1967, a team decided to abandon pure politics and opt for metapolitics: this was the very birthday of “Nouvelle école”, the wonderful magazine that seduced me six years later in 1973, when I was only seventeen. But next to the first emergence of what will become the still existing “New Right” as a later expression of the prior “Nouvelle école” redaction, Domnique Venner started the “Institut d’Etudes Occidentales” and a bulletin called “Cité-Liberté”, but the experience only last a year and a half (from November 1970 till July 1971).

Later, some people hoping for a more active approach created the G.R.E.C.E.-Groups, more or less along the same organizational lines as Louis Pauwels’ “Planète-Groups” in the Sixties, with a representative group in every important town; these groups were supposed to start a “cultural revolution” to get rid of the conventional post war liberal ideology and its “translations” in real life; for the “Grecists”, their similar town-based groups would be called “unités régionales”. These metapolitical groups had as a purpose to organize locally speeches, debates, conferences, seminars or art exhibitions to compete with the dominant ideologies. To inform the members of these new created network, a bulletin called “Eléments” was launched, very simple in its layout: it was a plain pile of sheets wrapped in a light cardboard cover. In 1973 it became a full magazine, not only designed for the members but for a broad public. Both magazines made Benoist’s reputation in and outside France. For me all positive aspects of Benoist’s initiatives are directly linked with “Nouvelle école”. Later Guillaume Faye, a figure of a new “Grecist” generation, gave an energetic punch to “Eléments”. We may say after four decades of observation that the soul having animated “Nouvelle école” is undoubtfully Alain de Benoist and that all his other initiatives are either awkward adaptations to the Zeitgeist or betrayals of the core message of the initial movement from which he proceeds.
 
I mean here that the birth of metapolitics at the end of the Sixties was a clear and harsh declaration of war against the dominant metapolitical powers and against all the political systems and corrupted personnel they support: the very aim of metapolitics is to let appear the dominant power as a full illegitimacy. In such a long lasting war you cannot make compromises, you never criticize positions you once adopted, you never negate what you once asserted. On the contrary you have to spot immediately the new pseudo-intellectual garments the dominant power is regularly putting on, each time when its usual instruments aren’t fully efficient anymore; this spotting job is absolutely necessary in order not to be trapped by the new seducing strategies the foe is trying to spread to fool you, according to the principles once invented by Sun Tsu. You cannot criticize positions you once opted for, as if you had to be forgiven for youth mistakes, because you lose then rather large parts of your operation field. If you reject, for instance, biology or biohumanism or biological anthropology (Arnold Gehlen) or all types of medical-biological questions, because you could eventually be accused by the press to be a proponent of a new kind of “biological materialism” or of a “zoological view of mankind” or of “racialist eugenics”, etc., you’ll never be able anymore to suggest a well-thought national health policy programme elaborated by doctors, who intend to develop a preventive health system in society. That’s what happened to poor de Benoist, who was scared stiff to be labelled a “Nazi eugenist” since the very first polemical attack he underwent in 1970, an attack that wasn’t lead by the left as such but by Catholic neo-royalists, who had purposely adopted a typical leftist phraseology and created an ad hoc anti-racist committee to crush the future “New Right” team they saw as competitors in the new metapolitcal struggle that was about to be fought in France in the early Seventies.
 
dia_konrad-lorenz.jpgSome years later Alain de Benoist interviewed for “Nouvelle école” the Nobel Prize Konrad Lorenz who had written well shaped didactical books to warn mankind of the dangers of a possible “lukewarm death” if the natural (and therefore biological) predispositions of Man as a living being were not taken into consideration by the political world or the Public Health Offices. Although he had the backing of a Nobel Prize winner and of the Oslo or Stockholm jury having granted Prof. Lorenz the Prize, de Benoist has till yet feared to resume the kind of research “Nouvelle école” had tried to start in the middle of the Seventies. The paralysing fear he felt in the deepest of his guts lead him to express all kind of denials and rejections that were in no case scientifically or factually established but were mere makeshift jobs typical of political journalists manipulating blueprints in order to deceive their audience.
 
The further evolution of the first French “New Right” team involved some years of interesting developments from 1970 to 1978, with as only outside tribune the magazines published by Bourgine, “Valeurs actuelles” and “Le Spectacle du monde” (the famous book of Alain de Benoist “Vu de droite” is a 1978 anthology of articles having been first published in Bourgine’s publications). The creation of the “FigMag” in 1978 boosted the G.R.E.C.E.-groups and brought them into the very debates of the “French Intellectual Landscape” (“Paysage Intellectuel Français” or “PIF”). This period of intoxicating euphoria lasted till December 1981. During three years Alain de Benoist thought he had deep in his tuxedo’s pocket the (metapolitical) key to a very soon available power access or to a seat in the celebrated “Académie Française” and became incredibly arrogant and haughty in a typical Parisian way, what was in our eyes a very funny scene to watch and mock. These arrogant manners of him but also his exhilarating strokes of near nervous breakdowns, when he was once more scared stiff for futilities and swallowed handfuls of sedating pills, were very often aped in Paris, in all the province towns and in the Brussels’ pubs where we met to discuss the last tittle-tattle of the movement, leading to general hilarity and merriment. Guillaume Faye was of course the best animator in such merry meetings. This period was nevertheless the apex of the movement. With the publication of Faye’s “Le Système à tuer les peuples” and the ideological consequences of two publications of the group, the special issue of “Nouvelle école” about America and the American Way of Life and the issue of “Eléments” inaugurating a thorough critique of Western values, the movement had really broken with the usual Western and Atlanticist positions of the dominant rightist-conservative political field. It was now thoroughly different from the old far right groups on the French political chessboard but became also quite different from the established official right (the main political parties of Giscard d’Estaing and Chirac). The movement had its originality. But the world political surroundings had completely changed. First, the Socialists of François Mitterrand won the presidential elections in May 1981, a new political synthesis was about to dominate the world stage, combining the libertarian view of economics with the anti-Soviet and anti-fascist heritage of the usual Jewish-American East Coast Trotskites. This meant that the Trotskite intellectual gangs of the East Coast decided to abandon the usual leftist phraseology and to adopt a new vocabulary larded with conservative or rightist (anti-communist) expressions. At the same time, this new conservatism with Trotskite background became the proponent of libertarian economics and of an aggressive anti-Soviet foreign policy, destroying all the assets left by the endeavours of diplomacy (the German “Ostpolitik”, the policy of bilateral relationships between small powers of the EEC and of the COMECON suggested in Belgium by Pierre Harmel, the independant policy of the Gaullists and some of their most brilliant ministers such as Jobert and Couve de Murville, etc.) and re-introducing the geopolitics of anti-Russian containment inaugurated by the British geographer Sir Halford John Mackinder in 1904 and later improved by NATO-geopolitics as it had been coined by Nicholas Spykman and some other geopoliticians working for the American Foreign Affairs or for the US Army. The new synthesis of economical libertarianism, anti-communist conservatism and recycled Trotskite thoughts lead to the election of Reagan and to the introduction of “Reaganomics” in the United States. Simultaneously, new forms of slightly toned down Reaganomics or Thatcherite recipes were suggested in European countries: in Belgium the future Prime Minister Guy Verhofstadt, who was at that time a young challenging politician, started a campaign to let adopt Thatcherite methods in the Low Countries and a whole bunch of French journalists such as Guy Sorman, Alain Minc and Laurent Joffrin stood up for adjusting French economics to the new American or British standards.
 
The New Right wasn’t prepared at all to face such a worldwide well orchestrated offensive; first, its staff was not numerous enough to man all the bastions where a fierce defence fight was needed and second, under the too preponderant influence of de Benoist, the topics of economics or economical theory, of geopolitics and of political sciences and history of political ideas (such as the genesis of all the possible combinations the US American ideological sides were able to adopt when they changed their strategies in order to win elections) had been fully neglected in favour of purely cultural or literary speculations. In 1979, Giorgio Locchi left the G.R.E.C.E.-Group because he disagreed with the policy of “entrisme” in the press and in established conservative caucuses (he meant the “FigMag”-affair and the cooperation with a think tank of Giscard d’Estaing’s party, called “Maiastra”). At the same time a group left also the G.R.E.C.E -team to create a so-called “Club de l’Horloge”, more focussed on political and economical matters but even more predisposed to “entrisme”-policies.

The ambiguity was actually present: the G.R.E.C.E./New Right movement was indeed torn between two possibilities. Either it specialized in pure intellectual, cultural, literary or philosophical topics or it specialized in political sciences with both a theoretical branch and a pragmatic one, with the purpose of translating the theoretical principles into real political life, for instance by modelling solutions as they would be suggested in a Parliament. Giorgio Locchi thought it was to early to risk a way or another of “entrisme”; he was too conscious of the weakness and ill-preparedness of the movement and estimated that every kind of “entrisme” would lead to a fading away of the strong philosophical corpus. No actual conservative revolution was possible in his eyes in 1979 France. The withdrawal of Locchi was a catastrophe. In the only really scientific study about the “nouvelle droite”, that was written by Pierre-André Taguieff in 1993, Locchi’s and Mohler’s roles were duly stressed, as they were rightly considered as the real ancestors of the movement, as belonging to the small group of the “Founding Fathers” having already modelled the concept of their wished new conservative revolution in the Fifties: according to late Professor Piet Tommissen, who unfortunately died recently in August 2011 just after having written down his own memoirs, Mohler, as a secretary of the world famous German writer Ernst Jünger, was ceaselessly organizing meetings and speeches throughout Switzerland and Germany as early as 1952 when the future Flemish university teacher Piet Tommissen met him for the first time. Locchi was surely as active in Italy. His departure meant that the movement lost a part of its roots at the very moment when it seemed to have reached its apex. Alain de Benoist started, consciously or unconsciously, his strategy of cutting links with the old generation as he would also cut all links with newcomers in the movement: successively Faye, myself, Baillet, Champetier, Bresnu and many others were isolated and ruled out, reducing the movement to his single person surrounded by some narrow-brained lackeys. The movement ceased gradually to be a real team of good friends working on different topics, each according to his acquired academic knowledge, to become the tiny club of a guru with no other purpose that to repeat endlessly its own static patterns or, even worse, to repeat brainlessly the newly coined aggiornamenti without being conscious of the contradiction between them and the previous assertions of the guru.

 

The fears Locchi had when he contemplated the future with pessimism were about to become plain reality at the end of 1981. In November 1981 the offices of G.R.E.C.E. were a real hive of activity in order to materialize the new craze or the new Machiavellian trick, that was supposed to produce the metapolitical and final breakthrough of the movement on the French political stage. Some got the pseudo-Evolian idea to “ride the Tiger” by adopting Reaganomics or Thatcherite ideas and to smuggle stealthily de Benoist into a team of representatives of this new monetarist or neoliberal network for which a huge international conference would be organized in Paris with the support of the “FigMag”. As de Benoist would be alone among the mostly American or British monetarist or neo-conservative eggheads of the panel, his would-be Machiavellian chums thought naively that no one would have smelt a rat that the whole affair had been set up secretly by the “new right” team. So in the first days of December an international conference, under the simple and pompous title of “Alternative libérale”, had been planned. It would have hoisted boastful Benoist into a network of conservative and neo-conservative political scientists or economists; our man would gather subsequently high consideration in the wide world and wouldn’t be taken for a “fascist” or a “crypto-fascist” anymore. But the whole affair was quickly discovered. The office of “Alternative libérale” was settled in a flat belonging to de Benoist’s mother who died some months previously. The very efficient spying network of the former Trotskites turned “neoconservatives” could rapidly spot who was poorly hidden behind the flimsy set-up. But the conference rooms had been rented, folders and pamphlets printed, etc. so that the initiative couldn’t be cancelled without risking to ruin the movement! Under harsh pressure of Raymond Aron (who, just like Karl Popper, had been fawned on by Benoist some weeks before in an article of the “Figmag”), of Norman Podhoretz and of several neoconservative caucuses from America and France, de Benoist was kicked out from the conference panel like a tramp who would have lost his way in a luxury hotel along the Riviera. The conference took nevertheless place with only a panel of recycled Trotskites, neoconservatives, Thatcherites and other birds of ill omen. The lesson we should draw from this ludicrous incident is that “Mr. Nouvelle Droite” has simply no ideas of his own; he is only a poor parrot aping others’ voices: he imitated Locchi or Mohler when he pretended to be a “conservative revolutionist” in the German tradition; he imitated some others when he wanted to participate to any possible “Alternative libérale”; he imitates a bright feathered queer customer like the Swiss Jean Ziegler when he plays the role of a “New Leftist” animated by a deep concern for the alleged “Third World”; he still plays the drama character of the catacombs’ fascist when he wants to get some dosh from a reduced bunch of old chums who were former activists of “Europe Action”... He has neither personal ideas nor stable views and only looks for opportunities to be hoisted on prestigious panels or to grasp money to pay the bills of his printers. But the funniest result of all is that the “New Right” teams helped to saddle neo-liberalism on the French political stage, a neo-liberalism that was closer to its arch-enemies, the “nouveaux philosophes”, who imposed the newspeak of “political correctness” during the three last decades, excluding by the way Benoist and his “New Right” from all official panels. Who were the cheated lovers, the “cocus magnifiques”? You can easily guess…
 
When the conference of “Alternative libérale” was being prepared feverishly, Faye was puzzled and disappointed. Exactly like Michel Norey, the only member of the team who had written for “Nouvelle école” (nr. 19) an introduction to an alternative history of economics, he belonged to a completely different tradition in the history of economical ideas. This tradition is the so-called “historical school” having roots in Continental Europe, in Germany as well as in France. Guillaume Faye, Ange Sampieru and I agreed that the way out of the liberal Western mess could only be instrumentalized by some revival and updating of the intellectual assets of the “historical school”. Faye studied the works of André Grjebine and François Perroux, Sampieru discovered long before priggish de Benoist the new French anti-utilitarian movement of the M.A.U.S.S.-team as well as the authors of the “regulationist school” and I suggested in the Eighties the reading of alternative histories of economical thought in order to bring didactically some order in our friends’ minds. In December 1981 I left definitively the Parisian offices of G.R.E.C.E., while Benoist was brooding and chewing over his failure to become a star in the new Reaganized and Thatcherized world. The result of this brooding and chewing over process in “Prig Benoist’s” scattered scatter-brain, the very result of the sad cogitations of Big Failed Chief, was —I must confess— a wonderful article in the issue of “Eléments” that was dispatched in France’s kiosks in January 1982. Imitating both Spengler and Evola, he had given his long and well-balanced article the title of “Orientations pour des années décisives”, an allusion to Evola’s booklet “Orientations”, issued in the early Fifties, and to Spengler’s “Jahre der Entscheidung” (“Années décisives” in French), published as a bestseller in 1933, the year when Hitler took over power in Germany. Deeply offended because he had been kicked out of his own December plot and had missed an opportunity to become a worldwide star, Prig Benoist took positions and adopted views that were diametrically opposed to the ones usually backed by the people reading the “FigMag” or the publications of Bourgine’s press group. In his article, Prig Benoist wrote a couple of sentences that were quite easily considered as pure provocation by the people in Bourgine’s teams: “We’ll finally prefer to put on our heads Red Army caps than to finish as fat old guys eating disgusting hamburgers somewhere in a nasty Brooklyn lane”. Faye, Sampieru and I found the sentence surely provocative but amusing and very well written. The result of this whim was that Benoist was immediately kicked out of Bourgine’s glossy magazines as soon as Boss Bourgine himself could read a copy of “Orientations pour des années décisives” (Benoist nevertheless could recuperate his position as a chronicler in “Le spectacle du monde” during the first decade of the 21st century, long after Boss Bourgine’s death). It lasted only some weeks before he was also evicted from the highly considered “Ideas’ column” of the “FigMag”, but as Louis Pauwels was a chivalrous gentleman, Prig Benoist could keep the “Video column”, where he had to comment films. The apex era of the French “New Right” was over. Definitively.
 

 

The movement had no bias of “petty conservatism” or of “alternative liberalism” anymore and cultivated from now on a kind of discrete “national-bolshevism”, trying openings to non conformist left clubs, just as the German “Neue Rechte” had done till yet. Sampieru and I were delighted. In January 1982, the second period in the history of the French “New Right” started. During this interesting period of decrease in real power or real influence in the media world but of increase in intellectual maturity, the movement tried to define itself as an alternative non Western movement, heir of the anti-American Gaullist positions and of alternative non Marxist socialist thoughts (such as those of Sombart, Sorel, De Man, etc.). In 1982, the German neutralist movement became better organized and started to acquire national dimensions it hadn’t previously had. In 1981, Willy Brandt’s son Peter Brandt had already showed the way as he had revived the Prussian socialist tradition alongside a big exhibition about past Prussia in Berlin, the first of the kind that had been set up after 1945 in the German and Prussian capital. Peter Brandt and others, among them Wolfgang Venohr, coined a new left nationalism that was seducing us, in the way that it wasn’t Western-oriented anymore and took into account the former Prussian/Russian alliances of 1813 and during the time Bismarck was in office. They rediscovered also the most interesting figure of Ernst Niekisch, member of the short-lived Soviet republic of Bavaria’s government (1919) and advocate of a German-Russian alliance against the West in the Twenties and Thirties, who was sent to jail in Hitler’s time. Behind the historical recollections that exhibitions, books and essays allowed, there was a thorough political re-orientation: Germany, if it wanted to be reunified as a neutral country in Central Europe just as were Austria since the Treaty of 1955 and Finland since the special agreements with the USSR signed in 1948, had to adopt a non Westernized pattern of thought. In our eyes, the same was true for all Western-European countries.
 
1982-3-4.jpg I was the first in the New Right group to stress the importance of this new drift in European politics, as I was the only reader of Siegfried Bublies’ magazine “Wir selbst”, which was the main platform that had the real will to dispatch and popularize the new ideas. A summary of all the aspects of this important political drift at the very begin of the Eighties was published in the third issue of my magazine “Orientations” and Philippe Marceau, one of the most honest managers in the G.R.E.C.E.-team, invited me in June 1982 to hold a speech at the G.R.E.C.E. internal “Cercle Héraclite” to explain which were the fundamentals of the new German neutralist nationalism. It wasn’t easy to convince people, accustomed to NATO-ideology, to accept the new world view induced by the pacifist and neutralist movement in Germany and elsewhere in Europe.

 

When we started our bulletin “Vouloir”, we decided to transmit regularly information about what happened and was written in Germany in the wake of this renewed trend in international and national policy. We acquired the still sulphurous reputation of being “national-bolsheviks” as we refused to repeat or to take into positive consideration the usual views that the pro-NATO conservatives dispatched in the mainstream media.
 
locchi.jpgAlain de Benoist observed our activities very distrustfully but most probably due to the influence of Armin Mohler, who had established guidelines for a genuine European foreign policy in his book “Von rechts gesehen” and said that we had to bet on the “rogue states” in order to free ourselves from American mental colonisation, he accepted our views gradually. The projects for a neutral Mitteleuropa became obsolete as soon as Gorbachev proclaimed his glasnost and perestroika. We were awaiting the peaceful and gradual passage of Eastern Europe and Russia to a more gentle form of socialism, crossed with populist (narodniki) and national bias, cultivating Slavonic roots. This was of course a mistake as nothing like that happened. From 1982 to about 1987, the French New Right remained in a kind of no-man’s-land. The best publication issued in the Eighties was undoubtedly a booklet of Guillaume Faye (85 pages), “L’Occident comme déclin” (“The West as Decay”). Keep in mind the difference with Spengler: Faye doesn’t talk in his book about the decay of Western civilisation but about the West as a decay producing negative force encompassing the whole world.

This long essay is certainly the best Faye has ever written. He described the process of Westernization in the all world. The essay is written in the best French, has a considerable intellectual depth and poetic punch: the Westernization of our Planet Earth is equivalent to a dark night in which no one seems to hope anymore for a revival of the pre-Westernized pluralistic world in Europe or elsewhere. But a deep night is never eternal, concludes Faye, as there always will be a new dawn. As the anti-values producing the darkest night cannot subsist in bright daylight, the values of daylight will be completely different and will be ours, as ours are diametrically opposed to the ones producing darkness. Faye: “At the time of the triumphant rise of equalitarianism, of the victorious forward movement of the Last Man’s mentality, a regeneration of the old European consciousness would have been impossible. Today, everything changes. The Last Man is settled in power and he cannot suggest anything else than what is already there. And what exists seems not to be sufficient”. But “the first light of dawn will appear after a long time”.
 
After having read the typescript of this wonderful booklet, Alain de Benoist got into a terrible rage and threw it into the dustbin and forbade the publishing department of the movement to let it be printed. Faye was deeply offended, disappointed and utterly distraught. He expressed his helplessness in front of his comrades from Franche-Comté, who read the typescript and found it of course terrific. One of them, Patrice Sage, decided to finance a first edition of the booklet not under his own name but under the very name of the publishing department of Paris, the so-called “SEPP” (“Société d’Editions, de Presse et de Publicité”), the personnel of which had previously been forbidden by Benoist to publish the typescript. He considered this generous gesture as a “present” to the poor “SEPP”-people, who alleged not to be able to afford the task of printing, publishing and dispatching Faye’s wonderful booklet. In three weeks time, the booklet was completely sold out! I was the only guy in Belgium who could get three copies of it. Our late friend Jean-Marie Simar, who had already published other Faye typescripts like ”Europe et modernité” and “Petit Lexique du Partisan Européen” (now available in an extended English version under the title “Why We Fight”) that had also been thrown pitilessly into the trashcan by furious Prig Benoist, decided generously to finance a new edition. I told him to be careful, as the booklet had not been printed by Faye or by a one of his good friends like Sage, but officially by the SEPP, which had sold the complete bulk without having paid a penny back to Faye. I feared of course that, although the SEPP hadn’t paid a single penny for the printing and hadn’t paid any royalties to Faye, they could nevertheless sue Simar for having reprinted and commercialized a publication of their own. So I travelled to Paris with Simar to let Faye sign a regular contract with Simar’s small publishing department, called “Eurograf”. Ten days later, a new edition of Faye’s “L’Occident comme déclin” was printed. A couple of weeks later, a silly pettifogging lawyer, sent by this two-faced obnoxious miscreant Alain de Benoist, phoned me, accusing me of being the editor of the new edition of Faye’s booklet, because, he said, I was “the man doing everything in Belgium”. I answered: “You probably mean that I am the King… so you must have dialled the wrong number…”. I said that there was a contract between Faye and Simar’s Eurograf; therefore he could only sue Faye for having signed two contracts with two different publishing houses… But as Faye hadn’t actually signed a contract with the SEPP and hadn’t been paid any royalties, he was of course free to sign contracts with others as the law regulating authors’ royalties foresees it in France. Later another lawyer, who admired Faye’s productions, took up his case and dismissed the SEPP’s pettifogging goggled lawyer. This incident shows how contemptible the mentality of Benoist and his fellow travellers is.

After this farcical and nonsensical incident, the movement went through a series of crises; first, in 1985, the General Secretary Jean-Claude Cariou, a deeply honest man wholly dedicated to the movement, was sacked simply because he very politely introduced a case asking for a better salary for Faye (who earned at that time 5000 French francs, which was a far too modest salary to live decently in Paris). The forced departure of Cariou let vanish the organisation and the logistics between all the local clubs spread throughout the French territory and abroad. Second, after Cariou’s preposterous and laughable “trial” staged by Benoist’s fellows in pure Vishynsky style, the official Chairman, an international leading specialist of Indian mythology,

 

Jean Varenne, a benevolent and charming university teacher, whose relevant studies were financially supported by the UNESCO, left the movement without a single word in order to stress the deep contempt he felt. Third, Gilbert Sincyr, who replaced Cariou for a while, left the movement in order to prepare a hypothetical rebirth of it. Fourth, Faye left the movement, with the help of his now eternal chum Yann-Ber Tillenon, at the very beginning of 1987, writing to the members of GRECE a too gentle open letter, simply stating that the movement had reached its apex and that times had come to start something new. The second period in the history of the French New Right ended actually in a messy sewer in which Benoist revelled himself.

In Belgium, we had our own initiatives completely shielded from all the Parisian circus of hullabaloo and quackery. 1986 was even the best year of “EROE” (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”), the informal movement Jean van der Taelen and I set up in October 1983 in order to organize under one single appellation the series of conferences and speeches we intended to propose to interested people in Belgium. In 1987 we invited Guillaume Faye after he had broken with de Benoist, in order to give us a speech about the so-called “cotton language” (la langue de coton) or tone-downed “newspeak” he had theorized under the pseudonym of Pierre Barbès together with the celebrated French strategist François-Bernard Huyghe. Just one day before the meeting, which had to take place in the prestigious Brussels Hotel “Métropole”, Benoist let a quick-tempered idiot, he had previously stirred up and brainwashed, phone me to dissuade me to have further contacts with Faye. I simply answered that, first, I wasn’t the official organiser of the meeting (it was Rogelio Pete from the GRESPE-group) and, second, I wasn’t interested in personal quarrels fought by temperamental natives abroad, quite far away from Brussels, and that only interesting topics were stimulating me. “The cotton language” was one of them and therefore Pete, van der Taelen and I had invited Faye to talk about it. I had no other comments to utter, I said, and hung up.
 
The two years that followed after Faye’s departure were a kind of desert crossing for the GRECE-movement. In June 1988, I received a letter from a young lad called Charles Champetier, who wanted to purchase a complete collection of the magazines I had published (“Orientations” and “Vouloir”) till then. I immediately phoned him and we decided to see each other at a rally organized by Swiss friends some weeks later at the occasion of the Swiss national celebration, during which traditionally people light up bonfires on hills or mountain tops to commemorate the foundation act of the Swiss Confederation, i. e. the celebrated Rütli Oath. Champetier was only 18 at that time, had just been married to a sweet 16-years old girl he had met some months before at a bazaar fair and had already a beautiful baby son. We had a long conversation in Switzerland and we took the decision to meet each other in September or October in Brussels to see what could be done in the now scattered movement. Champetier published at that time a modest bulletin, whose title was “Idées” and which popularized the core ideas the GRECE had spread at the very beginning of its existence. In Brussels, he suggested to become himself a member of GRECE in order to give a new start to a movement that he admired so much: I answered that it might be a good step forward but I duly warned him that after the so many quarrels fought during the last four years the movement had become a “panier à crabes” (“a crabs’ basket”), where they all were constantly trying to cheat each other under the supervision of the cretinous twit having a voice like a foghorn, who had organised Cariou’s trial in 1985 and whom I nicknamed “Vlanparterre” (= “Wham! Again on the floor!”). Back in Paris young Charles asked to become a member of the then derelict club around moaning Prig Benoist and his barking wiseass Vlanparterre. So a new era started in the history of the core movement of the French New Right. We can call it the Champetier Era or the third period in the history of French New Right. It lasted twelve years, from the end of 1988 to the year 2000.

Champetier rightly thought that the movement needed a full refurbishing, that the core ideas had to be thought again according to new fruitful trends in philosophy (the so-called postmodernity) and sociology (the anti-utilitarian movement in economics and sociology, that had been discovered by Sampieru five or six years before). His first model was Marinetti’s Italian futurism, which had the will to sweep the world of thoughts and art from all the petty, useless and preposterous pseudo-embellishments the Biedermeier or bourgeois mentality of the 19th Century had added to Italian and European culture in general. Along similar lines, Champetier wanted to get rid of some boring ritornellos (“ritournelles”) of the movement’s old guard and to wipe out of European culture all the ideological rests of a broadly bad understood Enlightenment.
 
9783050045337.jpgHe invited me in June 1989 to talk about postmodernity, not in the usual way that prevailed in the end, i. e. the postmodern trend that leads downhill to more vulgar permissiveness and degenerated festivism (Philippe Muray), but in a way that had been suggested by the real and true old guru of the European New Right, who was Dr. Armin Mohler; he had read an excellent book on postmodernity, the only one I find worth reading on this topic even after so many years: Wolfgang Welsch’ “Unsere postmoderne Moderne” (“Our Postmodern Modernity”), published in 1988. In a didactical short essay in Caspar von Schrenck-Notzing’s magazine “Criticon”, Mohler delineated the reasons, our own reasons, to believe that postmodernity meant simultaneously the end of the eudemonist Enlightenment’s projects and febrile political schemes that had lead Europe politically and biologically to decay. Postmodernity meant going beyond the modern general project, as many avant-garde artists like for instance the dadaists and surrealists as well as the new traditionalists (like Guénon and Evola) wanted to surpass modern times. Ten months later, Champetier organised a conference about futurism, to which he invited Jean-Marc Vivenza and late philosopher and alpinist Omar Vecchio (who died some ten years later climbing a high peak in the Himalayas). Champetier gave also a new punch to the good habit to organise Summer Courses, that had been abandoned in 1987 and 1988. He created a kind of substructure called “Nouvelle Droite Jeunesse” (NDJ or “New Right Youth”), which attracted some new people and launched a new dynamic.
 
During three years I participated to the activities dynamically promoted by Champetier and was happy that things were still going on despite the departure of Faye. These happy times lasted till 1992. During these three years I committed, without being really conscious of it, an all array of terrible frightful sins. I did too much. I met too many people. I talked to a lot of old friends, who could have been seduced by my way of working and could perhaps think of financing my activities... I was reproached three articles: the one on Welsch’ book on postmodernity, an article asking to investigate the case of French Right (“Il faut instruire le procès des droites”) and the script of my speech in Italy during a conference set up in February 1991 by Dr. Marco Tarchi and Dr. Alessandro Campi in Perugia. I was also blamed for having written several articles in Michel Schneider’s new magazine “Nationalisme & République”, as, of course, I had been forbidden to write again for “Nouvelle école” and “Eléments”, two game areas reserved in all exclusiveness for the personal essays of Big Prig Guru and for the good boys who obsequiously and childishly venerated him. And worst of all other sins, I had been hired by Prof. Jean-François Mattéi to cooperate in a Presses Universitaires de France’s project to publish an “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques”; my task was to write short didactical essays and establish bibliographies on mainly German Romantic or Conservative philosophers and on geopoliticians (as the scope was at that time to broaden the area of “philosophicité” and to include some non philosophers in the formerly exclusive realm of pure philosophy). Big Prig Guru was in rage because he personally hadn’t been hired by Prof. Mattéi simply because he couldn’t be hired as he has no diploma at all neither of a secondary school nor of a university. This doesn’t mean anything essential as so many educated idiots circulate around the world but for a University foundation such as the venerable PUF a sheepskin is inevitably compulsory.
 
brylcreem rood 150ml 2.25.jpgSince the very day he heard about it, he started to hate me from the deepest corners of his nicotinized guts, like he most probably had hated in the same way many other guys before, as Locchi or Faye. The effects of this hatred was of course more funny than tragic. When I paid my monthly visits to Paris after the PUF incident, I could immediately notice a changing of attitude by Charles Champetier and by a newcomer, Arnaud Guyot-Jeannin (nicknamed “Jeannot Toto-Lapin”), a funny-looking Brylcreem guy, who hadn’t obviously benefited from a real school education and was permanently uttering slogans and blueprints in a Frenchy arrogant authoritarian sharp abrupt voice but with a good measure of anxious nervousness, that was impossible for him to conceal, and with trembling and soggy hands, all features which would have made of him a good character for a Louis de Funès’ film. Champetier and Toto-Lapin were friendly at the beginning but as their brainwashing was going on with huge portions of venomous gossip, they lost, the poor, all humour and, worst of all, smiles were wiped out from their young still adolescent faces. During the short meetings in Parisian cafés, I had the impression to meet angry taxmen or atrabilious inspectors of I don’t know what. I used to dispatch during such informal meetings the new issues of “Vouloir” or “Orientations”: these were certainly welcomed till begin 1991 but afterwards, they all sulked when I handed over the issues. I remember one day Champetier saying in a low disregarding voice, “again an article on geopolitics – geopolitics doesn’t exist…”. And I answered: “Well, my dear, you may of course say that politics, in the usual trivial sense of the word (and not “the political” in the sense coined by Carl Schmitt and Julien Freund), is irrelevant but if you say that “geo”, id est “Gaia”, the Greek goddess symbolizing our good old Earth, doesn’t exist, it would mean that you are in a permanent state of levitation, what I can observe in a certain way in your behaviour and read in your scriptures…”. Spoilt sour by his Master’s gossip as he had become, Champetier was upset by my ironical answer and started in his turn to cultivate a dark kind of Tshandala’s hatred and rancorous resentment against my poor naturally easy-going person.

Some weeks after this short but significant incident, I once more sat together with Philippe-Nicolas Bresnu just before lunchtime at a nice Parisian terrasse for the same purpose of dispatching the magazines and Toto-Lapin came half a hour later to have the noon meal with us and to pick up the publications. He was very angry, ill-willy, and looked at us with big disapproving eyes, even before we had uttered a single word, and suddenly after some nonsensical and low-voiced babbled sentences, he shouted in the middle of the pub, next to the astonished other guests, “Alain de Benoist is the greatest philosopher of the 20th Century!”. “Maybe” answered Bresnu ironically, “but what about Heidegger then…?”. Toto-Lapin: “He has only paved the way for Alain de Benoist…”. We both burst out laughing and Toto-Lapin’s rage become even more funny as he repeated mechanically like a clockwork parrot what he had asserted while a poor fly landed on a tuft of hair on his forehead and couldn’t fly away anymore, as the frail insect was glued in the thick lay of gomina argentina our Benoistian superfreak conscientiously smeared his hair with every morning before leaving his luxury flat of the well-off suburb of Neuilly.
 
More and more nervous, Toto-Lapin went ahead shouting his usual nonsense as the fly was flapping its wings in a desperate attempt to leave the messy gum in which its many legs were perilously locked up. All the utterances of Toto-Lapin were punctuated by the buzzing noise of the poor bogged bug’s wings.
 

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Bresnu, many others and myself thought it was high time to leave this ambulant lunatic asylum, where no sensible conversation was possible and where no clever and witty guys could be found anymore, except if you would have got the idea of setting up a vaudeville or a remake of Molière’s “Précieuses ridicules”. The definite break took place in December 1992, as I explained it previously in this interview. So the third period in the history of the French New Right continued till the thankless and ungrateful thrust out of poor zealot Champetier himself at the end of the year 2000, after his twelve long years of loyal duty, more, after having sacrificed his best youth years for the worshipping service of his Master (he had written just before his eviction: “No, no, He’s not my Master, He is my friend, my Marx” – besides, why Marx? And not Christ? Or was Champetier at that time of his young years cut out to be a new Lenin?). Champetier started a new career in some scientific magazines (like “Bio-Sciences”), dealing with the popularization of biological thought, in a kind of organic futurist perspective, which was absolutely not preposterous and potentially fruitful. This hidden life of post-New Right Champetier lasted till 2005-2006; after this period of independent autonomous metapolitical action, he worked professionally together with another former collaborator of Benoist, who had also left the movement, despite a key position he had held in the journal “Krisis”, also lead by Benoist since the end of the Eighties. Champetier had hoped that “Eléments” would have supported his new post-Grecist activities by commenting or reviewing his articles or essays. Not a single word was ever printed in Benoist’s magazines to help promoting Champetier’s editorial or internet activities after his departure: another proof that Chief Prig is a real malevolent and ungrateful bloke.
 
From the very day Champetier left the “cockpit” of the GRECE-movement, we can talk about a fourth period, the Post-Champetierite era, around the sole egomania of the “lider ridiculo”. The start of a fifth period could possibly be stated since the end of 2010, when things were taken over by an apparently intelligent young fellow, Pascal Eysseric, who, according to some rumours, would have Russian roots. The issues of “Eléments” under his supervision seem to be better balanced, even if they have now absolutely no impact on the “French Intellectual Landscape” (= “PIF or “Paysage Intellectuel Français”). But wait and see: how long will this apparently clever guy be able to serve in Benoist’s scaramouch troop? Is a plot against him already fabricated behind the stage by bad old geek Vlanparterre? Will he sacrifice twelve years of his healthy and vigorous youth, like the former yesman Champetier, before being pitilessly fired? When will he write down the excellent essay that will make Chief Prig angry and rancorous? The problem with efficient young managers is that they mostly ignore the sad past of a club or a company when they take it over, thinking that they are going to heal it from a transient disease, that is in fact not temporary but chronic with outbursts after apparent respites like by a patient suffering from malaria.

 

During the Champetier’s era, Pierre Vial founded the “Terre & Peuple” club in the Nineties, that in its initial phases was ruled like a kind of think tank within Le Pen’s “Front National”. As we weren’t French citizens and as we didn’t want to start a political movement in Belgium akin to the French FN or to become the representatives of a party being dominantly of “Old Right” signature, we didn’t join nor pay any attention to it. It’s only after the break between Vial and Le Pen that we started to be more interested in this new initiative born out of Vial’s mind, another historical figure of the French New Right. We all must admit now that “Terre & Peuple” has reached its full maturity, by publishing excellent articles about American imperialism and about globalization and plutocracy. Nowadays as a regularly published magazine, that you can buy at any newsagent’s shop as well in France as in Belgium, you only have Dominique Venner’s “Nouvelle Revue d’Histoire”. On the other hand, the people having founded the “Club de l’Horloge” in 1977-1978 run now under the supervision of Jean-Yves Le Gallou a very interesting website: http://www.polemia.com/. Yvan Blot too, a former leading figure of the “Club de l’Horloge”, runs several websites from which you can download interesting articles interpreting European political history according to the general Ancient Greek guidelines coined 500 years B.C. at the so-called “Axis period” of history (the phrase “Axis period” —Achsenzeit— was coined by the German philosopher Karl Jaspers and has been resumed nowadays by the Irish-British historian of religion Karen Armstrong, who developed and broadened the idea in her excellent book “The Great Transformation”; Dr. Armin Mohler called the German “Konservative Revolution” a kind of “Axis Time” in the history of European political thought as it had been influenced by Nietzsche during the decades between 1890 and 1930.
 
It’s nevertheless a pity that the core movement that started the “New Right” as such in France isn’t manned anymore by younger people of several generations having been recruited during the four or five decades of the history of the movement. All younger people have been ruled out, and the new young people will inevitably be ruled out when time will come, a deeply diseased system which will condemn the movement to a silent disappearing within the next fifteen years. Pascal Eysseric won’t be able of course to find back all those who have been kicked out and won’t be able either to recruit a sufficient mass of new people as the mainstream media keep now totally silent about the core group of New Right in France.
 
Let us now examine the “New Right” initiatives outside France. In Germany, when I started to investigate the scene, it was dominated by three giant figures: Armin Mohler (former secretary of Ernst Jünger), Baron Caspar von Schrenck-Notzing (editor of “Criticon”) and Gerd-Klaus Kaltenbrunner. Mohler wrote for “Criticon”, which was a magazine devoted to all possible currents in the so-called German conservative stream and in which Mohler could take a third of all pages to set out his ideas of an “existentialist-vitalist” New Right that wasn’t exactly on the same line as the bio-humanist views explained by Günther Bartsch. Kaltenbrunner wrote especially biographies and thematic essays for widespread collections of small books like “Herderbücherei Initiative”. Later, Kaltenbrunner’s essays were published in many different volumes. Next to these three giant figures, we had the Hamburg group around the simply produced magazine “Junges Forum” of Heinz-Dieter Hansen, mainly interested in people’s liberation movements in Western and Eastern Europe. In Munich, Hans-Dieter Sander published “Staatsbriefe”, with lots of articles about Russia from Wolfgang Strauss, before this former Gulag’s convict ceased all activities due to age and illness. In Northern Germany, Bernhard Wintzek published the monthly “Mut” with many articles of Gerd-Klaus Kaltenbrunner. During the two last decades, Dieter Stein, who at the very beginning of his career, published a small DINA5-bulletin in a small town in South-Western Germany, managed to develop it at giant scale and so to create the now prestigious weekly paper “Junge Freiheit” based in Berlin. To replace “Criticon” after the passing away of Baron Caspar von Schrenck-Notzing, the historian and theologian Dr. Karlheinz Weissmann, author of many interesting books around the so-called “Konservative Revolution” or around several other historical topics, launched the new high level magazine “Sezession”, together with a former officer of the scout armoured cars of the West-German army, Götz Kubitschek, and his wife Ellen Kositza. Their activities are coordinated by an “Institut für Staatspolitik”, organising one or two prestigious courses and conferences each year. There are also many other activities in Germany, especially the publication of many books around topics linked to the wide realm of “conservative-revolutionnist” ideas.
 
In Austria the many activities were of course linked to the German scene but the magazine of the Students’ “Burschenschaften”, “Aula”, gives us still a more genuine Austrian view on the usual topics. It is mainly through the Students’ movement that we got in touch with Austrian friends. A group of them came each time we organized seminars in the Flemish village of Munkzwalm. Genuine friendship was born. Then a group around Jürgen Hatzenbichler came to the French Summer courses in Roquefavour. Hatzenbichler, together with Selena Wolf, had created the small magazine “Identität”, in which ideas of the New Right were spread. Hatzenbichler unfortunately changed his mind and became a leftist activist; I cannot explain which were his motivations for such a switch as I lost all tracks of this very sympathetic young man, who explained me during our last phone conversation that he could observe from the window of his study a short but heavy fight along the Austrian-Yugoslavian border in 1992: a tank of the Federal Yugoslavian Army attacked a customs office held by Slovenian militiamen, who fired antitank rockets as retaliation, causing the complete destruction of the small building.
 
me.pngIn this duty free customs office, Hatzenbichler used to buy his cigarettes every day. Due to the successes of the national-liberal party first lead by Jörg Haider and later by Hans-Christian Strache the Austrian scene became much more politicized than elsewhere in Western Europe. Most activities take place around the weekly paper “zur Zeit”, which was at the beginning an Austrian version of Stein’s “Junge Freiheit”. The magazine is now lead by Andreas Mölzer, an elected Member of the European Parliament. To be complete we also have to mention the excellent magazine “Neue Ordnung” published by Mag. Wolfgang Dvorak-Stocker, leader of the well-known publishing house “Stocker Verlag”. Due to the fact that Austria has been officially a neutral country since the Treaty of 1955, the views expressed by their publications are not Atlanticist but genuinely European and “neutral”, which could be a model for similar Western political parties. Till yet it has not been the case.
 
In Italy you had and still have a well working “New Right” club under the leading of Dr. Marco Tarchi, a political scientist from Firenze. Even if he would deny it now, as he became some years ago a distinguished and established professor, Tarchi owns his genuine way of working to the political activist Pino Rauti, who died at the end of 2012.

 

Rauti had volunteered in Mussolini’s Social Republican Army, was taken prisoner in Northern Italy after the German-Italian collapse in Spring 1945, almost escaped being shot by communist partisans when British paratroopers evacuated the Fascist prisoners, sent them subsequently to camps in French Northern Africa in order to select a good deal of them who could be eventually sent to Australia to be settled in the Western half desertified regions around the present-day town of Perth. Once liberated, Rauti and two friends, who didn’t want to settle in the hottest, driest and snakes infected regions of British Australia, reached Rome where they sang too loudly some patriotic songs in the streets, songs of the RSI that had of course be banned by the new government. They were sent for a couple of weeks to the Maria Coeli jail, where they found books of Julius Evola: the three fresh liberated RSI-Army comrades were immediately fascinated by the philosopher’s ideas and decided on the spot to pay a visit to him, once they would leave the Maria Coeli clink. When they rang the bell at Evola’s door along the Corso Vittorio Emmanuele, the Austrian servant told them that her master was still being cured in a hospital in Bologna, after a wall crumbled down and broke his spine during the siege of the Imperial City of Vienna by Soviet troops, making a cripple of the gallant former officer, alpinist and diplomat. They immediately rushed to Bologna and when they arrived, Evola had been sent back to his home in Rome. Finally they decided to resume political and metapolitical activities, a decision that lead, at least for Rauti to the foundation of the movement “Ordine Nuovo” in the Fifties (which was banned and sued by the Italian State) and later the weekly paper “Linea”. We received copies of “Linea” in Brussels and I could, as a very young man, observe that the cultural pages of the paper were indeed of the highest possible quality.

Tarchi belonged obviously to the Rauti’s branch of the so-called “Italian Social Movement” and decided first to develop more genuinely the satirical press of the movement and the metapolitical activities within its frames. By publishing the really “politically incorrect” satirical magazine “La Voce della fogna” (“The Sewer’s Voice”), Tarchi attracted the more radical activists. It was the “Sewer’s Voice” simply because the French artist and activist Jack Marchal created the famous comic figures of the

 

“Black Rats”, dwelling in sewers, after having imitated the Belgian anti-fascist cartoonist Raymond Macherot who created bad guys characters in the shape of angry rats, also dwelling in underground drains. Marchal’s “Black Rats” became a craze among “radical right” groups in the late Seventies and Tarchi adopted them and introduced these characters in his “Voce della fogna”, so that almost every staunch right-wing activist identified with the sinister and giggling “Black Rats” (a Swiss equivalent of “La Voce della fogna” was also published in Geneva under the title “Le Rat Noir”). But by starting his highly learned magazine for book reviews and philosophical comments, “Diorama letterario”, he attracted also the best intellectuals. “Diorama letterario” as well as “Trasgressioni” (with deep-thought essays) are still published in Italy nowadays. If there is a person incarnating “New Right” in its best form in Europe, it is undoubtedly Tarchi, as he is a genuine political scientist of high level, duly acknowledged by academic caucuses, whose studies are penetrating and extensive. More, Tarchi’s printed productions are the only ones in the New Right realm to appear regularly, just like Venner’s “Nouvelle revue d’histoire”. The Italian New Right, under the supervision of Tarchi, is a well-oiled machine: if the trains arrived on time in Mussolini’s Fascist State, publications are similarly issued in time in Tarchi’s own “New Right” preserve. The exact contrary of Prig Benoist’s and Vlanparterre’s erratic publishing policy in Paris.

But there is something pitiful in Tarchi’s person and activities: he is totally under the silly influence of Benoist, although he is a far more brilliant thinker and analyst and also a better manager of his publishing house. He surely belongs to an Italian tradition in political sciences, early born in the 16th century with Machiavelli and perpetuated by other high figures like Mosca or Pareto. When Tarchi worked in tandem with another political scientist from his home City of Firenze, Dr. Alessandro Campi, and when they published together the seven or eight wonderful issues of “Futuro Presente” —a perfect clone journal of Benoist’s “Nouvelle école”, what concerns the lay-out at least, the rest of the essays printed were genuinely original— they really reached an apex in the history of the Italian New Right. I take the opportunity here to thank once again Dr. Tarchi for the excellent and accurate translations he made of my own texts and those of my friends, and that appeared till 1993 in “Diorama letterario” or “Trasgressioni”.
 
But now I feel compelled to add some “venenum in cauda” in order to remain fully objective in my narration of the New Right avatars. I’ve just said that I considered and still consider Tarchi as far more brilliant than Benoist, so that I cannot understand his slavish submission in front of his Parisian shabby master. When I decided to leave definitively the GRECE-movement end 1992, I received some weeks later a furious, stupid and childish letter from Dr. Campi, who didn’t really know me personally, accusing me of being something like a naughty heretic for having had a cheek to abandon Prig Benoist and for allegedly plotting against the Lord of the New Right flies (maybe those very bugs that are attracted by Toto-Lapin’s gomina argentina…).

 

Therefore, in the paranoid crazy logic of the sectarian Benoist’s fan club, I had to be punished: I won’t receive review copies of “Diorama letterario” and “Trasgressioni” anymore and my articles as well as all the ones that I translated from German or from Dutch wouldn’t be translated into Italian anymore; and I was also forbidden to translate Tarchi’s or Campi’s articles. Obeying like a good drilled mutt, the prick-and-boobs trash creams seller from Antwerp, about whom I’m going to talk next, did exactly the same but without writing a letter… The old Flemish dumbbellified wacko knew pretty well that I could have translated and published it with the best polished sarcastic comments. Campi and Tarchi were in fact shooting in their own feet: no one in the Benoist’s silly small club was ever able to translate their own texts and their Italian readers were from then on definitively bereft of articles from Germany or elsewhere and subsequently fed up like fattened up geese, whose fat liver is a real “délicatesse” (with onion jam!), with Benoist’s and Champetier’s abstruse productions, which are of course inedible. Of the considerable amount of reviews, articles and essays of Tarchi, only one short interview of him was taken over and printed in an issue of Benoist’s “Eléments” and that single poor miserable translation was made in a period of more than twenty years! That’s what happens when you recruit tinkers, umbrellas’ repairers, parrots’ breeders, Parisian slappers who wipe the stinking shit off their babies’ bottom at the back of the conference room while Benoist and Champetier are explaining their sophisticated strategies in front of the assembled members!

Tarchi is obviously a high learned man, whose deep knowledge in political sciences I respect, but I must objectively add that he behaves nevertheless in a quite bizarre way in everyday life. Always dressed up with a sad lightless blue blazer and a white shirt, never forgetting his eternal dark and dull tie, he looks really like a stuffed up unbearable egghead or as a lugubrious funeral director. These outfits of him are worn in all circumstances, even in the hottest Mediterranean summers. One day, I decided with some other participants to the 1990 summer course in Provence to have a walk in the mountains surrounding the mansion, where we stayed, in order to catch a glimpse at the superstructure of the fantastic aqueduct that you can find at the back of the mansion’s park and to climb high enough along small stony paths to be able to see the celebrated “Montagne Sainte Victoire” near Aix-en-Provence and the blue water of the Mediterranean. To be able to perform this rather easy sports activity, you need of course to wear some comfortable casuals and shoes and have a solid canvas belt to fix your water flask, as you cannot walk under the hot sun of August in Provence without taking some water with you.
 
180px-Gourde_de_l'armée_française.pngTarchi was upset and scandalized to see me in casuals (i. e. a mustard-yellow T-shirt and linen trousers!) and with a water flask! He made me some disapproving remarks in a 19th Century schoolmaster’s tone, adding that I looked too “military”, because of the flask (which was nevertheless very “civilian”-looking) and because of the canvas and sack-cloth boots of sand colour. From then on, after having shortly observed the sweat-drenched white shirt and the ugly rumpled tie of our dear Italian professor and after having stated once more his poor derelict appearance of a weak puny little thing, who was unable to understand our Zarathustra’s desire to climb higher and higher, I got the conviction that some screws were loose in his professor’s skull and that he had definitively a monotonously buzzing bee in his bonnet. Since January 1993, I have never heard of him anymore. Poor chap! Reality for him is quite narrow, just reduced to library walls, and beautiful nature and landscapes are banned from his dreary existence. His lungs are only breathing books dust (according to some visitors, his books are among his toys and his childhood’s Mickey Mouse/Topolino dolls in his parents’ house, where he still lived in the early Nineties…) and not, for instance, the wonderful lavender smell of the Provençal countryside.

In Spain many activities took place firstly under the supervision of journalist and author J. J. Esparza, who founded the journals “Punto y Coma” and “Hesperides”, together with a group of other comrades. These journals were all excellent and I let translate some of the most brilliant articles for my own publications. J. J. Esparza is a celebrity now in Spain as he is the author of two best-sellers: “La gran aventura del Reino de Asturias – Así empezó la Reconquista” (Esfera de los libros, Madrid, 2010) and “Moros y Cristianos – La gran aventura de la España medieval” (Esfera de los libros, Madrid, 2011). These two books are now the myth giving texts to remember all Spaniards the very core of their history, i. e. a strong will to resist and survive, even against a giant power as the Muslim world was one in the 8th and 9th centuries: history is born out of the spirit of people who never capitulate. Esparza didn’t follow the bad path some of the French New Rightists took in venerating everything that is Non European or Muslim while developing a kind of self-hate or “oikophobia”, as it is said now to stigmatize this attitude among European politicians to invent laws and rules to

 

crush patriots or to forbid or limit the celebration of European festivals like Christmas or Carnival because this could offend people having one day come from all possible alien continents. Simultaneously the same politicians spend huge amount of the taxpayers’ money to stimulate the celebration of the most strange and weird festivals of foreign folks or to sponsor new ridiculous festivities among which you can include the well-known “Gay Prides” that Serbians and Russians loath in the name of Orthodox decency. Among all those who were active in the frame of the old New Right of the Eighties, Esparza didn’t become an “oikophobic” traitor like many others. Esparza wrote also books to criticize the domination of television in the Western way of life (“Informe sobre la televisión – El invento del Maligno”, Criterio Libros, Madrid, 2001). He participated also to collective initiatives aiming at destroying the persistent myths of the Spanish and international Left, that were born during the Spanish Civil War of 1936-1939 and are still conveyed by the present-day left, which they now call the “Zapaterismo”. In this respect, Esparza was the editor of “El libro negro de la izquierda española” (Chronica, Madrid, 2011; “The Black Book of the Spanish Left”). As a brilliant hispanist, you should take all those ideas and books into consideration if you want to develop an original Russian New Right. Esparza’s life is the true story of a metapolitical success.

During the nine months I worked in Paris as a secretary of “Nouvelle école”, I had quite often the pleasure to meet for dinner Jaime Nogueira Pinto, who was the editor of “Futuro Presente”. After my stay in Paris, I’ve never heard of him anymore, what I regret it sincerely. Later, a Portuguese group belonged to “Synergies Européennes”, participated actively to all summer courses and published a magazine “Sinergeias Europeias”, before founding a publishing house in Lisbon. Nowadays the former leader of the “Terre & Peuple” antenna in Portugal, Mr. Duarte Branquino, runs a popular satirical paper “O Diabo”, that you can find at every newsagent’s shop in Portugal, and  animates  several websites like “Pena e Espada”  while other animate another important site “Legio Victrix”, which posts many  translation from French, Spanish, Italian and English.

Two weeks before I left Brussels to go to Paris to work for “Nouvelle école” in March 1981, I had received a letter from Michael Walker who was about to launch his magazine “The Scorpion” the first issues had as title the “National  Democrat”). Walker was living in Berlin at that time and earned his life as an English teacher by Berlitz. Next to a Canadian friend, Paul Thomson, he was the very first man to pay me a visit at my new office in Paris. We immediately planned common activities and I participated several times, even once as the chairman, to his annual conferences in London. Michael with some friends of him had founded a club called IONA, which was quite active in the British capital in the Eighties. He and his friends came also to Brussels or elsewhere in Belgium to address meetings and I had often the opportunity to meet him in France too. After I left Benoist’s Parisian circus, I learned one hot summer day about a stay of Michael Walker in the Provençal mansion where the movement’s members regularly met. Flemish and French friends, who told me about everything that happened there during the summer courses, told me Michael had had a lot of fun during his stay over there and described me one of his funniest and most mischievous misadventures. I wanted to talk Michael more about this joyful summer course and to invite him to further activities that I planned for the next autumn. When I phoned, he was very surprised that I knew everything that had happened in Roquefavour during the summer course and he reacted in a quite bizarre way, as no one has ever heard about him in New Right clubs after that… There was absolutely no reason to disappear like that, as Michael did exactly what a German friend of Hatzenbichler did one or two years before. I deeply regret not to hear anything more from Michael. Life is sometimes quite cruel. And as far as I know, “The Scorpion” isn’t published anymore and Michael has no webpage.
 
Personally I wouldn’t say that I actually and mentally belong to the New Right, especially if you mean the French branch of it. I always felt myself as a stranger in their hectic and often pathological surrounding. It is mainly due to the fact that the Belgian and French political and ideological systems are thoroughly different and that you cannot import purely and simply a French system into Belgian reality, be they Flemish or Walloon. I had thought of course that as an atypical and a wilful European movement, at least in its declared intentions, the French New Right could have been a springboard to develop a genuine Paneuropean movement, i. e. a rallying movement for all those who wanted to rediscover and reactivate their deepest roots in all the countries whose populations were from European kinship. I was very often disappointed. I remember having invited in 1982 at my place in Wezembeek-Oppem people from all parts of Belgium as well as the main members from the Lille GRECE-group in order to try to cooperate pragmatically as closely as possible, for instance by organising common conferences, by inviting the same speakers in all of the main cities in Flanders, Wallonia and in the two “départements” of Nord and Pas-de-Calais in order to maximise the impact of the texts producing people we had among us. First, the stupid, stultified and uneducated (at that time… he got a diploma for a quite good end paper two decades later when he was almost 60…) leader of the Flemish group in Antwerp, a clumsy worshipper of Big Prig Benoist, refused to come as he stubbornly refused to be anything else but the true, only and main vicar of his venerated Chief in our provinces, as he claimed he alone had the right —because once upon a time he became a rich man by selling Swedish miracle powders to get wonderful erections or wonder creams to get big boobs— to invite people to common meetings. Second, another totally uneducated tosspot, who also foolishly venerated Big Prig and was officially the head of the Lille “GRECE-regional unit”, wanted to control all the cities where conferences and speeches would have been held in French under the name of “Fédération Nord” of which he would have been the almighty chairman. By saying “Fédération Nord” he upset a representative of the Liège-group, a Walloon university teacher who asked spontaneously an ironical question: “Why a “Fédération Nord”? From which entity are we a Northern part?”. He then said that we could say in Belgium to be a part of the Southern provinces of the former United Kingdom of the Netherlands (1815-1831) or the Far-Western-Middle part of the former Holy Roman Empire of the German Nation or, especially in Liège, the very middle part of the Carolingian core of the early medieval Austrasian entity or a remote province of the Austrian Hapsburg Empire of the 18th Century. But in no case a new “Northern” appendix of a French Republic centred on the City of Paris. This incident will in the aftermath astonish many neutral Flemish observers, accustomed to discover views in the Flemish movement and literature that were opposed to any unique French tutelage: it was a genuine Walloon from Liège —whose direct ancestor survived after having been run over by the Platev’s cossacks the crowd in Verviers acclaimed as the liberators who repelled Napoleon’s troops— who opposed a total French control on the New Right circles in the Low Countries and not the Flemish alleged leader, who slavishly venerated his Parisian master and later retired somewhere in a lost village in France maybe to have more opportunities to kiss his Master’s hands and feet in an act of total devotion. He should have become now an innkeeper in a kind of Gaulish “middle-of-nowhere-hamlet”. Many Flemish nationalist thinkers have complained during almost a century that the common Flemish people often have had in history a slavish mentality in front of French-speaking bosses. This was also true in the main club of the Flemish New Right in the Eighties of the 20th Century, a club exhibiting proudly the GRECE-logo on the front page of all its publications, signalling an actual and total dependence from the initial French club. But the Antwerpian fathead’s refusal to work closely with us prevented the systematic translation of the Dutch texts into French or into other languages: the Dutch and Flemish authors worked subsequently for a narrower audience instead of having the opportunity to participate to a wider discussion forum spread throughout Europe and the world. Narrow brains always produce narrow things.
 
We had decided after this meeting 1) not to become dependent of the Parisian entity, 2) to accept a common New Right initiative only if voices from France, Germany and Italy and from other minor countries were heard equally and benevolently as emanating from a college of pairs and not dominated by the Parisian team around Prig Chief, 3) to reject the appellation of “New Right” as it was totally inadequate in Belgium where the word “right” had completely disappeared from the political vocabulary and had also not very often been used. To judge critically political matters and to suggest new policies like a shadow cabinet would do, the French New Right offered almost no intellectual instruments as Belgian political life is structured in a completely other way. It would have been better to popularize the Italian matters and topics about partitocracy and political corruption as the Italian political stage is more like the Belgian, Austrian and German ones. But the fathead, who sold prick-and-boobs powders and creams in Antwerp, rejected the idea as, you know, he is a kind of Northern Viking genius (his powders and creams were Swedish, weren’t they?), even if he has only the poor narrow shoulders and the half beard without moustache of a derelict Mennonite clergyman (so that he couldn’t defend himself, just one day before his second wedding party, when he came out of a shop selling cheap china dishes…); he would have lost his imaginary rank and title and his alleged “Northerness” if he would have read, translated and dispatched mean Italian/Latin texts and books. The result of this cretinous behaviour is that the Flemish political identitarian movements and parties, that got lots of votes in the Nineties and till 2004, were never really prepared on intellectual level to face the dominating partitocracy and couldn’t crack it as Berlusconi (Forza Italia), Fini (Allianza Nazionale) and Bossi (Lega Nord) did it partly with the assent of a good deal of the population in the Nineties in Italy (the operation “Clean Hands” or “Mani pulite”). The new Italian triumvirate of the early Nineties could achieve the job and largely discredit patritocracy because they had behind themselves teams of political scientists perfectly drilled in thoroughly criticizing a corrupt plural partitocracy and able to suggest practical solutions (see Gianfranco Miglio’s book “Come cambiare” that I let summarize for “Vouloir” in January 1993). One more metapolitical struggle that has been lost by the historical “benoistian” New Right…
 
So, if you consider yourself to be members of a imaginary world movement called “New Right” or not, I don’t really care. The important thing for you is to start a revival of the Narodniki ideas in an actualized way and to remember that the phrase “conservative revolution” was first coined in Russia by Youri Samarin and F. Dmitriev in 1875 in a short essay “Revoliutsionny konservatism”. Before this essay was written, the phrases “conservative revolution” or “revolutionist conservatism” in Germany had only been quoted without having been properly defined. It’s up to you to table on this very Russian heritage. Besides, one should never forget this sentence once written by Dieter Stein: “The notion of ‘New Right’ can arbitrarily be filled by any possible contents, can be stretched or slackened in all possible directions like chewing gum, so that malevolent people can suspect (of “fascism” or of any other odd feelings) everything and/or everyone linked at random to it” (“Auflösung eines Begriffs”, in: “Junge Freiheit”, nr. 30/2003).

Do you consider Alain de Benoist as belonging to the New Right or to the New Left? Explain your answer…

Well, he belongs historically and obviously to the New Right as he is generally considered as one of the main founding fathers of the movement or as the sole representative of it after all the memorable quarrels that tarnished the four or five decades long history of the movement. But all know that Benoist is unhappy with the appellation of “New Right”, that was first given to his movement by the French weekly magazine “Le Nouvel Observateur” in 1979, as malevolent journalists often equate “New Right” and “Extreme Right” or even “Fascism”, in order to wipe out all the potential innovations that a reappraisal of repressed or forgotten ideas would soon arouse and subsequently suggest other solutions to present-day affairs. In the French context, the purpose was of course to prevent the emerging of any possible challenging intellectual club, that could possibly ruin the established metapolitcal power acquired by the “nouveaux philosophes” in all the French mainstream medias. These “nouveaux philosophes” around people like Bernard-Henri Lévy or André Glucksmann were certainly former leftists or even Maoist thinkers or Trotskite intellectuals and had therefore a genuine “left” label, even if they never cared really about the actual problems of the French working class; they developed during the four last decades a kind of new ideological blend made of
1)     anti-communism (by communism they meant the USSR as a state and a superpower —a “panzercommunist” main power on the chessboard as they used to say— and the French PCF as a possible anti-American force next to the nationalist Gaullists) and of
2)     American neo-conservatism, exactly as the current neo-cons in the United States were in former times mainly Trotskite intellectuals of the East Coast who turned conservative shortly before Reagan took over power in Washington D.C.
 
 
The dominant ideology in the West, exported by the many NGO’s everywhere in the world, is now this very mix of
1)     disguised Trotskite revolutionism (where the “permanent war” waged in the area of the “Great Middle East” and elsewehre replaces the hoped “permanent world revolution” coined in the Thirties by Trotsky), of
2)     neo-conservatism, of
3)     anti-communism, of
4)     neo-liberalism as the most useful and efficient tool to globalize the world economy and of
5)     left-overs of the typical religious puritanism of the protestant “dissidents” of 17th Century British zealots expelled from England and sent on ships like the Mayflower to America to found there a “New Jerusalem” according to their cock-and-bull Biblical views.
 
This puritanical protestantism remains the core ideology of the United States (what some observers call the “American theocracy”) and are responsible for all the eager fanaticism under “democratic” or “liberal” disguises that the US produced during recent history and that outbalanced the traditional way of practicing diplomacy. It also explains why the United States are the best allies of the worst Wahhabite islamists in parts of the world like Libya, Chechnya or Syria. There is a global plot of all the most obscure fundamentalists against all normal political conditions in the world, as they have been derived from Aristoteles’ philosophy in the Catholic, Byzantine-Orthodox and Islamic (Ottomanic and Persian) civilisational realms. Against Aristotelician political and pagan realism, Puritans of dissident Protestant provenience, Wahhabite Muslims, Jewish zealots and Trotskite chaotic revolutionnists are constantly rebelling, creating permanently instability on the world chessboard that should according to Kissinger, Brzezinski or the Clintons (wife and husband) be totally turned upside down.

In front of this mainstream new dominant ideology in France, the pseudo-rational purpose of de Benoist is to avoid being labeled a “Fascist” or being accused of supporting in a way or another Le Pen’s National Front so that he could be accepted as a full legitimated partner in fake pluralist debates in the press or on television, where he would play the role of a gentle “non-conformist” who could perhaps lightly spice the controversial discussions: to say it in a nutshell, Mr. “Nouvelle droite” would like to be considered in Paris intellectual clubs as a mere pinch of soft mustard.
 
amora-moutarde-douce-flacon-souple-260-g-.jpgHe simply longs for being on the stage again, the very stage from which he was expelled in December 1981 by the future winners in the metapolitical game. In this sense he is very naive as the kind of people now in power, and controlling tightly the media-ruled “soft power”, will never be ready to leave him even an extremely reduced room to express his views. It is for such a flimsy and unachievable ambition —being a mere pinch of soft mustard in the dreary meal boiled in the hotchpotched kitchen of the narrow-minded French media world— that he has betrayed many of his old friends like Guillaume Faye and that he refuses to discuss objectively the problems arousing from mass immigration and, subsequently, by a rampant islamization in big Cities (and as an odd-thought population demographical graft, a “chaotization” in large urban areas within the main states and civilizational realms considered since President Carter as mere “aliens audiences” areas, even if they are theoretically good “allies”).
 
As you cannot find the magazine “Eléments” anymore since at least twenty years in Belgian newsagents’ shops, I have to buy my copies in France when I travel in some parts of this neighbor country. In November 2010 I found a copy of the then last issue in Nancy, where my wife likes to have a delicious cup of coffee on the celebrated “Place Stanislas” and to do some shopping. I unfortunately lost this issue somewhere during the rest of my travel through France, Switzerland and Germany (I visited Heidegger’s favorite holiday place in Todtnauberg where this world famous Black Forest philosopher wrote a good deal of his books). In this issue, Stuffed Shirt Alain de Benoist tried to demonstrate that the “New Right” was in fact the real “New Left” and the true inheritor of Marx’ ideas as well as the devoted intellectual protector of the masses of African and Muslim immigrants against the centralization and assimilation efforts of the alleged “xenophobic” French State’s system, while the “New Left” was genuinely a neo-conservative islamophobe movement or had become gradually such a faction, due to the blend first with “Reaganism” and second with neo-conservatism under Bush Senior and Bush Junior and maybe also with the Zionist Likud ideology. His old silly chum Michel Marmin, in the same issue, asserted that the New Right, somehow contrary to Maurras’ views at the beginning of the 20th Century, was a movement inspired by Immanuel Kant (and why not by Mother Theresa from Calcutta or Father Christmas from a heavens’ portion above Lapland...?).
 
The exercise of proving that Left is Right and vice-versa could be very entertaining and philosophically challenging, provided it would have been written in a humorous style. It was not. Prig Benoist wrote all that very seriously, in the credulous hope he would have been finally taken as a genuine leftist by the Left and would have transformed his alleged false rightist young fellows in true new leftists more leftist than the usual leftists (Do you follow...?). Such an attempt is of course preposterous. Prig Benoist and Aloof Marmin tried to sell the wide public opinion the absurd story that they were in fact the only actual New Left and that nobody in the world could grasp it till yet... But would ultimately grasp it now, once all clever minds all over the world would have read the brittle pseudo-intellectualized demonstration printed in “Eléments”.
 
The problem is that they cannot be labeled “New Left” as they never had any historical connection with, for instance, the “Frankfurter Schule” or with any other of its subsidiaries like for instance the group around Ernst Bloch and Rudy Dutschke or, in France, with clubs around Sartre’s “Les Temps Modernes” or with the Christian personalist caucuses around Jacques Maritain or Emmanuel Mounier and their journal “Esprit” (even if Benoist participated in a debate with their late heir Jean-Marie Domenach in 1993; I think Domenach also wrote an article for Benoist’s third magazine, “Krisis” but cooperation ended quite soon with that single piece of writing). Benoist is almost 70 now: I think that it is too late for him now to change views and that it would also be completely silly to play the role of a kind of ageing pagan leftist Saint Paul, converting to the faith of his former foes on an imaginary way to an even illusory Damascus (or is the joy of putting one’s flabby bottom on the armchair of a television studio worth all denials...?).
 
I think that, due to these nonsensical exercises by which Prig Benoist still tries to find a position as a now allegedly mature man, he is finally nowhere anymore as his recurrent “aggiornamenti” produced only confusion and puzzlement first in his own flibbertigibbet brain and second in his readers’ minds (be they friendly towards his initiatives or not). Fact is that he is a pathological coward and that he invents constantly new intellectual constructions that he doesn’t understand properly himself as he is finally a poor awkward philosopher (Faye used to say: a “scissors-and-paste thinker”), simply because he is permanently scared witless to be once more insulted by adverse gannets as a “Rightist” or even worse as an “extreme Rightist”, a “Fascist” or a “Nazi”. As I once wrote: “Fear is a bad adviser”. Indeed you cannot achieve anything if you’re pathologically dominated by fear (Benoist couldn’t properly understand what Evola or Jünger —his alleged favorite authors whose numerous books he claims to have read and meditated in order to absorb literally all their thoughts— told us masterfully about fear and fearlessness, be it as an alpinist in the mountains around the Lyskamm, a soldier in the WW1 trenches or a reader of martial Buddhist texts).

 

After all, Benoist can call himself as he wants to be called; it would only be one more ludicrous sketch in the long vaudeville à la de Funès of which his personal existence and his personal feelings were parts. Only the poor Pierre-André Taguieff had once upon a time, when he was writing a book about the “nouvelle droite”, the weakness of believing the self-concocted fiction that Benoist is hawking about himself, fabricating the fable of a serious intellectual, reading heaps of books since his caring childhood, while he is often only a substandard “feuilletonist” and a plagiarist. When Taguieff heard one day the truth about Benoist’s failures in the Lycée where he studied as a teenager, failures that of course Chief Prig had stupidly concealed as we all had failures as teenagers or as students, he phoned me while he was beside himself and complained that he had been abused...
 
How did you get to know Alexander Dugin? What is your opinion about his works and his Eurasian ideology? Are you still in contact with him?

I met Dugin for the first time in 1990 in a Parisian bookshop. It was still a time when you almost never met Russian people in Western Europe, except in compact groups duly coached by guides and interpreters, as we did for instance in Lübeck, Germany, in Spring 1979. You also could recognize Soviet citizens at their clothes as there wasn’t yet a standardization of garments like in present-day globalized world. When I heard a Russian man and his wife talking with the usual charming Russian accent, I got immediately the impression that the person in front of the bookshop’s desk was Dugin himself. He had already written a couple of letters to me and, also of course due to Wolfgang Strauss’ articles, I knew already quite a lot about him. I went straight to him and asked: “You are Alexander Dugin, I presume...?”. He looked very afraid as if I had been a policeman in plain clothes. But I introduced myself and we had a long and friendly conversation in a pub. Later I interviewed him for “Vouloir”. He also held a speech at a GRECE annual meeting in 1991. About one year later, he invited Benoist and myself to Moscow where we met personalities like Guennadi Zyouganov and Alexander Prokhanov, former editor of “Lettres soviétiques”, who had published the very first complete issue of a Soviet magazine dedicated to Dostoievski. Beerens and I could buy copies of it in Brussels in 1982 (if I remember well...), together with a long study of Boris Rybakov about Russian paganism printed in the Journal of the Soviet Sciences Academy. During my short stay in Moscow a “Round Table” was held in the offices of the newspaper “Dyeïnn”, which was run by Prokhanov at that time. A press meeting had also been organized by the tandem Dugin/Prokhanov where I was interviewed by people from the journal “Nash Sovremennik”, who had published an article of mine about economics. Later in September 1992 Dugin invited Jean Thiriart, Michel Schneider, Carlo Terracciano and Marco Battarra who met the same people as we did, plus Nikolai Baburin.
 

img042.jpgI supposed that Benoist, who hated deeply all the people invited by Dugin and Prokhanov in September 1992, started to tell Dugin the worst possible things about myself and the others. In his paranoid eyes, the combined invitation was the evidence that a “Schneiderite-Steuckersite” plot was about to succeed with the sardonic blessing of Thiriart, whom Benoist loathed particularly, because the Belgian animator of the former “Young Europe” movement based in Brussels and his fellow-travelers like Bernard Garcet couldn’t stop mocking the “would-be intellectual and narcissistic Frenchie”, who has “frail, puny and unmuscular arms coming out of his shabby sleeves” and “who was permanently smoking like a chimney”. Thiriart unfortunately died some weeks after his visit to Moscow. But since then, probably due to Benoist’s gossip, I could meet Dugin only once, in 2005, when he came to Brussels and Antwerp to address two different meetings. Just after the Brussels’ meeting, held in the famous Coloma Castle, Dugin took a very light meal (as it was Lent time) and jumped on the train to Paris, as he had an appointment with Benoist. I’ve never heard of him anymore since then. Alain de Benoist surely pursued his usual dissolving job of chitchatting and splitting the movement, by setting the people of our own spiritual-intellectual community at loggerheads, as if he was duly paid to do so by some mysterious sponsors...

The only tracks of Dugin that I can follow now are his video clips on “You tube”, that the webmaster of “euro-synergies.hautetfort.com”, old friend Ducarme, sometimes takes over to inform our readers about Dugin’s new activities.

As you surely know, Dugin derives his Eurasian ideology from two main sources: Konstantin Leontiev and Lev Gumilev. As you cannot consider Leontiev and Gumilev as pro-European thinkers, our views are slightly different than those of Dugin: we surely admit the criticism Leontiev and Gumilev adressed to Western thoughts when they were still alive but as we consider ourselves as “Europeans” and not “Westerners”, we cannot accept the equation too often made between “Europe” and the “West”. Leontiev at his time knew that Western European liberalism was the main danger for Russia (and for other empires, as well as for the Western European people themselves) and wanted to isolate the Czarist Empire from the womb of subversion that Europe was in his eyes. Gumilev thought more or less according to the same line, adding biological views that a spiritualist like Leontiev wouldn’t have taken into consideration. Surely in the context of the 19th Century, they were right. But the Western subversive spirit came to Russia under the mask of Bolshevism and remained in power for about 70 years, while the usual liberal ideology spoilt continuously the rest of Europe. The two sides during the era of the Cold War underwent a form or another of subversion. Now we all face a major risk of Westernization under neo-liberal (globalist) disguise. So neither Western-Central Europe nor the countries of the former USSR can win the battle against subversion alone. Would Russia isolate itself according to the formerly well-thought guidelines coined by Leontiev or Gumilev (and reproduced in a much simpler formulation by Dugin), we Western Europeans wouldn’t play any role in the future world struggle against subversive ideologies or would have to fight in the limited area of the reduced Western part of the Eurasian peninsula. The risk is to recreate a kind of new isolated Soviet Union or a renewed “Tatar Block’ (according to the Eurasian ideology of Alexander Blok, who also spoke of a Scythian Russia and of a Bolshevik revolution being the best embodiment of subversion but at the head of which the opponents to subversion should place themselves as you cannot struggle againt subversion if you don’t first take control over it). Isolation isn’t a solution today neither for the Russians nor for ourselves. Otherwise the worst aspects of Nazi or Nato propaganda could be too easily reactivated.

I expressed our vision of Eurasian or Euro-Russian solidarity in the foreword I wrote for a book by our Croatian friend Jure Vujic about Atlanticist and Eurasian geopolitics. The “Synergist” movement is maybe also “Scythian” but not in the way Blok thought it was Scythian. For us the Indo-European horsemen’s tribes, that left Eastern Central Europe with the first domesticated horses to spread far across the Ukrainian and Central Asian steppes, are the first historical subjects in the Eurasian areas between the present-day Western Ukrainian borders and today’s Chinese Sinkiang or Turkestan. Eurasia was first dominated by Indo-European people and not by Altaic or Mongolic khans. It is true that from about 220 B.C. the Proto-Mongolic tribes united in the so-called Xiongnu Federation, that started the movement of the Hunnic people towards the Western areas of Eurasia and would in the run expel or annihilate politically the Indo-European horsemen’s peoples and tribes. The Russian “reconquista” from Ivan IV to the 19th Century is the revenge of the Indo-European people, the cosacks’ sotnia replacing the Scyths, Proto-Iranians, Sarmatians and Sakhians. In France, a Ukrainian historian of protohistorical times, Iaroslav Lebedynsky, has published several very accurate historical and archeological studies about the Indo-European horsemen’s people that allow us to develop a specific Eurasian vision, that is slightly different than the one coined by Dugin. The young French historian Pascal Lassalle is, among former members of the GRECE-groups, the best present-day specialist of Lebedynsky’s works.

dimanche, 05 janvier 2014

R. Steuckers : Identité(s) Européenne(s) et actualité internationale

 

Entretien accordé au "Cercle des Volontaires"

Robert Steuckers :

Identité(s) Européenne(s) et actualité internationale

 

Le Cercle des Volontaires est allé à la rencontre de Robert Steuckers, grande figure de ce qu’on appelle la « Nouvelle Droite », ancien membre du mouvement GRECE et fondateur du mouvement « Synergies européennes ».

 

Voici les sujets qui ont été traités par Robert Steuckers :
- L’identité européenne
- L’identité européenne influencée à travers les relations avec les autres peuples
- Une ou des identités européennes ?
- Une identité menacée ?
- Puritanisme américain et néoconservatisme
- Ukraine/UE et l’Axe Paris-Berlin-Moscou
- Nucléaire iranien et bouclier anti-missiles de l’OTAN

 

Nous vous signalons que nous publierons dans les prochains jours une version écrite de cet entretien et qui sera illustrée par énormément de documentation afin d’aller plus en profondeur dans l’analyse des sujets traités.

Anass

vendredi, 15 novembre 2013

Historical Reflections on the Notion of “World War”

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Robert Steuckers:

Historical Reflections on the Notion of “World War”

First thesis in this paper is: a World War was started in 1756, during the “Seven Years’ War” or “Austrian Succession War” and has lasted till now. We still experiment the effects of this 1756 World War and present-day events are far results of the scheme inaugurated during that remoted 18th century era.

Of course, it’s impossible to ignore all the dramatic events of the 17th century, which lead to the situation of the mid-18th century, but it would make this short paper too exhaustive. Even if Britain could already master the Western Mediterranean by controling Gibraltar and the Balears Isles after the “Spanish Succession War”, many British historians are anyway aware nowadays that British unmistakeable supremacy was born immediately after the “Seven Years’ War” and that seapower became the most determining factor for global superiority since then. Also it would be silly to forget about a certain globalization of conflicts in the 16th century: Pizzaro conquered the Inca Empire and stole its gold to finance Charles V’s war against the Ottomans in Northern Africa, while the Portuguese were invading the shores of the Indian Ocean, beating the Mameluks’ fleet in front of the Gujarat’s coasts and waging war against the Yemenite and Somali allies of the Turks in Abyssinia. The Spaniards, established in the Philippines, fought successfully against the Chinese pirates, who wanted to disturb Spanish trade in the Pacific. Ivan IV the Terrible by conquering the Volga basin till the Caspian made the first steps in the direction of the Russian conquest of Northern Asia. The war between Christianity (as defined by Emperor Charles V and Philipp II of Spain) and the Muslims was indeed a World War but not yet fully coordinated as it would always be the case after 1759.

For the British historian Frank McLynn, the British could beat their main French enemy in 1759 —the fourth year of the “Seven Years’ War”— on four continents and achieve absolute mastery of the seas. Seapower and sea warfare means automatically that all main wars become world wars, due to the technically possible ubiquity of vessels and the necessity to protect sea routes to Europe (or to any other place in the world), to transport all kind of materials and to support operating troops on the continental theatre. In India the Moghul Empire was replaced by British rule that introduced the harsh discipline of incipient industrialism to a traditional non hectic society and let the derelict Indian masses —of which one-third perished during a famine in 1769— produce huge bulks of cheap goods to submerge the European markets, preventing for many decades the emerging of a genuine large-scale industry in the main kingdoms of continental Europe. While France was tied up in a ruinous war in Europe, the British Prime Minister Pitt could invest a considerable amount of money in the North American war and defeat the French in Canada, taking the main strategical bases along the Saint-Lawrence river and conquering the Great Lakes region, leaving a giant but isolated Louisiana to the French. From 1759 on, Britain as a seapower could definitively control the Northern Atlantic Ocean and the Indian Ocean, even if the French could take revenge by building a new efficient and modern fleet in the 1770s anyway without regaining full global power.

The Treaty of Paris of 1763 marked the end of French domination in India and Canada, a situation that didn’t preoccupy Louis XV and his mistress Madame de Pompadour but puzzled the King’s successor, the future Louis XVI, who is generally considered as a weak monarch only interested in making slots. This is pure propaganda propagated by the British, the French revolutionaries and the modern trends in political thought. Louis XVI was deeply interested in seapower and sea exploration, exactly as the Russian were when they sent Captain Spangberg who explored the Kurils and the main Northern Japanese island of Hokkaido in 1738 and some years or decades later when they sent brilliant sailors and captains around the world such as Bering and his Lieutenant Tshirikov —who was the first officer to hoist the Russian imperial flag on the Pacific coast of Northern America— and Admiral von Krusenstern (who claimed the Hawai Islands for Russia), Fabian Gottlieb Bellingshausen (who circumnavigated the Antarctic for the first time in mankind’s history) and Otto von Kotzebue (who explored Micronesia and Polynesia), working in coordination with land explorers such as Aleksandr Baranov who founded twenty-four naval and fishing posts from the Kamtshatka peninsula to California. If the constant and precious work of these sea and land explorers would have been carried on ceaselessly, the Pacific would have become a Russian lake. But fur trade as a single practiced economical activity was not enough to establish a Russian New World empire directly linked to the Russian possessions in East Siberia, even if Tsar Aleksandr I was —exactly as Louis XVI was for France— in favour of Pacific expension. Tsar Nikolai I, as a strict follower of the ultraconservative principles of Metternich’s diplomacy, refused all cooperation with revolutionary Mexico that had rebelled against Spain, a country protected by the Holy Alliance, which refused of course all modifications in political regimes in name of a too uncompromising traditional continuity.

Louis XVI, after having inherited the crown, started immediately to prepare revenge in order to nullify the humiliating clauses of the 1763 Paris Treaty. Ministers Choiseul and Praslin modernized the dockyards, proposed a better scientific training of the naval officers and favoured explorations under the leading of able captains like Kerguelen and Bougainville. On the diplomatic level, they imposed the Spanish alliance in order to have two fleets totalizing more vessels than the British fleet, especially if they could table on the Dutch as a third potential ally. The aim was to build a complete Western European alliance against British supremacy, while Russia as another latent ally in the East was trying to concentrate its efforts to control the Black Sea, the Eastern Mediterranean and the Northern Pacific. This was a genuine, efficient and pragmatical Eurasianism avant la lettre! The efforts of the French, Spaniards and Dutch contributed to the American revolt and independance, as the colonists of the thirteen British colonies on the East Coast of the present-day US-territory were crushed under a terrible fiscality coined by non-elected officials to finance the English war effort. It is a paradox of modern history that traditional powers like France and Spain contributed to the birth of the most anti-traditional power that ever existed in mankind’s history. But modernity is born out the simple existence of a worldwide thalassocracy. The power which detains seapower (or thalassocracy) is ipso facto the bearer of modern dissolution as naval systems are not bound to Earth, where men live, have always lived and created the continuities of living history.

Pitt ,who was governing England at that time, could not tolerate the constant challenge of the French-Spanish-Dutch alliance, that forced Britain to dedicate huge budgets to cope with the united will of the challenging Western European powers. This lethal alliance had to be broken or the civil peace within the enemies’ borders reduced to nothing in order to paralyze all fruitful foreign policies. French historians such as Olivier Blanc put the hypothesis that the riots of the French Revolution were financed by Pitt’s secret funds in order to annihilate the danger of the French numerous and efficient vessels. And indeed the fall of the French monarchy implied the decay of the French fleet: for a time, vessels were still built in the dockyards to consolidate the seapower of which Louis XVI dreamt of but as the officers were mainly noblemen, they were either dismissed or eliminated or compulsed to emigrate so that there was no enough commanding staff anymore and no able personnel that could have been easily replaced by conscription as for the regiments of the land forces. Prof. Bennichon, as a leading French historian of navies, concludes a recent study of him by saying that workers in the dockyards of Toulon weren’t paid anymore, they and their families were starving and consequently looted the wood reserves, so that the new Republican regime was totally unable to engage the British forces on sea. Moreover, the new violent and chaotic regime was unable to find allies in Europe, the Spaniards and the Dutch prefering to join their forces to the British-lead coalition. The English were then able to reduce French naval activities to coastal navigation. A British blocus of the continent could from then on be organized. On the Mediterranean stage, the French after the battle of Abukir were unable to repatriate their own troops from Egypt and after Trafalgar unable to threaten Britain’s coasts or to attempt a landing in rebelling Ireland. Napoleon didn’t believe in seapower and was finally beaten on the continent in Leipzig and Waterloo. Prof. Bennichon: “Which conclusions can we draw from the Franco-British clash (of the 18th century)? The mastery of seapower implies first of all the long term existence of a political will. If there is no political will, the successive interruptions in naval policy compels the unstable regime to repeated expensive fresh starts without being able in the end to face emergencies... Fleets cannot be created spontaneously and rapidly in the quite short time that an emergency situation lasts: they always should preexist before a conflict breaks out”. Artificially created interruptions like the French revolution and the civil disorders it stirred up at the beginning of the 1790s, as they were apparently instigated by Pitt’s services —or like the Yeltsin era in Russia in the 1990s— have as an obvious purpose to lame long term projects in the production of efficient armaments and to doom the adverse power plunged into inefficiency to yield power on the international chessboard.

The artificially created French revolution can so be perceived as a revenge for the lost battle of Yorktown in 1783, the very year Empress Catherine II of Russia had taken Crimea from the Turks. In 1783 the thalassocratic power in Britain had apparently decided to crush the French naval power by all secret and unconventional means and to control the development of Russian naval power in the Eastern Mediterranean and in the Black Sea, so that Russian seapower couldn’t trespass the limits of the Bosphorus and interfere in the Eastern Mediterranean. What concerns explicitly Russia, an anonymous document from a British government department was issued in 1791 and had as title “Russian Armament”; it sketched the strategy to adopt in order to keep the Russian fleet down, as the defeats of the French in the Mediterranean implied of course the complete British control of this sea area, so that the whole European continent could be entangled from Norway to Gibraltar and from Gilbraltar to Syria and Egypt. This brings us to the conclusion that any single largely dominating seapower is strategically compelled to meddle into other powers’ internal affairs to create civil dissension to weaken any candidate challenger. These permanent interferences —now known as “orange revolutions”— mean permanent war, so that the birth of a global seapower implies quasi automatically the emerging process of permanent global war, replacing the previous state of large numbers of local wars, that couldn’t be thoroughly globalized.

After Waterloo and the Vienna Conference, Britain had no serious challenger in Europe anymore but had now as a constant policy to try to keep all the navies in the world down. The non entirely secured mastery of the Atlantic and the Indian Oceans and the largely but not completed mastery of the Mediterranean was indeed the puzzle that British decision-makers had to solve in order to gain definitively global power. Aiming at acquiring completely this mastery will be the next needed steps. Controling already Gibraltar and Malta, trying vainly to annex to Britain Sicily and Southern Italy, the British had not a complete grasp on the Eastern Mediterranean area, that could eventually come under control of a reborn Ottoman Empire or of Russia after a possible push in direction of the Straights. The struggle for getting control overthere was thus mainly a preventive struggle against Russia and was, in fact, the plain application of the strategies settled in the anonymous text of 1791, “Russian Armament”. The Crimean War was a conflict aiming at containing Russia far northwards beyond the Turkish Straights in order that the Russian navy would never become able to bring war vessels into the Eastern Mediterranean and so to occupy Cyprus of Creta and, by fortifying these insular strong points, to block the planned shortest highway to India through a future digged canal through one of the Egyptian isthmuses. The Crimean War was therefore an wide-scale operation directly or indirectly deduced from the domination of the Indian Ocean after the French-British clash of 1756-1763 and from the gradual mastery of the Mediterranean from the Spanish Succession War to the expulsion of Napoleon’s forces out of the area, with as main obtained geostrategical asset, the taking over of Malta in 1802-1804. The mastery of this island, formerly in the hands of the Malta Knights, allowed the British and the French to benefit from an excellent rear base to send reinforcements and supplies to Crimea (or “Tavrida” as Empress Catherine II liked to call this strategic place her generals conquered in 1783).

The next step to link the Northern Atlantic Ocean to the Indian Ocean through the Mediterranean corridor was to dig the Suez Canal, what a French engineer Ferdinand de Lesseps did in 1869. The British by using the non military weapon of bank speculation bought all the shares of the private company having realised the job and managed so to get the control of the newly created waterway. In 1877 the Rumanians and the Bulgars revolted against their Turkish sovereign and were helped by Russian troops that could have reached the coasts of the Aegean Sea and controled the Marmara Sea and the Straights. The British sent weapons, military trainers and ships to protect the Turkish capital City from any possible Bulgarian invasion and occupation in exchange of an acceptance of British sovereignty on Cyprus, which was settled in 1878. The complete control of the Mediterranean corridor was acquired by this poker trick as well as the English domination on Egypt in 1882, allowing also an outright supervision of the Red Sea from Port Said till Aden (under British supervision since 1821). The completion of the dubble mastery upon the Atlantic and the Indian Ocean, that had already been acquired but was not yet fully secured, made of Britain the main and uncontested superpower on the Earth in the second half of the 19th century.

The question one should ask now is quite simple: “Is a supremacy on the Atlantic and Indian Oceans and in the Mediterranean area the key to a complete global power?”. I would answer negatively. The German geopolitician Karl Haushofer remembered in his memoirs a conversation he had with Lord Kitchener in India on the way to Japan, where the Bavarian artillery officer was due to become a military attaché. Kitchener told Haushofer and his wife that if Germany (that dominated Micronesia after Spain had sold the huge archipelago just before the disasters of the American-Spanish war of 1898) and Britain would lost control of the Pacific after any German-British war, both powers would be considerably reduced as global actors to the straight benefit of Japan and the United States. This vision Kitchener disclosed to Karl and Martha Haushofer in a private conversation in 1909 stressed the importance of dominating three oceans to become a real global unchallenged power: the Atlantic, the Pacific and the Indian Ocean. If there is no added domination of the Pacific the global superpower dominating the Atlantic, the Mediterranean and the Indian Ocean, i. e. Britain at the time of Kitchener, will be inevitably challenged, risking simultaneously to change down and fall back.

In 1909, Russia had sold Alaska to the United States (1867) and had only reduced ambitions in the Yellow Sea and the Sea of Japan, especially after the disaster of Tshushima in 1905. France was present in Indochina but without being able to cut maritime routes dominated by the British. Britain had Australia and New Zeland as dominions but no strategical islands in the Middle and the Northern Pacific. The United States had developped a Pacific strategy since they became a bioceanic power after having conquered California during the Mexican-American war of 1848. The several stages of the gradual Pacific strategy elaborated by the United States were: the results of the Mexican-American War in 1848, i. e. the conquest of all their Pacific coast; the purchase of Alaska in 1867; and the events of the year 1898 when they colonized the Philippines after having waged war against Spain. Even if the Russian Doctor Schaeffer tried to make of the volcanic archipelago of Hawai a Russian protectorate in 1817, US American whale hunters used to winter in the islands so that the islands came gradually under US domination to become an actual US strong point immediately after the conquest of the formerly Spanish Philippines in 1898. But as Japan had inherited in Versailles the sovereignty on Micronesia, the clash foreseen by Lord Kitchener in 1909 didn’t happen in the Pacific between German and British forces but during the Second World War between the American and Japanese navies. In 1945, Micronesia came under American influence, so that the United States could control the entire Pacific area, the North Atlantic area and gradually the Indian Ocean, especially when they finished building a navy and airforce strong point in Diego Garcia in the very middle part of the Indian Ocean, from where they can now strike every position along the coasts of the so-called “Monsoon countries”. According to the present-day American strategist Robert Kaplan, the control of the “Monsoon lands” will be crucial in the near future, as it allows the domination of the Indian Ocean linking the Atlantic to the Pacific where US hegemony is uncontested.

Kaplan’s book on the “Monsoon area” is indeed the proof that American have inherited the British strategy in the Indian Ocean but that, contrary to the British, they also control the Pacific except perhaps the maritime routes along the Chinese coasts in the South China Sea and the Yellow Sea, that are protected by a quite efficient Chinese fleet that is steadily growing in strength and size. They nevertheless are able to disturb intensely the Chinese vital highways if Taiwan, South Korea or Vietnam are recruited into a kind of East Asian naval NATO.

What could be the answer to the challenge of a superpower that controls the three main oceans of this planet? To create a strategical thought system that would imitate the naval policy of Choiseul and Louis XVI, i. e. unite the available forces (for instance the naval forces of the BRICS-countries) and constantly build up the naval forces in order to exercice a continuous pressure on the “big navy” so that it finally risks “imperial overstretch”. Besides, it is also necessary to find other routes to the Pacific, for instance in the Arctic but we should know that if we look for such alternative routes the near North American Arctic bordering powers will be perfectly able to disturb Northern Siberian Arctic coastal navigation by displaying long range missiles along their own coast and Groenland.

History is not closed, despite the prophecies of Francis Fukuyama in the early 1990s. The main problems already spotted by Louis XVI and his brilliant captains as well as by the Russian explorers of the 18th and 19th centuries are still actual. And another main idea to remember constantly: A single World War had been started in 1756 and is not finished yet, as all the moves on the world chessboard made by the actual superpower of the time are derived from the results of the double British victory in India and Canada during the “Seven Years’ War”. Peace is impossible, is a mere and pure theoretical view as long as a single power is trying to dominate the three oceans, refusing to accept the fact that sea routes belong to all mankind.

Robert Steuckers.

(Vorst-Flotzenberg, november 2013).

 

Bibliography:

  • Philippe Conrad (ed.), “La puissance et la mer”, numéro spécial hors-série (n°7) de La nouvelle revue d’histoire, automne-hiver 2013.

  • Philippe Conrad, “Quand le Pacifique était un lac russe”, in “La puissance et la mer”, op. cit..

  • Philippe Bonnichon, “La rivalité navale franco-anglaise (1755-1805)”, in “La puissance et la mer”, op. cit.

  • Niall Ferguson, Empire – How Britain Made the Modern World, Penguin, Harmondsworth, 2004.

  • Richard Harding, Seapower and Naval Warfare – 1650-1830, UCL Press, London, 1999.

  • Robert Kaplan, Monsoon – The Indian Ocean and the Future of American Power, Random House, New York, 2011.

  • Charles King, The Black Sea – A History, Oxford University Press, 2004.

  • Frank McLynn, 1759 – The Year Britain BecameMaster of the World, Pimlico, London, 2005.

  • Richard Overy, Atlas of 20th Century History, Collins Books, London, 2005.

  • Tom Pocock, Battle for Empire – The Very First World War – 1756-63, Caxton Editions, London, 1998.

  • Robert Steuckers, “Karl Haushofer: l’itinéraire d’un géopoliticien allemand”, sur: http://robertsteuckers.blogspot.com (juillet 2012).

jeudi, 14 novembre 2013

Les leçons de la « Révolution Conservatrice »

 

Robert Steuckers:

Les leçons de la « Révolution Conservatrice »

Conférence de Robert Steuckers, prononcée à Anvers, Rubenshof, 29 mars 2006

3183508077.gifIl est évident que je vais essentiellement mettre l’accent, ce soir, sur la notion de « révolution conservatrice », telle qu’elle a été définie par le Dr. Armin Mohler. Cette « révolution conservatrice » englobe des traditions européennes, plus exactement centre-européennes, et non pas des traditions anglo-saxonnes. Cette approche appelle d’abord deux remarques : 1) Le conservatisme, sous cette appellation-là, existe en tant que mouvement ou que parti politique en Angleterre ou aux Etats-Unis ; 2) Le « conservatisme » n’existe pas de cette façon, n’est pas un mouvement politique distinct en France, en Italie, en Belgique ou en Allemagne. Le terme « conservatisme » ne s’y utilise pas pour désigner un parti politique ou un « pilier » (= een zuil).

L’utilisation du terme « conservatisme » pour désigner une partie de la droite contestatrice du régime libéral dominant est assez récente. Nous le devons surtout à Caspar von Schrenck-Notzing, éditeur de la revue munichoise Criticon ; également à l’écrivain Gerd-Klaus Kaltenbrunner. Tous deux ont développé une notion très vaste du conservatisme, ont montré sa diversité, son foisonnement, ses particularités innombrables, en analysant essentiellement les œuvres laissées par des personnalités très différentes les unes des autres. En effet, tant Schrenck-Notzing que Kaltenbrunner ont travaillé sur des biographies de personnalités et d’auteurs et cela, pendant des décennies, dans les colonnes de Criticon (rubrique « Konservative Köpfe ») et dans la fameuse collection « Herderbücherei Initiative », voire dans des ouvrages regroupant exclusivement des monographies de ce genre.

Mais pour nous résumer, disons que, pour nous, la « révolution conservatrice » des premières décennies du vingtième siècle trouve ses racines les plus anciennes dans le « Sturm und Drang » allemand et dans la pensée du philosophe Herder.

Georges Gusdorf : analyse méticuleuse de la pensée européenne des Lumières aux romantismes

Le « Sturm und Drang » est, pour l’essentiel, une réaction contre le classicisme du dix-huitième siècle, jugé répétitif et stéréotypé dans ses formes, et contre les Lumières dans leur interprétation et leurs traductions politiques françaises. Le professeur alsacien Georges Gusdorf est celui qui nous a légué, récemment, l’enquête la plus complète sur la maturation philosophique et politique de ce corpus rétif aux Lumières, dans une série d’ouvrages fort denses, comptant plus de treize volumes. Gusdorf nous décrit, sans recourir à un jargon incompréhensible, les innombrables étapes de cette maturation, où, pour se dégager du classicisme et des Lumières, le « Sturm und Drang » et Herder (qui se pose comme exposant des Lumières mais non à la mode française) préconisent un retour aux sources vives de la pensée populaire (Volk), aux racines, au moyen âge, au seizième siècle.

herder10.jpgPour Herder, cette démarche commence par une enquête générale sur les origines de la littérature de chaque peuple. Il veut que le théâtre, pour sortir du corset classique, se réfère à nouveau à Shakespeare, où le dramaturge ne doit plus tenir compte de la règle étouffante des trois unités, peut laisser libre cours à son imagination et ne doit pas imiter purement et simplement les modèles de la Grèce ou de la Rome antique, ou de Plaute, comme Racine, Corneille et Molière.

La pensée de Herder exercera rapidement une influence sur toute l’Europe, notamment, ici en Flandre, sur le mouvement flamand (notamment via la pensée politique d’Ernst Moritz Arndt ; j’y reviens), sur les slavophiles russes et balkaniques, sur le mouvement d’émancipation irlandais, qui réhabilite l’héritage celtique et culmine dans la poésie de William Butler Yeats, avec son mixte typiquement celto-irlandais de paganisme celtique et de catholicisme. Enfin, Herder influence aussi le mouvement tchèque centré autour de la personnalité de Palacky.

Arndt : vision organique du peuple et principe constitutionnel

Ernst_Moritz_Arndt.gifE. M. Arndt pose clairement les principes politiques cardinaux qu’une révolution à la fois conservatrice et nationaliste doit suivre impérativement : tout ce qui découle de la révolution française, écrit-il, est intrinsèquement faux parce que non organique et mécanique ; l’idéologie de cette révolution –et toutes les vulgates qui en découlent- ne voit pas le monde et les nations comme les produits d’une évolution mais les considèrent comme de simples constructions. Nous avons là le noyau essentiel de la pensée conservatrice continentale. Arndt, plus nationaliste que conservateur dans le contexte de son époque, se veut toutefois révolutionnaire, mais sa révolution ne fait pas table rase de ce qui existe préalablement : elle veut exhumer des lois ancestrales refoulées. Sa révolution est donc légale, possède une base juridique et s’insurge contre toute forme d’arbitraire du pouvoir, que celui-ci soit princier ou jacobin. Arndt précise : tout prince qui refuse d’accorder à son peuple une loi fondamentale, une constitution, découlant de droits organiques, est un « grand mogol » ou un « khan tatar ».

De Herder à Arndt, nous assistons à l’affirmation philosophique qu’il n’existe aucune histoire générale de l’humanité, mais autant d’histoires particulières générées par des peuples particuliers ou des groupes de peuples particuliers (la germanité ou la slavité, par exemple). Plus tard, le philosophe Wilhelm Dilthey précisera, sans la verve polémique d’Arndt, qu’un peuple ne peut être défini tant qu’il n’est pas mort, tant qu’il produit et crée des « formes ». Le conservatisme herdérien ne signifie donc pas une apologie de ce qui demeure stable et figé, mais exprime au contraire un mouvement évolutionnaire qui a des racines et les respecte.

De Maistre, de Chateaubriand et de Bonald

Deuxième source majeure de la « révolution conservatrice » : les réactions contre les débordements de la révolution française. Ces réactions sont d’abord françaises. Citons trois auteurs principaux : le Savoisien Joseph de Maistre, le Breton François-René de Chateaubriand et le théoricien Louis de Bonald. Généralement, ces trois auteurs sont considérés par l’idéologie progressiste ( ?) dominante comme de sinistres obscurantistes, partisans de la répression des masses populaires, apologètes d’un royalisme non pas traditionnel mais despotique (ce qui est très différent). Une analyse plus sereine de leurs œuvres autorise un jugement autre : ces auteurs déplorent justement la dureté répressive de la république et de la terreur, l’élimination des représentations populaires et des droits et libertés acquis.

Pour Joseph de Maistre, par exemple, le jacobinisme conduit au contrôle total et serré de la population, à son encartage, à la surveillance totale (thème revenu à gauche dans les années soixante avec Michel Foucault). Derrière la critique formulée par de Maistre à l’encontre du jacobinisme républicain, se profile un idéal de liberté dont Georges Orwell se fera le champion avec ses romans « Animal Farm » et « 1984 » ; dans le fameux discours de son alter ego espagnol Donoso Cortés sur le combat apocalyptique qui marquera la fin de l’histoire, cet idéal de liberté, de non contrôle par l’Etat et par la classe satanique et bourgeoise qui le contrôle, est encore plus nettement mis en exergue. Autre cible de la critique maistrienne : l’esprit de fabrication. Par « esprit de fabrication », de Maistre entend toutes les démarches intellectuelles qui refusent de se reposer sur des fondements anciens, rejettent ces derniers, et agissent par innovations constantes, écrasant tout ce qui a élevé l’homme dans les siècles et les innombrables générations du passé, seuls siècles réels, réellement observables, seuls siècles capables d’être des réceptacles de sagesse pratique.

Dans les œuvres poignantes du Breton François-René de Chateaubriand, que Michel Fumaroli vient de réhabiliter magistralement par une biographie remarquable, on retrouve un leitmotiv récurrent et essentiel : retrouver partout, à tout moment, dans ce que l’on voit ou dans ce que l’on pense, les traces, même infimes, du passé, parce qu’elles ont toutes, y compris les plus modestes, infiniment plus de valeur que tout ce que produit un présent galvaudé par de sinistres planificateurs, par des fabricateurs de systèmes, de normes abstraites, de règles et de punitions. François-René de Chateaubriand exprimera cette piété pour les choses vénérables du passé dans sa revue « Le Conservateur », lancée en 1820. C’est ce titre qui a forgé la dénomination que porteront tous ceux qui, sur le plan intellectuel ou politique, refusent les pompes et les gâchis de l’engeance politicienne qui avait pris son envol à partir des Lumières et de 1789.

Louis de Bonald : de l’harmonie divine à la sociologie

Louis_de_Bonald_by_Julien_Léopold_Boilly.jpgPour Louis de Bonald, l’idée conservatrice centrale est de dire que Dieu donne harmonie au monde. Cette grande harmonie universelle, reflet christianisé de l’idéal du cosmos ordonné des anciens Grecs, génère des harmonies sociales, dont il convient de ne pas dévier par des raisonnements abstraits, sous peine de voir périr des équilibres pluriséculaires et de sombrer dans le chaos, comme les événements de la révolution française le démontrent à partir de 1789. Dès que les raisonnements abstraits s’immiscent dans la bonne marche des choses et tentent de la modifier par des décrets, produits de réflexions fumeuses, les harmonies se disloquent ; on tente alors d’apporter d’autres remèdes, tout aussi fabriqués, qui compliquent encore les choses, pour aboutir à une jungle des paragraphes, de règles décrétées en dépit du bon sens, assorties de peines pour les contrevenants, comme nous le voyons aujourd’hui, ici, chez nous, sans que plus aucun citoyen ne perçoit encore ce qui est bien ou mal, licite ou illicite. Avec l’ « esprit de fabrication », que Bonald appelle plutôt l’esprit philosophique, la société se fragmente, entre en déliquescence.

Bonald ne s’est pas borné à invoquer l’ordre divin, troublé et galvaudé par les philosophes et les révolutionnaires, il a également jeté les bases de la sociologie moderne ; au départ, celle-ci vise à observer et analyser les déliquescences sociales pour y porter remède. Elle n’est donc pas une science révolutionnaire mais conservatrice. Louis de Bonald aura en Flandre un héritier prestigieux : le Professeur Victor Leemans de l’université de Louvain, qui lui consacrera articles et essais, reconnaîtra son rôle fondateur en sociologie et entendra poursuivre son œuvre en formant quantité d’étudiants, avant et après la seconde guerre mondiale. Son départ laisse un vide en Flandre depuis près de cinquante ans, vide dans lequel s’est engouffrée, comme partout ailleurs en Europe, une sociologie, non plus bonaldienne et visant à restaurer les liens sociaux pulvérisés par l’esprit de fabrication, mais dissolvante à la façon soixante-huitarde. Vous savez ce qui en a résulté.

L’apport de Thomas Carlyle

Thomas_Carlyle.jpgEn Angleterre (ou plutôt en Ecosse), l’idéal « révolutionnaire-conservateur » avant la lettre a été porté par une figure exceptionnelle, celle de Thomas Carlyle, dont on retiendra essentiellement, dans le cadre du présent exposé, deux idées fondamentales :

A. D’abord, celle d’une histoire générée par les héros, qui impriment à la marche des nations leurs volontés créatives à des moments souvent inattendus du continuum historique ; cette idée alimente, avec d’autres, la fameuse théorie de l’histoire sphérique d’Armin Mohler, où la force personnelle ou collective impulse une rotation originale à la sphère qu’est le temps, avant de tomber dans une phase d’entropie, relayée, plus tard, sans calendrier préétabli, par une nouvelle force impulsante.

B. Ensuite, l’œuvre de Carlyle recèle une critique systématique et récurrente de la « cash flow mentality », soit l’esprit marchand ou l’idéal économiciste du boutiquier (« shopkeeper »). Cette critique est la source de l’hostilité et du mépris de toute véritable idéologie « révolutionnaire-conservatrice » à l’endroit des castes économiques, qu’elle n’entend pas ménager mais au contraire mettre au pas voire éliminer, pour restaurer le bien commun, soit une société dominée par les constantes, les stabilités équilibrantes et débarrassée ipso facto de la fébrilité activiste et négociante (étymologiquement : « neg-otium », absence d’ « otium »), qu’impose la caste des shopkeepers et des banquiers à l’ensemble de l’humanité, toutes races confondues.

En Allemagne, trois figures fondatrices dominent les phases initiales et préparatoires de la « révolution conservatrice » proprement dite. Il s’agit de Joseph Görres, d’Adam Müller et de Lorenz von Stein.

Görres : trifonctionnalité et fidélité impériale

220px-Joseph_von_Görres.jpgJoseph Görres théorise, avant la lettre, avant Georges Dumézil, la notion de trifonctionnalité traditionnelle des sociétés européennes, subdivisées en une « Lehrstand », une classe enseignante, chargée de la transmission du savoir et des traditions ; une « Wehrstand », soit une classe combattante, chargée d’assurer la défense du bien commun et du territoire ; une « Nährstand », soit une classe laborieuse chargée d’assurer la production d’aliments pour le peuple. Ces trois « Stände » doivent s’articuler au sein d’un Reich, d’une structure impériale comparable à l’institution médiévale du Saint Empire, mais, cette fois, dotée d’une constitution garantissant l’intégration de tous (du moins des représentants des trois Stände nécessaires, les autres éventuelles étant jugées trop restreintes ou superflues, en tous cas dépourvues de signification réelle). Görres, devenu catholique après une jeunesse turbulente et révolutionnaire dans une Rhénanie aux regards tournés vers la France moderne, sauve toutefois, dans un contexte anti-révolutionnaire, la représentation de toutes les classes utiles au Bien commun, l’institution impériale finalement plus respectueuse des peuples et de leurs libertés que la république belligène et terroriste, et, enfin, ajoute l’élément constitutionnel, modernisation de l’esprit des chartes, réclamé par les masses allemandes mobilisées dès 1813 dans le soulèvement prussien contre Napoléon, selon les principes de la mobilisation totale, préconisés par Clausewitz. Görres rejoint Arndt sur ce plan. Görres n’opère pas un retour en arrière ; il tente simplement d’éliminer les dérives sanglantes du progressisme révolutionnaire et les effets de son basculement dans les répressions liberticides.

Adam Müller : retour au « zoon politikon »

AdamMuller.jpgAdam Müller pose, comme principe cardinal de toute politique saine, de s’opposer dorénavant à tous les principes énoncés par la révolution française qui, bien qu’ayant tout politisé à outrance et de façon hystérique, a gommé de la scène le véritable « zoon politikon » traditionnel, d’aristotélicienne mémoire, dans la mesure où elle efface avec rage et acharnement tous les liens immémoriaux qui soudaient les sociétés. Le « citoyen » de la révolution est un bavard ou un émeutier sans épaisseur, un sans-culotte aviné, un partisan encarté mais sans jugement profond, sans recul, sans héritage, sans plus aucun contact avec la longue durée. Le zoon politikon, de la Grèce antique à Adam Müller, dispose d’une mémoire, sait que des liens l’unissent aux siens ; il n’est pas un individu irresponsable qui, uni à d’autres au sein de masses, traduit par des actes horribles l’ensauvagement qui résulte de la disparition des liens (Bindungen) et des devoirs. La politique conservatrice, préconisée par Adam Müller, vise donc la restauration de ce « zoon politikon ». Le retour au zoon politikon des Grecs interdit d’accepter le libéralisme, le libre marché, interdit d’octroyer un pouvoir quelconque aux forces économiques, aux puissances d’argent. Adam Müller préconise de fait une alliance entre un socialisme, tempéré par les traditions, et un conservatisme, soucieux de préserver les stabilités équilibrantes, contre l’ennemi de l’homme réel qu’est le libéralisme. C’est dans l’œuvre d’Adam Müller et de Lorenz von Stein qu’il faut voir les origines intellectuelles de la condamnation du libéralisme chez l’un des pères fondateurs de la révolution conservatrice du 20ième siècle, Arthur Moeller van den Bruck (« C’est par le libéralisme que périssent les peuples »).

Lorenz_von_Stein_m.jpgLorenz von Stein reprend les idées générales d’Adam Müller et veut les inscrire dans le cadre d’une structure étatique reposant sur une « royauté sociale ». Cette notion de « royauté sociale » exprime, chez Lorenz von Stein, l’idée d’un interventionnisme étatique tempéré par l’idée monarchique. Les rois doivent devenir les agents d’une intervention permanente dans le domaine social pour éviter la fusion des intérêts des possédants avec la machine étatique-administrative. Les possédants, ou classes bourgeoises, entendent utiliser l’Etat, dont le rôle est alors réduit à celui d’un « veilleur de nuit », pour dominer l’ensemble de la société, via un vote censitaire qui permet d’exclure de larges strates de la population du processus démocratique. Dans un tel contexte, l’Etat garde à peine les apparences du principe de commandement (« Die herrschende Macht ») mais, en réalité, sous la pression des intérêts matériels de la seule bourgeoisie, devient une instance du pure obéissance (eine « gehorchende Unmacht »). Le monarque en place a pour mission de prendre la tête du mouvement réformateur (hostile au conservatisme metternichien), de le guider et d’assurer aux classes non possédantes un avenir matériel stable, seule garantie de leur liberté. L’Etat « veilleur de nuit », idéal des libéraux, conduit à la non-liberté (« Unfreiheit ») des catégories modestes de la société. L’Etat réformateur, animé par de hautes vertus éthiques, conduit à une société plus harmonieuse, plus conviviale, plus participative car toutes les catégories de la population participent alors à la gestion de la Cité. C’est Lorenz von Stein qui a indubitablement inspiré l’Etat social bismarckien et les monarchies réformatrices d’Allemagne du Sud (Würtemberg, Bavière). Avec lui, on parle de « Sozialkonservativismus ».

L’ère Metternich : aucune expérimentation

Le 19ième siècle allemand a donc débuté avec l’ère Metternich. Il s’agit là d’un conservatisme dépourvu de tonus innovant, voire d’idées révolutionnaires (au sens étymologique du terme et non pas au sens de la révolution française) ou de revendications constitutionnelles. Pour le Prince Metternich, aucune expérimentation nouvelle ne devait avoir lieu en Europe. Pour cet état d’esprit paléo-conservateur, la pensée d’un Ernst Moritz Arndt équivalait à celle des pires sans-culottes. Cette incapacité à intégrer la « Nährstand » et la classe ouvrière en formation et en croissance exponentielle, dans le sillage des révolutions industrielles (encore timides sur le continent jusqu’en 1850), provoquera le mécontentement des classes bourgeoises et populaires, ainsi que celui des « Burschenschaften » étudiantes en terres germaniques et centre-européennes. Ce porte-à-faux entre les desiderata légitimes d’une population, qui ne voulait plus ni du despotisme pré-révolutionnaire ni du terrorisme jacobin, et la volonté immobiliste d’élites épuisées, a finalement débouché sur la révolution de 1848, dont l’idéologie mêle des thèmes libéraux à des thèmes nationaux, en une synthèse qui se révélera finalement boiteuse.

Bismarck : une poigne qui impose l’Obrigkeitsstaat

En bout de course, par sa poigne, Bismarck imposera une synthèse, qui aurait été incapable d’émerger seule, vu l’hétérogénéité tellement contradictoire des composantes de la révolution de 1848. Par la force de son caractère et de sa personnalité, Bismarck imposera un « Obrigkeitsstaat » puis une représentation socialiste, assortie de la promotion de lois sociales modernes. Bismarck n’imposera pas seulement une synthèse sur les plans intérieur et social, mais aussi sur le plan international, en diplomatie, en préconisant une indéfectible « alliance des trois empereurs » (Drei-Kaiser-Bund) qui placera automatiquement les puissances traditionnelles du centre et de l’est de l’Europe dans une sphère différente de celle de l’Occident (France + Grande-Bretagne). Un clivage est ainsi né, qui expliquera la vigueur, et parfois la virulence, de l’anti-occidentalisme de la révolution conservatrice du 20ième siècle.

Pour le diplomate Constantin Frantz, au service de la Prusse, l’Ouest, ou l’Occident, composé de la France jacobine (et néo-bonapartiste avec l’avènement de Louis-Napoléon) et de l’Angleterre ploutocratique (qui n’a pas retenu l’une des leçons essentielles de Carlyle), n’est plus entièrement européen, n’est plus lié par le destin, par la géographie et l’hydrographie à l’Europe et à sa civilisation. Les possessions extra-européennes de ces deux puissances placent leurs intérêts en dehors de la sphère purement européenne. Ce qui a pour corollaire que des conflits, nés hors d’Europe, peuvent désormais ébranler et affecter les nations du sous-continent européen. Avant Constantin Frantz déjà, le diplomate et ministre von Hülsemann, au service de l’Autriche, avait réagi vivement à la proclamation de la Doctrine de Monroe (1823), car il percevait bien que cette Doctrine, soi-disant émancipatrice pour les nations créoles d’Amérique ibérique, visait l’exclusion pure et simple, non seulement de la malheureuse Espagne, mais de toute autre puissance européenne hors du Nouveau Monde. L’Europe n’a pas soutenu l’Espagne à l’époque et la tentative d’installer un Habsbourg sur le trône du Mexique en 1866-67, n’a été qu’une gesticulation tragique et surtout trop tardive, non suivie d’effets réels et durables pour contrer l’expansion omni-dévorante des Etats-Unis, prévue par Alexis de Tocqueville. De même, les forces conservatrices soutiendront Sandino au Nicaragua dans les années 20 et 30 du 20ième siècle : un autre combat d’arrière-garde…

L’Occident cesse d’être européen

Dans les travaux de ces deux diplomates (nous pourrions en citer d’autres), nous découvrons donc in nuce tous les affects anti-occidentaux de la « révolution conservatrice » du 20ième siècle, qui ont visé successivement la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. A la veille de la guerre de Sécession de 1861-65 et du conflit franco-allemand de 1870-71, les deux puissances occidentales d’Europe, la France et la Grande-Bretagne avaient de fait troublé l’équilibre de l’alliance des trois empereurs en intervenant, aux côtés de la Turquie, ennemie héréditaire de l’Europe, lors de la Guerre de Crimée. Cet acte indiquait que les deux puissances se montraient renégates à l’endroit de la civilisation dont elles procédaient. Le complexe idéologique mêlant le puritanisme, l’idéologie révolutionnaire jacobine, la fébrilité sans mémoire de la révolution industrielle, le libéralisme, le rousseauisme égalitaire et le manchesterisme, ne prenait plus en considération ni les valeurs partagées pendant des siècles ni l’histoire qu’elles ont générée ni les obligations qu’elles impliquent.

Sur le plan culturel, au temps de Bismarck, l’intégration des classes sociales, auparavant défavorisées, progressait. Le socialisme était intégré à la machine étatique, avec les accords entre Lassalle (opposant à Marx au sein du socialisme de l’époque) et Bismarck. L’intégration des socialistes dans la sphère politique du Deuxième Reich bismarckien découlait bien plutôt de la pensée de Lorenz von Stein que de celle de Karl Marx. En Angleterre, à la même époque, John Ruskin développait un socialisme pratique, avec architecture ouvrière, avec une volonté de biffer définitivement les laideurs engendrées par les effets urbanistiques désastreux de la révolution industrielle (« Garden Cities », etc.). Pour revenir en Allemagne, il convient de préciser que la philosophie de Nietzsche était une référence pour les socialistes à l’époque et non pas pour les nationalistes ou les pangermanistes (« Alldeutscher Verband »). Les nationalistes se référaient à Gobineau et, plus tard, à son principal disciple, Houston Stewart Chamberlain.

Les romans de Dostoïevski

hyperliteratura-fiodor-dostoievski.jpgEn Russie, c’est la grande époque des romans de Dostoïevski, un ancien révolutionnaire de l’aventure décembriste du début du siècle. L’exil sibérien, auquel l’écrivain a été contraint, l’a guéri de ses illusions de jeunesse. La fréquentation des exilés, taulards, forçats, fonctionnaires pénitentiaires puis celle des déséquilibrés et des paumés des cafés de Petersbourg l’ont tout naturellement conduit à abandonner les utopies rousseauistes (ou qui passent pour telles), sans renoncer pourtant à croire que dans ce magma en apparence peu reluisant peuvent surgir des héros ou des saints, et, à proportion égale, des canailles ou des assassins. Le « Journal d’un écrivain », de ce plus grand Russe de tous les siècles, recèle un testament politique qui appelle à une profonde méfiance à l’endroit de cet Occident jacobin à la française (rousseauiste et égalitaire, philosopheur et procédurier) ou ploutocratique à l’anglaise (avec ses hypocrisies, son moralisme comme cache-sexe d’une fringale insatiable de profit). Le traducteur de Dostoïevski en Allemagne ne fut personne d’autre qu’Arthur Moeller van den Bruck, père fondateur du mouvement révolutionnaire-conservateur. L’apport russe et dostoïevskien, via Moeller van den Bruck, est capital dans l’éclosion de la révolution conservatrice allemande de la première moitié du 20ième siècle, capital aussi dans la gestation d’une œuvre comme celle d’Ernst Jünger.

2067859486.jpgImmédiatement avant que n’éclate la première guerre mondiale en août 1914, on ne peut pas encore parler véritablement de « révolution conservatrice », bien que tous les éléments idéologiques en soient déjà présents. Ces idéologèmes sont épars, diffus, bien répartis dans l’ensemble des cénacles intellectuels de l’époque (socialistes compris), mais ne sont pas politisés ni offensifs et militarisés, comme ils le seront après la première guerre mondiale. Tout au plus peut-on parler d’utopies positives à connotations organiques, de modélisations sur base d’idées et d’idéaux organiques (et non pas mécanicistes ; ces idéaux organiques trouvent leur origine dans la pensée de Schelling et dans le filon romantique). La diffusion de ces idéologèmes est surtout le fait d’un éditeur paisible, un homme bienveillant, Eugen Diederichs, dont la maison d’édition, fondée en 1896, existe toujours. Diederichs, comme j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de le dire, est le véritable promoteur métapolitique des futurs idéologèmes constitutifs de la révolution conservatrice. En m’appuyant sur divers chercheurs, dont l’Américain Gary Stark, j’en dénombre essentiellement huit :

1)     La vie ne peut être évaluée sur la base de la seule raison (raisonnante) ; en d’autres termes, l’intellect, en rationalisant outrancièrement et en schématisant sans tenir compte d’une foule de particularités et d’exceptions, finit non pas par devenir un auxiliaire utile de la vie, mais son ennemi (cf. ultérieurement l’œuvre philosophique de Ludwig Klages).

2)     L’Allemagne et l’Europe ont besoin d’une nouvelle mystique religieuse, qui trouve ses racines dans la mystique médiévale rhénane, brabançonne et flamande ; en Brabant, la figure dominante de cette mystique, base d’une alternative possible, est Ruusbroeck, d’abord vicaire à Sainte-Gudule à Bruxelles, puis dirigeant d’un cloître en Forêt de Soignes à Groenendael. L’écrivain francophone gantois Maurice Maeterlinck, que Diederichs publiera en allemand, se penchera sur cette figure du mysticisme brabançon, tout comme le peintre surréaliste et traditionaliste Marc. Eemans, éditeur, dans les années 30, de la revue « Hermès » et fondateur, à la fin des années 70, du « Circulo Studi Evoliani », pendant belge des initiatives italiennes de Renato del Ponte et héritier du cercle flamand équivalent, fondé par Jef Vercauteren, décédé accidentellement en 1973.

3)     L’art a pour mission de sauver la civilisation contre le matérialisme. Idée qui, chez nous, sera principalement incarnée par les architectes et concepteurs Victor Horta et Henry Van de Velde (sur qui s’exerça profondément l’influence de Nietzsche). Marc. Eemans (1907-1998), pour sa part, à la suite de l’écrivain néerlandais Couperus et d’un précurseur allemand des idéaux du mouvement de jeunesse Wandervogel tel Julius Langbehn (auteur d’un ouvrage magistral sur Rembrandt), poursuivra cette quête, même après les années de la deuxième « grande conflagration », dans son œuvre encyclopédique sur l’art en Belgique et dans la revue « Fantasmagie ».

4)     Sur le plan littéraire, Diederichs préconise une renaissance du romantisme ; ce qui l’a amené à soutenir un écrivain comme Hermann Hesse à ses débuts. Outre ce désir de réactiver le filon romantique allemand, Diederichs lance un vaste programme de traduction d’œuvres russes, dont les grands classiques tels Tolstoï, Dostoïevski, Tchékhov, Gorki et surtout le néo-mystique Soloviev. L’apport russe est donc considérable.

5)     Diederichs préconise une mystique du peuple (Volk), voire, dans certains cas, parce que la terminologie de l’époque ne connaît pas de tabous comme aujourd’hui, une mystique de la « race ». Nous verrons ce qu’il en est exactement.

6)     Diederichs souhaite également un retour à « Mère-Nature » et se positionne dès lors comme un écologiste avant la lettre. Ce retour à la « Terre Mère » postule un soutien au roman paysan. Ce qui amène Diederichs à faire traduire les fleurons de la littérature flamande en ce domaine : Felix Timmermans, Stijn Streuvels et, plus tard, Ernst Claes. Cela nous permet de dire que l’apport flamand, et belge en général, est considérable dans l’éclosion de la révolution conservatrice allemande.

7)     Diederichs plaide pour la diffusion d’un socialisme de bon niveau, de haute tenue intellectuelle qui permet de tirer les masses ouvrières vers le haut au lieu de les entraîner par démagogie dans la fange du plébéisme. Diederichs est dès lors sur la même longueur d’onde que Victor Horta. Il publiera les premiers ouvrages d’Henri de Man, de même que les travaux des socialistes britanniques de la Fabian Society, les œuvres de l’architecte et historien de l’art John Ruskin.

8)     Diederichs réclame un soutien au mouvement de jeunesse naissant. Il soutiendra un groupe étudiant mixte à Leipzig, le « Cercle Sera », appelé à servir de modèle à une nouvelle société, plus heureuse, harmonieuse et conviviale.

En résumé, on peut dire, ici, ce soir, à Anvers, en mars 2006, que cette tradition à facettes multiples, lancée par Diederichs, est aussi et surtout la nôtre dans la sphère des conservatismes du monde entier, parce qu’arithmétiquement l’apport flamand y est fort considérable. Aucun conservatisme au monde ne recèle, dans son alchimie première, autant d’ingrédients venus d’ici, de nos propres provinces.

Vers le national-socialisme ?

Gary D. Stark est un historien américain qui s’est penché sur le travail des éditeurs allemands d’avant 1914, dont Diederichs. Dans les idées que leurs productions éditoriales ont diffusées, Gary D. Stark, comme Zeev Sternhell en France et en Israël, voit une préparation intellectuelle à l’avènement du national-socialisme hitlérien ! Sans critiquer leur énorme travail d’investigation, de recherche et de comparaison, inégalé, force est tout de même de constater une diabolisation exagérée de ces corpus qui ont pourtant innervé aussi la social-démocratie montante. On dirait que ces travaux servent, in fine, à livrer une guerre préventive contre toutes les tentatives de rénover l’Europe et ses piliers idéologiques (toutes tendances confondues), rénovation qui devrait inévitablement puiser dans des réservoirs d’idéologèmes fort semblables à ceux développés entre 1890 et 1914 par la maison d’édition créée par Diederichs.

La diabolisation préventive et l’accusation, portée à toutes ces thématiques, d’être des prolégomènes au national-socialisme hitlérien, nous paraissent totalement injustes pour six raisons principales :

1)     Diederichs et ses collaborateurs n’ont jamais discriminé les auteurs juifs s’inscrivant dans les filons novateurs des décennies 1890-1914. Diederichs est notamment celui qui a promu en Allemagne la pensée de Henri Bergson. Le social-démocrate Victor Adler, issu d’une famille israélite viennoise, professait un socialisme organique très proche des corpus préconisés par la maison Diederichs.

2)     La valorisation des figures du paysan et du poète indique une opposition générale à la modernisation technique outrancière que les idéologies libérale, marxiste et nationale-socialiste allaient parachever en Europe et en Amérique.

3)     Le désir de voir advenir une rénovation religieuse mystique, non politisée, est une préoccupation originale, que le national-socialisme acceptera en surface, dans une première phase, pour remettre bien vite l’ensemble trop bigarré des innovateurs au pas.

4)     Gary D. Stark croit voir en l’apologie récurrente de la « race nordique » un indice de connivence avec la future idéologie nationale-socialiste. Pourtant chez les auteurs de la maison Diederichs, notamment chez notre compatriote Maurice Maeterlinck (cf. ses « Cahiers bleus »), l’évocation de la « race nordique » est une revendication de liberté individuelle et personnelle face à l’arbitraire de l’Etat et à l’homologation des mentalités (que dénonceront par ailleurs Robert Musil dans « L’homme sans qualités » et Franz Kafka dans l’ensemble de son œuvre). L’idéologie dominante actuelle ne veut pas davantage percevoir ce lien qui existait clairement entre le « nordicisme » et l’« anti-totalitarisme » avant la lettre.

5)     La place des écrivains russes dans les productions de la maison Diederichs, la valorisation de l’âme russe, démontre qu’il n’y a en elles aucun affect anti-slave ou russophobe.

6)     Les auteurs de la maison Diederichs insistent également trop sur la notion de « personne ». Face à une uniformité galopante, ils appellent à l’émergence de fortes personnalités, ce qui est impensable dans un Etat totalitaire qui entend mettre tout le monde au pas (« Gleichschaltung »). Le Prix Nobel de littérature Knut Hamsun, auteur de « La Faim », par son insistance sur la force des personnalités (p. ex. Isaak dans « La Glèbe ») est ainsi en porte-à-faux constant avec l’idéologie nationale-socialiste en dépit de ses engagements en Norvège occupée de 1940 à 1945.

Nous n’avons donc pas de « révolution conservatrice » s’affichant comme telle, affichant un militantisme « soldatique » et hyper-politisé, avant 1914. Nous avons, répétons-le, un vaste éventail d’idéologèmes organiques, anti-jacobins et anti-mécanicistes, que partagent aussi bon nombre de socialistes de l’époque, surtout en Autriche et en Belgique.

Les thèses de Panayotis Kondylis

Le philosophe grec contemporain, Panayotis Kondylis, qui écrivait en allemand et qui est hélas décédé prématurément, avait consacré un ouvrage remarqué au conservatisme, où il constatait que la classe nobiliaire, détentrice de la propriété foncière et traditionnel pilier de l’idéologie conservatrice, était devenue, à l’ère de la progression du suffrage universel, trop ténue numériquement pour demeurer la porteuse d’une idéologie politique capable de survivre au sein des assemblées. Par conséquent, poursuivait Kondylis, faute de soulever l’enthousiasme de masses, à l’instar des socialistes, le conservatisme cesse d’être proprement politique pour se muer en un esthétisme, sublime mais forcément condamné à la marginalité. Dans cette belle esthétique du conservatisme, dépolitisé par l’effet de la loi du nombre, des ingrédients philosophiques comme ceux issus de l’œuvre de Carlyle (l’héroïsme, l’affect anti-économique) et, bien sûr, ceux légués par Nietzsche vont se cristalliser. A ce double héritage de Carlyle et de Nietzsche, s’ajoutent bien d’autres legs, dont, en première instance, celui des grands écrivains français du 19ième siècle : Baudelaire, Stendhal, Flaubert et, dans une moindre mesure, Balzac.

Ces poètes et écrivains sont des hommes lucides qui constatent que la nouveauté révolutionnaire (au mauvais sens du terme) est omniprésente, en réalité ou en jachère, pire, qu’elle n’a pas encore déplié tous ses aspects : l’art doit dès lors s’ériger contre ce « dépliement » fatidique qui transformera à terme les sociétés en fourmilières ternes. Nos auteurs français vont donc procéder à une dissection méticuleuse de ce monde en "advenance", révéler sa vénalité et sa nullité essentielles, dont la manifestation la plus patente est le perpétuel « piétinement », l’impossibilité d’un recommencement sublime, écrit le philologue suisse Jean Borie (Université de Neuchâtel).

AVT_Charles-Baudelaire_838.jpegPour un Baudelaire, la société bourgeoise, qui jacasse et qui « piétine », exclut l’artiste qui doit dès lors riposter, en imposant un art nouveau qui démasque les inconsistances et les hypocrisies de la société bourgeoise, née de la révolution française. Cet art nouveau n’est pas un retour aux hauteurs spirituelles d’antan : ce travail, qui consisterait à remonter le temps, est désormais impossible (point de vue que partage Kondylis), puisque les contemporains, depuis le 19ième siècle vivent une rupture permanente (et irrémédiable) avec l’histoire de leur peuple et la rupture la plus emblématique a été perpétrée par la hiérarchie catholique : celle-ci a d’abord rêvé d’une revanche, d’un retour à l’ancien régime qui la privilégiait, explique Borie, puis s’est mise par opportunisme crasse au service de la bourgeoisie victorieuse, perdant du même coup toute puissance mystique capable de soulever les coeurs. Le catholicisme officiel a ainsi laissé un vide effrayant dans nos sociétés: l’artiste anti-bourgeois et secrètement ou ouvertement conservateur, dans la mesure où il nie « l’aquarium sans oxygène du bourgeoisisme », entend, par son art, combler ce vide, l’occuper par de nouveaux rituels (Borie). Cette option annonce le « Jungkonservatisvismus » de Moeller van den Bruck, traducteur de Baudelaire, pendant ses années berlinoises, et qui, forcément, en cette qualité, transpose quelque éléments de la pensée et des visions du poète français dans sa définition du « jeune conservatisme ».

Honoré de Balzac

Balzac.jpgBalzac, dans « Le médecin de campagne », dénonce le monde moderne induit par le personnage du Dr. Benassis, philanthrope et eudémoniste. Celui-ci modernise une vallée dauphinoise économiquement arriérée, où vit une colonie de pauvres « crétins » que les indigènes respectent au nom de « superstitions religieuses », jugées inutiles et improductives. Le brave docteur modernisateur fait interner les « crétins » dans un camp, loin de leur village, et impose, au nom d’idéaux tout à la fois hygiénistes et rousseauistes, une sorte de dictature hygiéniste basée sur les postulats révolutionnaires jacobins d’égalité et de primauté de l’économique : Balzac, conclut le philologue suisse Borie, à rebours de l’avis de Maurice Bardèche, et juge ce monde décevant et incomplet, dans la mesure où il a exclu les pauvres (en esprit comme en fortune), le soldat Genestas, condamné à ressasser des nostalgies, les artistes, les inassimilables désintéressés qui n’aiment ni l’argent ni l’accumulation de biens ou de richesses, et finalement Benassis lui-même, l’initiateur du processus de modernisation, devenu inutile puisqu’il a presté sa tâche et ne doit plus rien ajouter à son œuvre : son action initiale l’a condamné à terme à ne plus jamais devoir agir ; le monde qu’il a créé n’a plus besoin de créateurs, fussent-ils des « modernisateurs ». Le monde de la modernité est donc un monde d’exclusion, de formatage, d’aseptisation, d’homogénéisation. Mieux : Balzac met en scène deux familles, l’une installée dans le haut de la vallée isolée, qui garde ses traditions immémoriales ; l’autre est installée à proximité de la plaine et a oublié les rituels de toujours. Dans chacune des familles, le père vient de mourir: ceux d’en haut, qui respectent encore les traditions sont rassemblés autour du cercueil, graves, recueillis ; tout le clan est présent ; le défunt est accompagné de l’ensemble de sa parentèle en toute solennité vers sa dernière demeure. Ceux du bas de la vallée continuent leurs besognes quotidiennes, ne réhabilitent plus aucun des rituels graves d’antan : le mort a basculé dans la catégorie des choses devenues inutiles, comme sont inutiles à l’accumulation les souvenirs de tout passé sublime, les liens que fondent les piétés filiales transgénérationnelles : on expédie donc sans guère de formes le père défunt au cimetière et on s’empresse de l’oublier. La modernisation a donc généré un vide spirituel permanent qui n’a toujours pas pu être comblé.

En 1832, dans « Le curé de Tours », Balzac écrivait ce texte magnifique, très actuel: « D’abord l’homme fut purement et simplement père, et son cœur battit chaudement, concentré dans le rayon de la famille. Plus tard, il vécut pour un clan ou pour une petite république : de là ces grands dévouements historiques de la Grèce et de Rome. Puis il fut l’homme d’une caste ou d’une religion pour les grandeurs de laquelle il se montra souvent sublime (…). Aujourd’hui sa vie est attachée à celle d’une immense patrie ; bientôt, sa famille sera, dit-on, le monde entier. Ce cosmopolitisme moral, espoir de la Rome chrétienne, ne serait-il pas une sublime erreur ? Il est si naturel de croire à la réalisation d’une noble chimère, à la fraternité des hommes. Mais hélas ! La machine humaine n’a pas de si sublimes proportions ». Tout est dit…

Kondylis évoque les « trois amours » des esthètes conservateurs : l’amour des choses supérieures (« Liebe zum Höheren »), qui bétonne un élitisme face aux pesanteurs des masses, mais aussi face à celles des classes industrielles, commerciales, bancaires, administratives (etc.) ; l’amour des choses vraies (« Liebe zum Echten »), que sont la « populité » (Volkstum) et les archétypes face à l’urbanisation déferlante et à l’économie basée sur l’argent et la spéculation ; l’amour de tout ce qui est héroïque (« Liebe zum Heroischen »), valorisant les figures du héros et du saint (Carlyle, Bernanos).

Dans ce contexte, seul demeure le noyau irréductible et non interchangeable que constitue la nation ou le peuple (Volk). C’est donc à la fusion entre l’esthétisme, celui des « trois amours », et le culte de la nation (ou du peuple), opérée d’abord par le Provençal Charles Maurras, que parviendra le nouveau conservatisme, soit la « révolution conservatrice » proprement dite, incluant, en Allemagne comme en France, des éléments de socialisme, dont ceux théorisés par Proudhon et Sorel.

Arthur Moeller van den Bruck et le « Jungkonservatismus »

En Allemagne, une synthèse originale voit le jour dans l’œuvre d’Arthur Moeller van den Bruck. Egaré dès l’âge de vingt ans dans la bohème littéraire berlinoise puis émigré à Paris, Moeller van den Bruck s’est frotté à toutes les influences modernistes allemandes de la Belle Epoque, est devenu, grâce à ses deux épouses, un traducteur chevronné d’auteurs français (Baudelaire, Maupassant, Zola), anglo-saxons (Poe, Dickens) et russes (Dostoïevski). La guerre de 14-18 fait de lui, comme de beaucoup d’autres a-politiques des années 1890-1914, un patriote soucieux de rétablir la souveraineté pleine et entière de l’Allemagne. Pour y parvenir, il faut certes une « prussianisation » de l’ensemble du Reich mais non pas une « prussianisation » à la mode du « wilhelminisme » d’avant la conflagration d’août 1914. Revenir aux glorioles caricaturales et au technicisme sans âme du wilhelminisme constituerait une impasse dans laquelle l’Allemagne vaincue ne doit pas s’engager. La prussianisation de l’ensemble germanique centre-européen doit s’accompagner d’une rejuvénilisation complète du conservatisme : celui-ci doit effectivement conserver les fondements, les racines, les vertus fondamentales de la nation allemande (ou de toute autre nation qui chercherait à rétablir son honneur et sa souveraineté) mais sans en conserver les formes mortes, qui tentent de se répéter ad infinitum, tel un mouvement perpétuel dépourvu d’objectif nouveau. L’œuvre de rejuvénilisation est la tâche du « Jungkonservativismus ». Celui-ci commence par redéfinir les concepts de socialisme, de démocratie, de révolution, toutes formes ou dynamiques politiques qui ne peuvent plus se définir selon les critères en usage avant 1914.

Moeller van den Bruck , en définissant le « Jungkonservativismus » chevauche le « tigre de la révolution », propose un socialisme nouveau, dépouillé des étroitesses que la sociale-démocratie lui avait imposées dès la fin des années 10 du 20ième siècle en voulant rationaliser/marxiser un mouvement ouvrier plus imprégné de Nietzsche que de Marx dans sa première phase ascensionnelle soit en sa phase de jeunesse ; enfin, Moeller propose une forme de démocratie plus enracinée, moins caricaturalement parlementaire, où elle est posée comme « la participation du peuple à son destin » et où son mode de fonctionnement est d’être « dirigée ». la démocratie du « Jungkonservativismus » moellerien est donc une « geführte Demokratie », une démocratie dirigée par les élus (de l’Esprit et non des urnes) qui, par leur maîtrise des concepts inaugurés par les avant-gardes littéraires et artistiques de la Belle Epoque, sauront infléchir correctement les choix du peuple et l’empêcher de sombrer dans des encroûtements délétères. Les ennemis principaux ne sont donc pas la révolution, la démocratie ou le socialisme, qui, tous, peuvent être infléchis dans le bon sens de la « juvénilisation » permanente du peuple mais le libéralisme qui n’apporte que compromissions, médiocrité morale, rationalisme étriqué, individualisme pernicieux, « gouvernement de la discussion ».

Finalement, outre le développement fascinant des prémisses de la révolution conservatrice, prémisses encore dépourvues de dimensions guerrières et « soldatiques », la « Belle Epoque », comme on l’appelait, sentait sourdre, sous la fine couche d’insouciance et de progressisme naïf, de confort et de consumérisme, une hostilité à ces vanités qui, pensaient des croyants comme Bloy, Lyautey, de Foucauld ou Psichari, voire Sorel ou Péguy, allaient bien rapidement pervertir les hommes, ruiner toutes leurs vertus positives, les anémier spirituellement. C’est ainsi que le conflit de 1914 a été accueilli comme une épreuve salutaire, pour sortir l’humanité du confort et de l’avachissement. La guerre rendrait, croyait-on, la virilité aux hommes, l’attitude du soldat purgerait la nouvelle génération de miasmes délétères (« soldatisch », allait-on dire en Allemagne après le conflit, dans la littérature des anciens combattants comme les frères Jünger, Schauwecker et Beumelburg).

Les transformations sociales entraînées par la première guerre mondiale seront innombrables. Un film américain à grand spectacle, « The Eagles », qui évoque les pilotes allemands de la Grande Guerre, montre bien quels glissements se sont opérés au cours du conflit. Nous avons, parmi ces pilotes, l’aristocrate de vieille lignée qui demeure parfaitement chevaleresque ; l’aristocrate nouveau, cynique, débauché et violent ; l’aristocrate machiavélique, vieux général, qui cherche un compromis avec les temps nouveaux et joue davantage le rôle du renard que celui du lion, tout en gardant intact un respect pour les valeurs rudes du soldat (à la Brantôme) ; enfin, l’homme du peuple devenu officier, efficace mais dépourvu d’éthique chevaleresque, qui sera un jouet aux mains du vieux général. Ce nouvel officier préfigure le national-socialisme sans scrupules, du moins pour l’auteur américain du scénario.

Les « Considérations d’un apolitique » de Thomas Mann

Thomas-Mann2.jpgLes « Considérations d’un apolitique » (« Betrachtungen eines Unpolitischen ») de Thomas Mann, rédigées pendant la première guerre mondiale, récapitulent des positions anti-occidentales traditionnelles depuis les premières décennies du 19ième siècle, attitude d’autant plus étonnante que Mann se fera ultérieurement le parangon de l’occidentalisme. Dans son roman, « La Montagne Magique » (« Der Zauberberg »), plusieurs figures, dans le sanatorium de tuberculeux, à Davos en Suisse, qui sert de décor général à l’œuvre, expriment ces contradictions de la culture européenne (et pas seulement allemande), dans des dialogues pertinents et paradigmatiques. Dans ce milieu fermé, dialoguent Lodovico Settembrini, un rationaliste latin, symbole de toutes les formes de rationalisme bourgeois dans l’Europe d’avant 1914, Naphta, un juif galicien formé par les Jésuites et représentant de l’irrationalité religieuse, du principe religieux a-rationnel, toutes confessions confondues, la jeune et belle Russe Clawdia Chauchat, représentante de l’« humanité intacte de l’Est » et de l’intelligentsia russe d’avant la révolution de 1917, l’aventurier colonial hollandais Pieter Peeperkorn, symbole de l’Européen qui est allé chercher fortune et aventure au-delà des mers. Ces personnages ont une nationalité formelle mais leurs propos philosophiques transcendent nettement les limites que l’on pourrait attendre d’une personnalité inscrite trop étroitement dans un cadre intellectuel « nationalisé ».Ils symbolisent tous des attitudes, repérables dans la culture bourgeoise d’Europe à la Belle Epoque, attitudes qui, hélas, vont perdre toute pertinence sociale, dans un monde qui sera d’abord complètement disloqué par la guerre, ensuite livré aux idéologies de l’ère des masses (cf. Canetti et Ortega y Gasset).

La « Montagne magique »

Le personnage central, Hans Castorp, Allemand du Nord et issu des castes marchandes des villes portuaires hanséatiques comme Thomas Mann, rend visite à un cousin hospitalisé dans le sanatorium : il compte rester trois semaines en Suisse ; il restera sept ans. Lui, l’homme sans grandes qualités ou vertus, tentera de trier le bon grain de l’ivraie dans tous les propos qu’échangeront les autres protagonistes du sanatorium de Davos. Quant au cousin Joachim Ziemssen, il incarne une « vitalité robuste » dans un corps hélas malade : il symbolise véritablement l’Europe en déclin.L’attitude mentale altière de ce tuberculeux qui voulait devenir officier prussien est l’attitude héroïque et éthique par excellence mais elle n’est déjà plus centrale dans les débats qui animent le sanatorium de la « Montagne Magique », elle est marginalisée. L’Europe, au corps malade, ne peut plus abriter cette « vitalité robuste », l’incarner et la généraliser : constat pessimiste, quand meurt Joachim Ziemssen, l’homme qui voulait maintenir les bonnes vertus mais n’était plus pris très au sérieux par les autres. Où est la véritable Europe (malade) ?Dans ce sanatorium, où l’on discute de l’essentiel même s’il cela ne conduit à rien, ou dans la « Plaine » (le « Flachland ») où bruissent les grandes villes, où la vie est marquée par les trépidations des machines ?Hans Castorp, quand il revient dans la « Plaine », peut trouver un emploi, une fonction, un rôle, mais ceux-ci seront toujours interchangeables : il ne sera plus, comme à Davos, un partenaire indispensable au débat de fond —celui qui tente, dans sa tête, de faire la synthèse de cette Europe aux attitudes divergentes— mais un rouage dans une machinerie qui sera toujours remplaçable. La « Montagne Magique » de Mann est bel et bien un des romans-clefs de la première moitié du 20ème siècle. Pour notre propos, il est « conservateur-révolutionnaire », non pas parce qu’il veut remettre en selle les principes allemands des « Considérations d’un apolitique », mais parce qu’il constate le déclin irréversible de toutes les valeurs et vertus. Pessimiste, il constate la maladie de l’Europe.

Après 1918, l’Allemagne vit dans le traumatisme de la défaite. Le monde de la germanité, perçu dans les décennies antérieures comme irrésistiblement ascendant, est ruiné, battu, outragé. Les cadres territoriaux allemand et austro-danubien sont morcelés, leurs frontières sont démembrées, ouvertes à toutes les interventions ou les invasions. Sur le plan éthique, la guerre et les soulèvements spartakistes ont disloqué les certitudes traditionnelles. L’immoralité va galopante, surtout dans les grandes villes (cf. les souvenirs de l’écrivain anglais Christopher Isherwood sur la débauche dans le Berlin des années 20). Refusant cette déliquescence généralisée, une nouvelle culture naît en marge de ces tumultes et agitations, une culture qu’Armin Mohler nommera, dans sa fameuse thèse de doctorat soumise à Karl Jaspers, la « révolution conservatrice », car elle entend se révolter contre le nouvel établissement, voire contre toute pesanteur inutile, et conserver les valeurs impassables de l’humanité germanique et européenne.

Dans ce front « conservateur » et « révolutionnaire », prenons quelques figures marquantes : Spengler, les frères Jünger, Klages, Steding, Rosenstock-Huesy, Kantorowicz, ainsi que des cercles tels le « Tat-Kreis » ou des éditeurs comme Diederichs, Lehmann et Goldmann. A ces « révolutionnaires conservateurs » pur jus, ayant retenu les leçons de Nietzsche, s’ajoutent des penseurs catholiques comme Carl Schmitt, ainsi qu’une brochette de théologiens occupés à formuler une théologie en phase avec l’idéologie populiste-folciste, en vogue depuis Herder et Arndt. Chacune de ces figures apporte des éventails de concepts pertinents, idoines pour saisir les problèmes de cette époque de bouleversements fondamentaux, mieux, des concepts si profonds qu’ils gardent toujours leur pertinence aujourd’hui, mutatis mutandis.

Oswald Spengler

Oswald Spengler jette un œil panoramique sur les civilisations, plus exactement, les cultures qui ont jalonné l’histoire. Pour lui, une « culture » est une manifestation organique, spécifique et originale, qui recèle, en elle-même, les forces vives de son éclosion et de ses développements. Mais toute culture est mortelle, quand ces forces vives viennent à s’épuiser. Au terme « culture », Spengler oppose celui de « civilisation ». La « civilisation » procède d’une « culture » : elle en est le parachèvement sur les plans de la technique, de l’administration des choses, de la puissance brute. Mais, simultanément, elle ne produit plus aucune force vive, capable de faire éclore des valeurs dignes d’être imitées. L’Europe a ainsi été une culture, grecque puis faustienne, jusqu’au seizième siècle, pour ensuite présenter les affres du vieillissement et du déclin. L’Amérique, qui procède de l’Europe, correspond à son stade ultime et achevé de « civilisation ». L’urbanisation déferlante, que connaissent l’Europe et les Etats-Unis depuis la fin du 19ième siècle, est l’indice le plus patent de la cristallisation/figement d’une « culture » vivante en une « civilisation » mortifère. Le thème, fort fécond, sera repris par quantité de littérateurs, polémistes, sociologues ou philosophes. Enfin Spengler crée le concept de « pseudo-morphose ». Une culture peut changer de signe, passer du paganisme germanique au christianisme faustien par exemple, ou du christianisme à l’islam (comme dans la sphère « magique » arabo-byzantine), ou de l’iranité zoroastrienne à l’islam chiite, sans véritablement changer de forme. Le changement de signe n’affecte pas les fondements même de la culture : ce changement n’opère qu’une mutation de surface, une « pseudo-morphose » qui n’est en aucun cas métamorphose, bouleversement total, passage à quelque chose de fondamentalement autre. La notion spenglérienne de « pseudo-morphose » demeure toujours féconde et nous permet de mieux comprendre, aujourd’hui encore, certains phénomènes culturels, comme, par exemple, la complexité du Moyen Orient.

Les frères Jünger 

ErnstJuenger.jpgErnst Jünger, et son frère Friedrich-Georg, tous deux jeunes officiers volontaires de 1914 et spécialisés en coups de main aussi tordus qu’audacieux dans la guerre des tranchées, deviennent dans les premières années de la République de Weimar théoriciens d’un « nouveau nationalisme », insolent et moqueur pour le nationalisme de l’époque wilhelminienne, qu’il était évidemment impossible de reproduire après la défaite de 1918, vu le contexte de déliquescence inouï dans lequel survivait le Reich. Tous ceux qui ont lu attentivement les textes nationaux révolutionnaires des deux frères, écrits dans la seconde moitié des années 20 et au début des années 30, sont soit choqués par leur apparente virulence soit séduits par la profondeur des arguments soit les deux à la fois. Dans un volume collectif, intitulé « Aufstieg des Nationalismus », les frères Jünger précisent quelle doit être la virulence juvénile du nouveau nationalisme post-wilhelminien : ce nationalisme, en aucun cas, doit tolérer la répétition de formes mortes, préconisée par des pouvoirs politiques « légalitaires » qui figent le flux du réel et précipitent, de la sorte, les Cités ou les Etats dans un déclin irrémédiable par manque d’audace. Plus tard, Ernst Jünger, déçu par le légalisme de la République de Weimar et par le mouvement hitlérien, plaidera pour une « décélération » du monde, pour un retour à des archétypes sociaux non modernes, tandis que son frère Friedrich-Georg, dans un ouvrage qui annonce la vague écologique d’après 1945, « Die Perfektion der Technik », s’inquiète d’un phénomène de plus en plus prégnant face à la modernisation et l’américanisation galopante des sociétés occidentales et soviétiques, celui de la « connexion » totale de tous à des instances exclusivement techniques et non plus politiques : le prêtre qui prononce son prêche amplifie sa voix par un micro et est donc connecté au distributeur d’électricité ; le paysan qui use d’un tracteur consommant du carburant est connecté désormais à la pompe la plus proche appartenant à un consortium pétrolier, etc. Cette connexion totale de tous tue toutes les formes de liberté organique : elle crée l’idéal du Dr. Benassis, personnage de Balzac.

Klages, Steding, Rosenstock-Huesy, Kantorowicz

Ludwig Klages, lui, entend retourner aux matrices « telluriques » de la culture et finit par poser une dichotomie Ame/Esprit, où l’âme est l’expression de la vie et l’esprit un principe qui entend soumettre la vie et l’encadrer, au point d’en assécher la source.Les forces vitales de l’âme sont forces de lumière tandis que les forces de l’esprit conduisent à un assombrissement général du monde.

Christoph Steding voit la notion allemande de « Reich » comme un principe d’ordre, sans lequel l’Europe est plongée dans l’indolence ou le chaos. Historiquement, cette instance d’ordre en Europe a été mutilée et annihilée par les Traités de Westphalie en 1648 : certaines périphéries comme la Hollande et la Suisse s’en sont volontairement détachées pour suivre une voie originale : soit une ouverture vers la mer soit un repli sur le réduit alpin. Quant à la Scandinavie, elle n’a plus été attirée par ce môle politique que le « Reich » aurait dû rester en Europe. Ce détachement génère une « culture neutre », impolitique, hollandisé ou helvétisée, valorisant la spéculation esthétique ou l’individualisme et accentuant un désintérêt délétère pour le sort géopolitique du continent. Steding parie alors pour le retour à une culture politique impériale, capable de redonner vigueur à un continent européen morcelé, sans plus aucune consistance territoriale, son centre étant émasculé par le double effet des Traités de Westphalie et de Versailles et par la neutralisation (dépolitisation) de la culture. Pour Steding l’avènement d’un prussianisme impérial, non plus réduit au royaume de Prusse et aux seules traditions dynastiques prussiennes, permettrait de réduire à néant les effets dissolvants des traités et de la neutralisation culturelle.

Eugen Rosenstock-Huesy et Enrst Kantorowicz, tous deux israélites et anciens officiers des Corps francs après 1918, énoncent des idées originales : Rosenstock-Huesy voit l’identité de l’Europe dans une perpétuelle remise en questions révolutionnaire de ce qui est établi. L’Europe est une terre de révolution/réjuvénilisation permanente qui lui confère un dynamisme unique au monde et une plasticité que les autres cultures ne possèdent pas. Ernst Kantorowicz, qui avait fréquenté le cercle des « Cosmiques » à Munich autour de Stefan George, explore à fond la personnalité hors normes de Frédéric II de Hohenstaufen (expression la plus sublime de l’idée impériale) et étudie le développement du principe monarchique, tout en explorant ses fondements traditionnels.

Le Tat-Kreis, revue de sciences politiques, d’économie et de sociologie, animée par Hans Zehrer, insiste tout particulièrement sur la nécessité d’une autarcie économique aussi large que possible et sur l’idée d’une intégration totale et participative de toutes les classes sociales dans l’Etat. Parallèlement à cette revue, des éditeurs comme Diederichs (cf. supra), Lehmann, spécialisé dans les questions raciales et biologiques, ou Goldmann, spécialisé en géopolitique et en problèmes de politique internationale, diffusent une littérature très abondante, dont beaucoup d’auteurs méritent d’être redécouverts et étudiés.

Une « révolution conservatrice » catholique ?

Parallèlement à ces auteurs non chrétiens, protestants ou néo-païens, il a également existé une « révolution conservatrice » catholique, dont Carl Schmitt fut l’un des exposants. De nombreux théologiens, tenus au placard depuis 1945, ont participé à l’élaboration d’une contestation anti-libérale, hostile à la République de Weimar. Carl Schmitt, considéré depuis une quinzaine d’années comme le plus pointu des penseurs du politique, a influencé des politologues américains célèbres comme Erich Voegelin ou Leo Strauss. S’il fallait résumer l’œuvre de Carl Schmitt en quelques mots, il faudrait commencer par citer l’adage de Hobbes : « Auctoritas non veritas facit legem », « c’est l’autorité (d’un homme de chair et de sang) et non la vérité (abstraite des philosophes) qui fait la loi ».Schmitt se dresse contre le pouvoir des normes énoncées par des juristes en chambre, étrangers au tumulte du monde, parce que ces normes sont posées comme inamovibles et éternelles, alors que les Cités sont des organismes vivants qui épousent les méandres de la réalité vivante et ne survivent pas lorsqu’elles sont prisonnières de la cangue d’un appareil normatif, qui ne réfléchit plus, ne sent plus, n’éprouve jamais rien. L’autorité ne saurait donc être un ensemble de normes ou de principes immuables mais uniquement un homme de chair et de sang, capable de prendre la bonne décision car il n’est pas aveugle et éprouve dans sa propre chair les souffrances ou les potentialités de l’Etat qu’il dirige.

Dans les normes internationales, imposées depuis Wilson et la SdN, Schmitt voit un « instrumentarium » mis au point par les juristes américains pour maintenir les puissances européennes et asiatiques dans un état de faiblesse permanent. Pour surmonter cet handicap imposé, l’Europe doit se constituer en un « Grand Espace » (Grossraum), en une « Terre » organisée autour de deux ou trois « hegemons » européens ou asiatiques (Allemagne, Russie, Japon) qui s’opposera à la domination des puissances de la « Mer » soit les thalassocraties anglo-saxonnes. C’est l’opposition, également évoquée par Spengler et Sombart, entre les paysans (les géomètres romains) et les « pirates ». Plus tard, après 1945, Schmitt, devenu effroyablement pessimiste, dira que nous ne pouvons plus être des géomètres romains, vu la défaite de l’Allemagne et, partant, de toute l’Europe en tant que « grand espace » unifié autour de l’hegemon germanique. Nous ne pouvons plus faire qu’une chose : écrire le « logbook » d’un navire à la dérive sur un monde entièrement « fluidifié » par l’hégémonisme de la grande thalassocratie d’Outre-Atlantique.

Schmitt s’avère catholique dans la mesure où il est partisan d’un pouvoir personnel et personnalisé, incarné, à l’instar de celui des papes, et qu’il est européiste.

Traduction « révolutionnaire-conservatrice » du mythe de l’incarnation

La théologie folciste-catholique (« völkisch-katholisch ») base toutes ses spéculations sur la notion chrétienne d’incarnation, pour laquelle le Christ est « Dieu devenu chair ». Tout homme, dans cette perspective possède une parcelle de divin en lui : il est toutefois libre de la faire valoir —et d’atteindre ainsi la grâce— ou de l’ignorer —et, par voie de conséquence, de refuser la grâce. Mais l’homme n’est pas isolé, il appartient à un peuple, disent les folcistes-catholiques, un peuple qu’il doit servir, car il est écrit que le disciple du Christ doit servir ses prochains. L’Eglise et l’épiscopat, flanqués de leurs théologiens, ont donc tenté de chevaucher le « tigre folciste » exactement comme, après 1945, toute une frange du catholicisme français avait tenté de chevaucher le « tigre communiste » voire, fin des années 60, le « tigre maoïste ». La théologie protestante a suivi des chemins similaires.

1933 : la « Gleichschaltung »

En 1933, avec l’arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes, tous sont mis au diapason par la « Gleichschaltung ». Le Tat-Kreis et les éditeurs s’alignent sur le nouveau régime. Les mouvements de jeunesse sont inclus progressivement dans les organisations de jeunesse du parti unique, tout en conservant parfois une réelle autonomie permettant une critique virulente de la hiérarchie du parti ou de la SS, comme l’atteste le cas, très complexe, d’une personnalité comme Werner Haverbeck. Les études de sociologie prennent une tournure plus technique et abandonnent les prémisses des sciences écologiques, que les cercles qualifiables de « révolutionnaires-conservateurs » avaient commencé à aborder, notamment sous l’impulsion d’un discours, d’inspiration « tellurique », tenu par Klages à l’adresse des jeunes du mouvement « Wandervogel » en 1913. Giselher Wirsing, ancien du « Tat-Kreis », a dirigé la fameuse revue « Signal » pendant la seconde guerre mondiale, qui n’était pas inféodée au parti national-socialiste, contrairement à ce que l’on croit généralement. La revue, très moderne dans sa présentation pour l’époque, était européiste, et donc indirectement catholique comme l’était son rédacteur en chef qui dirigera la revue « Christ und Welt » dans les années 50. Elle ne véhiculait aucun nationalisme allemand stricto sensu.

Les tenants de la « révolution conservatrice » se retrouveront dans tous les camps : attentistes, immigration intérieure, émigration, adhésion au national-socialisme, service exclusif au sein des forces armées rétives à l’emprise du parti unique, résistance anti-hitlérienne, etc. Parmi les auteurs de l’attentat du 20 juillet 1944, Schulenburg, ancien ambassadeur du Reich en URSS, avait été un partisan de la bonne entente entre l’Allemagne et l’URSS, dans la perspective inaugurée par le diplomate von Brockdorff-Rantzau après la signature du Traité de Versailles ; Claus von Stauffenberg avait été lié au cercle des « Cosmiques » de Stefan George, rêvant d’une « Allemagne secrète », sublime, esthétique, un peu hiératique ; Hellmut von Moltke, arrêté suite à l’attentat manqué de juillet 1944 et traduit devant le « tribunal du Peuple », a amorcé un débat avec le juge Freissler, ancien communiste : son point de vue est celui d’un personnalisme chrétien, proche de celui défendu par les non-conformistes français des années 30, qui réclame à l’Etat de respecter l’autonomie de la personne responsable et liée à son peuple (et non de l’individu détaché de tout lien social fécond) ; Freissler défend, lui, la collectivité populaire, où la personne n’est rien et où seul compte le « tout », la totalité collective.

Le « Konservativismus » allemand après 1945

Après 1945, les fondements théoriques de la « RC », et leurs applications pratiques, ne disparaissent pas entièrement : seul le vocabulaire trop militant, trop proche de celui des nationaux-socialistes disparaît. La notion de « communauté populaire » soudée et solidaire est remplacée, surtout chez les démocrates chrétiens par l’idée d’« intégralisme », soit d’intégration de tous à la participation politique, sans lutte des classes inutile. Les théoriciens de cet intégralisme démocrate chrétien seront Hans Freyer (directement issu des rangs de la RC), Arnold Gehlen et Rüdiger Altmann (par ailleurs disciple de Carl Schmitt). Les chanceliers Adenauer et Ehrard en feront leur objectif politique, mutatis mutandis.On parlera aussi d’« Etat technique », pour éviter toute connotation idéologique rappelant trop lourdement le passé d’avant 1945. Dans la même foulée, on a tenté de cette façon de rejeter aussi le marxisme idéologique, en cherchant à se concentrer sur les tâches pratiques à réaliser dans un Etat allemand en pleine reconstruction, prélude immédiat au « miracle économique ». La gauche de l’Ecole de Francfort, avec Horkheimer et Adorno, concentre d’ailleurs ses critiques contre la « raison instrumentale » qui sous-tend la pratique de cet « Etat technique ». Alors que la RC était dans une large mesure hostile à l’emprise trop forte de la pensée technomorphe sur la vie politique, ses héritiers embarrassés de la démocratie chrétienne, dans les premières décennies de la République Fédérale, dépouillent leur propos de toutes références organiques ou théologiennes pour adopter un discours moderne, « technocratique », en accusant leurs adversaires socialistes et communistes de faire du passéisme idéologique, toute idéologie de la première moitié du 20ème siècle étant considérée, désormais, comme un reliquat encombrant et inutile, dont il fallait se débarrasser au plus vite. La gauche, elle, renouera avec l’anti-technocratisme de la RC et, même, plus tard, avec l’organicisme écologique quand apparaîtront les Verts sur la scène politique, qui se sépareront très vite des rescapés conservateurs de la pensée écologique, présents lors de la fondation du mouvement écologique actuel, poussant ainsi la famille politique « verte » dans le camp des gauches, ce qui n’était nullement prévu au départ.

Pour Rüdiger Altmann, c’est le « tout » qui doit primer et non les partis ou les parties dans une perspective « ordo-libérale », réhabilitée en France par le saint-simonien Michel Albert au début des années 90. Les événements de mai 68 ont eu pour effet de chasser des chaires universitaires tous les professeurs qui véhiculaient encore, dans leurs cours, des idées issues de la RC, sous des oripeaux technocratiques ou non. Dorénavant, toute forme de conservatisme sera assimilée, et bien souvent à tort, au fascisme ou au nazisme.Pour les gauches militantes et hyper-simplificatrices, dans le sillage d’Adorno, Horkheimer et Marcuse, toute pensée « affirmatrice », et donc posée comme non « critique », est grosse de dérives pouvant ramener, sur la scène politique allemande ou européenne, un nouveau « fascisme ».

Du coup, pour éviter ce reproche, les démocrates chrétiens édulcoreront leur technocratisme affirmateur, embrayeront à leur tour sur les discours néo-moralisants et eudémonistes préconisés par l’Ecole de Francfort ou, en France, par les « nouveaux philosophes ». Dès lors, tous les tenants d’autres discours deviendront en Allemagne des « apatrides politiques » (« politische Heimatlosen »), incapables de s’incruster dans une formation officielle, capable de garder une représentation politique et d’influer sur le devenir de la société. La scène conservatrice a été longtemps animée par le Baron Caspar von Schrenck-Notzing et sa revue « Criticon » (Munich), qui accordait à Armin Mohler 30% de la surface imprimée de la revue pour y exprimer ses visions jüngeriennes/nationales-révolutionnaires, rebaptisées « nouvelle droite » (« Neue Rechte »). De son côté, Bernhard Wintzek publiait en Allemagne du Nord la revue mensuelle « Mut », flanquée d’une petite maison d’édition aux titres excellents. L’historien et théologien protestant Karlheinz Weissmann, les publicistes Götz Kubitscheck et Ellen Kositza ont fondé la revue « Sezession » et les éditions « Antaios » qui poursuivent aujourd’hui l’œuvre de Schrenck-Notzing et de Mohler, hélas trop tôt décédés. Wolfgang Dvorak-Stocker, directeur des éditions « Stocker-Verlag » à Graz en Autriche, édite la revue « Neue Ordnung », tandis que le Dr. Hans-Dieter Sander, bientôt octogénaire, continue d’éditer à Munich sa revue « Staatsbriefe », dans une perspective plutôt « prussienne-nationale ». Les hebdomadaires « Junge Freiheit » (Berlin) et « zur Zeit » (Vienne), grâce à leur parution régulière, assurent une présence fréquente, bien qu’assez ténue, de l’idéologie néo-conservatrice dans le paysage médiatique allemand et autrichien. Avant son décès prématuré, Gerd-Klaus Kaltenbrunner, très actif, a sorti de six à huit volumes de monographies sur des auteurs ou des personnages politiques dont l’œuvre ou la geste méritent d’être retenues pour la postérité et a édité une série de livres collectifs et thématiques intitulée « Herderbücherei Initiative », qui n’a malheureusement pas été poursuivie. L’espace éditorial des « apatrides politiques » de la « droite » ( ?) allemande est prestigieux mais hélas réduit et même de plus en plus réduit, vu le décès de figures exceptionnelles comme Schrenck-Notzing, Mohler ou Kaltenbrunner : c’est aussi la rançon du ressac culturel général que l’Europe connaît aujourd’hui ; l’Allemagne le subit d’autant plus qu’elle est la victime d’une « rééducation » permanente initiée par les autorités occupantes américaines.

Benoît XVI et Peter Koslowski

L’élection l’an passé (2005) du Pape Benoît XVI, alias le Cardinal Joseph Ratzinger, a étonné plus d’un observateur des affaires vaticanes et inquiété les forces de gauche surtout celles qui s’activent fébrilement au sein même du catholicisme. Benoît XVI passe pour un « passéiste », pour un « ultra-conservateur ». Dans son entourage, en Allemagne, il y avait le philosophe Peter Koslowski, exégète remarquable d’Ernst Jünger, critique de toutes les formes de gnose qui rejettent le monde concret, critique également d’une postmodernité qui ne dépasse pas vraiment les lacunes de la modernité ; Koslowski plaide pour une vision de la liberté qui ne soit pas autonomie complète de l’individu isolé mais toujours celle d’une personne en lien avec autrui (« Bindung »). Pour Benoît XVI, la théologie (catholique) doit réhabiliter la cosmologie, réimbriquer l’homme et les sociétés humaines dans le « cosmos », développer un « théo-cosmologie », acceptant les idées chinoises de « tao » et indiennes de « dharma » mais rejetant toutes les formes extrêmes de gnose qui refusent la physis, le monde physique et charnel. Pour Benoît XVI, ces gnoses-là ne sont pas « chrétiennes » car le Dieu des chrétiens est devenu chair, s’est imbriqué dans la physis. Dans un dialogue avec Jürgen Habermas, Benoît XVI, alors encore Cardinal Joseph Ratzinger, rappelle que le citoyen doit obéir aux dirigeants de son pays et, s’il est catholique, ne pas se poser en révolutionnaire mêlant, dans ses discours et revendications, Vatican II et Mai 68. L’objectif que semble se fixer le nouveau pontife romain est de revenir à l’ontologique en l’homme. (PS de 2013 : ce programme initial de Joseph Ratzinger n’a pas pu se concrétiser ; est-ce cet échec qui a justifié sa démission ? Les futurs historiens critiques du Vatican nous l’apprendront…). 

Conclusion

Le filon catholique recèle donc des potentialités, mais uniquement sous l’impulsion de Benoit XVI ou de Peter Koslowski (note de 2013 : ce filon n’a pas pu être exploité, ce qui explique sans doute, pour une part, la démission de Benoît XVI et s’explique aussi par le décès prématuré du Prof. Peter Koslowski en 2012). Cette introduction a pour but de fusionner les traditions françaises et les traditions allemandes en matière de « révolution conservatrice », de montrer qu’elles se sont mutuellement influencées.Elle vise aussi à réhabiliter la notion de « Sozialkonservativismus », arc-boutée sur l’œuvre sociologique et politique de Lorenz von Stein : un « conservatisme », à l’heure du triomphe total du néo-libéralisme, ne saurait défendre un « Etat veilleur de nuit » ni demeurer en marge des nécessités sociales, surtout quand se déploient une nouvelle pauvreté et de nouvelles exclusions, imposées par les forces sous-jacentes et sournoises que Balzac déjà décrivait comme dissolvantes.Ensuite, la nécessité de revenir à « l’ontologique » dans l’homme et de lutter contre les nouvelles formes de gnoses irréalistes sont aussi des axes de combat politiques et métapolitiques qu’il ne faut en aucun cas ignorer, même s’il faut les soustraire à l’emprise de toute machine cléricale ou de tout corset confessionnel.

Robert Steuckers.

(Conférence élaborée à Virton, Arlon et Anvers, mars 2006 ; rédaction finale, novembre 2013).

mercredi, 13 novembre 2013

Paris, Colloque de “Maison Commune” - Interventiosn de L. Ozon et R. Steuckers

Intervention de Laurent Ozon

Le "mariage pour tous" est une guerre de quatrième dimension

Paris, Colloque de “Maison Commune”

28 septembre 2013

Intervention de Robert Steuckers

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Quand le mystérieux “Enyo”, qui tire son pseudonyme de la déesse grecque des batailles, publiait son livre intitulé “Anatomie d’un désastre” en mars 2009 (1), il entendait stigmatiser l’incohérence d’une politique occidentale, euro-américaine, face à ce “rimland” islamisé du grand-continent eurasiatique, à cette frange littorale, océanique mais très souvent de grande profondeur continentale, qui s’étend du Maroc à l’Indonésie. Les “printemps arabes” n’avaient pas encore eu lieu ni la destruction de la Libye. A l’heure actuelle, le désastre est encore plus profond. Il affecte directement notre plus proche périphérie méditerranéenne, les tragédies récurrentes de Lampedusa et d’ailleurs l’attestent. Les Etats-Unis s’en fichent: le fossé atlantique les sépare du chaos qu’ils ont délibérément créé à nos portes, en Tunisie, en Libye, en Egypte et en Syrie.

Instruments de l’hegemon dans sa volonté de créer ce désordre permanent, les fanatiques religieux participent allègrement à la genèse de ce chaos car ils refusent la complexité et les contradictions du monde. Ils ne cherchent pas à les harmoniser, à générer une féconde “coïncidentia oppositorum” (2). Quand on parle aujourd’hui de fanatisme religieux, on pense immédiatement au salafisme ou au wahhabisme. Et on oublie la tout aussi virulente “théologie puritaine” qui sous-tend le fanatisme américain, né aux 16ème et 17ème siècles d’un refus du Vieux Monde européen, de ses synthèses, de sa nostalgie féconde de l’antiquité grecque. L’histoire de ce refus, les travers d’un fanatisme protestant ont été maintes fois esquissés (3). Plus fréquemment toutefois, on a zappé, oublié, la transformation de ce fanatisme en un “rationalisme” intransigeant qui veut tout autant faire du passé table rase (4). Les “Lumières” américaines, françaises et mitteleuropéennes, voire celtiques (irlandaises, galloises et écossaises), n’ont pas le même arrière-plan culturel, alors qu’elles ont toutes, à titres divers, contribué à façonner les sociétés occidentales modernes: les unes ont inventé un rationalisme éradicateur comme le puritanisme ou le jansénisme avaient été des purismes délirants en marge des continuités historiques anglaises ou françaises (5); les autres ont mis le rationalisme au service d’un retour à des racines, jugées plus libertaires ou mieux inscrites dans leur histoire nationale (6), permettant de la sorte l’éclosion de syncrétismes fructueux. Aujourd’hui, nous faisons face à l’alliance calamiteuse de deux fanatismes religieux: le wahhabisme, visibilisé par les médias, chargé de tous les péchés, et le puritanisme américain, camouflé derrière une façade “rationnelle” et “économiste” et campé comme matrice de la “démocratie” et de toute “bonne gouvernance”.

Mais que nous ayons affaire à un fanatisme salafiste ou hanbaliste (7) qui rejette toutes les synthèses fécondes, génératrices et façonneuses d’empires, qu’elles soient byzantino-islamiques ou irano-islamisées ou qu’elles se présentent sous les formes multiples de pouvoir militaire équilibrant dans les pays musulmans (8), ou que nous ayons affaire à un fanatisme puritain rationalisé qui entend semer le désordre dans tous les Etats de la planète, que ces Etats soient ennemis ou alliés, parce que ces Etats soumis à subversion ne procèdent pas de la même matrice mentale que lui, nous constatons que toutes nos propres traditions européennes dans leurs facettes aristotéliciennes, aristotélo-thomistes, renaissancistes ou pagano-renaissancistes, sont considérées par ces fanatismes contemporains d’au-delà de l’Atlantique ou d’au-delà de la Méditerranée comme des émanations du Mal, comme des filons culturels à éradiquer pour retrouver une très hypothétique pureté, incarnée jadis par les pèlerins du “Mayflower” ou par les naturels de l’Arabie du 8ème siècle (9).

Les fanatismes rationalisés de l’hegemon américain bénéficient de complicités, de relais, au sein même de notre “Maison Commune” européenne, que ce soit dans les milieux médiatiques ou dans les milieux économiques ou encore dans les établissements d’enseignement, les héritiers de ceux dont Nietzsche doutait déjà de la pertinence. Ces complicités peuvent prendre le masque du gauchisme échevelé ou du technocratisme néo-libéral, selon la seule alternance binaire qui, finalement, est encore tolérée —gauche/droite, libéralisme/sociale-démocratie— par les médias contrôlants et surveillants qui nous vendent cette alternance monotone, génératrice d’oligarchies inamovibles, comme unique “bonne gouvernance”. Ces complicités se nichent dans ces trois milieux-clefs —médias, économie, enseignement— et participent à l’élimination graduelle mais certaine des assises idéologiques (au sens dumézilien du terme), des fondements spirituels et éthiques de notre civilisation. Les uns oblitèrent les résidus désormais épars de ces fondements en diffusant une culture de variétés sans profondeur aucune (10), les autres en décentrant l’économie et en l’éclatant littéralement par les pratiques de la spéculation et de la délocalisation (11), les troisièmes, en refusant l’idéal pédagogique de la transmission (12), laquelle est désormais interprétée comme une pratique anachronique et autoritaire, ce qu’elle n’est certainement pas au sens péjoratif que ces termes ont acquis dans le sillage de Mai 68 (13).

Pourtant ce n’est pas un philosophe considéré aujourd’hui comme “autoritaire”, au sens où l’entend l’Ecole de Francfort, qui a, le premier, énoncé l’idée d’une émergence de valeurs fondatrices lors d’une “période axiale” de l’histoire. Ce philosophe est le brave existentialiste protestant Karl Jaspers, qui n’a eu aucune tentation totalitaire entre 1920 et 1945 (14). Pour Jaspers, entre 600 et 450 avant l’ère chrétienne, les idées fondatrices des grandes civilisations ont émergé dans l’histoire, pour se perpétuer jusqu’aux débuts de l’ère contemporaine. L’archéologie, l’exploration des époques dites proto-historiques ont permis de cerner avec davantage de précision ce qu’étaient les cultures humaines génératrices de cette émergence de valeurs, jugées indépassables jusqu’à l’avènement d’une certaine modernité —mais pas de toutes les modernités, de toutes les “Lumières”. Certaines “Lumières” insistent sur les racines et ne retiennent pas l’idée d’une “table rase” (15), comme étape nécessaire de l’histoire, avant l’avènement d’une très hypothétique ère définitive de bonheur et d’harmonie. Karen Armstrong, dans “The Grand Transformation” (16) poursuit la quête de Jaspers et précise ce qu’ont été ces périodes axiales, en s’appuyant sur toutes les sciences archéologiques, ethnologiques et anthropologiques contemporaines. La Grèce, l’Inde védique et l’Iran avestique, la Chine, le monde hébraïque ont tous connu leur “période axiale”; sauf pour l’Europe, héritière de la Grèce et de Rome, ces valeurs nées à la “période axiale” connaissent encore et toujours des avatars actuels. L’Inde et la Chine, puissances émergentes du BRICS, doivent à ces valeurs leur solidité et surtout leur sortie hors des marasmes dus au colonialisme britannique (17) ou à une longue période de ressac particulièrement calamiteuse au 19ème siècle (18).

Pour résumer l’effacement des valeurs classiques en Europe, disons que l’Aufklärung, avec sa tradition révolutionnaire, que la sclérose des études classiques où l’on ne percevait plus le caractère dynamique et dionysiaque de l’hellénité pour n’en retenir qu’une caricature figée d’apollinisme, ensuite, l’engouement techniciste et, enfin, le choc du soixante-huitardisme fabriqué dans les officines de la subversion aux Etats-Unis (19), ont jeté aux orties les valeurs issues de la “période axiale”, posée en hypothèse par Jaspers et explorée à fond par Karen Armstrong au cours de la première décennie du 21ème siècle.

Le rejet définitif de l’enseignement du grec et du latin puis l’imposition de la “correction politique” par les médias et les nouveaux pédagogues ont scellé notre destin: nous avons rejeté nos valeurs ancestrales, nous avons abandonné l’esprit renaissanciste, comme le reprochait Julien Freund à l’Europe de la seconde moitié du 20ème siècle (20). Cet abandon conduit à l’impolitisme (21) car une civilisation qui ne s’aime plus et ne veut plus reproduire son “mos majorum” entre irrémédiablement en déclin. Que l’on soit un décisionnare quiritaire à la mode caudilliste des années 30 ou un démocrate non amnésique qui se souvient du bon fonctionnement des “res publicae” romaines, on sait que la démocratie acclamative ou représentative a besoin des sciences humaines, ou plus exactement des traditions spirituelles, du “mos majorum”, comme le démontre la philosophe américaine Martha Nussbaum, professeur à Chicago, professeur honoris causa à Utrecht et à Louvain (KUL). Martha Nussbaum respecte le vocabulaire usuel qu’admet encore la “correction politique”; elle se soustrait ainsi à toute critique voire à tout lynchage médiatique. Dans son ouvrage largement diffusé en Flandre et aux Pays-Bas (“Niet voor de winst – Waarom de democratie de geesteswetenschappen nodig heeft”) (22), Martha Nussbaum dénonce la crise qui a secoué l’enseignement de fond en comble au cours de ces quatre dernières décennies: l’art grec d’observer le monde tel qu’il est, d’en comprendre les flux et les mécanismes, l’art critique au sens premier et positif du terme, l’art critique qui forme le “zoon politikon” (plutôt que le terme aujourd’hui galvaudé de “citoyen”) a complètement disparu sous les coups de butoir d’un économisme utilitariste qui ne vise plus qu’à former sans trop d’effort, sans aucune profondeur, des êtres appelés seulement à consommer ou à faire fonctionner des rouages abstraits et contrôlants donc liberticides. Cet utilitarisme-consumérisme s’est accompagné d’un discours anti-autoritaire, tablant sur une acception falsifiée et subversive de l’art grec de la critique (23). L’autorité, qui n’est pas définissable a priori comme pouvoir absolu, a été battue en brèche, posée comme intrinsèquement perverse, dangereuse et, bien sûr, “fasciste” selon les thèses boîteuses d’Adorno (24). Derrière ce discours anti-autoritaire propagé dans le sillage de Mai 68, des pouvoirs bien plus lourds s’installaient, beaucoup plus difficilement contournables: ceux de l’argent et de la sophistique médiatique.

Les pratiques pédagogiques anti-traditionnelles, des-hellénisées, déconnectées des valeurs instaurées lors de la période axiale de notre histoire, se sont penchées exclusivement sur des “compétences” soi-disant “utiles” à l’exercice d’un “boulot à la con”, d’un “bullshit job” pour homme unidimensionnel (25). Résultat: la capacité d’empathie pour autrui, ou pour toute altérité collective, s’évanouit, que ce soit l’empathie pour le concitoyen proche ou pour le ressortissant d’un espace géoculturel lointain travaillé par d’autres valeurs nées lors d’une autre période axiale de l’histoire dans une autre aire géographique. Sous les coups de ce discours soi-disant anti-autoritaire et de cette déplorable praxis pédagogique utilitariste, la capacité des Européens à comprendre à fond les grandes dynamiques à l’oeuvre sur l’échiquier géopolitique planétaire est réduite à néant: les quelques voix qui proposent aujourd’hui une vision réalitaire, historique et alternative sur les conflits qui ravagent le rimland de Tunis à Rawalpindi, sont autant de “voces clamantes in deserto”. Le discours médiatique, profitant des arasements produits par le bricolage philosophique anti-autoritaire d’Adorno et profitant des ravages commis par les pédagogues utilitaristes, impose sa seule et unique vision, empêchant les décisionnaires politiques de faire les bons choix, des choix forcément différents de ceux de l’hegemon, pour le Bien Commun de notre Maison Commune européenne. Quand Martha Nussbaum déplore la perte catastrophique des capacités qu’offrait l’art critique grec, déduit des valeurs de la période axiale de l’histoire hellénique, elle ajoute que c’est une menace pour la “démocratie”. C’est là un langage américain: nous dirions plutôt une menace pour la “Cité”, vocable plus classique, soit une Cité qui, pour moi, n’est démocratie qu’aux seuls modes helvétique ou scandinave (26) quand tout va bien, qui use toutefois de l’autorité quand le danger pointe à l’horizon. Les autres acceptions de la “démocratie” ne sont en rien démocratiques, façon vieille-hellénique, ne sont rien d’autre qu’un écran de fumée pour camoufler des dictatures non personnelles masquées, des dictatures “oligarchisées” (Robert Michels), qui confisquent la parole aux peuples.

Pour Martha Nussbaum, comme d’ailleurs pour d’autres observateurs du désastre actuel, tels les psychiatres et neurologues De Wachter en Flandre (27) et Spitzer en Allemagne (28), l’impératif majeur aujourd’hui est de revaloriser les matières scolaires, les disciplines non utilitaires, toutes avatars des valeurs de la période axiale. Elles seules peuvent ressusciter le “zoon politikon”, donc rétablir le politique après avoir balayé les facteurs et les fauteurs d’impolitisme ou, pire, de basculement dans des formes nouvelles de pathologie mentale collective (De Wachter).

Plusieurs études, qui étayent désormais les soupçons épars émis par des voix clamant généralement dans le désert, ont démontré que l’OSS américaine avait organisé délibérément cette catamorphose européenne, dès le réveil de l’Allemagne avec le miracle économique et dès le réveil de la France gaullienne d’après 1963. C’est là un thème à explorer impérativement en séminaire dans nos cercles respectifs: cela aurait pour but de comprendre la généalogie de notre misère et de saisir les mécanismes et les travestissements de la véritable subversion qui a provoqué et entretenu notre déréliction systématique.

L’objectif de Washington, et c’est normal pour tout hegemon, est de diviser pour régner, ou, avec la logique dérivée d’une bonne lecture de Sun Tzu, de faire imploser toute politie étrangère, ennemie ou alliée, pour qu’elle perde toute “épine dorsale” (Ortega y Gasset) (29) ou toute autonomie politique. L’objectif, plus concrètement dans le cas européen, a été de rendre inopérant le tandem franco-allemand de 1963, de réduire le marché Commun puis l’UE au nanisme politique, d’empêcher toute coopération énergétique entre l’Allemagne et la Russie, que celle-ci ait été soviétique ou soit désormais dé-soviétisée, entre le binôme franco-allemand et l’Iran, que celui-ci ait été impérial ou soit désormais islamo-révolutionnaire.

L’Europe dans un tel contexte et face à cette stratégie efficace et triomphante (jusqu’ici) a dû renoncer à la force et se contenter d’appliquer scrupuleusement la norme, comme le démontre le politologue Zaki Laïdi (30). L’Europe, pour Laïdi, c’est donc “la norme sans la force”, dans un environnement global où Américains, Russes, Indiens et Chinois affirment clairement leur souveraineté nationale, plutôt leur souveraineté subcontinentale ou civilisationnelle. Les Européens refusent la Realpolitik. Les autres l’acceptent et la pratiquent. Pourquoi? Quelle est la genèse de cette situation? D’emblée, dès 1951 et 1957, les Européens ont cherché à dévitaliser les souverainetés nationales pour éviter qu’elles ne provoquent encore des guerres désastreuses. Bonne idée, en principe, mais la souveraineté continentale n’a pas suivie: elle a été rejeté au même titre que toute souveraineté nationale, nous plongeant tous dans un no man’s land impolitique parce qu’incapable de poser une décision suivie d’effets concrets. Pour parvenir à ce rejet complet, les Européens —je devrais dire les “eurocrates”— ont inventé un “modèle coopératif stable”, circonvenant, par un jeu de normes contraignantes, la souveraineté des Etats. Celle-ci ne se laisse toutefois pas escamoter aussi vite.

En effet, cette pratique molle, impolitique, castratrice d’énergies vitales a conduit à des divergences rédhibitoires au sein de cette Europe qui reste malgré tout plurielle voire disparate: la France et la Grande-Bretagne demeurent encore très statocentriques, c’est-à-dire revendiquent encore une certaine souveraineté nationale, parfois marquée de quelque grandiloquence, toujours un peu hostile à la Commission, mais seulement quand ces pauvres velléités souverainistes arrangent l’hegemon, comme dans l’affaire libyenne de 2011, où les Etats-Unis n’avaient nulle envie de budgétiser une intervention coûteuse, suite aux ratés d’Afghanistan et d’Irak. L’Allemagne, vaincue en 1945, travaillée au corps par la réactualisation permanente de toutes les initiatives subversives de l’OSS, est l’Etat le plus puissant économiquement parlant de notre sous-continent, mais il est celui qui, officiellement, est le plus éloigné de la Realpolitik traditionnelle des Etats-Nations, tout en revendiquant un siège au Conseil de sécurité de l’ONU (ce qui peut paraître contradictoire) et en menant une politique énergétique tournée vers la Russie sous l’impulsion de ses deux derniers chanceliers socialistes, Helmut Schmidt et Gerhard Schroeder (31). L’UE ne présente donc pas, face au reste du monde, face à des puissances comme l’Inde ou la Chine, un modèle unitaire cohérent, en dépit de ce fétichisme habermassien de la norme (32), que tous les eurocrates partagent officiellement mais qui n’est que l’instrument d’une dissolution de toute souveraineté, qu’elle soit nationale ou supranationale, au sein d’une Europe dont on voudrait qu’elle n’affirme jamais plus la moindre souveraineté continentale. Tel est le sens du discours que l’ex-“Krawallo” gauchiste puis politicien pseudo-écologiste Joschka Fischer, devenu ministre des affaires étrangères de la RFA, avait prononcé en 2000 à la veille de l’introduction de l’euro. L’Allemagne, dans ce discours de Fischer, se déclarait prête à se dissoudre dans l’ensemble européen “normo-centré” et pacifique et appelait ses partenaires européens à en faire autant.

Face à cette volonté de renoncer à toute Realpolitik et à toute forme de souveraineté affirmatrice, les Etats-Unis de Bush II, par la voix du néo-conservateur Robert Kagan (33), réaffirmaient leur position hobbesienne, celle d’être sur l’échiquier global, un LEVIATHAN hégémonique capable d’inspirer la terreur (“awe”) au monde, qui, soumis par la peur, devait, ipso facto, s’aligner sur les ordres donnés par Washington, faute de quoi, il subirait les foudres du Leviathan surarmé. Si l’option normative de l’Europe a donné jusqu’ici au nanisme politique européen le bien-être matériel et la puissance économique et a conservé pour les citoyens de l’Union un système de sécurité sociale inégalé ailleurs dans le monde, une question angoissante se pose désormais, au vu de la crise grecque, espagnole et portugaise, au vu de la fragilité de la France, de l’Irlande et de la Belgique, au vu de la bulle spéculative immobilière qui menace le triple AAA des Pays-Bas; cette question, pour Laïdi, est la suivante: l’Europe a-t-elle les moyens de défendre son modèle social, culturel et environnemental dans un monde globalisé, qui plus est, dérégulé par le néo-libéralisme, par les délocalisations, un monde toujours changeant où ne se renforcent que les seules puissances qui pratiquent souverainement une forme ou une autre de néo-colbertisme? A long terme, bien évidemment, la réponse est négative!

La norme, censée gommer les conflits inter-étatiques intérieurs et générer un vaste consensus social sur base du modèle bismarckien et social-démocrate de sécurité sociale, va subitement apparaître comme un facteur de contrainte ne permettant plus aucune innovation, plus aucune audace politique, plus aucune tentative de déblocage. Ida Magli, anthropologue et essayiste italienne, chroniqueuse au quotidien de centre-gauche “La Repubblica”, professeur à l’Université de Rome, constate avec amertume et avec colère que, depuis 2007, toutes les promesses de l’UE, de faire advenir inexorablement, par la “bonne politique normative”, une Europe juste, se sont évanouies (34). Cet évanouissement a transformé la bonne politique habermassienne, néo-kantienne, en une politique non plus démocratique, idéalement démocratique, mais en une politique censurante et camouflante, où l’on occulte le désastre aux citoyens, parce qu’on ne veut pas avouer l’échec patent des machineries politiques libérales, démocrates-chrétiennes et socialistes, qui donnent le ton à Bruxelles et à Strasbourg. Pour Ida Magli, partisane des souverainetés nationales et avocate d’une revalorisation de la souveraineté nationale italienne, l’UE a démontré son inutilité puisqu’elle n’a pas réussi à éviter la crise (de l’automne 2008) et ses effets déliquescents. Evacué graduellement de l’horizon européen, le monde (im)politique officiel, à tous les échelons, se tait face au putsch des banquiers et des économistes. Ce monde (im)politique est désormais le “Grand Muet” sur les planches du théâtre continental. A court ou moyen terme, il n’y a pas, il n’y aura pas, de triomphe démocratique pour le “zoon politikon” comme l’espèrent encore les lecteurs de Martha Nussbaum: au contraire, nous assistons au triomphe d’une fausse démocratie qui bétonne le gouvernement de quelques oligarques et des banquiers de la BCE (Banque Centrale Européenne).

Ce processus involutif a démarré le 2 mai 1998, lorsque l’on a décidé de créer l’Union Monétaire Européenne, prélude à l’introduction de l’euro. Ida Magli n’y voit pas seulement l’amorce d’une fragilisation de l’Europe, sous la férule d’une monnaie unique, non appuyée sur des éléments économiques concrets, qui auraient été également répartis au sein de tous les Etats européens. Cette disparité implique des transferts Nord-Sud, empêchant notamment de consacrer des budgets à une défense commune ou à une politique souveraine de présence satellitaire dans l’espace circumterrestre. Cette disparité permet aussi l’usage d’une arme bien particulière tirée de la panoplie des “guerres de quatrième dimension”: la spéculation contre les Etats fragiles. On n’a pas hésité à l’utiliser contre la Grèce ou contre l’Espagne dans le but avéré de nuire à l’Europe toute entière et à sa monnaie commune. La politique normativiste et anti-souverainiste a donc conduit à la lente mais inexorable désintégration de l’ensemble européen, dont les responsables politiques sont inféodés aux idéologies et aux partis dominants, désormais faillis et bien faillis. Cette désintégration a lieu au moment où s’affirment justement les ensembles continentaux et civilisationnels qui n’ont nullement renoncé à exercer leur souveraineté. L’Europe de la norme n’est donc pas prête à affronter les aléas du 21ème siècle. Qui pis est, des sondages effectués en mars 2013 par le “PEW Research Global Attitudes Projet” a montré que les Européens ont désormais perdu toute confiance en l’UE, en ses dirigeants aux niveaux national et européen. Au lieu d’être centripète, la politique normativiste menée jusqu’ici, s’avère bel et bien centrifuge: nous allons tous perdre du poids politique dans les décennies à venir, au profit de ceux qui n’ont renoncé ni au politique ni à la souverainté, conclut notre ami espagnol Eduardo Arroyo (35). Cette analyse pessimiste d’un européiste convaincu, animé par la pensée d’Ortega y Gasset, est corroborée par celle de l’Allemand Willy Wimmer (36), ancien secrétaire d’Etat à la défense de la RFA et membre de la CDU, parti pourtant en faveur de l’alliance atlantique inféodée aux Etats-Unis. Les révélations de Snowden ont eu pour effet d’arracher à l’Occident atlantiste, c’est-à-dire à la nouvelle entité américano-centrée depuis 1945, à l’américanosphère, le beau rôle qu’elle s’était toujours donné: celui d’être le réceptacle et l’exportatrice de l’idéal de liberté et des droits de l’homme. Ce sont la Chine et la Russie qui ont protégé Snowden, protégé son droit à la dissidence, rappelle Wimmer. Derrière le masque “démocratique”, affiché par les Etats-Unis et Obama, se profilait la rage de tout contrôler par le truchement de la NSA. Pire: les révélations de Snowden montrent clairement désormais que, depuis la Doctrine Clinton, les “alliés” n’étaient pas vraiment considérés comme tels mais, plus prosaïquement, comme des “alien audiences” qu’il convenait de surveiller et d’espionner, et surtout, au sein de ces “alien audiences”, les entreprises appartenant aux secteurs que l’économie américaine jugeait prépondérants (ou stratégiques).

Wimmer, membre de la CDU pro-occidentale, constate dès lors que la clause des “Etats ennemis” de la Charte des Nations-Unies (37) est toujours en vigueur, en dépit de l’adhésion fidèle de la RFA à l’OTAN! Cette clause frappe l’Allemagne, le Japon, la Finlande, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie et l’Italie et frappait aussi, dans un premier temps, la Thaïlande, qui est le seul pays de la liste à avoir perdu le statut d’ “Etat ennemi” des Nations-Unies. Rien n’a été prévu pour que le Japon et les autres Etats de la liste, tous européens, notons-le bien, le perdent un jour définitivement. Prenons une carte muette de l’Europe et colorions l’espace occupé par les “Etats ennemis des Nations Unies”: par ce simple petit exercice d’écolier, nous constaterons quelle fraction importante du territoire de notre continent, dont son centre géographique de la Baltique à la Sicile, est privée de toute souveraineté réelle, vu l’article 107 de cette clause dite des “Etats ennemis”, que ne dénoncent jamais les médiacrates et leur valetaille qui se piquent de gauchisme ou d’anti-impérialisme!

Wimmer constate aussi que deux mille collaborateurs actifs de la CIA résident en Allemagne et que de nombreux anciens agents de la STASI ont été recrutés par les Américains. Le système d’espionnage Prism, révélé par Snowden, n’est pas plus surprenant que celui, découvert il y a une dizaine d’années, ECHELON, sauf que les féaux de la CDU, à commencer par Angela Merkel, sont aujourd’hui directement espionnés, même dans leur vie privée, et s’en offusquent. Wimmer en conclut dès lors que les Etats-Unis imposent, comme naguère l’URSS de Brejnev, un système de “souveraineté limitée” pour ses “alliés”. Notre souveraineté est donc limitée parce que nous n’avons pas cherché à mener une Realpolitik et parce que nos capacités industrielles et économiques indéniables n’ont pas été mises en oeuvre pour acquérir une maîtrise au moins partielle de l’espace circumterrestre afin de nous doter d’un système satellitaire adéquat, capable de rivaliser avec celui des Américains. Du coup, le système normatif, pour lequel nos dirigeants indignes ont opté en se drapant dans la toge du “bon démocrate” vole en éclats, précise Wimmer, car la liberté individuelle ou, plus exactement, le droit au secret des organes politiques européens et surtout de nos entreprises de haute technologie est désormais inexistant. Ces espaces politiques et industriels sont aujourd’hui totalement pénétrés et, de ce fait, pillés. Cela rend tout colbertisme européen impossible. Le normativisme, couplé à un libéralisme plus anglo-saxon qu’européen, créait l’illusion d’une liberté individuelle conforme en apparence à l’esprit de certaines Lumières mais générait simultanément un état de faiblesse catastrophique face à l’hegemon américain qui se déclarait officiellement incarnation de ce même esprit, tout en pratiquant une politique colbertiste, renforcée depuis Clinton, à l’aide de ses équipements satellitaires hyper-performants.

Par ailleurs, l’OMC, la Banque Mondiale, le GATT et le FMI ont été autant d’instruments pour affaiblir toutes les économies du monde, appelées à se dé-colbertiser, sauf celle de l’hegemon qui restait en coulisses parfaitement colbertiste. Pour l’activiste politique hispano-catalan Enrique Ravello (38), c’est l’Europe, marquée jadis par diverses formes de colbertisme, qui sera le principal dindon de la farce, la zone la plus défavorisée par les politiques préconisées par l’OMC depuis 1986-1993, parce que l’UE a accepté de démanteler ses défenses face aux politiques extra-européennes de dumping social et économique qui permettent de déverser sur nos marchés des marchandises produites selon des critères bien moins rigoureux que ceux appliqués aux entreprises de chez nous. La dynamique, lancée par l’OMC est donc double, précise Ravello: on crée simultanément un marché mondial et on appauvrit délibérément les économies européennes —celles, au fond, de l’ennemi principal de l’hegemon— en profitant de la vacuité intellectuelle et de l’indigence politique et idéologique des dirigeants actuels de l’Europe. Les économies européennes sont désormais ouvertes à tous vents. Le Traité de libre commerce entre les Etats-Unis et l’Europe, que l’on est en train de nous concocter, va encore accentuer cette double dynamique, dénoncée par Ravello. En effet, le texte du projet dit explicitement en des termes “bonistes”, comme d’habitude: “une association étroite et transatlantique est un instrument-clef pour favoriser une mondialisation basée sur nos valeurs communes, dans la perspective d’un ordre mondial équilibré sur les plans politique et économique; il renforce par ailleurs le processus d’intégration économique transatlantique par le biais de la création d’un Conseil Economique Transatlantique”.

Cette idée d’un “Conseil Economique Transatlantique” a reçu l’aval de Cameron, Merkel et Hollande qui, ipso facto, acceptent que soient abolies les restrictions européennes sur l’importation et la commercialisation de produits OGM, que soit pratiqué l’abaissement de tous les seuils protecteurs contre lesquels butent encore Google, Facebook ou Amazon, que les exportateurs américains obtiennent des dérogations face aux législations en matière d’écologie! La création de ce CET ne reçoit guère l’attention des médias. Pour nous, c’est clair: on cherche à nous l’imposer subrepticement, à l’escamoter à ce qui pourrait nous rester de sens critique. Ce traité de libre commerce entre l’UE et les Etats-Unis aura des conséquences catastrophiques sur la santé économique et la qualité de vie des classes moyennes et populaires en Europe, alors que celle-ci est déjà fortement battue en brèche. De plus, pour parachever l’horreur qui frappe à nos portes, le traité interdira tout monopole des services publics en matière de santé, privera l’Europe normativiste de son plus beau fleuron, la sécurité sociale la plus performante du monde et dont plusieurs catégories de la population usent et abusent en la rendant fort fragile en temps de crise.

La classe dirigeante européenne a donc trahi ses électeurs: il est temps, dès lors, et nous sommes ici pour cela, de changer de paradigmes politiques dans les domaines social, écologique et identitaire, déclare Ravello.

Quant au correspondant européen du journal italien Rinascita, Andrea Perrone (39), il rappelle, dans la foulée de ce projet de CET, que l’UE a raté une autre occasion: elle n’a pas réussi à créer une agence de rating européenne, laissant le terrain aux seules agences américaines Standard & Poor et Moody & Fitch, qui travaillent bien entendu pour le compte exclusif de leurs investisseurs américains, lesquels spéculent évidemment sur la faiblesse de leurs homologues européens potentiels.

Autre incongruité du machin qu’est devenue l’UE: les banques fragilisées pourront désormais être sauvées par les fonds du “Mécanisme de Stabilisation Européen” (MSE) et ces opérations resteront secrètes! Autrement dit, c’est le contribuable européen qui paiera pour les jeux risqués joués par les banquiers! Le culte fétichiste de la norme a donc conduit tout droit à l’usurocratie! N’a pas constitué le barrage nécessaire à l’usurpation du pouvoir réel par les banquiers et les spéculateurs! Et cela, en dépit des promesses qui avaient été faites solennellement, par les eurocrates, lors du Traité de Maastricht en 1993. Ce système secret risque de ruiner les assises industrielles de l’Italie, de la France et de l’Espagne et, au bout du compte, celles de l’Allemagne également qui perdra ses principaux débouchés en Europe occidentale. La crise n’a pas été évitée, comme on l’a prétendu, elle a été renforcée dans ses aspects négatifs pour la population, renforcée par des dispositifs qui vont perpétuer ses effets sur un plus long terme. Tout simplement. L’usurocratie en marche parie sur l’amnésie des masses flouées. Le problème reste en effet toujours structurel: la fragilisation du flanc sud de l’Europe oblige les Etats encore performants du Nord à pratiquer des transferts qui les fragilisent à leur tour et ne permettent plus autant d’investissements dans la défense, les secteurs de pointe, la Recherche & Développement dans le domaine des hautes technologies et de l’espace. En Finlande, je le rappelle, Nokia n’est déjà plus finlando-scandinave mais multinationale au sens voulu par les globalistes. Avec le CET, on pourra toujours acheter américain: le Plan Marshall de la fin des années 40 devient réalité (40); l’Europe étant redevenue un marché pénétrable, comme à l’époque de la défaite germano-italienne et de la ruine du reste du continent (41). Nous voilà donc revenus à la case départ!

La globalisation, c’est donc le maintien de l’Europe, et de l’Europe seule, en état de faiblesse structurelle permanente. Et cette faiblesse structurelle est due, à la base, à un déficit éthique entretenu, à un déficit politique et culturel. Il n’y a pas d’éthique collective, de politique viable ou de culture féconde sans ce que Machiavel et les anciens Romains, auxquels le Florentin se référait, appelaient des “vertus politiques”, le terme “vertu” n’ayant pas le sens stupidement moraliste qu’il a acquis, mais celui, latin, de “force agissante”, de “force intérieure agissante”, étymologiquement apparentée à d’autres termes comme “vis”, la force, ou “vir”, l’homme mûr justement animé par la force physique et morale qui sied à un “civis”, à un citoyen romain, à un “zoon politikon”.

Stuart Miller, un observateur américain, un anthropologue, qui était naguère venu nous observer comme on observe des lynx roux ou des phacochères dans la réserve tanzanienne du Serengeti, énumérait ces forces qu’il voyait encore agissantes chez ses interlocuteurs européens, des forces qui avaient fait l’excellence de l’Europe (42). D’abord, disait-il, avec un optimisme que je ne partage plus, les Européens ont encore des “visages”, des caractères; ils sont capables de discuter avec une certaine profondeur de politique ou de thématiques culturelles originales, qui, souvent, relèvent de notre propre inaliénable, alors que l’Américain, prélude de tous les hommes de demain pour les tenants de l’idéologie globaliste, est un être changeant au gré des influences extérieures, des modes et des productions médiatiques, qui croit qu’il peut devenir n’importe quoi en utilisant des techniques diverses. Stuart Miller ne se fait pas d’illusion, ce “caractère” européen est un résidu, de moins en moins consistant, de la mentalité “éristique” ou “agonale” de l’Européen, l’adjectif “éristique” étant dérivé du grec ancien “eristikos”, soit “celui qui aime la palestre”, qui est prompt au combat (intellectuel), à la “disputatio” philosophique, bref un esprit critique, figure dont Martha Nussbaum espère le retour, même aux Etats-Unis, même si ces attitudes éristiques écornent le consensus béat d’une Amérique abreuvée aux sources fétides de la médiacratie et font émerger des positions philosophiques empreintes de pessimisme et de cynisme (préludes à une action “katéchonique”, mue par la volonté et consciente de sa dimension tragique). Ce pessimisme et ce cynisme, prêtés aux vrais Européens, pourraient alors s’avérer vertus contestatrices, freiner les effets néfastes des “mauvaises politiques impolitiques” (Julien Freund) —bien ancrées dans les vilaines habitudes normativistes— amorcer un bouleversement complet.

L’arme principale qui est dirigée contre l’Europe est donc un “écran moralisateur, à sens unique, légal et moral, composé d’images positives, de valeurs dites occidentales et d’innocences soi-disant menacées, pour justifier des campagnes de violence politique illimitée”, déclare le non-conformiste australien John Pilger (43), en ajoutant que cet “écran moralisateur”, diffusé par les média du “mainstream”, est “si largement accepté qu’il est pratiquement inattaquable”. C’est donc lui, cet écran posé comme inattaquable, que ceux qui se dressent, en Europe et ailleurs, doivent attaquer, dans un travail inlassable et patient. Cet “écran moralisateur” est le joujou de ceux que Pilger nomme, dans son langage d’homme de gauche, les “progressistes réalistes”, terme sans doute malheureux car, dans notre propre logique, nous préférerions les nommer les “progressistes médiacratiques”, utilisant l’écran irréel de leurs propagandes inconsistantes pour imposer au monde des systèmes de fausse et de mauvaise gouvernance qui ne génèrent que le chaos, la misère ou l’enlisement, ce qui est évidemment le but recherché. Les “progressistes médiacratiques”, adversaires de toutes les vertus politiques de machiavélienne mémoire, “ôtent à l’humanité l’étude des nations” —c’est-à-dire nous empêchent de prendre objectivement en compte les facteurs réels et nationaux qui composent le pluriversum politique de la planète— “en la figeant avec un jargon qui sert les intérêts des puissances occidentales (GB + USA) et en posant certains Etats —mais ce pourrait être n’importe quel Etat du pluriversum— comme “voyous”, “maléfiques”, “en faillite” en vue d’interventions humanitaires” (44). Nous ne sommes plus au temps des Bush, père et fils, cibles privilégiées de l’anti-américanisme inopérant des gauches européennes. Nous sommes au temps d’Obama, le Prix Nobel de la Paix, le successeur auto-proclamé de Lincoln, le président souple et généreux selon les médias; pourtant, l’homme de gauche Pilger constate que cette présidence, présentée comme “molle”, a laissé la bride sur le cou au militarisme outrancier réactivé dans un premier temps par les Bush et leurs conseillers néo-conservateurs: en effet, le président “mou” a laissé intactes les structures du Pentagone, a laissé les fauteurs de guerre et d’échecs en place, ceux qui ont ruiné l’Irak, l’Afghanistan et la Libye. Pour John Pilger et Norman Pollack, un contestataire américain, Obama est “un réformateur raté, joyeusement à l’oeuvre, planifiant des assassinats et arborant en permanence le sourire”. Il supervise un réseau militaire mondial qui, avec ses drones, “écrasecomme des insectes” les villages ou les camps où s’aventurent quelques récalcitrants ou d’anciens “alliés” dont on se débarrasse, car ils ne sont plus utiles, tant ils sont devenus compromettants! Le seul succès d’Obama, et il est significatif, c’est d’avoir détruit le mouvement anti-guerre américain, réduit désormais à sa plus simple expression.

L’écran moralisateur et médiatique, que dénonce Pilger, repose évidemment sur l’idéologie des droits de l’homme, mais non pas sur les droits de l’homme en soi, la différence est de taille. Cette idéologie a été ressortie du placard au temps de Jimmy Carter, sous la présidence duquel un certain BHL, sur la place de Paris, a commencé sa carrière étonnante, justement en proposant une version française de cette idéologie (45), présentée comme le “Testament de Yahvé” himself. On en connaît les derniers avatars libyens et surtout les brillants résultats sur place, en Cyrénaïque et en Tripolitaine, pour ne pas parler de toute la zone sahélienne désormais plongée dans le chaos. L’idéologie des droits de l’homme a surtout contribué, écrit Fabrizio Fiorini (46) dans les colonnes du quotidien romain Rinascita, à figer le droit, à le présenter comme totalement immuable, cristallisé, idolâtré. Il est désormais “enchaîné par ces idéologèmes, véritables vieilles cariatides de stuc, typiques de l’ornementalisme de la fin du 19ème siècle, et a abouti à cet insupportable moralisme gauchiste, qui croit avoir recréé un Eden politique et moralisé définitivement les relations internationales”. C’est pourtant exactement le contraire qui s’est produit: si les Etats sont dépouillés de leurs prérogatives d’énoncer un droit taillé à la mesure des peuples qu’ils encadrent, le pouvoir réel, lui, est passé, clandestinement, aux mains d’instances supranationales, non étatiques, qui ignorent tout bonnement le droit, l’oublient. Le monde, déjà devenu a-politique, impolitique, devient aussi a-juridique, “injuridique”. Meilleure preuve: l’ONU, censée avoir “juridifié” le monde, n’est plus consultée par les Etats-Unis et leurs alliés du moment; pire: elle est brocardée, moquée, considérée comme une vieillerie inutile. Jusqu’à l’affaire syrienne de ces dernières semaines: pour éviter un engagement risqué face à la détermination russe —un engagement pourtant annoncé avec fracas et amorcé sur mer avec les porte-avions de l’US Navy en Méditerranée— on se retranche derrière une décision de l’ONU. Le bellicisme était allé trop loin: Obama avait pourtant déclaré, “nous agirons en Syrie comme nous avons agi au Kosovo”, mais le monde a changé, le monde a partiellement compris, sauf les Européens, que ce mode de fonctionnement, que cette manière de mettre le monde entier devant le fait accompli, ne pouvait perdurer. Mais attendons ce que l’avenir nous révélera: l’hegemon a plus d’un tour dans son sac.

Pour le politologue et sociologue français contemporain Loïc Wacquant: “Jamais auparavant la fausse pensée et la fausse science n’ont été aussi prolifiques et ubiquitaires que de nos jours”. Raison de plus, pour nous, de lutter contre fausse science et fausse pensée qui empêche l’avènement d’une pensée et d’une science vraies, du point de vue des “Bons Européens”. C’est là le but d’un combat métapolitique... Où nous pourrons dire, avec l’Irlandais Gearoid O’Colmain (47), que le principe “bellum se ipsum alet”, “la guerre se nourrit d’elle-même”, est désormais bien ancré dans les horreurs du rimland islamisé, au nom de l’idéologie des droits de l’homme —et je le répète non au nom des droits de l’homme en soi. La guerre s’auto-alimente aujourd’hui par les actions des agences privées de mercenariat, par les gangs de narco-trafiquants, par les groupes terroristes et par les mafias internationales liés directement ou indirectement aux Etats-Unis. C’est la fin de l’équilibre préconisé au 17ème siècle par Grotius: les réseaux kosovars ont entraîné leurs homologues syriens, les djihadistes libyens combattent aujourd’hui en Syrie, les gangs armés recyclent le butin de leurs pillages dans les circuits de la contrebande, des mercenaires au service de la Turquie ou du Qatar ont démantelé des usines entières en Syrie pour les transplanter ailleurs, etc. Demain, à coup sûr, les “progressistes” auto-proclamés d’Amérique et d’Europe achèteront directement leur pétrole à des bandes mafieuses, installées dans de nouveaux rouages étatiques, depuis l’effondrement des Etats arabes laïcs.

Je viens donc d’énumérer quelques fragilités auxquelles l’Europe est confrontée aujourd’hui, alors qu’elle est dans un état de faiblesse culturelle et structurelle inédit et très préoccupant. La liste des déboires européens pourrait être plus longue, plus exhaustive. Mais vous aurez compris, rien qu’avec les quelques exemples que j’ai donnés, que l’heure est grave pour notre “Maison Commune” européenne. Et que notre combat est plus urgent que jamais contre:

  1. l’abandon de nos valeurs, qu’il s’agit de conserver en nos fors intérieurs contre vents et marées médiatiques, car seuls ont un avenir les hommes et les femmes qui garderont une épine dorsale culturelle propre (non importée, non greffée);

  2. contre le discours dominant qui masque le réel et nous oblige, par conséquent, par esprit révolutionnaire, à dire ce réel et à dévoiler les véritables causes des événements tragiques qui secouent le monde que Francis Fukuyama nous annonçait comme “sortant de l’histoire”, il y a vingt ans.

Je pense que cette intervention, qui, j’en ai bien conscience, n’a fait qu’effleurer très superficiellement la situation dans laquelle nous nous trouvons, doit nous amener à travailler en séminaire, à intervalles réguliers, chacun des thèmes qui ont été abordés brièvement ici, lors de ce colloque. Exemples de thèmes à approfondir: l’oeuvre subversive de l’OSS dès les années 50 en Europe; le travail de ceux qui, comme Martha Nussbaum, veulent une nouvelle pédagogie d’esprit traditionnel; les valeurs de la période axiale de l’histoire selon Jaspers et Armstrong; les effets pervers d’une politique trop normativiste; les qualités intrinsèques des Européens selon Stuart Miller; les occasions ratées de promouvoir une politique satellitaire, avec ou sans la Russie; etc.

Ce sont là des tâches adéquates pour un nouveau mouvement métapolitique comme “Maison Commune”. Personnellement, quand on m’appelera pour ce type de travail, je répondrai “Présent!”. J’espère que ce sera aussi le cas pour vous tous. Je vous souhaite déjà “Bon travail!”.

Robert Steuckers.

(Forest-Flotzenberg, septembre 2013).

Notes:

  1. Enyo, Anatomie d’un désastre – L’Occident, l’islam et la guerre au XXI° siècle, Denoël, coll. “Impacts”, Paris, 2009.

  2. Pour Carl Schmitt, une idée impériale, une force génératrice d’empire et organisatrice d’un grand-espace (en l’occurrence le “grand espace” européen) doit être, à l’instar du catholicisme médiéval selon ce “Prussien catholique” de Rhénanie, capable de faire coïncider les oppositions, d’harmoniser les différences qui innervent ou structurent les sociétés qu’elle doit fédérer pour en faire un tout cohérent.

  3. Christopher Hill, Society and Puritanism in Pre-Revolutionary England, Panther Books, 1969; Christopher Hill, The World Turned Upside Down – Radical Ideas During the English Revolution, Penguin, Harmodsworth, 1975-76; Clifford Longley, Chosen people – The Big Idea that Shapes England and America, Hodder & Stoughton, London, 2002; Kevin Phillips, American Theocracy – The Peril and Politics of Radical Religion, Oil, and Borrowed Money in the 21st Century, Viking, New York, 2006.

  4. Robert Steuckers, “L’ironie contre la ‘political correctness’”, in: Nouvelles de Synergies Européennes, n°34, mai-juin 1998 (repris sur http://robertsteuckers.blogspot.com et sur http://vouloir.hautetfort.com, septembre 2013).

  5. Ralph Barton Perry, Puritanisme et démocratie, Robert Laffont, Paris, 1952.

  6. Robert Steuckers, “De l’étude des racines celtiques au projet politique pan-celtique de la République d’Irlande”, sur: http://robertsteuckers.blogspot.com (août 2013). Conférence prononcée en mars 2013.

  7. Robert Steuckers, “Définir le fondamentalisme islamique dans le monde arabe”, sur http://robertsteuckers.blogspot.com (à paraître en novembre 2013).

  8. Nikolaos van Dam, The Struggle for Power in Syria – Politics and Society under Asad and the Ba’th Party, I. B. Tauris, London, 1979-2011.

  9. Martin Riesebrodt, Fundamentalismus als patriarchalische Protestbewegung, J. C. B. Mohr, Tübingen, 1990; Martin E. Marty / R. Scott Appleby, Herausforderung Fundamentalismus – Radikale Christen, Moslems und Juden im Kampf gegen die Moderne, Campus, Frankfurt a. M., 1996; Hans G. Kippenberg, Gewalt als Gottesdienst – Religionskriege im Zeitalter der Globalisierung, C. H. Beck, München, 2008.

  10. Susan Jacoby, The Age of American Unreason – Dumbing Down and the Future of Democracy, Old Street Publishing, London, 2008.

  11. Pour cerner le phénomène de la délocalisation au sein du phénomène plus général de “globalisation”, lire: Alex MacGillivray, A Brief History of Globalization, Robinson, London, 2006; John Ralston Saul, The Collapse of Globalism and the Reinvention of the World, Atlantic Books, London, 2005; Gideon Rachman, Zero-Sum World – Politics, Power and Prosperity after the Crash, Atlantic Books, London, 2011.

  12. George Steiner & Cécile Ladjali, Eloge de la transmission – Le maître et l’élève, Pluriel, 2013 (1ère éd., 2003).

  13. Robert Steuckers, “Petites réflexions éparses sur l’Ecole de Francfort”, in: http://robertsteuckers.blogspot.com (octobre 2011). Cf. également, Rolf Kosiek, Die Frankfurter Schule und ihre zersetzenden Auswirkungen, Hohenrain, Tübingen, 2001; Jean-Marc Durand-Gasselin, L’Ecole de Francfort, Gallimard/Tel, Paris, 2012; Numéro spécial de la revue Esprit sur l’Ecole de Francfort, n°5, 1978.

  14. Karl Jaspers, Vom Ursprung und Ziel der Geschichte, Piper (SP 298), München, 1983 (la première édition de cet ouvrage date de 1949).

  15. F. M. Barnard, Herder’s Social and Political Thought, Oxford (Clarendon Press), 1965.

  16. Karen Armstrong, The Great Transformation – The World in the Time of Buddha, Socrates, Confucius and Jeremiah, Atlantic Books, London, 2006.

  17. Cf. Lawrence James, Raj – The Making of British India, Abacus, London, 1997-2003. Pour comprendre l’idéologie du renouveau indien, lire: Jean Vertemont, “Aux origines du nationalisme hindou: la pensée traditionaliste”, in: Antaios, 10, 1996, pp. 139-149.

  18. Robert Steuckers, “Sur la Chine”, in: http://robertsteuckers.blogspot.com (octobre 2011).

  19. Tim B. Müller (Humboldt-Universität, Berlin), Krieger und Gelehrte – Herbert Marcuse und die Denksysteme im Kalten Kriege, Hamburger Edition/HIS Verlag, 2010.

  20. Julien Freund, La fin de la Renaissance, PUF, Paris, 1980.

  21. Julien Freund, Politique et impolitique, Sirey, Paris, 1987.

  22. Martha Nussbaum, Niet voor de winst – Waarom de democratie de geesteswetenschappen nodig heeft, Ambo, Amsterdam, 2011.

  23. De Theodor W. Adorno: TWA, “Kulturkritik und Gesellschaft”, in: TWA, Gesellschaftstheorie undKulturkritik, Suhrkamp, SV772, Frankfurt am Main, 1975. De Max Horkheimer: MH, Traditionelle undkritische Theorie – Vier Aufsätze, Fischer, Frankfurt am Main, 1980; MH, Zur Kritik der instrumentellen Vernunft, Athenäum Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1974. De Herbert Marcuse: HM, Pour une théorie critique de la société – Contre la force répressive, Denoël, Paris, 1971. De Jürgen Habermas: JH, “Kritische und konservative Aufgaben der Soziologie”, in: JH, Theorie und Praxis, Suhrkamp, st9, Frankfurt am Main, 1974 (3°éd.); Sur Habermas: Jozef Keulartz, De verkeerde wereld van Jürgen Habermas, Boom, Amsterdam, 1992; pour explorer les contradictions entre exposants de l’Ecole de Francfort: Peter Moritz, Kritik des Paradigmentwechsels – Mit Horkheimer gegen Habermas, zu Klampen, Lüneburg, 1992. Pour connaître les dimensions volontaristes (positives comme négatives) des exposants de la “nouvelle gauche” issue des théories de l’Ecole de Francfort: Bernd Guggenberger, Die Neubestimmung des subjektiven Faktors im Neomarxismus – Eine Analyse des voluntarischen Geschichtsverständnisses der Neuen Linken, Alber, Freiburg, 1973. Etude critique sur les implications politiques militantes de l’Ecole de Francfort: Bernd Guggenberger, Wohin treibt die Protesbewegung? Junge Rebellen zwischen Subkultur und Parteikommunismus – Ursachen und Folgen der Unfähigkeit zur Politik, Herder, Freiburg i. Breisgau, 1975. Pour une approche générale (relativement critique): Pierre V. Zima, L’école de Francfort, éd. Universitaires, Paris, 1974. Pour connaître les tenants et aboutissants de la “querelle allemande des sciences sociales”: cf. l’ouvrage collectif De Vienne à Francfort: la querelle allemande des sciences sociales, éd. Complexe, Bruxelles, 1979.

  24. Theodor W. Adorno, Studien zum autoritären Charakter, Suhrkamp, st107, Frankfurt am Main, 1973.

  25. L’expression est due au professeur américain David Graeber; voir les articles de présentation “David Graeber: Bullshit Jobs” et “Vers une société de ‘boulots à la con’”, tous deux sur http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2013/08/29 (29 août 2013).

  26. Olof Petersson, Die politischen Systeme Nordeuropas – Eine Einführung, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1989. Recension de ce livre: cf. Robert Steuckers, “Aux sources de la démocratie scandinave”, sur: http://robertsteuckers.blogspot.com (avril 2012).

  27. Dirk De Wachter, Borderline Times – Het einde van de normaliteit, Lannoo Campus, Tielt, 2012. Voir notre entretien avec Manuel Quesada sur: http://robertsteuckers.blogspot.com (juillet 2013).

  28. Manfred Spitzer, Digitale Demenz – Wie wir uns und unsere Kinder um den Verstand bringen, Droemer, München, 2012. Voir notre entretien avec Manuel Quesada sur: http://robertsteuckers.blogspot.com (juillet 2013).

  29. José Ortega y Gasset, España invertebrada – Bosquejo de algunos pensamientos históricos, Espasa-Calpe, Madrid, 1979 (5°éd.); Alejandro de Haro Honrubia, Elites y masas – Filosofía y política en la obra de José Ortega y Gasset, Biblioteca Nueva/Fundación José Ortega y Gasset, Madrid, 2008.

  30. Zaki Laïdi, La norme sans la force – L’énigme de la puissance européenne, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2005. A lire également: Zaki Laïdi, Le monde selon Obama – la politique étrangère des Etats-Unis, Flammarion, coll. “Champs actuel”, n°1046, notamment le chapitre intitulé: “Les Etats-Unis ont-ils encore besoin de l’Europe?” (pp. 281 à 318).

  31. Cf. Helmut Schmidt, Die Mächte der Zukunft – Gewinner und Verlirer in der Welt von morgen, Siedler Verlag, München, 2004; Alexander Rahr, Der kalte Freund – Warum wir Russland brauchen: Die Insider-Analyse, Hanser, München, 2011.

  32. Pour comprendre quels sont les six paradigmes occidentaux en matières de relations internationales, dont les paradigmes kantiens, néo-kantiens et habermassiens cf. Gérard Dussouy, Les théories géopolitiques – Traité de relations internationales (1), L’Harmattan, Paris, 2006.

  33. Cf., entre autres titres, Robert Kagan, The Return of History and the End of Dreams, Atlantic Books, London, 2008.

  34. Ida Magli, La dittatura europea, BUR Futuropassato, Milano, 2010-2011 (3a ed.).

  35. Eduardo Arroyo, El fin de la Unión Europea, in: http://euro-synergies.hautetfort.com, 28 août 2013.

  36. Willy Wimmer, Les Etats-Unis et leurs alliés – La “souveraineté limitée” selon la doctrine Brejnev, in: http://www.horizons-et-debats.ch (août 2013).

  37. Dieter Blumentwitz, Feindstaatenklauseln – Die Friedensordnung der Sieger, Langen Müller, München, 1972.

  38. Enrique Ravello, El Tratado de libre commercio Estados Unidos – Unión Europea – Otro paso hacia la globalización, in: http://enricravello.blogspot.com ; repris sur http://euro-synergies.hautetfort.com , 20 juin 2013.

  39. Andrea Perrone, L’Ue resta alla mercé delle agenzie di rating americane, in: Rinascita,http://rinascita.eu , 3 mai 2013; repris sur http://euro-synergies.hautetfort.com , 8 mai 2013.

  40. Cf. Michel Bugnon-Mordant, L’Amérique totalitaire – Les Etats-Unis et la maîtrise du monde, Favre, Lausanne, 1997.

  41. Keith Lowe, Savage Continent – Europe in the Aftermath of World War II, Penguin, Harmondsworth, 2013.

  42. Stuart Miller, Understanding Europeans, John Muir Publications, Santa Fe, New Mexico, 1990.

  43. John Pilger, “De Hiroshima à la Syrie, le nom de l’ennemi dont Washington n’ose pas parler”, in: http://www.mondialisation.ca ; à lire également: John Pilger, The New Rulers of the World, Verso, London/New York, 2003.

  44. Noam Chomsky, Les états manqués, Editions 10/18, n°4163, Paris, 2008.

  45. Philippe Cohen, BHL – Une biographie, Fayard, Paris, 2005.

  46. Fabrizio Fiorini, L’Occidente allo sbando, l’Occidente ha paura, in: http://www.rinascita.eu , 11 septembre 2013. repris sur http://euro-synergies.hautetfort.com , 12 septembre 2013.

  47. Gearóid Ó’Colmáin, Stealing Syria’s Oil: The EU Al-Qaeda Oil Consortium, in: http://www.globalresearch.ca (2013).

 

 

 

 

 

mardi, 24 septembre 2013

Un futur pour l'Europe

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Un futur pour l'Europe

Réservations:

http://www.weezevent.com/un-futur-pour-leurope

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

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Robert STEUCKERS:

Sur l’entourage et l’impact d’Arthur Moeller van den Bruck

Conférence prononcée à la tribune du “Cercle Proudhon”, à Genève, 12 février 2013

Pourquoi parler ou reparler de Moeller van den Bruck aujourd’hui, 90 ans après la parution de son livre au titre apparemment fatidique, “Le Troisième Reich” (= “Das Dritte Reich”)? D’abord parce que l’historiographie récente s’est penchée sur lui (cf. bibliographie) en Allemagne, d’une manière beaucoup plus systématique qu’auparavant. Il est l’apôtre raté d’un “Troisième Règne”, qui n’adviendra pas de son vivant mais dont le nom sera repris par le mouvement hitlérien, dans une acception bien différente et à son corps défendant. Il s’agit de savoir, aujourd’hui, ce que Moeller van den Bruck entendait vraiment par “Drittes Reich”. Il s’agit aussi de cerner ce qu’il entendait par sa notion de “peuples jeunes”. Comment il entrevoyait la coopération entre l’Allemagne et la Russie (devenue l’URSS) dans le cadre de la République de Weimar, dont il méprisait les principes et le personnel. Arthur Moeller van den Bruck a participé à la formulation d’un “nationalisme de rupture”, d’un “néo-nationalisme” qu’Armin Mohler, dans sa célèbre thèse, a classé dans le phénomène de la “révolution conservatrice”. Une chose est certaine: Arthur Moeller van den Bruck n’est ni un “libéral” (au sens où l’entendait la démocratie de la République de Weimar) ni un pro-occidental, dans la mesure où il entendait détacher l’Allemagne de l’Occident français, anglais et américain.

L’oeuvre politique d’Arthur Moeller van den Bruck est toutefois ténue. Il n’a pas été aussi prolixe qu’Oswald Spengler, dont le célèbre “Déclin de l’Occident” est fort dense, d’une épaisseur bien plus conséquente que “Das Dritte Reich”. De plus, la définition, finalement assez ambigüe, que donne Spengler de l’Occident ne correspond pas à celle que donnera plus tard Moeller van den Bruck. Sans doute la brièveté de l’oeuvre politique de Moeller van den Bruck tient-elle au simple fait qu’il est mort jeune et suicidé, à 49 ans. Son oeuvre littéraire et artistique en revanche est beaucoup plus vaste. Moeller van den Bruck, en effet, a écrit sur le théâtre de variétés, sur le théâtre français, sur l’esthétique italienne, sur la mystique allemande, sur les personnages-clefs de la culture germanique (ceux qui en font son essence), sur la littérature moderniste, allemande et européenne, de son temps. Son oeuvre politique, qui ne prend son envol qu’avec la Grande Guerre, se résume à un ouvrage sur le “style prussien” (avec un volet sur l’art néo-classique), à l’ouvrage intitulé “Troisième Reich”, au livre sur la “révolte des peuples jeunes”, à ses articles parus dans des revues comme “Gewissen”. Moeller van den Bruck a donc été un séismographe de son époque, celle d’un extraordinaire foisonnement d’idées, de styles, d’audaces.

Zeev Sternhell et la “droite révolutionnaire”, Armin Mohler et la “Konservative Revolution”

La question qu’il convient de poser est donc la suivante: d’où viennent ses idées? Quel a été son cheminement? Quelles rencontres, apparemment “apolitiques”, ont-elles contribué à forger, parfois à leur corps défendant, son “Jungkonservativismus”? Le fait d’être homme, dit-on, c’est mener une quête, sans jamais s’arrêter. Quelle a donc été la quête personnelle, unique et inaliénable de Moeller van den Bruck? Il convient aussi de resituer cette quête dans un cadre historique et social. Cette démarche interpelle l’historiographie contemporaine: Zeev Sternhell avait tracé la généalogie du fascisme français depuis 1870 environ, avant de se pencher sur les antécédents de l’Italie fasciste et du sionisme. Après la parution en France, au “Seuil” à Paris, du premier ouvrage “généalogique” de Sternhell, intitulé “La droite révolutionnaire”, Armin Mohler, auteur d’un célèbre ouvrage synoptique sur la “révolution conservatrice”, lui rendait hommage dans les colonnes de la revue “Criticon”, en disant que le cadre de sa propre enquête avait été fixé, par son promoteur Karl Jaspers, à la période 1918-1932, mais que l’effervescence intellectuelle de la République de Weimar avait des racines antérieures à 1914, plongeant finalement dans un bouillonnement culturel plus varié et plus intense, inégalé depuis en Europe, dont de multiples manifestations sont désormais oubliées, se sont estompées des mémoires collectives. Et qu’il fallait donc les ré-exhumer et les explorer. Exactement comme Sternhell avait exploré l’ascendance idéologique de l’Action Française et des autres mouvements nationaux des années 20 et 30.

Ascendance et jeunesse

Resituer un auteur dans son époque implique bien entendu de retracer sa biographie, de suivre pas à pas la maturation de son oeuvre. Arthur Moeller van den Bruck est né en 1876 à Solingen, dans une famille prussienne originaire de Thuringe. Dans cette famille, il y a eu des pasteurs, des officiers, des fonctionnaires, dont son père, inspecteur général pour la construction des bâtiments publics. Cette fonction paternelle induira, plus que probablement, l’intérêt récurrent de son fils Arthur pour l’architecture (l’architecture de la Ravenne ostrogothique, le style prussien et l’architecture de Peter Behrens et du “Deutscher Werkbund”, comme nous allons le voir). L’ascendance maternelle, la famille van den Bruck, est, comme le nom l’indique, hollandaise ou flamande, mais compte aussi des ancêtres espagnols. Le jeune Arthur est un adolescent difficile, en rupture avec le milieu scolaire. Il ne décroche pas son “Abitur”, équivalent allemand du “bac”, ce qui lui interdit l’accès à l’université. Il restera, en quelque sorte, un marginal. Il quitte sa famille et se marie, à 20 ans, avec Hedda Maase. Nous sommes en 1896, année où survienent deux événements importants pour l’idéologie allemande de l’époque, qui donnera ultérieurement un certain lustre à la future “révolution conservatrice”: la naissance du mouvement de jeunesse “Wandervogel” sous l’impulsion de Karl Fischer et la création des éditions Eugen Diederichs à Iéna. Le jeune couple s’installe à Berlin cette année-là et Moeller van den Bruck vit de l’héritage de son grand-père maternel.

Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Poe...

Les jeunes époux vont entamer leur quête spirituelle en traduisant de grands classiques des littératures française et anglaise. D’abord Baudelaire qui communiquera à coup sûr l’idée du primat de l’artiste et du poète sur le “philistin” et le “bourgeois”. Ensuite Hedda et Arthur traduisent les oeuvres de Barbey d’Aurevilly. Cet auteur aura un impact important dans le rejet par Moeller van den Bruck du libéralisme et du bourgeoisisme. Barbey d’Aurevilly communique une certaine foi à Arthur, qui ne la christianisera pas —mais ne l’édulcorera pas pour autant— vu l’engouement de l’époque toute entière pour Nietzsche. Cette foi anti-bourgeoise, anti-philistine, se cristallisera surtout plus tard, au contact de l’oeuvre de Dostoïevski et de la personnalité de Merejkovski. Barbey d’Aurevilly était issu d’une famille monarchiste. Jeune, par défi, il se proclame “républicain”. Il lit ensuite Jospeh de Maistre et redevient monarchiste. Il le restera. En 1846, il se mue en catholique intransigeant, partisan de l’ultramontanisme. Barbey d’Aurevilly est aussi une sorte de dandy, haïssant la modernité bourgeoise, cultivant un style qui se veut esthétisme et rupture: deux attitudes qui déteindront sur son traducteur allemand. Le couple Moeller/Maase traduit ensuite le “Germinal” de Zola et quelques oeuvres de Maupassant. C’est donc, très jeune, à Berlin, que Moeller van den Bruck connaît sa période française, où le filon de Maistre/Barbey d’Aurevilly est déterminant, beaucoup plus déterminant que l’idéologie républicaine, qui donne le ton sous la III° République.

Mais ses six années berlinoises sont aussi sa période anglaise. Avec son épouse, il traduit l’ensemble de l’oeuvre de Poe, puis Thomas de Quincey, Daniel Defoe et Dickens. La période “occidentale”, franco-anglaise, de Moeller van den Bruck, futur pourfendeur de l’esprit occidental, occupe donc une place importante dans son itinéraire, entre 20 et 26 ans.

Zum Schwarzen Ferkel

Moeller van den Bruck fréquente le local branché de la bohème littéraire berlinoise, “Zum Schwarzen Ferkel” (“Au Noir Porcelet”) puis le “Schmalzbacke”. Le “Schwarzer Ferkel” est le pointde rencontre d’intellectuels et de poètes allemands, scandinaves et polonais, faisceau de diversités européennes qui constitue un “unicum” dans l’histoire des idées. A côté des poètes, il y a aussi des médecins, des artistes, des juristes: les débats y sont pluridisciplinaires. Le nom du local est une invention du Suédois August Strindberg et du poète allemand Richard Dehmel.

Detlev von Liliencron

 

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Parmi les personnages qu’y rencontre Moeller, on trouve un poète, aujourd’hui largement oublié, Detlev von Liliencron. Il est un poète-soldat du 19ème siècle: il a fait les guerres de l’unification allemande, en 1864, en 1866 et en 1870, contre les Danois, les Autrichiens et les Français. Son oeuvre majeure est “Adjutantenritte und andere Geschichten” (“Les chevauchées d’un aide de camp et autres histoires”) qui parait en 1883, où il narre ses mésaventures militaires. En 1888, dans la même veine, il publie “Unter flatternden Fahnen” (“Sous les drapeaux qui claquent au vent”). C’est un aristocrate pauvre du Slesvig-Holstein qui a opté pour la vie de caserne mais qui s’adonne au jeu avec beaucoup trop de frénésie, espérant redorer son blason. Le jeu devient chez lui un vice persistant qui brisera sa carrière militaire. Sur le plan littéraire, Detlev von Liliencron est une figure de transition: les aspects néo-romantiques, naturalistes et expressionnistes se succèdent dans ses oeuvres de prose et de poésie. Il refuse les étiquettes, refuse aussi de s’encroûter dans un style figé. Simultanément, ce reître rejette la vie moderne, proposée par la nouvelle société industrielle de l’Allemagne post-bismarckienne et wilhelminienne. Il entend demeurer un “cavalier picaresque”, refuse d’abandonner ce statut, plus exaltant qu’une carrière de rond-de-cuir inculte et étriqué. Il influencera Rilke et von Hoffmannsthal. Le destin de poète et de prosateur picaresque de Detlev von Liliencron a un impact sur Moeller van den Bruck (comme il en aura un aussi, sans doute, sur Ernst Jünger): Moeller, comme von Liliencron, voudra toujours aller “au-delà du donné conventionnel bourgeois”, d’où l’idée de “jouvance”, l’utilisation systématique et récurrente du terme “jeune”: est “jeune” qui veut conserver le fond sans les formes mortes, dans la mesure où les fonds ne meurent jamais et les formes meurent toujours. Il y a là sans nul doute un impact du nietzschéisme qui prend son envol: l’homme supérieur (dont le poète selon Baudelaire) se hisse très haut au-dessus des ronrons inlassablement répétés des philistins. Depuis les soirées du “Schwarzer Ferkel” et les rencontres avec von Liliencron, Moeller s’intéresse aux transitions, entendra favoriser les transitions, au détriment des fixités mentales ou idéologiques. Etre actif en ère de transition, aimer cet état de passage, vouloir être perpétuellement en état de mouvance et de quête, est la tâche sociale et nationale du littérateur et du séismographe, figure supérieure aux “encroûtés” de tous acabits, installés dans leurs créneaux étroits, où ils répétent inlassablement les mêmes gestes ou assument les mêmes fonctions formelles.

Richard Dehmel

mvb4.jpgDeuxième figure importante pour l’itinéraire de Moeller van den Bruck, rencontrée dans les boîtes de la nouvelle bohème berlinoise: Richard Dehmel (1863-1920). Cet homme a de solides racines rurales. Son père était garde forestier et fonctionnaire des eaux et forêts. Contrairement à Moeller, il a bénéficié d’une bonne scolarité, il détient son “Abitur” mais n’a pas été l’élève modèle que souhaitent tous les faux pédagogues abscons: il s’est bagarré physiquement avec le directeur de son collège. Après son adolescence “contestatrice” au “Gymnasium”, il étudie le droit des assurances, adhère à une “Burschenschaft” étudiante puis entame une carrière de juriste auprès d’une compagnie d’assurances. Simultanément, il commence à publier ses poèmes. Il participe au journal avant-gardiste “Pan”, organe du “Jugendstil” (“Art Nouveau”), avec le sculpteur et peintre Franz von Stuck et le concepteur, architecte et styliste belge Henri van de Velde. Cet organe entend promouvoir une esthétique nouvelle, fusion du naturalisme et du symbolisme. Moeller van den Bruck s’y intéresse longuement (entre 1895 et 1900), avant de lui préférer l’architecture ostrogothique de l’Italie de Théodoric (à partir de 1906) et, pour finir, le classicisme prussien (entre 1910 et 1915).

mvb5.jpgRichard Dehmel est d’abord un féroce naturaliste, qui ose publier en 1896, deux poèmes, jugés pornographiques à l’époque, “Weib und Welt” (“Féminité et monde”) et “Venus Consolatrix”. La réaction ne tarde pas: on lui colle un procès pour “pornographie”. Dans les attendus de sa convocation, on peut lire la phrase suivante: “Atteinte aux bons sentiments religieux et moraux”. Il n’est pas condamné mais censuré: le texte peut paraître mais les termes litigieux doivent être noircis! Dehmel est aussi, avec Stefan Zweig, le traducteur d’Emile Verhaeren, avec qui il était lié d’amitié, avant que la première guerre mondiale ne détruisent, quasi définitivement, les rapports culturels entre la Belgique et l’Allemagne. Pour Zweig, qui connaissait et Dehmel et Verhaeren, les deux poètes étaient les “Dioscures d’une poésie vitaliste d’avenir”. Dehmel voyagera beaucoup, comme Moeller. Lors de ses voyages à travers l’Allemagne, Dehmel rencontre Detlev von Liliencron à Hambourg. Cette rencontre avec le vieux reître des guerres d’unification le poussera sans doute à s’engager comme volontaire de guerre en 1914, à l’âge de 51 ans. Il restera deux ans sous les drapeaux, dans l’infanterie de première ligne et non pas dans une planque à l’arrière du front. En 1918, il lance un appel aux forces allemandes pour qu’elles “tiennent”. Le “pornographe” a donc été un vibrant patriote. En 1920, il meurt suite à une infection attrapée pendant la guerre. L’influence de Dehmel sur ses contemporains est conséquente: Richard Strauss, Hans Pfitzner et Arnold Schönberg mettent ses poèmes en musique. Par ailleurs, il a contribué à l’élimination de la pudibonderie littéraire, omniprésente en Europe avant lui et avant Zola: la sexualité est, pour lui, une force qui va briser le ronron des conventions, sortir l’humanité européenne de la cangue des conventions étriquées, d’un moralisme étroit et étouffant, où la joie n’a plus droit de cité. C’est l’époque d’un pansexualisme/panthéisme littéraire, avec Camille Lemonnier, le “Maréchal des lettres belges”, son contemporain (traduit en allemand chez Diederichs), puis avec David Herbert Lawrence, son élève, quand celui-ci pourfend le puritanisme de l’ère victorienne en Angleterre. Il me paraît utile de préciser ici que Dehmel s’est plus que probablement engagé dans les armées du Kaiser parce que l’effervescence culturelle, libératrice, de l’Allemagne de la Belle Epoque devait être défendue contre les forces de l’Entente qui ne représentaient pas, à ses yeux, une telle beauté esthétique; celle-ci ne pourra jamais se déployer sous les platitudes de régimes libéraux, de factures française ou anglaise.

Max Dauthendey

mvb6.jpgTroisième figure rencontrée dans les cafés littéraires de Berlin, plutôt oubliée aujourd’hui, elle aussi: Max Dauthendey (1867-1918). Il est le fils d’un photographe et daguerrotypiste. Il a vécu à Saint-Pétersbourg où il représentait les affaires de son père. C’était le premier atelier du genre en Russie tsariste. Le jeune Max est le fils d’un second mariage et le seul héritier d’un père qu’il déteste, parce qu’il lui administrait un peu trop souvent la cravache. Ce conflit père/fils va générer dans l’âme du jeune Max une haine des machines et des laboratoires, lui rappelant trop l’univers paternel. Il fugue deux fois, à treize ans puis à dix-sept ans où il se porte volontaire dans un régiment étranger des armées néerlandaises en partance pour Java. Après cet intermède militaire en Insulinde, il se réconcilie avec son père et travaille à l’atelier. En 1891, il s’effondre sur le plan psychique, séjourne dans un centre spécialisé en neurologie et, avec la bénédiction paternelle, cette fois, s’adonne définitivement à la poésie, sous la double influence de Dehmel et du poète polonais Stanislas Przybyszewski (1868-1927). Il fréquente les cafés littéraires et voyage beaucoup, en Suède, à Paris, en Sicile (comme Jünger plus tard), au Mexique (comme D. H. Lawrence), en Grèce et en Italie. Cette existence vagabonde le plonge finalement dans la misère: il est obligé de vivre aux crochets de toutes sortes de gens. Il décide toutefois, à peine renfloué, de faire un tour du monde. Il embarque à Hambourg le 15 avril 1914 et arrive pour la deuxième fois de sa vie à Java, où il restera quatre ans. Impossible d’aller plus loin: la guerre le force à l’immobilité. Il meurt de la malaria en Indonésie en août 1918. Peu apprécié des autorités nationales-socialistes qui le camperont comme un “exotiste”, son oeuvre disparaîtra petit à petit des mémoires. Sa femme découvre dans son appartement de Dresde 300 aquarelles, qui disparaîtront en fumée lors du bombardement de la ville d’art en février 1945.

Stanislas Przybyszewski

mvb7.jpgQuatrième figure: Stanislas Przybyszewski, un Polonais qui a étudié en allemand à Thorn en Posnanie. Lui aussi, comme Moeller et Dehmel, a eu une scolarité difficile: il a multiplié les querelles vigoureuses avec ses condisciples et son directeur. Cela ne l’empêche pas d’aller ensuite étudier à l’université la médecine et l’architecture. Il adhère d’abord au socialisme et fonde la revue “Gazeta Robotnicza” (= “La gazette ouvrière”). En deuxièmes noces, il épouse une figure haute en couleurs, Dagny Juel, une aventurière norvégienne, rencontrée lors d’un voyage au pays des fjords. Elle mourra quelques années plus tard en Géorgie où elle avait suivi l’un de ses nombreux amants. Lecteur de Nietzsche, comme beaucoup de ses contemporains, Przybyszewski est amené à réfléchir sur les notions de “Bien” et de “Mal” et, dans la foulée de ces réflexions, à s’intéresser au satanisme. Il fonde en 1898 la revue “Zycie” (= “La Vie”), couplant, Zeitgeist oblige, l’intérêt pour le mal (inséparable du bien et défini selon des critères étrangers à toute morale conventionnelle et répétitive), l’intérêt pour l’oeuvre de Nietzsche et de Strindberg et pour le vitalisme. Avant que ne se déclenche la première grande conflagration inter-européenne de 1914, il devient le chef de file du mouvement artistique, littéraire et culturel des “Jeunes Polonais” (“Mloda Polska”), fondé par Artur Gorski (1870-1959), quand la Pologne était encore incluse dans l’Empire du Tsar. La préoccupation majeure de ce mouvement culturel, partiellement influencé par Maurice Maeterlinck (1862-1949), est de s’interroger sur le rapport entre puissance créatrice et vie réelle. En ce sens, la tâche de l’art est de saisir l’“être originel” des choses et de le présenter sous forme de symboles, que seul une élite ténue est capable de comprendre (même optique chez l’architecte Henri van de Velde). Mloda Polska connaît un certain succès et s’affichera pro-allemand pendant la première guerre mondiale, tout comme le futur chef incontesté de la nouvelle Pologne, le Maréchal Pilsudski.

Après 1918, comme Moeller van den Bruck, Przybyszewski s’engage en politique et travaille à construire le nouvel Etat polonais indépendant, tout en poursuivant sa quête philosophique et son oeuvre littéraire. Pour Przybyszewski, comme par ailleurs pour le Moeller van den Bruck du voyage en Italie (1906), l’art dévoile le fond de l’être: la part ténue d’humanité émancipée des pesanteurs conventionnelles (bourgeoises) atteint peut-être le sublime en découvrant ce “fond” mais cette élévation et cette libération sont simultanément un plongeon dans les recoins les plus sombres de l’âme et dans le tragique (on songe, mutatis mutandi, au thème d’“Orange mécanique” d’Anthony Burgess et du film du même nom de Stanley Kubrik). Les noctambules, les dégénérés et les déraillés, ainsi que la lutte des sexes (Strindberg, Weininger), intéressent notre auteur polonais, qui voulait devenir psychiatre au terme de ses études inachevées de médecine, comme ils avaient intéressé Dostoïevski, observateur avisé du public des bistrots de Saint-Pétersbourg. En 1897, leur sort, leurs errements sont l’objet d’un livre qui connaîtra deux titres “Die Gnosis des Bösen” et “Die Synagoge Satans”.

Figure plus exubérante que Moeller, Przybyszewski fait la jonction entre l’univers artistique d’avant 1914 et la nécessité de reconstruire le politique après 1918. La trajectoire du Polonais a sûrement influencé les attitudes de l’Allemand. Des parallèles peuvent aisément être tracés entre leurs deux itinéraires, en dépit de la dissemblance entre leurs personnalités.

Les cabarets

Parmi tous les clubs et lieux de rencontre de cette incroyable bohème littéraire, il y a bien sûr les cabarets, où les animateurs critiquent à fond les travers de la société wilhelminienne, qui, par son fort tropisme technicien, oublie le “fonds” au profit de “formes” sans épaisseur temporelle ni charnelle. A Berlin, c’est le cabaret “Überbretteln” qui donne le ton. Il s’est délibérément calqué sur son homologue parisien “Le Chat noir” de Montmartre, créé par Rodolphe Salis. Sous la dynamique impulsion d’Ernst von Wolzogen, il s’ouvre le 18 janvier 1901. A Munich, le principal cabaret contestataire est “Die Elf Scharfrichter”, où sévit Frank Wedekind. Celui-ci est maintes fois condamné pour obscénité ou pour lèse-majesté: il a certes critiqué, de la façon la plus caustique qui soit, l’Empereur et le militarisme mais, Wedekind, puis Wolzogen, qui l’épaulera, ne sont pas des figures de l’anti-patriotisme: ils veulent simplement une “autre nation” et surtout une autre armée. Leur but est de multiplier les scandales pour forcer les Allemands à réfléchir, à abandonner toutes postures figées. Dans ce sens, et pour revenir à Moeller van den Bruck, qui vit au beau milieu de cette effervescence, inégalée en Europe jusqu’ici, ces cabarets sont des instances de la “transition”, vers un Reich (ou une Cité) plus “jeune”, neuf, ouvert en permanence et volontairement à toutes les innovations ravigorantes.

L’époque berlinoise de Moeller van den Bruck a duré six ans, de 1896 à 1902. Dans ces cercles, il circule en affichant le style du dandy, sans doute inspiré par Barbey d’Aurevilly. Moeller est quasi toujours vêtu d’un long manteau de cuir, coiffé d’un haut-de-forme gris, l’oeil cerclé par un monocle. Il parle un langage simple mais châtié, sans doute pour compenser son absence de formation post-secondaire. Il est un digne et quiet héritier de Brummell. En 1902, sa femme Hedda est enceinte. La fortune héritée du grand-père van den Bruck est épuisée. Il abandonne sa femme, qui se remariera avec un certain Herbert Eulenberg, appartenant à une famille qui sera radicalement anti-nazie. Elle continuera à traduire des oeuvres littéraires françaises et anglaises jusqu’en 1936, quand le pouvoir en place lui interdira toute publication.

Arrivée à Paris

Moeller van den Bruck quitte donc l’Allemagne pour Paris où il arrive fin 1902. On dit parfois qu’il a cherché à échapper au service militaire: les patriotes, en effet, ne sont pas tous militaristes dans l’Allemagne wilhelminienne et Moeller n’a pas encore vraiment pris conscience de sa germanité, comme nous allons le voir. Les patriotes non militaristes reprochent à l’Empereur Guillaume II de fabriquer un “militarisme de façade”, encadré par des officiers caricaturaux et souvent incompétents, parce qu’il a fallu recruter des cadres dans des strates de la population qui n’ont pas la vraie fibre militaire et compensent cette lacune par un autoritarisme ridicule. C’est ainsi que Wedekind dénonçait le militarisme wilhelminien sur les planches du cabaret “Die Elf Scharfrichter”. Son anti-militarisme n’est donc pas un anti-militarisme de fond mais une volonté de mettre sur pied une armée plus jeune, plus percutante.

Dès son arrivée dans la capitale française, une idée le travaille: il l’a puisée dans sa lecture des oeuvres de Jakob Burckhardt. On ne peut pas être simultanément une grande culture comme l’Allemagne et peser d’un grand poids politique sur l’échiquier planétaire comme la Grande-Bretagne ou la France. Pour Moeller, lecteur de Burckhardt, il y a contradiction entre élévation culturelle et puissance politique: nous avons là l’éclosion d’une thématique récurrente dans les débats germano-allemands sur la germanité et l’essence de l’Allemagne; elle sera analysée, dans une perspective particulièrement originale par Christoph Steding en 1934: celui-ci fustigera l’envahissement de la culture allemande par tout un fatras “impolitique” et esthétisant, importé de Scandinavie, de Hollande et de Suisse. En ce sens, Steding dépasse complètement Moeller van den Bruck, encore lié à cette culture qu’il juge “impolitique”; toutefois, c’est au sein de cette culture impolitique qu’ont baigné ceux qui, après 1918, ont voulu oeuvrer à la restauration “impériale”. Le primat du culturel sur le politique sera également moqué dans un dessin de Paul A. Weber montrant un intellectuel binoclard, malingre et macrocéphale, jetant avec rage des livres de philo contre un tank britannique (de type Mk. I) qui défonce un mur et fait irruption dans sa bibliothèque; le chétif intello “mitteleuropéen” hurle: “Je vous pulvérise tous par la puissance de mes pensées!”.

Récemment, en 2010, Peter Watson, journaliste, historien, attaché à l’Université d’Oxford, campe l’envol vertigineux de la pensée et des sciences allemandes au 19ème siècle comme une “troisième renaissance” et comme une “seconde révolution scientifique”, dans un ouvrage qui connaîtra un formidable succès en Angleterre et aux Etats-Unis, malgré ses 964 pages en petits caractères (cf. “The German Genius – Europe’s Third Renaissance, the Second Scientific Revolution and the Twentieth Century”, Simon & Schuster, London/New York, 2010). Ce gros livre est destiné à bannir la germanophobie stérile qui a frappé, pendant de longues décennies, la pensée occidentale; il réhabilite la “Kultur” que l’on avait méchamment moquée depuis août 1914 mais cherche tout de même, subrepticement, à maintenir la germanité contemporaine dans un espace mental impolitique. La culture germanique depuis le début du 19ème, c’est fantastique, démontre Watson, mais il ne faut pas lui donner une épaisseur et une vigueur politiques: celles-ci ne peuvent être que de dangereux ou navrants dérapages. Watson évoque Moeller van den Bruck (pp. 616-618). L’interrogation de Moeller van den Bruck demeure dont d’actualité: on tente encore et toujours d’appréhender et de définir les contradictions existantes entre la grandeur culturelle de l’Allemagne et son nanisme politique sur l’échiquier européen ou mondial, entre l’absence de profondeur intellectuelle et de musicalité de la France républicaine et du monde anglo-saxon et leur puissance politique sur la planète.

Moeller van den Bruck découvre la pensée russe à Paris

Les quatre années parisiennes de Moeller van den Bruck ne vont pas renforcer la part française de sa pensée, acquise à Berlin lors de ses travaux de traduction réalisés avec le précieux concours d’Hedda Maase. A Paris —où il retrouve Dauthendey et le peintre norvégien Munch à la “Closerie des Lilas”— c’est la part russe de son futur univers mental qu’il va acquérir. Il y rencontre deux soeurs, Lucie et Less Kaerrick, des Allemandes de la Baltique, sujettes du Tsar. Lucie deviendra rapidement sa deuxième épouse. Le couple va s’atteler à la traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski (vingt tomes publiés à Munich chez Piper entre le séjour parisien et le déclenchement de la première guerre mondiale). Pour chaque volume, Moeller rédige une introduction, qui disparaîtra des éditions postérieures à 1950. Ces textes, longtemps peu accessibles, figurent toutefois tous sur la grande toile et sont désormais consultables par tout un chacun, permettant de connaître à fond l’apport russe au futur “Jungkonservativismus”, à la “révolution conservatrice” et à l’“Ostideologie” des cercles russophiles nationaux-bolcheviques et prussiens-conservateurs. Moeller est donc celui qui crée l’engouement pour Dostoïevski en Allemagne. L’immersion profonde dans l’oeuvre du grand écrivain russe, qu’il s’inflige, fait de lui un russophile profond qui transmettra sa fascination personnelle à tout le mouvement conservateur-révolutionnaire, “jungkonservativ”, après 1918.

L’anti-occidentalisme politique et géopolitique, qui transparaît en toute limpidité dans le “Journal d’un écrivain” de Dostoïevski, a eu un impact déterminant dans la formation et la maturation de la pensée de Moeller van den Bruck. En effet, ce “Journal” récapitule, entre bien d’autres choses, l’anthropologie de Dostoïevski et énumère les tares des politiques occidentales. L’anthropologie dostoïevskienne dénonce l’avènement d’un homme se voulant “nouveau”, un homme sans ancêtres qui se promet beaucoup d’enfants: un homme qui a coupé le cordon invisible qui le liait charnellement à sa lignée mais veut se multiplier, se cloner à l’infini dans le futur. Cet homme, auto-épuré de toutes les insuffisances qu’il aurait véhiculées depuis toujours par le biais de son corps créé par Dame Nature, s’enfermera bien vite dans un petit monde clos, dans des “clôtures” et finira par répéter une sorte de catéchisme positiviste, pseudo-scientifique, intellectuel, sec, mécanique, qui n’explique rien. Il ne vivra donc plus de “transitions”, de périodes où l’on innove sans trahir le fonds, puisqu’il n’y aura plus de fonds et qu’il n’y aura plus besoin d’innovations, tout ayant été inventé. Nous avons là l’équivalent russe du dernier homme de Nietzsche, qui affirme ses platitudes “en clignant de l’oeil”. L’avènement de cet “homunculus” est déjà, à l’époque de Dostoïevski, bien perceptible dans le vieil Occident, chez les peuples vieillissants. Et la politique de ces Etats vieillis empêche la vigoureuse vitalité slave (surtout serbe et bulgare) de vider “l’homme malade du Bosphore” (c’est-à-dire l’Empire ottoman) de son lit balkanique, et surtout de la Thrace des Détroits. L’Occident est resté “neutre” dans le conflit suscité par la révolte serbe et bulgare (1877-78), trahissant ainsi la “civilisation chrétienne”, face à son vieil ennemi ottoman, et ne s’est manifesté, intéressé et avide, que pour s’emparer des meilleures dépouilles turques, disponibles parce que les peuples jeunes des Balkans avaient versé leur sang généreux. Phrases qu’on peut considérer comme prémonitoires quand on les lit après les événements de l’ex-Yougoslavie, surtout ceux de 1999...

Rencontre avec Dmitri Merejkovski et Zinaïda Hippius

mvb8.jpgMoeller refuse donc l’avènement des “homunculi” et apprend, chez Dostoïevski, à respecter l’effervescence des révoltes de peuples encore jeunes, encore capables de sortir des “clôtures” où on cherche à les enfermer. Mais un autre écrivain russe, oublié dans une large mesure mais toujours accessible aujourd’hui, en langue française, grâce aux efforts de l’éditeur suisse “L’Age d’Homme”, aura une influence déterminante sur Moeller van den Bruck: Dmitri Merejkovski. Cet écrivain habitait Paris, lors du séjour de Moeller van den Bruck dans la capitale française, avec son épouse Zinaïda Hippius (ou “Gippius”). L’objectif de Merejkovski était de rénover la pensée orthodoxe tout en maintenant le rôle central de la religion en Russie: rénover la religion ne signifiait pas pour lui l’abolir. Merejkovski était lié au mouvement des “chercheurs de Dieu”, les “Bogoïskateli”. Il éditait une revue, “Novi Pout” (= “La Nouvelle Voie”), où notre auteur envisageait, conjointement au poète Rozanov, de réhabiliter totalement la chair, de réconcilier la chair et l’esprit: idée qui se retrouvait dans l’air du temps avec des auteurs comme Lemonnier ou Dehmel et, plus tard, D. H. Lawrence. Par sa volonté de rénovation religieuse, Merejkovski s’opposait au théologien sourcilleux du Saint-Synode, le “vieillard jaunâtre” Pobedonostsev, intégriste orthodoxe ne tolérant aucune déviance, aussi minime soit-elle, par rapport aux canons qu’il avait énoncés dans le but de voir régner une “paix religieuse” en Russie, une paix hélas figeante, mortifère, sclérosant totalement les élans de la foi. Comme le faisait en Allemagne, dans le sillage de tout un éventail d’auteurs en vue, l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna depuis 1896, Merejkovski recherche, dans le monde russe cette fois, de nouvelles formes religieuses. Il rend visite à des sectes, ce qui alarme les services de Pobedonostsev, liés à la police politique tsariste. Son but? Réaliser les prophéties de l’abbé cistercien calabrais Joachim de Flore (1130-1202). Pour cet Italien du 12ème siècle, le “Troisième Testament” allait advenir, inaugurant le règne de l’Esprit Saint dans le monde, après le “Règne du Père” et le “Règne du Fils”. Cette volonté de participer à l’avènement du “Troisième Testament” conduit Merejkovski à énoncer une vision politique, jugée révolutionnaire dans la première décennie du 20ème siècle: Pierre le Grand, fondateur de la dynastie des Romanov, est une figure antéchristique car il a ouvert la Russie aux vices de l’Occident, l’empêchant du même coup d’incarner à terme dans le réel ce “Troisième Testament”, que sa spiritualité innée était à même de réaliser. En émettant cette critique hostile à la dynastie, Merejkovski se pose tout à la fois comme révolutionnaire dans le contexte de 1905 et comme “archi-conservateur” puisqu’il veut un retour à la Russie d’avant les Romanov, une contestation qui, aujourd’hui encore, brandit le drapeau noir-blanc-or des ultra-monarchistes qui considèrent la Russie, même celle de Poutine avec son drapeau bleu-rouge-blanc, comme une aberration occidentalisée. En 1905 donc, la Russie qui s’est alignée sur l’Occident depuis Pierre le Grand subit la punition de Dieu: elle perd la guerre qui l’oppose au Japon. L’armée, qui tire dans le tas contre les protestataires emmenés par le Pope Gapone, est donc l’instrument des forces antéchristiques. Le Tsar étant, dans un tel contexte, lui aussi, une figure avancée par l’Antéchrist. La monarchie des Romanov est posée par Merejkovski comme d’essence non chrétienne et non russe. Mais en cette même année 1905, Merejkovski sort un ouvrage très important, intitulé “L’advenance de Cham” ou, en français, “L’avènement du Roi-Mufle”.

L’advenance de Cham

Cham est le fils de Noé (Noah) qui s’est moqué de son père (de son ancêtre direct); à ce titre, il est une figure négative de la Bible, le symbole d’une humanité déchue en canaille, qui rompt délibérément le pacte intergénérationnel, brise la continuité qu’instaure la filiation. C’est cette figure négative, comparable à l’“homme sans ancêtres” de l’anthropologie dostoïevskienne, qui adviendra dans le futur, qui triomphera. Le Cham de Merejkovski est un cousin, un frère, une figure parallèle à cet “homunculus” de Dostoïevski. Dans “L’advenance de Cham”, Merejkovski développe une vision apocalyptique de l’histoire, articulée en trois volets. Il y a eu un passé déterminé par une église orthodoxe figée, celle de Pobedonostsev qui a abruti les hommes, en les enfermant dans des corsets confessionnels trop étriqués, jugulant les élans créateurs et bousculants de la foi et, eux seuls, peuvent réaliser le “Troisième Testament”. Il y a un présent où se déploie une bureaucratie d’Etat, dévoyant la fonction monarchique, la rendant imparfaite et lui inoculant des miasmes délétères, tout en conservant comme des reliques dévitalisées et le Saint-Synode et la monarchie. Il y aura un futur, où ce bureaucratisme se figera et donnera lieu à la révolte de la lie de la société, qui imposera par la violence la “tyrannie de Cham”, véritable cacocratie, difficile à combattre tant elle aura installé des “clôtures” dans le cerveau même des hommes. Merejkovski se veut alors prophète: quand Cham aura triomphé, l’Eglise sera détruite, la monarchie aussi et l’Etat, système abstrait et contraignant, se sera consolidé, devenant un appareil inamovible, lourd, inébranlable. Et l’âme russe dans ce processus? Merejkovski laisse la question ouverte: constituera-t-elle un môle de résistance? Sera-t-elle noyée dans le processus? Interrogations que Soljénitsyne reprendra à son compte pendant son long exil américain.

Itinéraire de Merejkovski

En 1914, Merejkovski se déclare pacifiste, sans doute ne veut-il ni faire alliance avec les vieilles nations occidentales, ennemies de la Russie au 19ème siècle et qui se servent désormais de la chair à canon russe pour broyer leur concurrent allemand, ni avec une Allemagne wilhelminienne qui, elle aussi, ne correspond plus à aucun critère traditionnel d’excellence politique. En 1917, quand éclate la révolution à Saint-Pétersbourg, Merejkovski se proclame immédiatement anti-communiste: les soulèvements menchevik et bolchevique sont pour lui les signes de l’avènement de Cham. Ils créeront le “narod-zver”, le peuple-Bête, serviteur de la Bête de l’Apocalypse. Ces révolutions, ajoute-t-il, “feront disparaître les visages”, uniformiseront les expressions faciales; le peuple ne sera plus que de la “viande chinoise”, le terme “chinois” désignant dans la littérature russe de 1890 à 1920 l’état de dépersonnalisation totale, auquel on aboutit sous la férule d’une bureaucratie omni-contrôlante, d’un mandarinat à la chinoise et d’un despotisme fonctionnarisé, étranger aux tréfonds de l’âme européenne et du personnalisme inhérent au message chrétien (dans l’aire culturelle germanophone, le processus de “dé-facialisation” de l’humanité sera dénoncé et décrit par Rudolf Kassner, sur base d’éléments préalablement trouvés dans l’oeuvre du “sioniste nietzschéen” Max Nordau). En 1920, Merejkovski appelle les Russes anti-communistes à se joindre à l’armée polonaise pour lutter contre les armées de Trotski et de Boudiénny. Fin juin 1941, il prononce un discours à la radio allemande pour appeler les Russes blancs à libérer leur patrie en compagnie des armées du Reich. Il meurt à Paris avant l’arrivée des armées anglo-saxonnes, échappant ainsi à l’épuration. Son épouse, éplorée, entame, nuit et jour, la rédaction d’une biographie intellectuelle de son mari: elle meurt épuisée en 1946 avant de l’avoir achevée. Ce travail demeure néanmoins la principale source pour connaître l’itinéraire exceptionnel de Merejkovski.

Traduction de l’oeuvre entière de Dostoïevski, fréquentation de Dmitri Merejkovski: voilà l’essentiel des années parisiennes de Moeller van den Bruck. Les années berlinoises (1896-1902) avaient été essentiellement littéraires et artistiques. Moeller recherchait des formes nouvelles, un “art nouveau” (qui n’était pas nécessairement le “Jugendstil”), adapté à l’ère de la production industrielle, exprimant l’effervescence vitale des “villes tentaculaires” (Verhaeren). De même, il s’était profondément intéressé aux formes nouvelles qu’adoptait la littérature de la Belle Epoque. A Paris, il prend conscience de sa germanité, tout en devenant russophile et anti-occidentaliste. Il constate que les Français sont un peuple tendu vers la politique, tandis que les Allemands n’ont pas de projet commun et pensent les matières politiques dans la dispersion la plus complète. Les Français sont tous mobilisés par l’idée de revanche, de récupérer deux provinces constitutives du défunt “Saint-Empire”, qui, depuis Louis XIV, servent de glacis à leurs armées pour contrôler tout le cours du Rhin et tenir ainsi tout l’ensemble territorial germanique à leur merci. Barrès, pourtant frotté de culture germanique et wagnérienne, incarne dans son oeuvre, ses discours et ses injonctions, cette tension vers la ligne bleue des Vosges et vers le Rhin. Rien de pareil en Allemagne, où, sur le plan politique, ne règne que le désordre dans les têtes. Les premiers soubresauts de la crise marocaine (de 1905 à 1911) confirment, eux aussi, la politisation virulente des Français et l’insouciance géopolitique des Allemands.

“Die Deutschen”: huit volumes

Moeller tente de pallier cette lacune dangereuse qu’il repère dans l’esprit allemand de son époque. En plusieurs volumes, il campe des portraits d’Allemands (“Die Deutschen”) qui, à ses yeux, ont donné de la cohérence et de l’épaisseur à la germanité. De chacun de ces portraits se dégage une idée directrice, qu’il convient de ramener à la surface, à une époque de dispersion et de confusion politiques. L’ouvrage “Die Deutschen”, en huit volumes, parait de 1904 à 1910. Il constitue l’entrée progressive de Moeller van den Bruck dans l’univers de la “germanité germanisante” et du nationalisme, qu’il n’avait quasi pas connu auparavant —von Liliencron et Dehmel ayant eu, malgré leur nationalisme diffus, des préoccupations bien différentes de celles de la politique. Ce nationalisme nouveau, esquissé par Moeller en filigrane dans “Die Deutschen”, ne dérive nullement des formes diverses de ce pré-nationalisme officiel et dominant de l’ère wilhelminienne dont les ingrédients majeurs sont, sur fond du pouvoir personnalisé de l’Empereur Guillaume II, la politique navale, le mouvement agrarien radical (souvent particulariste et régional), l’antisémitisme naissant, etc. Le mouvement populaire agrarien oscillait —l’ “oscillation” chère à Jean-Pierre Faye, auteur du gros ouvrage “Les langages totalitaires”— entre le Zentrum catholique, la sociale-démocratie, la gauche plus radicale ou le parti national-libéral d’inspiration bismarckienne. Les expressions diverses du nationalisme (agrarien ou autre) de l’ère wilhelminienne n’avaient pas de lieu fixe et spécifique dans le spectre politique: ils “voyageaient” transversalement, pérégrinaient dans toutes les familles politiques, si bien que chacune d’elles avait son propre “nationalisme”, opposé à celui des autres, sa propre vision d’un futur optimal de la nation.

Les transformations rapides de la société allemande sous les effets de l’industrialisation généralisée entraînent la mobilisation politique de strates autrefois quiètes, dépolitisées, notamment les petits paysans indépendants ou inféodés à de gros propriétaires terriens (en Prusse): ils se rassemblent au sein du “Bund der Landwirte”, qui oscille surtout entre les nationaux-libéraux prussiens et le Zentrum (dans les régions catholiques). Cette mobilisation de l’élément paysan de base, populaire et révolutionnaire, fait éclater le vieux conservatisme et ses structures politiques, traditionnellement centrées autour des vieux pouvoirs réels ou diffus de l’aristocratie terrienne. Le vieux conservatisme, pour survivre politiquement, se mue en d’autres choses que la simple “conservation” d’acquis anciens, que la simple défense des intérêts des grands propriétaires aristocratiques, et fusionne lentement, dans un bouillonnement confus et contradictoire s’étalant sur deux bonnes décennies avant 1914, avec des éléments divers qui donneront, après 1918, les nouvelles et diverses formes de nationalisme plus militant, s’exprimant cette fois sans le moindre détour. Le but est, comme dans d’autres pays, d’obtenir, en bout de course, une harmonie sociale nouvelle et régénérante, au nom de théories organiques et “intégrationnistes”. Cette tendance générale —cette pratique moderne et populaire d’agitation— doit faire appel à la mobilisation des masses, critère démocratique par excellence puisqu’il présuppose la généralisation du suffrage universel. C’est donc ce dernier qui fait éclore le nationalisme de masse, qui, de ce fait, est bien —du moins au départ— de nature démocratique, démocratie ne signifiant a priori ni libéralisme ni permissivité libérale et festiviste.

Bouillonnement socio-politique

Moeller van den Bruck demeure éloigné de cette agitation politique —il critique tous les engagements politiques, dans quelque parti que ce soit et ne ménage pas ses sarcasmes sur les pompes ridicules de l’Empereur, “homme sans goût”— mais n’en est pas moins un homme de cette transition générale et désordonnée, encore peu étudiée dans les innombrables avatars qu’elle a produits pendant les deux décennies qui ont précédé 1914. Ce n’est pas dans les comités revendicateurs de la population rurale —ou de la population anciennement rurale entassée dans les nouveaux quartiers insalubres des villes surpeuplées— que Moeller opère sa transition personnelle mais dans le monde culturel, littéraire: il est bien un “Literatentyp”, un “littérateur”, apparemment éloigné de tout pragmatisme politique. Mais le bouillonnement socio-politique, où tentaient de fusionner éléments de gauche et de droite, cherchait un ensemble de thématiques “intégrantes”: il les trouvera dans les multiples définitions qui ont été données de l’“Allemand”, du “Germain”, entre 1880 et 1914. De l’idée mobilisatrice de communisme primitif, germanique ou celtique, évoquée par Engels à l’exaltation de la fraternité inter-allemande dans le combat contre les deux Napoléon (en 1813 et en 1870), il y a un dénominateur commun: un “germanisme” qui se diffuse dans tout le spectre politique; c’est le germanisme des théoriciens politiques (marxistes compris), des philologues et des poètes qui réclament un retour à des structures sociales jugées plus justes et plus équitables, plus conformes à l’essence d’une germanité, que l’on définit avec exaltation en disant sans cesse qu’elle a été oblitérée, occultée, refoulée. Moeller van den Bruck, avec “Die Deutschen”, va tenter une sorte de retour à ce refoulé, de retrouver des modèles, des pistes, des attitudes intérieures qu’il faudra raviver pour façonner un futur européen radieux et dominé par une culture allemande libertaire et non autoritaire, telle qu’elle se manifestait dans un local comme “Zum schwarzen Ferkel”. Toutefois, Moeller soulignera aussi les échecs à éviter dans l’avenir, ceux des “verirrten Deutschen”, des “Allemands égarés”, pour lesquels il garde tout de même un faible, parce qu’ils sont des littérateurs comme lui, tout en démontrant qu’ils ont failli malgré la beauté poignante de leurs oeuvres, qu’ils n’ont pu surmonter le désordre intrinsèque d’une certaine âme allemande et qu’ils ne pourront donc transmettre à l’homme nouveau des “villes tentaculaires” —détaché de tous liens fécondants— cette unité intérieure, cette force liante qui s’estompent sous les coups de l’économisme, de la bureaucratie et de la modernité industrielle, camouflés gauchement par les pompes impériales (le parallèle avec la sociologie de Georg Simmel et avec certains aspects de la pensée de Max Weber est évident ici).

Le voyage en Italie

Après ses quatre années parisiennes, Moeller quitte la France pour l’Italie, où il rencontre le poète Theodor Däubler et lui trouve un éditeur pour son poème de 30.000 vers, “Nordlicht” qui fascinera Carl Schmitt. Il se lie aussi au sculpteur expressionniste Ernst Barlach, qui s’était inspiré du paysannat russe pour parfaire ses oeuvres. Ce sculpteur sera boycotté plus tard par les nationaux-socialistes, en dépit de thématiques “folcistes” qui n’auraient pas dû les effaroucher. Ces deux rencontres lors du voyage en Italie méritent à elles seules une étude. Bornons-nous, ici, à commenter l’impact de ce voyage sur la pensée politique et métapolitique de Moeller van den Bruck. Dans un ouvrage, qui paraîtra à Munich, rehaussé d’illustrations superbes, et qui aura pour titre “Die italienische Schönheit”, Moeller brosse une histoire de l’art italien depuis les Etrusques jusqu’à la Renaissance. Ce n’est ni l’art de Rome ni les critères de Vitruve qui emballent Moeller lors de son séjour en Italie mais l’architecture spécifique de la Ravenne de Théodoric, le roi ostrogoth. Cette architecture, assez “dorienne” dans ses aspects extérieurs, est, pour Moeller, l’“expression vitale d’un peuple”, le “reflet d’un espace particulier”, soit les deux piliers —la populité et la spatialité— sur lesquels doit reposer un art réussi. Plus tard, en réhabilitant le classicisme prussien, Moeller renouera avec un certain art romain, vitruvien dans l’interprétation très classique des Gilly, Schinckel, etc. En 1908, il retourne en Allemagne et se présente au “conseil de révision” pour se faire incorporer dans l’armée. Il effectuera un bref service à Küstrin mais sera rapidement exempté, vu sa santé fragile. Il se fixe ensuite à Berlin mais multiplie les voyages jusqu’en 1914: Londres, Paris, l’Italie (dont plusieurs mois en Sicile), Vienne, les Pays Baltes, la Russie et la Finlande. En 1914, avant que n’éclate la guerre, il est au Danemark et en Suède.

Style prussien et “Deutscher Werkbund”

 

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mvb16.jpgQuand la Grande Guerre se déclenche, Moeller est en train de rédiger “Der preussische Stil”, retour à l’architecture des Gilly, Schinckel et von Klenze mais aussi réflexions générales sur la germanité qui, pour trouver cette unité intérieure recherchée tout au long des huit volumes de “Die Deutschen”, doit opérer un retour à l’austérité dorienne du classicisme prussien et abandonner certaines fantaisies ou ornements prisés lors des décennies précédentes: même constat chez l’ensemble des architectes, qui abandonnent la luxuriance du Jugendstil pour une “Sachlichkeit” plus sobre. La réhabilitation du “style prussien” implique aussi l’abandon de ses anciennes postures de dandy, une exaltation des vertus familiales prussiennes, de la sobriété, de la “Kargheit”, etc. Le livre “Der preussische Stil” sera achevé pendant la guerre, sous l’uniforme. Il s’inscrit dans la volonté de promouvoir des formes nouvelles, tout en gardant un certain style et un certain classicisme, bref de lancer l’idée d’un modernisme anti-moderne (Volker Weiss). Moeller s’intéresse dès lors aux travaux d’architecture et d’urbanisme de Peter Behrens (1868-1940; photo), un homme de sa génération. Behrens est le précurseur de la “sachliche Architektur”, de l’architecture objective, réaliste. Il est aussi, pour une large part, le père du “design” moderne. Pas un objet contemporain n’échappe à son influence. Behrens donne un style épuré et sobre aux objets nouveaux, exigeant des formes nouvelles, qui meublent désormais les habitations dans les sociétés hautement industrialisées, y compris celles des foyers les plus modestes, auparavant sourds à toute esthétique (cf. H. van de Velde).

Mvb11.jpgLe style préconisé par Behrens, pour les objets nouveaux, n’est pas chargé, floral ou végétal, comme le voulait l’Art Nouveau (Jugendstil) mais très dénué d’ornements, un peu à la manière futuriste, le groupe futuriste italien autour de Marinetti ayant appelé, avec virulence, à rejeter toutes les ornementations inutiles prisées par l’académisme dominant. On trouve encore dans nos magasins, aujourd’hui, bon nombre de théières, de couverts, de téléphones, d’horloges ou de pièces de vaisselle qui proviennent en droite ligne des ateliers de Behrens, avec très peu de changements. Le mouvement d’art et de design, lancé par Behrens, s’organise au sein du “Deutscher Werkbund”, où oeuvrent également des célébrités comme Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe ou Le Corbusier. Le “Werkbund” travaille pour l’AEG (“Allgemeine Elektrische Gesellschaft”), qui produit des lampes, des appareils électro-ménagers à diffuser dans un public de plus en plus vaste. Le “Werkbund” préconise par ailleurs une architecture monumentale, dont les fleurons seront des usines, des écoles, des ministères et l’ambassade allemande à Saint-Pétersbourg. Pour Moeller, Behrens trouve le style qui convient à l’époque: le lien est encore évident avec le classicisme prussien, il n’y a pas rupture traumatisante, mais le résultat final est “autre chose”, ce n’est pas une répétition pure et simple.

Henry van de Velde

Après 1918, la recherche d’un style bien particulier, d’une architecture majestueuse, monumentale et prestigieuse n’est, hélas, plus de mise: il faut bâtir moins cher et plus vite, l’art spécifique du “Deutscher Werkbund” glisse rapidement vers la “Neue Sachlichkeit”, où excelleront des architectes comme Gropius et Mies van der Rohe. L’évolution de l’architecture allemande est typique de cette époque qui part de l’Art Nouveau (Jugendstil), avec ses ornements et ses courbes, pour évoluer vers un abandon progressif de ces ornements et se rapprocher de l’austérité vitruvienne du classicisme prussien du début du 19ème, sans toutefois aller aussi loin que la “neue Sachlichkeit” des années 20 dans le rejet de toute ornementation. L’architecte Paul Schulze-Naumburg , qui adhèrera au national-socialisme, polémique contre la “Neue Sachlichkeit” en l’accusant de verser dans la “Formlosigkeit”, dans l’absence de toute forme. Dans cette effervescence, on retrouve l’oeuvre de Henry van de Velde (1863-1957), partie, elle aussi, du pré-raphaëlisme anglais, des idées de John Ruskin (dont Hedda Maase avait traduit les livres), de William Morris, etc. Fortement influencé par sa lecture de Nietzsche, van de Velde tente de traduire la volonté esthétisante et rénovatrice du penseur de Sils-Maria en participant aux travaux du Werkbund, notamment dans les ateliers de “design” et dans la “colonie des artistes” de Darmstadt, avant 1914. Revenu en Belgique peu avant la seconde guerre mondiale, il accepte de travailler au sein d’une commission pour la restauration du patrimoine architectural bruxellois pendant les années de la deuxième occupation allemande: il tombe en disgrâce suite aux cabales de collègues jaloux et médiocres qui saccageront la ville dans les années 50 et 60, tant et si bien qu’on parlera de “bruxellisation” dans le jargon des architectes pour désigner la destruction inconsidérée d’un patrimoine urbanistique. Le procès concocté contre lui n’aboutit à rien, mais van de Velde, meurtri et furieux, quitte le pays définitivement, se retire en Suisse où il meurt en 1957.

Les figures de Peter Behrens, Henry van de Velde et Paul Schulze-Naumburg méritent d’être évoquées, et situées dans le contexte de leur époque, pour montrer que les thèmes de l’architecture, de l’urbanisme et des formes du “design” participent, chez Moeller van den Bruck, à l’élaboration du “style” jungkonservativ qu’il contribuera à forger. Ce style n’est pas marginal, n’est pas l’invention de quelques individus isolés ou de petites phalanges virulentes et réduites mais constitue bel et bien une synthèse concise des innovations les plus insignes des trois premières décennies du 20ème siècle. La quête de Moeller van den Bruck est une quête de formes et de style, de forme pour un peuple enfin devenu conscient de sa force politique potentielle, équivalente en grandeur à ses capacités culturelles, pour un peuple devenu enfin capable de bâtir un “Troisième Règne” de l’esprit, au sens où l’entendait le filon philosophique, théologique et téléologique partant de Joachim de Flore pour aboutir à Dmitri Merejkovski.

La guerre au “Département de propagande”

Pendant que Moeller rédigeait la première partie de “Der preussische Stil”, l’Allemagne et l’Europe s’enfoncent dans la guerre immobile des tranchées. Le réserviste Moeller est mobilisé dans le “Landsturm”, à 38 ans, vu sa santé fragile, la réserve n’accueillant les hommes pleinement valides qu’à partir de 39 ans. Il est affecté au Ministère de la guerre, dans le département de la propagande et de l’information, l’“Auslandsabteilung”, ou le “MAA” (“Militärische Stelle des Auswärtigen Amtes”), tous deux chargés de contrer la propagande alliée. En ce domaine, les Allemands se débrouillent d’ailleurs très mal: ils publient à l’intention des neutres, Néerlandais, Suisses et Scandinaves, de gros pavés bien charpentés sur le plan intellectuel mais illisibles pour le commun des mortels: à l’ère des masses, cela s’appelle tout bonnement rater le coche. Cette propagande n’a donc aucun impact. Dans ce département, Moeller rencontre Max Hildebert Boehm, Waldemar Bonsels, Herbert Eulenberg (le nouveau mari de sa première femme), Hans Grimm, Friedrich Gundolf et Börries von Münchhausen. Tous ces hommes constitueront la base active qui militera après guerre, dans une Allemagne vaincue, celle de la République de Weimar, pour restaurer l’autonomie du politique et la souveraineté du pays.

Dans le double cadre de l’“Auslandsabteilung” et du MAA, Moeller rédige “Belgier und Balten” (= “Des Belges et des Baltes”), un appel aux habitants de Belgique et des Pays Baltes à se joindre à une vaste communauté économique et culturelle, dont le centre géographique serait l’Allemagne. Il amorce aussi la rédaction de “Das Recht der jungen Völker” (= “Le droit des peuples jeunes”), qui ne paraîtra qu’après l’armistice de novembre 1918. Le terme “jeune” désigne ici la force vitale, dont bénéficient encore ces peuples, et la “proximité du chaos”, un chaos originel encore récent dans leur histoire, un chaos bouillonnant qui sous-tend leur identité et duquel ils puisent une énergie dont ne disposent plus les peuples vieillis et éloignés de ce chaos. Pour Moeller, ces peuples jeunes sont les Japonais, les Allemands (à condition qu’ils soient “prussianisés”), les Russes, les Italiens, les Bulgares, les Finlandais et les Américains. “Das Recht der jungen Völker” se voulait le pendant allemand des Quatorze Points du président américain Woodrow Wilson. Le programme de ce dernier est arrivé avant la réponse de Moeller qui, du coup, n’apparait que comme une réponse tardive, et même tard-venue, aux Quatorze Points. Moeller prend Wilson au mot: ce dernier prétend n’avoir rien contre l’Allemagne, rien contre aucun peuple en tant que peuple, n’énoncer qu’un programme de paix durable mais tolère —contradiction!— la mutilation du territoire allemand (et de la partie germanique de l’empire austro-hongrois). Les Allemands d’Alsace, de Lorraine thioise, des Sudètes et de l’Egerland, de la Haute-Silésie et des cantons d’Eupen-Malmédy n’ont plus le droit, pourtant préconisé par Wilson, de vivre dans un Etat ne comprenant que des citoyens de même nationalité qu’eux, et doivent accepter une existence aléatoire de minoritaires au sein d’Etats quantitativement tchèque, français, polonais ou belge. Ensuite, Wilson, champion des “droits de l’homme” ante litteram, ne souffle mot sur le blocus que la marine britannique impose à l’Allemagne, provoquant la mort de près d’un million d’enfants dans les deux ou trois années qui ont suivi la guerre.

La transition “jungkonservative”

L’engagement politique “jeune-conservateur” est donc la continuation du travail patriotique et nationaliste amorcé pendant la guerre, en service commandé. Pour Moeller, cette donne nouvelle constitue une rupture avec le monde purement littéraire qu’il avait fréquenté jusqu’alors. Cependant l’attitude “jungkonservative”, dans ce qu’elle a de spécifique, dans ce qu’elle a de “jeune”, donc de dynamique et de vectrice de “transition”, est incompréhensible si l’on ne prend pas acte des étapes antérieures de son itinéraire de “littérateur” et de l’ambiance prospective de ces bohèmes littéraires berlinoises, munichoises ou parisiennes d’avant 1914. Le “Jungkonservativismus” politisé est un avatar épuré de la grande volonté de transformation qui a animé la Belle Epoque. Et cette grande volonté de transformation n’était nullement “autoritaire” (au sens où l’Ecole de Francfort entend ce terme depuis 1945), passéiste ou anti-démocratique. Ces accusations récurrentes, véritables ritournelles de la pensée dominante, ne proviennent pas d’une analyse factuelle de la situation mais découlent en droite ligne des “vérités de propagande” façonnées dans les officines françaises, anglaises ou américaines pendant la première guerre mondiale. L’Allemagne wilhelminienne, au contraire, était plus socialiste et plus avant-gardiste que les puissances occidentales, qui prétendent encore et toujours incarner seules la “démocratie” (depuis le paléolithique supérieur!). Les mésaventures judiciaires du cabaretier Wedekind, et la mansuétude relative des tribunaux chargés de le juger, pour crime de lèse-majesté ou pour offense aux bonnes moeurs, indique un degré de tolérance bien plus élevé que celui qui règnait aileurs en Europe à l’époque et que celui que nous connaissons aujourd’hui, où la liberté d’opinion est de plus en plus bafouée. Mieux, le sort des homosexuels, qui préoccupe tant certains de nos contemporains, était enviable dans l’Allemagne wilhelminienne, qui, contrairement à la plupart des “démocraties” occidentales, ne pratiquait, à leur égard, aucune forme d’intolérance. Cet état de choses explique notamment le tropisme germanophile d’un écrivain flamand (et homosexuel) de langue française, Georges Eeckoud, par ailleurs pourfendeur de la mentalité marchande d’Anvers, baptisée la “nouvelle Carthage”, pour les besoins de la polémique.

“Montagstische”, “Der Ring”

Les anciens du MAA et des autres bureaux de (mauvaise) contre-propagande allemande se réunissent, après novembre 1918, lors des “Montagstische”, des “tables du lundi”, rencontres informelles qui se systématiseront au sein d’un groupe nommé “Der Ring” (= “L’Anneau”), où l’on remarquait surtout la présence de Hans Grimm, futur auteur d’un livre à grand succès “Volk ohne Raum” (“Peuple sans espace”). Les initiatives post bellum vont se multiplier. Elles ont connu un précédent politique, la “Vereinigung für nationale und soziale Solidarität” (= “Association pour la solidarité nationale et sociale”), émanation des syndicats solidaristes chrétiens (surtout catholiques) plus ou moins inféodés au Zentrum. Le chef de file de ces “Solidarier” (“solidaristes”) est le Baron Heinrich von Gleichen-Russwurm (1882-1959), personnalité assez modérée à cette époque-là, qui souhaitait d’abord un modus vivendi avec les puissances occidentales, désir qui n’a pu se concrétiser, vu le blocus des ports de la Mer du Nord qu’ont imposé les Britanniques, pendant de longs mois après la cessation des hostilités. Heinrich von Gleichen-Russwurm réunit, au sein du “Ring”, une vingtaine de membres, tous éminents et désireux de sauver l’Allemagne du naufrage consécutif de la défaite militaire. Parmi eux, l’Alsacien Eduard Stadtler et le géopolitologue Adolf Grabowski (qui restera actif longtemps, même après la seconde guerre mondiale).

Eduard Stadtler

mvb9.jpgL’objectif est de penser un “nouvel Etat”, une “nouvelle économie” et une “nouvelle communauté des peuples”, où le terme “nouveau” est équivalent à celui de “jeune”, proposé par Moeller. Ce cercle attire les révolutionnaires anti-bolchéviques, anti-libéraux et anti-parlementaires. D’autres associations proposent les mêmes buts mais c’est incontestablement le “Ring” qui exerce la plus grande influence sur l’opinion publique à ce moment précis. Sous l’impulsion d’Eduard Stadtler (1886-1945, disparu en captivité en Russie), se crée, en marge du “Ring”, la “Ligue anti-bolchevique”. Natif de Hagenau en Alsace, Eduard Stadtler est, au départ, un militant catholique du Zentrum. Il est, comme beaucoup d’Alsaciens, de double culture, française et allemande. Il est détenteur du “bac” français mais combat, pendant la Grande Guerre, dans les rangs de l’armée allemande, en tant que citoyen allemand. En 1917 et en 1918, il est prisonnier en Russie. Après la paix séparée de Brest-Litovsk, signée entre les Bolcheviques et le gouvernement impérial allemand, Stadtler dirige le bureau de presse du consulat allemand de Moscou. Il assiste à la bolchévisation de la Russie, expérience qui le conduit à honnir l’idéologie léniniste et ses pratiques. Revenu en Allemagne, il fonde la “Ligue anti-bolchevique” en décembre 1918 puis rompt début 1919 avec le Zentrum de Matthias Erzberger, qui sera assassiné plus tard par les Corps Francs. Il est un de ceux qui ordonnent l’exécution des deux leaders communistes allemands, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. La “Ligue” est financée par des industriels et la Banque Mankiewitz et reçoit l’appui du très influent diplomate Karl Helfferich (1872-1924), l’ennemi intime de Walther Rathenau. Stadtler est un orateur flamboyant, usant d’une langue suggestive et colorée, idéale pour véhiculer un discours démagogique. Entre 1919 et 1925, il participe activement au journal hebdomadaire des “Jungkonservativen”, “Das Gewissen” (= “Conscience”), auquel Moeller s’identifiera. Après 1925, la République de Weimar se consolide: le danger des extrémismes virulents s’estompe et la “Ligue anti-bolchevique” n’a plus vraiment raison d’être. Stadtler en tirera le bilan: “Les chefs [de cette ligue] n’étaient pas vraiment animés par un “daimon” et n’ont pu hisser de force l’esprit populaire, le tirer des torpeurs consécutives à l’effondrement allemand, pour l’amener au niveau incandescant de leurs propres volontés”. Stadtler rejoindra plus tard le Stahlhelm, fondera l’association “Langemarck” (structure paramilitaire destinée aux étudiants), sera membre de la DNVP conservatrice puis de la NSDAP; il participera aux activités de la maison d’édition Ullstein, après le départ de Koestler, quand celle-ci s’alignera sur le “renouveau national” mais Stadtler se heurtera, dans ce cadre, à la personnalité de Joseph Goebbels. Stadtler reste chrétien, fidèle à son engagement premier dans le Zentrum, fidèle aussi à son ancrage semi-rural alsacien, mais son christianisme est social-darwiniste, mâtiné par une lecture conjointe de Houston Stewart Chamberlain et des ouvrages du géopolitologue suédois Rudolf Kjellén, figure de proue des cercles germanophiles à Stockholm, et créateur de la géopolitique proprement dite, dont s’inspirera Karl Haushofer.

Du “Jungkonservativismus” au national-bolchevisme

Après le ressac de la “Ligue anti-bolchevique”, les “Jungkonservativen” se réunissent au sein du “Juni-Klub”. Dans le paysage politique allemand, le Zentrum est devenu un parti modéré (c’est pour cela que Stadtler le quitte en dénonçant le “modérantisme” délétère d’Erzberger). La gauche libérale et nationale de Naumann, théoricien de l’union économique “mitteleuropéenne” pendant la première guerre mondiale, ne se profile pas comme anti-parlementaire. Naumann veut des partis disciplinés sinon on aboutit, écrit-il à ses amis, à l’anarchie totale. Les “Jungkonservativen”, une fois le danger intérieur bolchevique éliminé en Allemagne, optent pour un “national-bolchevisme”, surtout après l’occupation de la Ruhr par les Français et l’exécution d’Albert-Leo Schlageter, coupable d’avoir commis des attentats en zone occupée. Le martyr de Schlageter provoque l’union nationale en Allemagne: nationalistes et communistes (avec Karl Radek) exaltent le sacrifice de l’officier et fustigent la “France criminelle”. Les “Jungkonservativen” glissent donc vers le “national-bolchevisme” et se rassemblent dans le cadre du “Juni-Klub”. Ce club est composé d’anciens “Solidarier” et de militants de diverses associations patriotiques et étudiantes, de fédérations d’anciens combattants. Max Hildebert Boehm y amène des Allemands des Pays Baltes, qui seront fort nombreux et y joueront un rôle de premier plan. Arthur Moeller van den Bruck y amène, lui, ses amis Conrad Ansorge, Franz Evers, Paul Fechter, Rudolf Pechel et Carl Ludwig Schleich. L’organisateur principal du club est von Gleichen. Le nom de l’association, “Juin”, vient du mois de juin 1919, quand le Traité de Versailles est signé. A partir de ce mois de juin 1919, les membres du club jurent de lutter contre tous les effets du Traité, du “Diktat”. Ils s’opposent au “November-Klub” des socialistes, qui se réfèrent au mois de la capitulation et de la proclamation de la république en 1918. Ce “Juni-Klub” n’a jamais publié de statuts ou énoncé des principes. Il a toujours gardé un caractère informel. Ses activités se bornaient, dans un premier temps, à des conversations à bâtons rompus.

Dictionnaire politique et revue “Gewissen”

La première initiative du “Juni-Klub” a été de publier un dictionnaire politique, tiré à 125.000 exemplaires. Les membres du club participent à la rédaction de l’hebdomadaire “Gewissen”, fondé le 9 avril 1919 par Werner Wirth, ancien officier combattant. Après la prise en charge de l’hebdomadaire par Eduard Stadtler, le tirage est de 30.000 exemplaires déclarés en 1922 (on pense qu’en réalité, il n’atteignait que les 4000 exemplaires vendus). La promotion de cette publication était assurée par la “Société des Amis de Gewissen”. Moeller van den Bruck, homme silencieux, piètre orateur et timide, prend sur ses épaules tout le travail de rédaction; la tâche est écrasante. Une équipe d’orateurs circule dans les cercles d’amis; parmi eux: Max Hildebert Boehm, le scientifique Albert Dietrich, le syndicaliste Emil Kloth, Hans Roeseler, Joachim Tiburtius et l’ancien communiste devenu membre du “Juni-Klub”, Fritz Weth. Le public qui assiste à ces conférences est vaste et élitaire mais provient de tous les horizons politiques de l’Allemagne de la défaite, socialistes compris. Un tel aréopage serait impossible à reconstituer aujourd’hui, vu l’intolérance instaurée partout par le “politiquement correct”. Reste une stratégie possible dans le contexte actuel: juxtaposer des textes venus d’horizons divers pour mettre en exergue les points communs entre personnalités appartenant à des groupes politiques différents et antagonistes mais dont les réflexions constituent toutes des critiques de fond du nouveau système globalitaire et du nouvel agencement du monde et de l’Europe, voulu par les Bush (père et fils), par Clinton et Obama, comme le nouvel ordre de la victoire avait été voulu en 1919 par Wilson et Clémenceau.

Diverses initiatives

Les années 1919 et 1920 ont été les plus fécondes pour le “Juni-Klub” et pour “Gewissen”. Dans la foulée de leurs activités, se crée ensuite le “Politisches Kolleg” (= “Collège politique”), dont le modèle était français, celui de l’“Ecole libre des sciences politiques”, fondé à Paris en 1872, après la défaite de 1871. Le but de cette “Ecole libre” était de faire émerger une élite revencharde pour la France. En 1919, les Allemands, vaincus à leur tour, recourent au même procédé. L’idée vient de Stadtler, qui connait bien la France, et de son professeur, le catholique, issu du Zentrum comme lui, Martin Spahn (1875-1945), fils d’une des figures fondatrices du Zentrum, Peter Spahn (1846-1925). Le national-libéral Friedrich Naumann fonde de son côté la “Staatsbürgerschule” (= “L’école citoyenne”), tandis qu’Ernst Jäkh, qui fut également propagandiste pendant la première guerre mondiale et spécialisé dans les relations germano-turques, crée la “Hochschule für Politik” (= “Haute Ecole de Politique”). Les passerelles sont nombreuses entre toutes ces initiatives. Le 1 novembre 1920 nait, sous la présidence de Martin Spahn, le “Politisches Kolleg für nationalpolitische Schulungs- und Bildungsarbeit” (= “Collège politique pour l’écolage et la formation nationales-politiques”). Les secrétaires sont von Gleichen et von Broecker. Mais c’est Moeller van den Bruck, une fois de plus, qui est la cheville ouvrière de l’ensemble: il garde la cohérence du “Juni-Klub”, du “Politisches Kolleg” et du “Ring”, qui tous prennent de l’extension et nécessitent un financement accru. Ecrasé sous le travail, Moeller s’effondre, tombe gravement malade. Du coup, les liens entre membres et entre structures similaires se disloquent. En décembre 1924, le “Juni-Klub” se transforme en “Herren-Klub”, glissement que Moeller juge “réactionnaire”, contraire aux principes fondamentaux du “Jungkonservativismus” et à la stratégie “nationale-bolchevique”. La maladie, la déception, l’épuisement physique et moral, la mort de son fils Wolfgang souffrant de tuberculose (il était né de son premier mariage avec Hedda Maase) sont autant de coups durs qui l’amènent à se suicider le 30 mai 1925.

Immédiatement après la mort de Moeller van den Bruck, Max Hildebert Boehm quitte le “Politisches Kolleg” et fonde une organisation nouvelle, l’“Institut für Grenz- und Auslandsstudien” (= “Institut pour les études des frontières et de l’étranger”). L’ensemble des structures supervisées par Moeller van den Bruck se disloque. Une partie des membres se tourne vers la “Hochschule für Politik” d’Ernst Jäkh. Le corporatiste moderne issu du Zentrum Heinz Brauweiler et l’Alsacien Eduard Stadtler rejoignent tous deux le Stahlhelm, puis la DNVP.

“Altkonservativismus” et “Jungkonservativismus”

Quelles ont été les idées de cette nébuleuse patronnée par Moeller van den Bruck? Comment se sont articulées ces idées? Quelle est la teneur du “Jungkonservativismus”, parfois appelé “nouvelle droite” ou “jeune droite”? Sa qualité de “jung”, de “jeune”, le distingue forcément du “Konservativismus” tout court, ou de l’“Altkonservativismus” (le “vieux-conservatisme”). On peut définir le “Konservativismus” comme l’ensemble des réactions politiques à la révolution française et/ou aux effets de cette révolution au cours du 19ème siècle. Comme l’a un jour souligné dans les colonnes de “Criticon” et de “Vouloir” le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, la contre-révolution est un véritable kaléidoscope d’idées diverses, hétérogènes. On y trouve évidemment la critique de l’Anglais Edmund Burke qui déplore la rupture de continuité provoquée par la révolution mais, comme le signalait naguère, à son propos, le Prof. Claude Polin à Izegem lors d’un colloque de la “nouvelle droite” flamande, si les forces qui ont provoqué la rupture parviennent à assurer une continuité nouvelle, cette continuité, parce qu’elle est continuité, mérite à son tour d’être conservée, puisqu’elle devient “légitime”, tout simplement parce qu’elle a duré quelques décennies. Pour Polin, cette sacralisation d’idées révolutionnaires, tout simplement parce qu’elles ont duré, prouve qu’il n’y a pas véritablement de “conservatisme” britannique et burkéen: nous avons alors affaire à une justification du “révolutionarisme institutionalisé”, ce que confirme le folklore de la république française actuelle et l’usage immodéré des termes “République”, “républicain”, “idéal républicain”, “valeurs républicaines”, etc. que l’on juxtapose à ceux de “laïcisme” et de “laïcité”. Cet usage est inexportable et ne permet pas de forger une “Leitkultur” acceptée de tous, surtout de la majorité autochtone, tandis que les communautés immigrées musulmanes rejettent également ce fatras laïciste, dégoûtées par l’écoeurante platitude de ce discours, partagé par toutes les gauches, mêmes les plus intéressantes, comme celles de Régis Debray ou Elizabeth Lévy (cf. le mensuel “Le Causeur”).

Dans le kaléidoscope de la contre-révolution, il y a ensuite l’organicisme, propre du romantisme post-révolutionnaire, incarné notamment par Madame de Staël, et étudié à fond par le philosophe strasbourgeois Georges Gusdorf. Cet organicisme génère parfois un néo-médiévisme, comme celui chanté par le poète Novalis. Qui dit médiévisme, dit retour du religieux et de l’irrationnel de la foi, force liante, au contraire du “laïcisme”, vociféré par le “révolutionarisme institutionalisé”. Cette revalorisation de l’irrationnel n’est pas nécessairement absolue ou hystérique: cela veut parfois tout simplement dire qu’on ne considère pas le rationalisme comme une panacée capable de résoudre tous les problèmes. Ensuite, le vieux-conservatisme rejette l’idée d’un droit naturel mais non pas celle d’un ordre naturel, dit “chrétien” mais qui dérive en fait de l’aristotélisme antique, via l’interprétation médiévale de Thomas d’Aquin. Ce mélange de thomisme, de médiévisme et de romantisme connaîtra un certain succès dans les provinces catholiques d’Allemagne et dans la zone dite “baroque” de la Flandre à l’Italie du Nord et à la Croatie.

“Fluidifier les concepts”

Tels sont donc les ingrédients divers de la “vieille droite” allemande, de l’Altkonservativismus. Pour Moeller, ces ingrédients ne doivent pas être rejetés a priori: il faut plutôt les présenter sous d’autres habits, en les dynamisant par la volonté (soit par l’idée post-nietzschéenne d’“assaut” chez Heidegger, formulée bien après après le suicide de Moeller, qui la devinait, chez qui elle était en germe). L’objectif philosophique fondamental, diffus, des courants de pensée, dans lesquels Moeller a été plongé depuis son arrivée à Berlin, à l’âge de vingt ans, est, comme le dira Heidegger plus tard, de “fluidifier les concepts”, de leur ôter toute rigidité inopérante. Le propre d’un “jeune-conservatisme” est donc, en fait, de briser les fixismes et de rendre un tonus offensif à des concepts que le 19ème siècle avait contribué à rendre désespérément statiques. Cette volonté de “fluidifier” les concepts ne se retrouvait pas qu’à droite de l’échiquier politique, à gauche aussi, on tentait de redynamiser un marxisme ou un socialisme que les notables et les oligarques partisans avaient rigidifié (cf. les critiques pertinentes de Roberto Michels). La politique est un espace de perpétuelles transitions: les vrais hommes politiques sont donc ceux qui parviennent à demeurer eux-mêmes, fidèles à des traditions —à une “Leitkultur” dirait-on aujourd’hui— mais sans figer ces traditions, en les maintenant en état de dynamisme constant, bref, répétons-le une fois de plus, l’état de dynamisme d’une anti-modernité moderniste.

De même, le regard que doivent poser les hommes politiques “jeunes-conservateurs” sur les peuples voisins de l’Allemagne est un regard captateur de dynamiques et non un regard atone, habitué à ne voir qu’un éventail figé de données et à le croire immuable. Pour Moeller, l’homme politique “jeune-conservateur” cherche en permanence à comprendre l’existence, les dimensions existentielles (et pas seulement les “essences” réelles ou imaginaires) des peuples et des nations ainsi que des personnalités marquantes de leur histoire politique, tout cela au départ d’un donné historique précis (localisé dans un espace donné qui n’est pas l’espace voisin ou l’espace éloigné ou l’espace du globe tout entier, comme le souhaiteraient les cosmopolites).

L’ordre naturel n’est pas immuable

Le “Jungkonservativismus” se démarque de l’“Altkonservativismus” en ne considérant pas l’ordre naturel comme immuable. Une telle vision de l’ordre naturel est jugée fausse par les “jeunes-conservateurs”, qui n’entendent pas retenir son caractère “immuable”, l’observation des faits de monde dans la longue période de transition que furent les années 1880-1920 n’autorisant pas, bien entendu, un tel postulat. De plus, la physique de la deuxième révolution thermodynamique ne retient plus la notion d’un donné physique, géographique, naturel, biologique stable. Au contraire, toutes les réalités, fussent-elles en apparence stables dans la durée, sont désormais considérées comme mouvantes. L’attitude qui consiste à se lamenter face à la fluidification des concepts, à déplorer la disparition de stabilités qu’on avait cru immuables, est inepte. Vouloir arrêter ou ralentir le flux du réel est donc une position inféconde pour les “jeunes-conservateurs”. Arthur Moeller van den Bruck exprime le sentiment de son “Jungkonservativismus” en écrivant que “les conservateurs ont voulu arrêter la révolution, alors qu’ils auraient dû en prendre la tête”. Il ne s’agit plus de construire des barrages, d’évoquer un passé révolu, de faire du médiévisme religieux ou, pour s’exprimer comme les futuristes dans la ligne de Marinetti, de se complaire dans le “passatisme”, dans l’académisme répétitif. Moeller ajoute que le piétisme des protestants prussiens est également une posture devenue intenable.

Troisième Voie

Vers 1870, les premiers éléments de nationalisme s’infiltrent dans la pensée conservatrice, alors que les vieux-conservateurs considéraient que toute forme de nationalisme était “révolutionnaire”, située à gauche de l’échiquier politique. Le nationalisme était effectivement une force de gauche en 1848, organisé qu’il était non en partis mais en associations culturelles ou, surtout, en ligues de gymnastique, en souvenir de “Turnvater Jahn”, l’hébertiste allemand anti-napoléonien. Les “vieux-conservateurs” considéraient ce nationalisme virulent et quarante-huitard comme trop dynamique et trop “bousculant” face aux institutions établies, qui n’avaient évidemment pas prévu les bouleversements de la société européenne dans la seconde moitié du 19ème siècle. Arthur Moeller van den Bruck propose une “troisième voie”: la répétition des ordres metternichien, bismarckien et wilhelminien est devenue impossible. Les “Jungkonservativen” doivent dès lors adopter une position qui rejette tout à la fois la réaction, car elle conduit à l’immobilisme, et la révolution, parce qu’elle mène au chaos (au “Règne de Cham” selon Merejkovski). Cette “troisième voie” (“Dritter Weg”) rejette le libéralisme en tant que réduction des activités politiques à la seule économie et en tant que force généralisant l’abstraction dans la société (en multipliant des facteurs nouveaux et inutiles, dissolvants et rigidifiants, comme les banques, les compagnies d’assurance, la bureaucratie, les artifices soi-disant “rationnels”, etc., dénoncés par la sociologie de Georges Simmel); le libéralisme est aussi le terreau sur lequel s’est développé ce que l’on appelait à l’époque le “philistinisme”. Carlyle, Matthew Arnold et les Pré-Raphaëlites anglais autour de Ruskin et de Morris avaient dénoncé l’effondrement de toute culture vraie, de toute communauté humaine saine, sous les coups de la “cash flow society”, de l’utilitarisme, du mercantilisme, etc. dans l’Angleterre du 19ème, première puissance libérale et industrielle du monde moderne. Comme l’avait envisagé Burke, ce libéral-utilitarisme était devenu une “continuité” et, à ce titre, une “légitimité”, justifiant plus tard l’alliance des libéraux (ou des “vieux-libéraux”) avec le vieux conservatisme. Les “Jungkonservativen” allemands d’après 1918 ne veulent pas d’une telle alliance, qui ne défend finalement rien de fondamental, uniquement des intérêts matériels et passagers, au détriment de tout principe (éternel). Pour défendre ces principes éternels, battus en brèche par le libéralisme, il faut recourir à des réflexes nationalistes et/ou socialistes, lesquels bousculent les concepts impassables du conservatisme sans les nier et en les dynamisant.

Critique du libéralisme

Le libéralisme, dans l’optique “jungkonservative”, repose sur l’idée d’un progrès qui serait un cheminement inéluctable vers du “meilleur”, du moins un “meilleur” quantitatif et matériel, en aucun cas vers une amélioration générale du sort de l’humanité sur un plan qualitatif et spirituel. L’idée de progrès, purement quantitative, dévalorise automatiquement le passé, les acquis, les valeurs héritées, tout comme l’idéal marchand, l’idéal spéculateur, du libéralisme dévalorise les valeurs éthiques et esthétiques, qui seules donnent sel au monde. Pour Moeller van den Bruck, c’est là la position la plus inacceptable des libéraux. Ignorer délibérément le passé, dans ce qu’il a de positif comme dans ce qu’il a de négatif, est une posture à rejetter à tout prix. Le libéral veut donc que l’on ignore obligatoirement tous les acquis du passé: son triomphe dans les premières années de la République de Weimar fait craindre une éradication totale et définitive des mémoires collectives, de l’identité allemande. Face à cette attitude, le “Jungkonservativismus” doit devenir le gardien des formes vivantes, des matrices qui donnent vie aux valeurs, pour ensuite les conduire jusqu’à leur accomplissement, leur paroxysme; il doit appeler à la révolte contre les forces politiques qui veulent que ces formes et matrices soient définitivement oubliées et ignorées; il doit également dépasser ceux qui entendent garder uniquement des formes mortes, relayant de la sorte le message des avant-gardes naturalistes, symbolistes, expressionnistes et futuristes. Ce recours implicite aux audaces des avant-gardes fait que le “Jungkonservativismus” n’est pas un “cabinet des raretés” (“eine Raritätenkammer”), un musée exposant des reliques mortes, mais un atelier (“ein Werkstatt”), où l’on bâtit l’avenir, n’est pas un réceptacle de quiétisme mais une forge bouillonnante où l’on travaille à construire une Cité plus conforme au “Règne de l’Esprit”. Pour les “jeunes-conservateurs”, les formes politiques sont des moyens, non des fins car si elles sont de simples fins, elles butent vite, à très court terme, contre leur finitude, et deviennent stériles et répétitives (comme à l’ère du wilhelminisme). Il faut alors trouver de nouvelles formes politiques pour lutter contre celles qui ont figé les polities, après avoir été, le temps de trouver leur “fin”, facteurs éphémères de fluidification des concepts.

Monarchiste ou républicain?

Alors, dans le contexte des années 1919-1925, le “Jungkonservativismus” est-il monarchiste ou républicain? Peu importe! L’idéal dynamique du “Jungkonservativismus” peut s’incarner dans n’importe quelle forme d’Etat. Comment cette perspective s’articule-t-elle chez Moeller van den Bruck? Son “Troisième Reich” pourra être monarchiste mais non pas wilhelminien, non pas nécessairement lié aux Hohenzollern. Il pourra viser l’avènement d’un “Volkskaiser”, issu d’une autre lignée aristocratique ou issu directement du peuple: cette idée est un héritage des écrits révolutionnaires de Wagner à l’époque des soulèvements de 1848. L’Etat est alors, dans une telle perspective, de forme républicaine mais il a, à sa tête, un monarque plébiscité. En dépit de son anti-wilhelminisme, Moeller envisage un Volkskaiser ou un “Jugendkaiser”, un empereur de la jeunesse, idée séduisante pour les jeunes du Wandervogel et de ses nombreux avatars et pour bon nombre de sociaux-démocrates, frottés de nietzschéisme. Contrairement à ce que voulaient les révolutionnaires français les plus radicaux à la fin du 18ème siècle, en introduisant leur calendrier révolutionnaire, l’histoire, pour Moeller, ne présente pas de nouveaux commencements: elle est toujours la continuité d’elle-même; les communautés politiques, les nations, sont immergées dans ce flot, et ne peuvent s’y soustraire. Il paraît par ailleurs préférable de parler de “continuité” plutôt que d’ “identité”, dans un tel contexte: les “jungkonservativen” sont bel et bien des “continuitaires”, en lutte contre ceux qui figent et qui détruisent en rigidifiant. Moeller van den Bruck préconise donc une sorte d’archéofuturisme (le néo-droitiste Guillaume Faye, à ce titre, s’inscrit dans sa postérité): les forces du passé allemand et européen sont mobilisées en des formes nouvelles pour établir un avenir non figé, en perpétuelle effervescence constructive. Moeller mobilise les “Urkräfte”, les forces originelles, qu’il appelle parfois, avec un lyrisme typique de l’époque, les “Urkräfte” barbares ou les “Urkräfte” de sang, destinées à briser les résistances “passatistes” (Marinetti).

De Novalis au wagnérisme

Les positions “bousculantes” du “Jungkonservativismus” interpellent aussi le rapport au christianisme. La révolution française avait appelé à lutter contre les “superstitions” de la religion traditionnelle de l’ancien régime: les réactions des révolutionnaires déçus par la violence jacobine et des contre-révolutionnaires, à l’époque romantique du début du 19ème siècle, vont provoquer un retour à la religion. Le romantisme était au départ en faveur de la révolution mais les débordements et les sauvageries des révolutionnaires français vont décevoir, ce qui amènera plus d’un ex-révolutionnaire romantique à retourner au catholicisme, à se convertir à l’idée d’une Europe d’essence chrétienne (Novalis). Dans une troisième étape, les ex-révolutionnaires et certains de leurs nouveaux alliés contre-révolutionnaires vont parfois remplacer Dieu et l’Eglise par le peuple et la nation: ce sera le romantisme nationalitaire, révolutionnaire non pas au sens de 1789 mais de 1848, celui de Wagner, qui, plus tard, abandonnera toutes références au révolutionarisme pour parier sur l’univers mythologique et “folciste” de ses opéras, censés révéler au peuple les fondemets mêmes de son identité, la matrice de la continuité dans laquelle il vit et devra inéluctablement continuer à vivre, sinon il court le risque d’une disparition définitive en tant que peuple. La fusion d’une volonté de jeter bas le régime metternichien du début du 19ème siècle et du recours aux racines germaniques les plus anciennes est le legs du wagnérisme.

Déchristianisation et nietzschéanisation

Après 1918, après les horreurs de la guerre des tranchées à l’Ouest, on assiste à un abandon généralisé du christianisme: peuples protestants et catholiques abandonnent les références religieuses piétistes ou sulpiciennes, impropres désormais à apaiser les âmes ensauvagées par une guerre atroce. Ou ne retiennent plus du christianisme que la virulence de certains polémistes comme Léon Bloy ou Jules Barbey d’Aurevilly, comme ce sera le cas dans les filons pré-rexistes en Belgique francophone ou chez les adeptes conservateurs-révolutionnaires du prêtre Wouter Lutkie aux Pays-Bas. Sans nul doute parce que la fougue de Bloy et de Barbey d’Aurevilly marche au vitriol, qui dissout les certitudes des “figés”. La déchristianisation d’après 1918 est tributaire, bien évidemment, de l’influence, de plus en plus grande, de Nietzsche. Le processus de sécularisation et de nietzschéanisation s’infiltre profondément dans les rangs “conservateurs”, les muant en “conservateurs-révolutionnaires”. On en vient à rejeter la promesse chrétienne d’un monde meilleur, “quiet” (dépourvu d’inquiétude incitant à l’action) et “bonheurisant”. Cette promesse est, aux yeux des nietzschéens, la consolation des faibles (cf. les thèses de Nietzsche dans “L’Antéchrist” et “La généalogie de la morale”). Moeller n’a pas une position aussi tranchée que les nietzschéens les plus virulents. Il demeure le lecteur le plus attentif de Dostoïevski, qui ne partageait pas l’anti-christianisme farouche de Nietzsche. Il garde sans doute aussi en mémoire les positions de Barbey d’Aurevilly, qu’il a traduit avec Hedda Maase à Berlin entre 1896 et 1902. Pour Moeller la culture allemande (et européenne) est le produit d’une fusion: celle de l’antiquité hellénique et romaine et du christianisme. Pour lui, il n’est ni pensable ni souhaitable que nous ne soyons plus l’incarnation de cette synthèse. L’objectif de la germanité innovante qu’il a toujours appelé de ses voeux est de forger une “Wirklichkeitsreligion”, une “religion du réel”, comme le suggéraient par ailleurs bon nombre d’ouvrages parus chez l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna.

Cependant le christianisme n’est pas “national”, c’est-à-dire ne cherche pas à s’ancrer dans un humus précis, inscrit dans des limites spatio-temporelles repérables. Il est même anti-national sauf quand certaines forces de l’Eglise cherchent à protéger des catholiques vivant sous un statut de minorité opprimée ou marginalisée comme les Irlandais au Royaume-Uni, les Croates dans le nouveau royaume de Yougoslavie à dominante serbe ou les Flamands dans la Flandre des “petits vicaires” en rébellion contre leur hiérarchie francophile (Mercier), face aussi à un Etat à dominante non catholique ou trop prompt à négocier des compromis avec la part laïque, voire maçonnique, de l’établissement belge. Même scénario dans la sphère orthodoxe: les églises auto-céphales s’épaulent contre les offensives catholiques ou musulmanes. Mais une chose était désormais certaine, entre 1918 et 1925: depuis la révolution française, le christianisme a échoué à donner forme au cosmopolitisme dominant, qui est de facture libérale et laïque ou révolutionnaire et communiste (trotskiste). Le christianisme ne peut se sauver du naufrage que s’il adopte des contenus nationaux: c’est à quoi s’était employé le programme des éditions Eugen Diederichs, en rappelant que la conversion des Germains d’Europe centrale ne s’était pas faite par l’Evangile tel qu’on nous le lit encore lors des offices religieux mais par une version aujourd’hui oubliée, l’Heliand, le Sauveur, figure issue de la religiosité iranienne-sarmate importée en Europe par les cavaliers recrutés par Rome dans les steppes est-européennes et dont l’archéologie contemporaine révèle le rôle crucial dans l’émergence de l’Europe médiévale, non seulement autour du mythe arthurien mais aussi dans la geste des Francs et des Sicambres. Le Christ y est effectivement un homme à cheval qui pérégrine, armé et flanqué d’une douzaine de compagnons bien bâtis.

Ensuite, la conversion d’une vaste zone aujourd’hui catholique, de Luxueil-les-Bains au Tyrol autrichien, a été l’oeuvre de moines irlandais, dont le christianisme était quelque peu différent de celui de Rome. Le christianisme doit donc se “nationaliser”, comme il s’était germanisé (sarmatisé?) aux temps de la conversion, pour être en adéquation avec la spécificité “racique” des nouvelles ouailles nord-européennes ou issues de la cavalerie des Légions de l’Urbs. De même, le socialisme, lui aussi, doit puiser ses forces bousculantes dans un corpus national, religieux ou politique voire esthétique (avec impulsion nietzschéenne). L’apport “belge” (flamand comme wallon) est important à ce niveau: Eugen Diederichs avait fait traduire De Coster, Maeterlinck, De Man, Verhaeren et bien d’autres parce qu’ils apportaient un supplément de tonus à la littérature, à la religiosité “réalitaire” et à un socialisme débarrassé de ses oeillères matérialistes donc de ses cangues aussi pesantes que les bigoteries sulpiciennes de la religion conventionnelle, celle des puritains anglais ou suédois, fustigés par Lawrence et Strindberg, celle de Pobedonostsev, fustigée par Merejkovski et Rozanov.

Théologie et politique en Europe occidentale de 1919 aux années 60

Parce que les “Jungkonservativen” abandonnent les formes mortes du protestantisme et du catholicisme du 19ème siècle, les “Altkonservativen” subsistants ne les considèrent plus comme des “Konservativen” et s’insurgent contre l’audace jugée iconoclaste de leurs affirmations. Moeller van den Bruck rétorque: “Si le conservatisme ne signifie plus le maintien du statu quo à tout prix mais la fusion évolutionnaire du neuf avec la tradition vivante et, de même, induit le don de sens à cette fusion, alors il faut poser la question: un conservatisme occidental est-il possible sans qu’il ne soit orienté vers le christianisme?”. Moeller répond évidemment: “Oui”. Il avait d’abord voulu créer un mythe national, avec les huit volumes de “Die Deutschen”, incluant des éléments chrétiens, surtout luthériens. C’était le mythe de l’Allemand en perpétuelle rébellion contre les pesanteurs d’une époque, de son époque, dominée politiquement ou intellectuellement par l’étranger roman, celui-ci étant, alors, par déduction arbitraire, le vecteur de toutes les pesanteurs, de toutes les lourdeurs qui emprisonnent l’âme ou l’esprit, comme l’Asiatique, pour les Russes, était vecteur d’“enchinoisement”. Après la mort de Moeller, et dans le sillage des livres prônant un renouveau religieux réalitaire et enraciné, une théologie germanisée ou “aryanisée” fera florès sous le national-socialisme, une théologie que l’on analyse à nouveau aujourd’hui en la dépouillant, bien entendu, de toutes les tirades simplificatrices rappelant lourdement la vulgate du régime hitlérien. L’objectif des théologiens contemporains qui se penchent sur les oeuvres de leurs homologues allemands alignés sur le nouveau régime des années 30 vont au fond de cette théologie, ne se contentent pas de critiquer ou de répéter le vocabulaire de surface de ces théologies “aryanisées” ou germanisées, qui peut choquer aujourd’hui, mais veulent examiner comment on a voulu donner une substance incarnée à cette théologie (au nom du mythe chrétien de l’incarnation); il s’agit donc là d’une théologie qui réclame l’ancrage du religieux dans le réel politique, ethnique, linguistique et l’abandon de toute posture déréalisante, “séraphique” serait-on tenté de dire.

Après 1945, les discours officiels des églises protestantes et catholique s’alignent sur l’“humanisme” ou du moins sur ce qu’il est convenu de définir comme tel depuis les réflexions et les “aggiornamenti” de Jacques Maritain. Cet humanisme a été l’idéologie officielle des partis démocrates-chrétiens en Europe après 1945: on avait espéré, de cet humanisme, aligné sur Gabriel Marcel ou Jacques Merleau-Ponty, qu’il soit un barrage contre l’envahissement de nos polities par tous les matérialismes privilégiant l’avoir sur l’être. L’offensive néo-libérale, depuis la fin des années 70 du 20ème siècle, a balayé définitivement ces espoirs. L’“humanisme” des démocrates-chrétiens a été pure phraséologie, pure logorrhée de jongleurs politiciens, ne les a certainement pas empêchés de se vautrer dans les pires des corruptions, à l’instar de leurs adversaires (?) socialistes. Ils n’ont pas été capables de donner une réponse au néo-libéralisme ou, pire, les quelques voix qui se sont insurgées, même depuis les hautes sphères du Vatican, se sont perdues dans le tumulte cacophonique des médias: l’analyse de Moeller van den Bruck est donc la bonne, le libéralisme dissout tout, liens communautaires entre les hommes comme réflexes religieux.

Le jugement d’Armin Mohler

Armin Mohler, ancien secrétaire d’Ernst Jünger et auteur du manuel de référence incontournable, “Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932”, dresse le bilan de la déchristianisation graduelle et irréversible de la sphère politique, y compris en milieux “conservateurs”, toutes tendances confondues. Pour Mohler, le christianisme s’est effiloché et ne se maintient que par la “Trägheit der Wirklichkeit”, par la lenteur et la pesanteur du réel. Mohler: “Le christianisme, dans l’espace où tombent les décisions, a perdu sa position jadis englobante et, depuis lors, il n’est plus qu’une force parmi d’autres, y compris sous les oripeaux de ses traditions les plus fortes ou de ses ‘revivals’, tels le néo-thomisme ou la théologie dialectique”. Pire: “Ce processus [d’effilochement] s’est encore accéléré par l’effondrement de l’héritage antique, qui avait aidé le christianisme au fil des siècles à se donner forme. Les éléments de jadis sont donc encore là mais isolés, sans centre fédérateur, et virevoltent littéralement de manière fort désordonnée dans l’espace (politique/idéologique). Le vieux cadre de l’Occident comme unité nourrie par la migration des peuples [germaniques] en tant qu’éléments neufs dans l’histoire, est détruite et il n’y a pas encore de nouvelle unité en vue”. Mohler annonçait, par ces constats, la rupture entre la “nouvelle droite” et l’espace théologico-politique chrétien. Eugen Diederichs et Moeller van den Bruck ont également eu raison de dire que le christianisme devait être étoffé d’éléments réalitaires, comme a tenté de le faire à sa manière et sans générer d’“hérésie”, le Prof. Julien Ries, à l’Université de Louvain, notamment dans “Les chemins du sacré dans l’histoire” (Aubier, 1985): dans cet ouvrage, comme dans d’autres, il cherchait à cerner la notion de sacré dans le monde indo-européen suite aux travaux de Mircea Eliade. La mise en exergue de ces multiples manières indo-européennes d’appréhender le sacré, permetterait d’incarner celui-ci dans les polities et les “Leitkulturen” réelles et de les innerver sans les meurtrir ou les déraciner, barrant ainsi la route à l’envahissement de ces “laïcismes” sans substance ni profondeur temporelle qui se veulent philosophèmes de base du “révolutionarisme institutionalisé”.

Premier, Deuxième et Troisième Reich

Vu l’“effilochement” du christianisme, dès la fin du 19ème siècle, vu son ressac encore plus net après les boucheries de 1914-1918, les forces nouvelles dans la nouvelle Allemagne républicaine devaient créer un “cadre nouveau”, qui ne devait plus nécessairement être innervé d’apports chrétiens, du moins visibles, car, il ne faut pas l’oublier, toute idée politique possède un modèle théologique qu’elle laïcise, consciemment ou inconsciemment, comme le constatait Carl Schmitt. Pour Moeller van den Bruck, ce sera, à son corps défendant comme nous le verrons, un “Troisième Reich”; pour Mohler —désobéissant sur ce plan à Ernst Jünger, résigné et conscient qu’aucune politique féconde n’était encore suggérable à l’ère atomique, à partir de 1960, année où paraît son livre “L’Etat universel”— il fallait, dès la fin des années 50 du 20ème siècle, instaurer une Europe nouvelle, capable de décision, centrée autour du binôme franco-allemand du tandem De Gaulle-Adenauer, qui devait chercher systématiquement à s’allier aux Etats que les Etats-Unis décrétaient “infréquentables” (Chine, monde arabe,...). Au temps de Moeller van den Bruck, les cercles qu’il animaient font dès lors recours au mythe du “Reich” dans l’histoire germanique et lotharingienne. Dans cet espace germano-lotharingien, défini par les cartographes français contemporains, Jean et André Sellier comme étant l’addition des héritages de Lothaire et de Louis le Germanique lors du Traité de Verdun de 843, il y a eu un Premier Reich, celui d’Othon I qui va survivre vaille que vaille jusqu’à sa dissolution en 1806. Le Deuxième Reich est le Reich petit-allemand de Bismarck et de Guillaume II, qui ne comprend pas l’espace autrichien ni les anciens Pays-Bas ni la forteresse alpine qu’est la Suisse. Ce Reich, très incomplet par rapport à celui, par exemple, de Conrad II au 11ème siècle, n’englobe pas tous les Allemands d’Europe, ceux-ci sont disséminés partout et une émigration de grande ampleur conduit des masses d’Allemands à s’installer aux Etats-Unis (où leurs descendants constituent à peu près un quart de la population actuelle et occupent plus de la moitié des terres en zones non urbaines). Ce “Deuxième Reich” s’effondre en 1918, perdant encore des terres à l’Est comme à l’Ouest, créant de nouvelles minorités allemandes au sein d’Etats slaves ou romans. Un “Troisième Reich” doit prendre dès lors la relève mais il serait hasardeux et fallacieux de dire que les projets, formulés entre 1918 et 1925, aient tous anticipé le “Troisième Reich” de Hitler.

Origine théologienne des concepts politiques

Le “Premier Reich” est la promesse d’un Empire terrestre de mille ans, qui prend le relais d’un Empire romain, de l’Ordo Romanus, désormais assumé par les Francs (Charles Martel, Pépin de Herstal, Pépin le Bref, Charlemagne) puis par l’ensemble des peuples germaniques (Othon I et ses successeurs). Il est dès lors un “Saint-Empire” christianisé et porté par la nation germanique, un “Sacrum Imperium Romanum Nationis Germaniae”, un “Saint-Empire romain de la nation germanique”. Le concept d’Empire, de “Reich”, revêt une double signification: il est la structure politique impériale factuelle que l’on a connue à partir d’Othon I puis à partir de Bismarck. Il est aussi le “Regnum”, le “Règne” religieux, défini par la théologie depuis Augustin. Comme Moeller van den Bruck a fréquenté de très près Dmitri Merejkovski, il est évident que la notion de “Reich” qu’il utilise dans ses écrits est plus proche de la notion théologique de “Règne” que de la notion politique, mise en oeuvre par Bismarck d’abord, par Hitler ensuite (qui sont des imitateurs de Napoléon plutôt que des disciples d’Augustin). Moeller n’a donc pas de discours religieux en apparence mais est subrepticement tributaire de la théologie sollicitée par Merejkovski. Dans son étude patronnée par Karl Jaspers, Armin Mohler —schmittien conscient de l’origine théologienne de tous les concepts politiques modernes— rappelle justement l’origine théologienne des notions d’“Empire de l’Esprit Saint” et de “Troisième Règne”. Il rappelle la vision de Montanus, chef d’une secte chrétienne de Hierapolis en Phrygie au 2ème siècle après J. C., dont le prophétisme s’était rapidement répandu dans le bassin méditerranéen, y compris à Rome où deux écoles “montanistes” cohabitaient, dont celle de Proclos, qui influencera Tertullien. Ce dernier prendra fait et cause pour le prophétisme montaniste, qu’il défendra contre les accusations d’un certain Praxeas. Le montanisme et les autres formes de prophétisme, décrétées hérétiques, puisent leurs inspirations dans l’Evangile de Jean. Toute une littérature johannite marque le christianisme jusqu’au moyen âge européen. Elle a pour dénominateur commun d’évoquer trois visions du monde qui se succéderont dans le temps. La troisième de ces visions sera entièrement spiritualisée. Ce sera le “Règne de l’Esprit”.

Joachim de Flore

Joachim_de_flore.jpgJoachim de Flore développe une sorte de “mythe trinitaire”, où le “Règne du Père” constitue la “vieille alliance”, le “Règne du Fils”, la “nouvelle alliance” et le “Règne” à venir, celui de l’esprit saint. La “vieille alliance”, procédant de la transmission de la “Loi” à Moïse, débouche involontairement, par “hétérotélie”, sur un esclavage des hommes sous la férule d’une Loi, devenue trop rigide au fil du temps; le “Règne du Fils” vient délivrer les hommes de cet esclavage. Mais entre les divers “Règnes”, il y a des périodes de transition, d’incubation. Chaque “Règne” a deux commencements: celui, initial, où ses principes se mettent progressivement en place, tandis que le “Règne” précédent atteint sa maturité et amorce son déclin, et celui où il commence vraiment, par la “fructification”, dit Joachim de Flore, le précédent ayant alors terminé son cycle. Il existe donc des périodes de transition, où les “Règnes” se chevauchent. Celui du Fils commence avec l’arrivée du Christ et se terminera par le retour d’Elie, qui amorcera le “Règne de l’Esprit Saint”, celui-ci hissera alors, après la défaite des Mahométans, l’humanité au niveau supérieur, celui de l’amour pur de l’esprit saint, message de l’Evangile éternel, bref, le “Troisième Règne” ou le “Troisième Reich”, les termes français “Règne” et “Empire” se traduisant tous deux par “Reich” en allemand. De Joachim de Flore à Merejkovski, le filon prophétique et johannite est évident: Moeller van den Bruck le laïcise, le camoufle derrière un langage “moderne” et a-religieux, avec un certain succès dû au fait que le terme était prisé par une littérature subalterne, ou une para-littérature, qui, entre 1885 et 1914, présente des utopies ou des Etats idéaux de science-fiction qui évoquent souvent un “Troisième Reich”, société parfaite, débarrassée de toutes les tares du présent (wilhelminien); parmi ces ouvrages, le plus pertinent étant sans doute celui de Gerhard von Mutius, “Die drei Reiche” (1916).

Quand paraît “Das Dritte Reich”...

En 1923, quand son manuscrit est prêt à l’impression, Moeller ne choisit pas pour titre “Das Dritte Reich” mais “Die dritte Partei” (= “Le tiers-parti”), formation politique appelée à se débarrasser des insuffisances révolutionnaires, libérales et vieilles-conservatrices. On suggère à Moeller de changer de titre, d’opter par exemple pour “Der dritte Standpunkt” (= “La troisième position”). Finalement, pour des raisons publicitaires, on opte pour “Das Dritte Reich”, car cela a des connotations émotives et eschatologiques. Cela rappelle quantité d’oeuvres utopiques appréciées des contemporains. Du vivant de Moeller, le livre est un vrai “flop” éditorial. Ce n’est qu’après sa mort que ce petit volume programmatique connaîtra le succès, par ouï-dire et par le lancement d’une édition bon marché auprès de la “Hanseatische Verlagsanstalt”. L’idée de “Reich” n’apparaît d’ailleurs que dans le dernier chapitre, ajouté ultérieurement! Les cercles et salons fréquentés et animés par Moeller ne doivent donc pas être considérés comme les anti-chambres du national-socialisme, même si des personnalités importantes comme Stadtler ont fini par y adhérer, après le suicide du traducteur de Baudelaire et de Dostoïevski. Grâce à un travail minutieux et exhaustif du Prof. Wolfgang Martynkiewicz (“Salon Deutschland – Geist und Macht 1900-1945”, Aufbau Verlag, 2011), on sait désormais que c’est plutôt le salon des époux Hugo et Elsa Bruckmann, éditeurs à Munich et animateurs d’un espace de débats très fréquenté, qui donnera une caution pleine et entière au national-socialisme en marche dès la fin des années 20, alors que ce salon avait attiré les plus brillants esprits allemands (dont Thomas Mann et Ludwig Klages), conservateurs, certes, mais aussi avant-gardistes, libéraux, socialistes et autres, inclassables selon l’étiquettage usuel des politistes “normalisés” d’aujourd’hui, notamment les “anti-fascistes” auto-proclamés.

Un état de tension militante permanente

Pour Moeller van den Bruck, préfacé en France par Thierry Maulnier, post-maurrassien et non-conformiste des années 30 (cf. Etienne de Montety, “Thierry Maulnier”, Perrin-Tempus, 2013), l’idée de “Reich”, c’est-à-dire, selon son mentor Merejkovski, l’idée d’un “Règne de l’Esprit Saint”, est aussi et surtout —avant d’être un état stable idéal, empreint de quiétude— un état de tension militante permanente. Ce “Troisième Empire”, qui n’est évoqué que dans le dernier chapitre du livre du même nom, et constitue d’ailleurs un addendum absent de la première édition, n’adviendra pas nécessairement dans le réel puisqu’il est essentiellement une tension permanente qu’il s’agit de ne jamais relâcher: les élites, ou les “élus”, ceux qui ont compris l’essence de la bonne politique, qui n’est ni le fixisme déduit de l’idée d’un ordre naturel immuable ni le chaos du révolutionnarisme constant, doivent sans cesse infléchir les institutions politiques dans le sens de ce “Troisième Règne” de l’Esprit, même s’ils savent que ces institutions s’usent, s’enlisent dans l’immobilité; il y a donc quelque chose du travail de Sisyphe dans l’oeuvre des élites politiques constantes.

Dans les écrits antérieurs de Moeller van den Bruck, on peut repérer des phrases ou des paragraphes qui abondent déjà dans ce sens; ainsi en 1906, il avait écrit: “L’Empire de la troisième réconciliation va combler le fossé qu’il y a entre la civilisation moderne et l’art moderne”. Dans les années 1906-1907, Moeller évoque la “Sendungsgedanke”, l’idée de mission, religieuse et forcément a-rationnelle, dont les racines sont évidemment chrétiennes mais aussi révolutionnaires: le christianisme a apporté l’idée d’une mission “perfectibilisante” (mais c’est aussi un héritage du mithraïsme et de ses traductions christianisées, archangéliques et michaëliennes); quant aux révolutionnaires français, par exemple, ils font, eux aussi, montre d’une tension militante dans leur volonté de promouvoir partout l’idéal des droits de l’homme. Pour parvenir à réaliser cette “Sendungsgedanke”, il faut créer des communautés pour les porteurs de l’idée, afin que la dynamique puisse partir d’en haut et non de la base, laquelle est plongée dans la confusion; ces communautés doivent se développer au-delà des Etats existants, que ceux-ci soient les Etats allemands (Prusse, Bavière, Baden-Würtemberg) ou soient les pays autrichiens ou les nouveaux Etats construits sur les débris de l’Empire austro-hongrois, où vivent des minorités allemandes, ou soient des Etats quelconques dans le reste de l’Europe où vivent désormais des populations allemandes résiduaires ou très minoritaires. Les porteurs de l’idée peuvent aussi appartenir à des peuples proches de la culture germanique (Baltes, Flamands, Hollandais, Scandinaves, etc.). Ces communautés de personnalités chosies, conscientes des enjeux, formeront le “parti de la continuité” (Kontinuität), celui qui poursuivra donc dans la continuité l’itinéraire, la trajectoire, de l’histoire allemande ou germanique. Ce parti rassemblera des Allemands mais aussi tous ceux qui, indépendamment de leur ethnicité non germanique, partageront les mêmes valeurs (ce qui permet de laver Moeller de tout soupçon d’antisémitisme et, forcément, d’antislavisme).

De Moeller à la postmodernité

Nous constatons donc que, dans le sillage de Dostoïevski et Merejkovski, Moeller van den Bruck parie résolument sur le primat de l’esprit, des valeurs. Ces communautés et ce futur parti constituent dès lors, à eux tous, une “Wertungsgemeinschaft” (une communauté de valeurs), Moeller étant le seul à avoir utilisé cette expression dans ses écrits à l’époque. Autre aspect qui mérite d’être souligné: Moeller anticipe en quelque sorte les bons filons aujourd’hui galvaudés de la postmodernité; c’est en ce sens qu’Armin Mohler —qui avait la volonté de perpétuer la “révolution conservatrice”— avait voulu embrayer sur le discours postmoderne à la fin des années 80 du 20ème siècle; en effet, Moeller avait écrit: “Wir müssen die Kraft haben, in Gegensätzen zu leben”, “Nous devons avoir la force de vivre au beau milieu des contradictions (du monde)”. Moeller avait vécu très intensément l’effervescence culturelle de la Belle Epoque, avant l’emprise sur les âmes des totalitarismes d’après 1917, magnifiquement mise en scène dans les romans noirs de Zamiatine et Mikhaïl Boulgakov. L’oeuvre de Moeller van den Bruck est le résultat de cette immersion. La Belle Epoque acceptait ses contradictions, les confrontait dans la convivialité et la courtoisie. Les totalitarismes ne les accepteront plus. Après l’effondrement du “grand récit” communiste (hégélo-marxiste), suite à la perestroïka et la glasnost de Gorbatchev, le monde semble à nouveau prêt à accepter de vivre avec ses contradictions, d’où la pensée “polythéiste” d’un Jean-François Lyotard ou d’un Richard Rorty. Mais l’espoir d’un renouveau tout à la fois postmoderne et révolutionnaire-conservateur, que nous avions cultivé avec Mohler, s’effondrera dès le moment où le néo-libéralisme niveleur et le bellicisme néo-conservateur américain, flanqués des “idiots utiles” de la “nouvelle philosophie parisienne” (avec Bernard-Henri Lévy), auront imposé une “political correctness”, bien plus homogénéisante, bien plus arasante que ne l’avait été le communisme car elle a laissé la bride sur le cou, non seulement à l’engeance des spéculateurs, mais aussi à tout un fatras médiatique festiviste et à un “junk thought” ubiquitaire, qui empêche les masses d’avoir un minimum de sens critique et qui noie les rationalités du “zoon politikon” dans un néant de variétés sans fondements et de distractions frivoles.

Le peuple portera l’idée de “Reich”

En termes politiques, l’acceptation moellerienne des contradictions du monde le conduit à esquisser la nature du “Reich” à venir: celui-ci ne pourra pas être centralisé car toute centralisation excessive et inutile conduit à un égalitarisme araseur, qui brise les continuités positives. Le “Troisième Reich” de Moeller entend conserver les diverses dynamiques, convergentes ou contradictoires, qui ont été à l’oeuvre dans l’histoire allemande (et européenne) et la nouvelle élite “jungkonservativ” doit veiller à maintenir une “coïncidentia oppositorum”, capable de rassembler dans l’harmonie des forces au départ hétérogènes, à l’oeuvre depuis toujours dans la “continuité” allemande. C’est le peuple, le Volk, qui doit porter cette idée de “Reich”, dans le même esprit, finalement, que le “populus romanus” portait les “res publicae” romaines puis, en théorie, l’Empire à partir d’Auguste. Ou du moins l’élite consciente de la continuité qui représente le peuple, une continuité qui ne peut se perpétuer que si ce peuple demeure, en évitant, si possible, toute “translatio imperii” au bénéfice d’une tierce communauté populaire, dont le moment historique viendra ultérieurement. Le Sénat romain —l’assemblée des “senes”, homme plus âgés et dotés, par la force de l’âge, d’une mémoire plus profonde que les “adulescentes” (hommes de 15 à 35 ans) ou même que les “viri” (de 35 à 50 ans)— était le gardien de cet esprit de continuité, qu’il ne fallait pas rompre —en oubliant les rituels— afin de préserver pour l’éternité le “mos majorum”, d’où l’expression “Senatus PopulusQue Romanus” (SPQR), la longue mémoire étant ainsi accolée à la source vive, vitale, de la populité romaine. La Belle Epoque subit, elle, de plein fouet une remise en question générale de l’ordre, qui ne peut plus être perçu comme figé: avec des personnalités comme Moeller, elle parie pour les “adulescentes” et les “viri”, à condition qu’ils fassent éclore des formes nouvelles, pour remplacer les formes figées, qui exprimeront mieux le “mos majorum”, germanique cette fois, car le germanisme d’avant 1914 était, selon l’étude magistrale et copieuse de Peter Watson (cf. supra), une “troisième renaissance” dans l’histoire culturelle européenne, après la renaissance carolingienne et la renaissance italienne. Toute renaissance étant expression de jouvence, d’où l’usage licite des termes “jung” et “Jungkonservativismus”, si l’on veut agir et oeuvrer dans le sens de cette “troisième renaissance” qui n’a pas encore déployé toutes ses potentialités.

Moeller parle donc d’un Empire porté par le peuple et par la jeunesse du peuple, instances vitales, et non par l’Etat puisque la machine étatique wilhelminienne a figé, donc tué, l’énergie vitale que nécessité la mission impériale de la jeunesse, en multipliant les formes abstraites, en oblitérant le vivant populaire par toute sorte d’instances figeantes, appelées à devenir tentaculaires: dénoncer cette emprise croissante des rationalités figées sera la leçon du sociologue Georg Simmel et de sa longue postérité (jusqu’à nos jours), ce sera aussi le message angoissé et pessimiste du “Château” de Franz Kafka. Parmi les instances figeantes, il faut compter les partis qui, comme le soulignait un socialiste engagé puis déçu tel Roberto Michels, finissaient par ne plus représenter le peuple des électeurs mais seulement des oligarchies détachées de celui-ci. La démocratie nécessaire au bon fonctionnement du nouveau “Reich” ne doit pas représenter la base par des partis mais, explique Moeller van den Bruck, par des corporations (expressions de métiers réels), des ordres professionnels, des conseils ou des soviets ouvriers, des syndicats. Indirectement, peut-être via Thierry Maulnier, préfacier du “Troisième Reich” de Moeller et chroniqueur du “Figaro” après 1945, ces idées de Moeller (mais aussi de Heinz Brauweiler) auront un impact sur les idées gaulliennes des années 60, celles de la participation et de l’intéressement, celle aussi du Sénat des Régions et des Professions. Le rôle des “non-conformistes” français des années 30 et des néo-socialistes autour de Marcel Déat, lui-même inspiré par Henri De Man, a sans nul doute été primordial dans cette transmission, malgré tout incomplète. Le Sénat, envisagé par les gaullistes après la rupture avec l’OTAN, était appelé, s’il avait été instituté, à représenter un tissu social réel et performant au détriment de politiciens professionnels qui ne produisent que de la mauvaise jactance et finissent par se détacher de toute concrétude.

“Ostideologie”

Ces spéculations sur le “Troisième Règne” à venir, sur le “Règne de l’Esprit” débarrassé des pesanteurs anciennes, s’accompagnaient, dans l’Allemagne des premières années de la République de Weimar, par une volonté de lier le destin du pays à la Russie, fût-elle devenue soviétique. Lénine était d’ailleurs revenu de Suisse dans un wagon plombé avec la bénédiction du Kaiser et de l’état-major général des armées allemandes. Sans cette bénédiction, on n’aurait sans doute jamais entendu parler d’une Russie bolchevisée, tout au plus d’une pauvre Russie qui aurait sombré dans le chaos de la pusillanimité menchevik (cf. Soljénitsyne) ou serait revenue à un tsarisme affaibli, après la victoire des armées blanches, soutenues par l’Occident. Cette volonté de lier l’Allemagne vaincue à la nouvelle puissance de l’Est s’appelle, dans le langage des historiens et des politologues, l’“Ostideologie” ou le national-bolchevisme. L’Ostideologie n’est ni une idée neuve en Allemagne, et en particulier en Prusse, ni une idée dépassée aujourd’hui, les liens économiques de l’Allemagne de Schröder et de Merkel avec la Russie de Poutine attestant la pérennité de cette option, apparemment indéracinable. La permanence de cette volonté d’alliance prusso-russe depuis Frédéric II et depuis les accords de Tauroggen contre Napoléon I explique le succès que le “national-bolchevisme” a connu au début des années 20, y compris dans des cercles peu propices à applaudir à l’idéologie communiste. Depuis la Guerre de Sept Ans au 18ème siècle, depuis le retournement de la Prusse après le désastre napoléonien de la Bérézina, nous avons eu plus de 150 ans d’Ostpolitik: Willy Brandt, ancien des Brigades Internationales lors de la Guerre d’Espagne, la relance sur l’échiquier politique européen dès la fin des années 60, dès la fin de l’ère Adenauer et de la Doctrine Hallstein. Elle se poursuivra par les tandems Kohl/Gorbatchev et Schröder/Poutine, visant surtout des accords énergétiques, gaziers. La chute de Bismarck a mis un terme provisoire à l’alliance implicite entre l’Allemagne et la Russie tsariste, colonisée par les capitaux français. En 1917, la révolution russe reçoit le soutien de l’état-major allemand, puisqu’elle épargne à l’Allemagne une guerre sur deux fronts, tout en lui procurant un apport de matières premières russes. Seule l’intervention américaine a sauvé les Français et les Britanniques d’une défaite calamiteuse.

L’option pro-soviétique

En novembre 1918, les Soviets proposent d’envoyer deux trains de céréales pour rompre le blocus anglais qui affame les grandes villes allemandes. Les sociaux-démocrates, vieux ennemis de la Russie tsariste d’avant 1914, contre laquelle ils avaient voté les crédits de guerre, refusent cette proposition car, même après novembre 1918, ils demeurent toujours, envers et contre tout, des ennemis de la Russie, malgré qu’elle soit devenue bolchevique . Ils avancent pour argument que les Etats-Unis ont promis du blé pour tenir une année entière. Ce refus est un des faits les plus marquants qui ont suscité les clivages des premières années de Weimar: la gauche sociale-démocrate au pouvoir reste anti-russe et devient donc, dans un esprit de continuité et par le poids des habitudes, anti-bolchevique, tandis que la droite, divisée en plusieurs formations partisanes, adopte des positions favorables à la nouvelle Russie soviétique, sans pour autant soutenir les communistes allemands sur le plan intérieur. Lloyd George perçoit immédiatement le danger: la sociale-démocratie risque de perdre sa base électorale et la droite musclée risque bel et bien de concrétiser ses projets d’alliance avec les Soviets. Il demande à Clémenceau de modérer ses exigences et écrit: “The greatest danger that I see in the present situation, is that Germany may throw her lot with Bolshevism and place her resources, her brains, her vast organizing power at the disposal of the revolutionary fanatics whose dreams it is to conquer the world for Bolshevism by force of arms”. En dépit de cet appel britannique à la modération, Versailles, en juin 1919, consacre le triomphe de Clémenceau. D’où l’option pro-soviétique demeure le seul moyen de s’en sortir pour l’Allemagne vaincue.

Hugo Stinnes, pour le cartel industriel, les généraux von Seeckt et von Schleicher pour l’état-major, joueront cette carte. D’une part, les Britanniques avaient imposé un blocus de longue durée à l’Allemagne, provoquant une famine désastreuse et des centaines de milliers de morts. Après avoir infligé ce sort à l’Allemagne, les deux puissances occidentales de l’Entente l’appliquent ensuite à la Russie soviétique. Sous l’impulsion des élites industrielles et militaires, désormais russophiles, l’Allemage refuse de participer au blocus anti-soviétique. En juillet 1920, l’armée rouge entre en Pologne: les Allemands restent neutres et refusent qu’armes et appuis logistiques transitent par leur territoire. Les ouvriers du port de Dantzig se mettent en grève, privant la Pologne de tous approvisionnements. C’est à ce moment-là que l’on commence aussi à parler de “Dritte Kraft”, de “Troisième Force”: il ne s’agit alors nullement du KPD communiste ou d’éléments précurseurs de la NSDAP mais de la KAPD, une dissidence communiste et nationale, née à Hambourg en avril 1920 et dirigée par Lauffenberg et Wolfheim. Ce parti, somme toute groupusculaire, fera long feu mais sa courte existence donne naissance au vocable “national-bolchevisme”, vu qu’il avait essayé d’harmoniser en son sein éléments nationalistes et éléments communistes radicaux. Le “Solidarier” et membre du “Ring” Ernst Troeltsch, dans un article du 12 novembre 1920, résume la situation: “La pression de l’Entente détruit toutes les conditions de vie et radicalise les masses affamées; le succès du bolchevisme en Allemagne encourage l’Entente à cultiver d’autres projets de destruction, tant et si bien que les croisements idéologiques les plus étonnants verront le jour: une partie du monde ouvrier va devenir radicalement nationaliste et une partie de la bourgeoisie se fera bolchevique; quant aux adversaires les plus rabiques de l’Entente, ils se placeront aux côtés du capitalisme de l’Entente pour se sauver du bolchevisme et les adversaires les plus radicaux de la classe ouvrière se convertiront à une sorte de bolchevisme du désarroi”. Les repères habituels sont dès lors brouillés et les extrêmes se rejoignent, en dépit de ce qui les a différenciées (cf. Jean-Pierre Faye, qui a démontré qu’en de tels moments, “les extrémités du fer à cheval idéologico-politique se touchent”).

Rapallo

 

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Le résultat le plus tangible de ce national-bolchevisme diffus, partagé par les ouvriers de Hambourg comme par les généraux de l’état-major ou les dirigeants des gros cartels industriels de l’Allemagne, est le Traité de Rapallo (1922) signé entre Rathenau et Tchitchérine, inaugurant ainsi la phase évolutionnaire et non plus révolutionnaire du national-bolchevisme.

mvb10.jpgLes milieux déplomatiques le reprennent à leur compte sous la houlette du Comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau, ancien ministre des affaires étrangères de la République de Weimar (cabinet Scheidemann), démissionnaire pour ne pas avoir à signer le Traité de Versailles, puis ambassadeur allemand à Moscou (en 1922). Avec deux autres diplomates, Rudolf Nadolny et Richard von Kühlmann, il avait mis au point la stratégie de “révolutionner” la Russie en 1917, pour que le Reich n’ait plus à lutter sur deux fronts. Les trois diplomates s’étaient assuré le concours du banquier Alexander Parvus, artisan financier de la révolution bolchevique (cf. Gerd Koenen, v. bibliographie). Malgré son passé d’artisan majeur de la prise du pouvoir par Lénine en Russie, von Brockdorff-Rantzau, aristocrate favorable à un régime populaire et démocratique, favorable aussi à des liens limités avec l’URSS, n’acceptera pas les clauses du Traité de Rapallo, jugé trop bénéfique aux Soviétiques. Il sera en revanche l’artisan du Traité de Berlin (cf. infra). De même, le principal soutien de Stadtler et de sa “Ligue anti-bolchevique”, Karl Helfferich, intriguera contre le Traité de Rapallo et contre Walther Rathenau, qui finira assassiné par des éléments issus des Corps Francs, dont l’écrivain Ernst von Salomon.

Débat: Radek, Moeller, Reventlow

En cessation de paiement, la République de Weimar doit accepter en 1923 l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges qui se paieront en nature pour honorer les réparations imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles. Les communistes s’insurgent contre cette occupation. Karl Radek prononce un discours contre les occupants, suite à l’exécution, par les Français, de l’officier nationaliste Albrecht Leo Schlageter, qui avait organisé des opérations de sabotage pour entraver la logistique des troupes d’occupation ou pour éliminer les séparatistes rhénans, stipendiés par Paris. Radek pose Schlageter comme une “victime des capitalistes de l’Entente”. Le Comte Ernst zu Reventlow, nationaliste, rédige même un article en faveur de Schlageter dans le journal communiste “Die Rote Fahne”. Pour répondre directement aux questions que lui avait posées Radek dans les colonnes de “Die Rote Fahne”, Moeller entre, à son tour, dans le débat, où nationalistes et communistes conjugueront leurs efforts pour mettre fin à l’occupation de la Ruhr. Il rédige trois articles dans “Gewissen”, en réponse à Radek. Il précise que sur le plan de la “politique spatiale”, de la “Raumpolitik”, les destins de l’Allemagne et de la Russie sont unis, inexorablement unis, mais il réfute le centralisme bolchevique et s’oppose à toute politique communiste visant à tout centraliser autour du PCUS.

Pour Arthur Moeller van den Bruck, l’URSS doit renoncer à son agitation en Allemagne, ne plus faire du communisme un instrument de subversion et laisser éclore et se développer un “socialisme allemand”, qui serait son allié et non son “clone”, se défaire d’un radicalisme inopérant sur le long terme (Gorbatchev!) et développer un socialisme véritablement démocratique. Moeller précise aussi que le prolétariat allemand peut certes être l’instrument d’une révolution aussi bien communiste que nationaliste, d’une révolution libératrice; toutefois, ce prolétariat, rappelle le Prof. Louis Dupeux en citant Moeller, forme bien sûr la “majorité arithmétique” de la nation mais il “n’est pas capable d’administrer la très complexe économie allemande”, bien différente et bien plus ancienne et diversifiée que l’économie russe. Pour Moeller, uniquement les “travailleurs intellectuels” peuvent remédier aux lacunes et aux insuffisances politiques du prolétariat parce qu’ils sont conscients des enjeux: les entrepreneurs allemands ne sont pas des capitalistes mais d’autres “travailleurs intellectuels” —différents des littérateurs et des philosophes aux regards plus perçants et dépositaires de la “longue mémoire”— car, contrairement à leurs homologues occidentaux, ils créent des valeurs (matérielles et exportables), ne sont pas des spéculateurs mais les administrateurs du génie productif des ingénieurs innovateurs, eux aussi expression du génie populaire. Géopolitiquement, l’Allemagne et la Russie, devenue bolchévique, sont liées par un “destin tellurique” —elles se procurent mutuellement une liberté de mouvement en politique étrangère— mais l’alliance potentielle et indéfectible entre les deux puissances ne peut se faire sous le signe du seul bolchevisme léniniste car celui-ci conduira au blocage de l’économie russe. Seulement aux conditions énoncées par Moeller dans “Gewissen” en réponse à Radek, une coopération entière et permanente est possible. Moeller garde donc une vision particulière, non bolchévique et véritablement “jungkonservativ” de la Russie, héritage direct de son mariage avec Lucie Kaerrick, de son travail de traducteur avec Less Kaerrick et de son amitié pour Merejkovski. Reste à constater que Moeller est prophète: la perestroïka de Gorbatchev et les accords Poutine/Schröder et Poutine/Merkel, bien analysés par le diplomate contemporain Alexander Rahr, sont autant de faits politiques et géopolitiques contemporains qui démontrent que le dialogue germano-russe est possible et fécond mais sans bolchevisme pétrifiant, avec toutefois un système russe plus dirigiste, non occidental, non influencé par le manchestérisme et la spéculation financière, et un système allemand, fidèle à ce que l’économiste français Michel Albert appelait le “capitalisme patrimonial rhénan”.

Jouvence russe et allemande

L’immersion profonde de Moeller dans l’univers romanesque de Dostoïevski le conduit à croire que la spiritualité russe est un ingrédient nécessaire à la renaissance allemande, idée partagée aussi par Eugen Diederichs qui avait fait traduire de nombreux auteurs russes et slaves. Cette spiritualité russe et dostoïevskienne, ainsi que l’apport de Merejkovski, est appelée à faire contre-poids à l’influence occidentale, qui distille dans l’Allemagne les idées délétères de la révolution française et du manchestérisme anglais. Cette spiritualité est aussi perçue comme un élément d’éternelle jouvence, comme un barrage sûr contre la sénescence à laquelle l’occidentalisme conduit les peuples (idée réactualisée par Edouard Limonov qui décrit l’Occident contemporain comme un “Grand Hospice”). Les Slaves —avec les idéologues panslavistes, qui se font les véhicules des idées lancées par Nikolaï Danilevski au 19ème siècle— se considèrent comme des peuples jeunes, parce qu’ils sont plus spiritualisés que les Occidentaux laïcisés et trop rationalisés, parce qu’ils ont une démographie plus prolifique. Immédiatement après la première guerre mondiale, Moeller van den Bruck mobilise l’idée de “peuple jeune” dans une polémique anti-française: la France est alors campée comme une “vieille nation”, à la démographie défaillante depuis plusieurs décennies, qui n’a pu vaincre l’Allemagne que parce qu’elle s’était alliée à deux peuples jeunes, les Américains et les Russes. Si l’Allemagne avait été alliée à la Russie, elle aurait incarné un principe de “plus grande jouvence” et les soldats allemands et russes, portés par l’élan putatif de leur jeunesse intrinsèque, se seraient promenés sur les Champs Elysées et sur la Canebière; un facteur de sénescence particulièrement dangereux pour l’Europe aurait été éliminé, pensaient Moeller van den Bruck et son entourage. Pour faire charnière entre l’idée russe d’une jouvence slave et l’injection (ou la ré-injection) d’idéologèmes de jouvence dans l’espace politique allemand, il faut raviver le “mythe prussien”, pense Moeller. La Prusse est effectivement un mélange d’ingrédients germaniques, vénètes (“wendisch”), slaves et baltes. Ce cocktail interethnique, réussi selon Moeller van den Bruck, doit devenir l’élément de base, l’élément essentiel, du futur Reich, et le territoire sur lequel il s’est constitué devenir son centre de gravitation historique, situé plus à l’Est, dans une région non soumise aux influences françaises et anglaises. L’esthétique visibilisée, l’urbanisme nouveau et l’architecture de prestige de l’Etat seront alors les signes de cette prussianisation de l’Allemagne: ils seront autant de réactualisations de l’esprit de l’architecture du classicisme prussien, des réactualisations à peine modifiées des oeuvres de Gilly, Schinckel,etc.

Dans le “Dictionnaire politique”, édité par le “Juni-Klub”, Max Hildebert Boehm écrivait: “La jeunesse de gauche et de droite trouve un terrain d’entente quand il s’agit de rejeter l’occidentalisme bourgeois et perçoit dans la contamination morale qu’irradie l’Occident vieillissant, surtout par le biais de l’américanisation, le pire des dangers pour la germanité. Contre les miasmes empoisonnés qui nous viennent de l’Occident, il nous faut constituer un front intellectuel contre l’Ouest...”. On notera ici que Boehm considère l’Amérique comme facteur de sénescence ou de contamination morale, alors que Moeller la considérait comme un élément de jouvence.

Nous avons surtout insisté, dans ce bref essai, sur trois aspects du livre le plus célèbre de Moeller van den Bruck, à défaut d’être le plus original et le plus profond: la définition du “Jungkonservativismus” (incompréhensible sans dresser le bilan des années littéraires de Moeller), le mythe du “Reich” (avec ses racines religieuses prophétiques) et l’“Ostideologie” (tributaire de Merejkovski et Dostoïevski).

En 1925, le Traité de Locarno instaure un modus vivendi avec l’Ouest: un certain rapprochement franco-allemand devient possible, sous la double impulsion de Briand et Stresemann. En 1926, le Traité de Berlin, signé entre la République de Weimar et l’URSS, reconduit bon nombre de clauses du Traité de Rapallo, cette fois flanqué d’un apaisement à l’Ouest par le truchement du Traité de Locarno. Le Traité de Berlin signale au monde que l’Allemagne entend encore et toujours coopérer avec l’Union Soviétique, sur les plans économique et militaire, en dépit d’un rapprochement avec l’Ouest et la SdN, que l’URSS avait voulu éviter à tout prix au début des années 20. Les Allemands, dans les clauses de ce Traité de Berlin, déclarent qu’ils resteront neutres —et non belligérants actifs aux côtés des Soviétiques— en cas de conflit entre l’URSS et une tierce puissance, en l’occurrence la Pologne, rendant de la sorte impossible toute intervention française dans le conflit en faveur de Varsovie. Simultanément, l’Allemagne des nationalistes espérait affaiblir la Pologne, allié de revers de la France. Quant à Stresemann, l’homme de Locarno avec Briand, il entendait plutôt “modérer” l’URSS, l’Allemagne, aux yeux de ce social-démocrate, devant servir d’interface entre l’Ouest et l’URSS, dans le but d’assurer paix et stabilité sur le continent européen. Le Traité de Berlin devait rester en vigueur pendant cinq ans: le gouvernement Brüning le prolongera pour cinq nouvelles années en 1931 mais l’URSS ne le ratifiera qu’en mai 1933, cinq mois après la prise de pouvoir par la NSDAP d’Hitler!

Modus vivendi en Europe

Les traités de Locarno et de Berlin instaurent de ce fait un modus vivendi en Europe, où plus aucune révolution régénérante —poussant les peuples, et le peuple allemand en particulier, vers un “Règne de l’Esprit”— n’est envisageable: le vieux monde est sauvé. Pour les activistes les plus audacieux, c’est la déception. Pour Moeller, en effet, la défaite de novembre 1918 avait été une aubaine: une victoire de l’Allemagne wilhelminienne ou une paix de compromis, comme le projet de “partie nulle” soutenu par le Pape Benoit XV, aurait maintenu le Reich dans une misère intellectuelle similaire à celle du wilhelminisme que brocardaient les “cabaretistes” autour de Wedekind et Wolzogen. La révolution esthétique et politique, rêvée par Moeller, n’était plus possible. La défaite et le marasme, dans lequel l’Allemagne avait été plongée depuis la défaite et Versailles, rendaient plausible la perspective d’un grand bouleversement salutaire, capable de faire advenir le “Troisième Règne de l’Esprit”. Rien d’aussi glorieux n’était plus envisageable sous les clauses des nouveaux traités et, pire, sous les conditions du Plan Dawes de refinancer l’Allemagne par des capitaux américains. L’ère des masses sans conscience s’annonçait, obligeant les “nationaux-révolutionnaires”, qui avaient tous espéré le déchaînement proche d’une révolution purificatrice, à quitter la scène politique, à abandonner tout espoir en l’utilité révolutionnaire des petites phalanges ultra-politisées de “cerveaux hardis”: le retrait d’Ernst Jünger étant, après la mort de Moeller, le plus emblématique; surtout, Ernst Jünger et son frère Friedrich-Georg Jünger sont ceux qui nous laissent les témoignagnes littéraires les plus complets de cette époque où l’on attendait une révolution régénérante. Pour Jünger, dorénavant, l’écriture est la seule forme possible de résistance contre l’avancée arasante de la modernité. Le Règne de Cham pouvait alors commencer, sous des formes multiples, utilisant les élans de l’âme à mauvais escient, étouffant cette “Glut”, signe de jouvence évoqué maintes fois par Moeller, soit cette incandescence des âmes fortes, des âmes qui brûlent. Cham nous a menés tout droit à l’étouffoir dans lequel nous survivons péniblement aujourd’hui. Voilà pourquoi, pour vivre au milieu des ruines, il faut se rappeler l’itinéraire si riche d’Arthur Moeller van den Bruck et raviver sans cesse les flammèches allumées jadis par les auteurs et les activistes qu’il a côtoyés, afin de ne pas se laisser submerger par les fadaises de notre époque, la plus triviale que l’histoire européenne ait jamais connue, celle d’une “Smuta”, dont on ne perçoit pas encore la fin, afin aussi d’être les premiers lorsque prendra fin cette ère de déclin.

Robert STEUCKERS.

Fait à Forest-Flotzenberg, Fessevillers et Genève, de février à septembre 2013.

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-          Panajotis KONDYLIS, Konservativismus – Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986.

-          Mircea MARGHESCU, Homunculus – Critique dostoïevskienne de l’anthropologie, L’Age d’Homme, Lausanne, 2005.

-          Fritz MARTINI, Duitse letterkunde, I & II, Prisma-Compendia, Het Sprectrum, Utrecht/Antwerpen, 1969.

-          Wolfgang MARTYNKIEWICZ, Salon Deutschland – Geist und Macht – 1900-1945, Aufbau-Verlag, Berlin, 2011.

-          Nicolas MILOCHEVITCH, Dostoïevski penseur, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Georges MINOIS, Die Geschichte der Prophezeiungen, Albatros, 2002.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Das Ewige Reich, Bd. I & II, W. G. Korn Verlag, Breslau, 1933.

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, Le Troisième Reich, Alexis Redier, Paris, 1933 (préface de Thierry Maulnier).

-          Arthur MOELLER van den BRUCK, La révolution des peuples jeunes, Pardès, Puiseaux, 1993.

-          Armin MOHLER, Die Konservative Revolution in Deutschland – 1918-1932, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989.

-          Georges NIVAT, Vers la fin du mythe russe – Essais sur la culture russe de Gogol à nos jours, L’Age d’Homme, Lausanne, 1988.

-          Karl O. PAETEL, Versuchung oder Chance? Zur Geschichte des deutschen Nationalbolschewismus, Musterschmidt, Göttingen, 1965.

-          Birgit RÄTSCH-LANGEJÜRGEN, Das Prinzip Widerstand – Leben und Wirken von Ernst Niekisch, Bouvier Verlag, Bonn, 1997.

-          Wilhelm SCHERER & Oskar WALZEL, Geschichte der deutschen Literatur, Otto Eichler Verlag, Leipzig/Berlin, s.d. (1928?).

-          André SCHLÜTER, Moeller van den Bruck – Leben und Werk, Böhlau, Köln, 2010.

-          Otto-Ernst SCHÜDDEKOPF, National-bolschewismus in Deutschland 1918-1933, Ullstein, Berlin, 1972.

-          Hans-Joachim SCHWIERSKOTT, Arthur Moeller van den Bruck und der revolutionäre Nationalismus in der Weimarer Republik, Musterschmidt, Göttingen, 1962.

-          Kurt SONTHEIMER, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, DTV, 1978.

-          Fritz STERN, Kulturpessimismus als politische Gefahr – Eine Analyse nationaler Ideologie in Deutschland, DTV, München, 1986.

-          Peter WATSON, The german Genius – Europe’s Third Renaissance, The second Scientific Revolution and the Twentieth Century, Simon & Schuster, London, 2010.

-          Volker WEISS, Moderne Antimoderne – Arthur Moeller van den Bruck und der Wandel des Konservatismus, F. Schöningh, Paderborn, 2012.

 

dimanche, 22 septembre 2013

Technopol und Maschinen-Ideologien

 

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Robert Steuckers:

Technopol und Maschinen-Ideologien

Analyse: Neil POSTMAN, Das Technopol. Die Macht der Technologien und die Entmündigung der Gesellschaft, S. Fischer Verlag, 1991, 221 S., ISBN 3-10-062413-0.

Neil Postman, zeitgenößischer amerikanischer Denker und Soziolog, ist hauptsächlich für seine Bücher über die Fernsehen-Gefahren bei Kindern bekannt. In seinem Buch Das Technopol klagt er den Technizismus an, wobei er nicht die Technik als solche ablehnt, sondern die Mißbräuche davon. In seiner Einleitung, spricht Postman eine deutliche Sprache: Die Technik ist zwar dem Menschen freundlich, sie erleichtert ihm das Leben, aber hat auch dunkle Seiten. Postman: «Ihre Geschenke sind mit hohen Kosten verbunden. Um es dramatisch zu formulieren: man kann gegen die Technik den Vorwurf erheben, daß ihr unkontrolliertes Wachstum die Lebensquellen der Menschheit zerstört. Sie schafft eine Kultur ohne moralische Grundlage. Sie untergräbt bestimmte geistige Prozesse und gesellschaftliche Beziehungen, die das menschliche Leben lebenswert machen» (S. 10). Weiter legt Postman aus, was die Maschinen-Ideologien eigentlich sind und welche Gefahren sie auch in sich tragen. Postman macht uns darauf aufmerksam, das gewisse Technologien unsichtbar sein können: so Postman: «Management, ähnlich der Statistik, des IQ-Messung, der Notengebung oder der Meinungsforschung, funktionniert genau wie eine Technologie. Gewiß, es besteht nicht aus mechanischen Teilen. Es besteht aus Prozeduren und Regeln, die Verhalten standardisieren sollen. Aber wir können ein solches Prozeduren- und Regelsystem als eine Verfahrensweise oder eine Technik bezeichnen; und von einer solchen Technik haben wir nichts zu befürchten, es sei denn, sie macht sich, wie so viele unserer Maschinen, selbstständig. Und das ist der springende Punkt. Unter dem Technopol neigen wir zu der Annahme, daß wir unsere Ziele nur erreichen können, wenn wir den Verfahrensweisen (und den Apparaten) Autonomie geben.

neilpost.gifDiese Vorstellung ist um so gefährlicher, als sie niemand mit vernünftigen Gründen gegen den rationalen Einsatz von Verfahren und Techniken stellen kann, mit denen sich bestimmte Vorhaben verwirklichen lassen. (...) Die Kontroverse betrifft den Triumph des Verfahrens, seine Erhöhung zu etwas Heiligem, wodurch verhindert wird, daß auch andere Verfahrensweisen eine Chance bekommen» (S. 153-154). Weiter warnt uns Postman von einer unheimlichen Gefahr, d. h. die Gefahr der Entleerung der Symbole. Wenn traditionnelle oder religiöse Symbole beliebig manipuliert oder verhöhnt werden, als ob sie mechanische Teilchen wären, entleeren sie sich. Hauptschuldige daran ist die Werbung, die einen ständig größeren Einfluß über unseres tägliche Denken ausübt und die die Jugend schlimm verblödet, so daß sie alles im Schnelltempo eines Werbungsspot verstehen will. Um Waren zu verkaufen, manipulieren die Werbeleute gut bekannte politische, staatliche oder religiöse Symbole. Diese werden dann gefährlich banalisiert oder lächerlich gemacht, dienen nur noch das interressierte Verkaufen, verlieren jedes Mysterium, werden nicht mehr mit Andacht respektiert. So verlieren ein Volk oder eine Kultur ihren Rückengrat, erleben einen problematischen Sinnverlust, der die ganze Gemeinschaft im verheerenden Untergang stoßen. Postmans Bücher sind wichtig, weil sie uns ganz sachlich auf zeitgenößischen Problemen aufmerksam machen, ohne eine peinlich apokalyptische Sprache zu verwenden. Zum Beispiel ist Postman klar bewußt, daß die Technik lebenswichtig für den Menschen ist, denunziert aber ohne unnötige Pathos die gefährliche Autonomisierung von technischen Verfahren. Postman plädiert nicht für eine irrationale Technophobie. Schmittianer werden in seiner Analyse der unsichtbaren Technologien, wie das Management, eine tagtägliche Quelle der Delegitimierung und Legalisierung der politischen Gemeinschaften. Politisch gesehen, könnten die soziologischen Argumente und Analysen von Postman eine nützliche Illustration der Legalität/Legitimität-Problematik sein (Robert STEUCKERS).

dimanche, 15 septembre 2013

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

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Archives, 1997

Robert STEUCKERS:

Introduction au thème de l'ironie:

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

Dans la philosophie grecque et européenne, toute démarche ironique trouve son point de départ dans l'ironie socratique. Celle-ci vise à aller au fond des choses, au-delà des habitudes, des conventions, des hypocrisies ou des vérités officielles. Les conventions et les vérités officielles sont bourrées de contradictions. L'ironie consiste d'abord à laisser discourir le défenseur des vérités officielles, un sourire aux lèvres. Ensuite, lui poser des questions gênantes là où il se contredit; faire voler en éclats son système de dogmes et d'idées fixes. Amener cet interlocuteur officiel à avouer la vanité et la vacuité de son discours. Telle est l'induction socratique. Son objectif: aller à l'essentiel, montrer que le sérieux affiché par les officiels est pure illusion. Nietzsche, pourtant, autre pourfendeur de conventions et d'habitudes, a raillé quelques illusions socratiques. Ce sont les suivantes: croire qu'une vertu est cachée au fond de chaque homme, ce qui conduit à la naïveté intellectuelle (a priori: nul n'est méchant); imaginer que la maïeutique et l'induction peuvent tout résoudre (=> intellectualisme); opter pour un cosmopolitisme de principe (Antisthène, qui était mi-Grec, mi-Thrace, donc non citoyen de la ville, disait, moqueur, que les seuls Athéniens pures, non mélangés, étaient les escargots et les sauterelles). Il n'empêche que ce qui est vérité ici, ne l'est pas nécessairement là-bas.

Pour nous, le recours à l'ironie socratique n'a pas pour objet d'opposer une doctrine intellectuelle à une autre, qui serait dominante mais sclérosée, ou de faire advenir une vertu qui se généraliserait ou s'universaliserait MAIS, premièrement, de dénoncer, démonter et déconstruire un système politique et un système de références politiques qui sont sclérosés et répétitifs; deuxièmement, d'échapper collectivement à toutes les entreprises de classification et, partant, d'homologation et de sérialisation; troisièmement, d'obliger les hommes et les femmes qui composent notre société à retrouver ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes.

Nietzsche critique Socrate

Mais comme Nietzsche l'avait vu, la pensée de Socrate peut subir un processus de fixation, à cause même des éléments d'eudémonisme qu'elle recèle et à cause des risques d'intellectualisation. Après Socrate viennent justement les Cyniques, qui échappent à ces écueils. Le terme de “Cyniques” vient de kuôn (= chien). Le chien est simple, ne s'encombre d'aucune convenance, aboie contre l'hypocrisie, mord à pleines dents dans les baudruches de la superstition et du conformisme.

Première élément intéressant dans la démarche des Cyniques: leur apologie de la frugalité. Pour eux, le luxe est un “bagage inutile”, tout comme les richesses, les honneurs, le plaisir et la science (le savoir inutile). La satisfaction, pour les Cyniques, c'est l'immédiateté et non un monde “meilleur” qui adviendra plus tard. Le Cynique refuse dès lors de “mettre sa sagesse au service des sots qui font de la politique”, car ces sots sont 1) esclaves de leurs passions, de leurs appétits; 2) esclaves des fadaises (idéologiques, morales, sociales, etc.) qui farcissent leurs âmes. Les Cyniques visent une vie authentiquement naturelle, libre, individualiste, frugale, ascétique.

La figure de proue des Cyniques grecs à été Diogène, surnommé quelquefois “le Chien”. On retient de sa personnalité quelques anecdotes, comme sa vie dans un tonneau et sa réplique lors du passage d'Alexandre, qui lui demandait ce qu'il pouvait faire pour lui: «Ote-toi de mon soleil!». Le Maître de Diogène a été Antisthène (445-365). Antisthène rejetait la vie mondaine, c'est-à-dire les artifices conventionnels et figés qui empêchent l'homme d'exprimer ce qu'il est vraiment. Le danger pour l'intégrité intellectuelle de l'homme, du point de vue d'Antisthène, c'est de suivre aveuglément et servilement les artifices, c'est de perdre son autonomie, donc le contrôle de son action. Si l'on vit en accord avec soi-même, on contrôle mieux son action. Le modèle mythologique d'Antisthène est Héraklès, qui mène son action en se dépouillant de toutes les résistances artificielles intérieures comme extérieures. L'eucratia, c'est l'autarkhia. Donc, avec Antisthène et Diogène, on passe d'une volonté (socratique) de gouverner les hommes en les améliorant par le discours maïeutique, à l'autarcie des personnes (à être soi-même sans contrainte). L'objectif d'Antisthène et de Diogène, c'est d'exercer totalement un empire sur soi-même.

Contre les imbéciles politisés, l'autarcie du sage

Diogène va toutefois relativiser les enseignements d'Antisthène. Il va prôner:

- le dénuement total;

- l'agressivité débridée;

- les inconvenances systématiques.

Le Prof. Lucien Jerphagnon nous livre un regard sur les Cyniques qui nous conduit à un philosophe français contemporains, Michel Onfray.

Première remarque: le terme “cynique” est péjoratif aujourd'hui. On ne dit pas, explique Jerphagnon: «Il a dit cyniquement qu'il consacrait le quart de ses revenus à une institution de charité»; en revanche, on dit: «Il a dit cyniquement qu'il détournait l'argent de son patron». Dans son ouvrage d'introduction à la philosophie, Jerphagnon nous restitue le sens réel du mot:

- être spontané et sans ambigüité comme un chien (pour le meilleur et pour le pire).

- voir l'objet tel qu'il est et ne pas le comparer ou le ramener à une idée (étrangère au monde).

Soit: voir un cheval et non la cabbalité; voir un homme et non l'humanité. Quand Diogène se promène en plein jour à Athènes, une lanterne à la main et dit aux passants: «Je cherche un homme», il ne dit pas, pour “homme”, anèr (c'est-à-dire un bonhomme concret, précis), mais anthropos, c'est-à-dire l'idée d'homme dans le discours platonicien. Diogène pourfend ainsi anticipativement tous les platonismes, toutes les fausses idées sublimes sur lesquelles vaniteux, solennels imbéciles, escrocs et criminels fondent leur pouvoir. Ainsi en va-t-il de l'idéal “démocratique” proclamé par la démocratie russe actuelle, qui n'est qu'un paravent de la mafia, ou des idéaux de démocratie ou d'Etat de droit, couvertures des mafiacraties belge, française et italienne. Dans les démocraties modernes, les avatars contemporains de Diogène peuvent se promener dans les rues et dire: «Je cherche un démocrate».

Jerphagnon: «La leçon de bonheur que délivrait Diogène (...): avoir un esprit sain, une raison droite, et plutôt que de se laisser aller aux mômeries des religions, plutôt que d'être confit en dévotion, mieux vaut assurément imiter les dieux, qui n'ont besoin de rien. Le Sage est autarkès, il vit en autarcie» (p. 192).

Panorama des impertinences d'Onfray

Cette référence au Cyniques nous conduit donc à rencontrer un philosophe irrévérencieux d'aujourd'hui, Michel Onfray. Dans Cynismes. Portrait d'un philosophe en chien (1990), celui-ci nous dévoile les bases de sa philosophie, qui repose sur:

- un souci hédoniste (en dépit de la frugalité prônée par Antisthène, car, à ses yeux, la frugalité procure le plaisir parce qu'elle dégage des conventions, procure la liberté et l'autarcie).

- un accès aristocratique à la jouissance;

- un athéisme radical que nous pourrions traduire aujourd'hui par un rejet de tous les poncifs idéologiques;

- une impiété subversive;

- une pratique politique libertaire.

Dans La sculpture de soi. La morale esthétique (1993), Onfray parie pour:

- la vitalité débordante (on peut tracer un parallèle avec le vitalisme!);

- la restauration de la “virtù” de la Renaissance contre la vertu chrétienne;

- l'ouverture à l'individualité forte, à l'héroïsme;

- une morale jubilatoire.

Dans L'Art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste (1991), Onfray s'insurge, avec humour et sans véhémence, bien sûr, contre:

- la méfiance à l'égard du corps;

- l'invention par l'Occident des corps purs et séraphiques, mis en forme par des machines à faire des anges (=> techniques de l'idéal ascétique). Le parallèle est aisé à tracer avec le puritanisme ou avec l'idolâtrie du sujet ou avec la volonté de créer un homme nouveau qui ne correspond plus à aucune variété de l'homme réel.

gourm.jpgIl démontre ensuite que ce fatras ne pourra durer en dépit de ses 2000 ans d'existence. Onfray veut dépasser la “lignée morale” qui va de Platon à nos modernes contempteurs des corps. Onfray entend également réhabiliter les traditions philosophiques refoulées: a) les Cyrénaïques; b) les frères du Libre-Esprit; c) les gnostiques licencieux; d) les libertins érudits; etc.

Dans La raison gourmande (1995), Onfray montre l'incomplétude des idéaux platoniciens et post-platoniciens de l'homme. Cet homme des platonismes n'a ni goût ni olfaction (cf. également L'Art de jouir, op. cit.). L'homme pense, certes, mais il renifle et goûte aussi (et surtout!). Onfray entend, au-delà des platonismes, réconcilier l'ensemble des sens et la totalité de la chair.

Conclusion: nous percevons bel et bien un filon qui part de Diogène à Onfray. Un étude voire une immersion dans ce filon nous permet à terme de détruire toutes les “corrections” imposées par des pouvoirs rigides, conventionnels ou criminels. Donc, il faut se frotter aux thématiques de ce filon pour apprendre des techniques de pensée qui permettent de dissoudre les idoles conceptuelles d'aujourd'hui. Et pour organiser un “pôle de rétivité”.

Robert STEUCKERS.

samedi, 14 septembre 2013

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

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Robert Steuckers:

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

Université d'été de "Synergies Européennes", lundi 28 juillet 1997

Cercle Proudhon, Genève, décembre 1997

Organiser un atelier de l'Université d'été sur l'ironie comme “arme” contre la “political correctness” est politiquement et métapolitiquement justifié.

En effet, quelle est l'origine de la “political correctness” (dorénavant en abrégé: PC)?

Aux Etats-Unis, dès la fin des années 70, le relativisme, la ruine des idéaux et des ressorts communautaires provoquent une réaction qui prend forme dans le livre de John Rawls, A Theory of Justice (1979).

Pour atteindre l'idéal de la justice, pour le concrétiser, il faut, entre autres choses:

- une philosophie normative

- des normes capables de revigorer les ressorts coopératifs et communautaires de la société.

- Or, la tendance générale de la philosophie anglo-saxonne avait été de dire que les normes n'avaient pas de sens.

Donc, à la veille de l'accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, on dit: «Il faut des normes».

Pour avoir des normes, deux solutions:

1. Adopter les idées de Rawls, et ainsi promouvoir la justice, la coopération, la communauté. Mais c'est incompatible avec le programme néo-libéral de Reagan.

2. Déclarer indépassables, les “valeurs” du libéralisme telles qu'elles avaient été fixées par Locke à la fin du 17ième siècle. C'est Nozick qui offre cette option dans son livre Anarchy, State, Utopia (1974). Pour Nozick, l'Etat doit protéger ces valeurs libérales anglo-saxonnes contre toutes les autres.

Toutes les autres? Cela fait beaucoup de choses! Beaucoup de choses à rejeter!

Avec Hobbes, la philosophie politique anglaise avait rejeté hors de son champs les controverses religieuses parce qu'elles menaient à la guerre civile (ère des neutralisations disait Carl Schmitt).

Avec les déistes (Charles Blount, John Toland, Matthew Tindal, Thomas Woolston), la raison doit oblitérer les parts obscures de la religion, pour qu'elles ne deviennent pas subitement incontrôlables.

Comme on est en Europe, les déistes acceptent le christianisme par commoditié (sans y croire), mais ce christianisme signifie:

- un christianisme raisonnable (sans excès, sans fanatisme, etc.);

- le déisme a pour objectif de "raisonnabiliser" le christianisme (et toute la sphère religieuse);

- religion et "bon sens" doivent coïncider;

- il ne peut pas y avoir d'opposition entre religion et “bon sens ";

- il faut évacuer les mystères, car ils sont incontrôlables.

- les institutions religieuses doivent être "tranquilles”;

- miracles et autres "absurdités" du Nouveau Testament sont purement "symboliques".

John Butler, issu du filon aristotélo-thomiste médiéval répond à l'époque aux déistes:

- l'homme est un "être insuffisant", "imparfait", il présente donc ontologiquement des lacunes, il est quelques fois ontologiquement "absurde";

- l'homme a besoin de béquilles culturelles, dont, surtout, un système de normes, de fins. Ce système doit certes être logique, mais pas complètement accessible à notre raison.

C'est dans le contexte de cette disputatio  entre les déistes et Butler qu'il faut replacer deux grands maîtres de l'ironie:

- John Arbuthnot (1667-1735) et

- Jonathan Swift (1667-1745).

John Arbuthnot, ami et inspirateur de Swift est médecin et mathématicien. Il n'écrira pas de livre qui fera date, sauf peut-être son Martinus Scliberus, satire exagérant les défauts des hommes réels. Qui souligne l'inadéquation entre la théorie idéale de l'homme et l'homme de chair, de sang, de vice et de stupre.

L'ironie d'Arbuthnot se retrouvera dans le maître-ouvrage de Swift: Gulliver's Travels  (= Les voyages de Gulliver).

Première remarque sur les “Voyages de Gulliver": on croit que c'est un livre pour les enfants; effectivement une masse de versions édulcorées de ce livre existent à l'usage des enfants. Mais faisons nôtre cette remarque de Maurice Bouvier-Ajam: «Que d'éditions abêties, mutilées, trahies pour "plaire" au jeune lecteur! Et de quelles joies cette mutilation de l'œuvre ne prive-t-elle pas l'adulte, trompé et blasé prématurément... et frauduleusement...».

D'Arbuthnot, Swift reprend:

- la pratique de la physiognomie, c'est-à-dire un mode d'arraisonnement du réel et plus particulièrement du grotesque qui lui est inhérent (à mettre en parallèle avec les “Caractères” de La Bruyère et avec le "regard physiognomique" de Jünger);

- la pratique de l'humour et du sarcasme;

- un point de vue physique (physiologique au sens nietzschéen, participant de la “révolte des corps" et de la Leiblichkeit).

- un rationalisme moqueur et non constructiviste, moralisateur, pédant;

- l'idée d'un rationalisme comme "humilité de l'intelligence".

 

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Souvent, la "raison", dans le contexte de la modernité européenne, est "révolutionnaire" parce qu'elle abat les irrationalités stabilisantes de la société en place, pour les remplacer par de nouveaux édifices raisonnables mais rigides (querelle des déistes).

Face à cette rationalité moderne, la rationalité de Swift:

- n'est pas un irrationalisme conservateur articulé pour répondre aux déistes ou aux rationalistes

- mais une moquerie qui fragilise toutes les conventions, y compris anticipativement, celles des rationalistes.

Swift:

- raille les fanatismes des catholiques et des sectes protestantes "non conformistes";

- se révolte contre les ambitions constructivistes des déistes;

- dresse une pathologie des "Etats mystiques", qui ne camouflent, derrière leurs discours sublimes, que des turpitudes, des désirs inavoués de stupre ou de richesse.

- démontre que les discours des sectes protestantes (Quakers, Rauters, Huguenots extrémistes) sont des "convulsions", des "fermentations troubles de l'animalité" (Cf. A Tale of a Tub. Discourse Concerning the Mechanical Operation of the Spirit).

Dans The Battle of Books, on trouve une critique acerbe du rationalisme car celui-ci est:

- ambitieux;

- insolent;

- inacceptablement hostile à l'égard de la "gloire des Anciens";

- une activité théorique stérile (Cf. le Royaume de Laputa).

Swift prévoit déjà: «La fièvre de la spéculation, de l'enquête rationnelle, et, déjà, du progrès mécanique, que la société qui lui est contemporaine exhibe déjà; il la présente comme l'ardeur agitée de cerveaux surchauffés, dans lesquels se bousculent toutes sortes de "projets" et d'inventions, autant de chimères sans queue ni tête» (Legouis/Cazamian, p. 762).

L'homme est par essence vil et corrompu. Pour y remédier:

- Hobbes avait prévu un contrat et l'érection du Léviathan;

- Locke avait forgé l'idée du contrat démocratique moderne et préconisé, à la suite des déistes, d'"expurger les mystères";

- Swift reste un pessimiste fondamental:

- le contrat ne changera pas la nature humaine;

- le contrat ne sera toujours que provisoire;

- ni mystères de la religion ni noirceurs de l'âme humaine ne sont éradicables.

Chez Swift, nous découvrons un rejet de toutes les affirmations générales [qui prendra ultérieurement des formes très diverses: chez Herder, chez les Romantiques allemands, chez Jünger (cf. sa définition du "nationalisme" comme révolte du particulier contre le général), dans la révolte diffuse depuis Foucault contre les affirmations générales actuelles].

Avec Swift démarre aussi la tradition littéraire anglaise de la "contre-utopie”.

- L'utopie est un lieu idyllique, une île merveilleure ou la lune chez Cyrano de Bergerac.

- Mais la tradition utopique draine en elle-même sa propre réfutation. Le projet idéal de l'utopiste est trop souvent froid et sec, pur projet de législation alternative visant à CORRIGER LE RÉEL. Dans ce cas, écrit le Prof. Raymond Trousson dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique:  «il n'est pas possible d'évoquer un possible latéral, mais de peser sur l'histoire».

Cette tradition contre-utopique trouvera son apogée dans le 1984 d'Orwell, où le futur devient cauchemar (Future as Nightmare). Le futur est alors le fruit, le résultat d'une volonté de transposer dans le réel les idées:

- des déistes/des rationalistes;

- de Locke;

- des projets de sociétés parfaites;

Nous retrouvons l'intention de Nozick.

Pour Rainer Zitelmann, la pensée utopique s'articule autour de trois idées majeures:

- La "fin de l'histoire", après la généralisation planétaire du "projet" ou du "code".

- La croyance en la possibilité d'émergence d'un "homme nouveau", par dressage ou rééducation.

- La croyance aux effets "eudémoniques" de l'égalité.

Ces trois idées marquent fortement la "political correctness" actuelle. C'est contre elles qu'il faut déployer ironie, sarcasmes et moqueries.

Les recettes de cette stratégie du rire sont multiples.

Examinons-en deux:

- L'œuvre de l'Espagnol Eugenio d'Ors.

- L'œuvre du sociologue néerlandais Anton Zijderveld.

Puis replaçons leurs arguments dans un contexte philosophique contemporain plus général.

EUGENIO D'ORS (1881-1954):

dors.jpgCe philosophe catalan a été défini comme: un "Socrate nordique", un "Goethe méditerranéen", un "personnage de théâtralité baroque".

A 25 ans en 1906, il décide: «Je serai ironique». Option première qui ne sera jamais démentie.

Sa réflexion sur l'ironie part du constat suivant:

- Présence de l'ironie dans la philosophie grecque, où l'ironie est jugée négative par Aristophane et Platon, mais jugée intéressante par Socrate (qui déploie son "ignorance méthodique" et sa "maïeutique") et par Aristote pour qui l'ironie est une modestie intellectuelle (Butler, Swift).

D'où d'Ors retient de l'ironie grecque qu'elle est "une sorte d'humilité courtoise qui suscite la confiance, une façon de se comporter qui est altruiste". Retenons cette définition, mais ajoutons-y celle de Cicéron: «L'ironie est une habilité polémique». Dans ce cas, elle est une stratégie du dialogue, de la polémique politique.

Mais d'Ors va plus loin que le dialogue:

- La présence de l'interlocuteur finit par n'être plus nécessaire chez lui.

- d'Ors applique l'ironie au monologue intérieur (Céline) du penseur solitaire.

- d'Ors prend distance par rapport à son objet;

- d'Ors dépassionne les débats philosophiques et politiques;

- d'Ors dévalue ainsi tactiquement son objet (précisons: tactiquement et non pas fondamentalement);

- d'Ors aborde tout objet de façon oblique (pas d'affrontement frontal: stratégie intelligente de l'esquive qui s'avère bien utile quand on est quantitativement, numériquement inférieur).

- pour d'Ors, l'ironiste aborde l'objet du débat sans avoir l'air de s'impliquer, ni même de la connaître vraiment.

- Avec cette position détachée, il va opter pour une stratégie de hit and run; il va soulever tantôt tel aspect, tantôt tel autre, frapper, se retirer, obliger l'ennemi à se fixer sur tel front et alors il attaquera sur un autre front, pour revenir au premier comme par hasard.

- l'ironie de d'Ors ne vise pas une connaissance globale, totale, mais reste ouverte à toutes les additions et les soustractions; ainsi elle ne divise pas, mais intègre au départ du divers, de la fragmentation.

- Mieux: l'ironie de d'Ors intègre la contradiction; elle admet qu'il y a des contradictions insurmontables dans le monde.

Avec Eugenio d'Ors, l'ironie devient synonyme d'"esprit philosophique" et même de "dialectique". Elle cherche à éviter l'écueil d'une philosophie trop préceptive.

Il y a là un parallèle évident avec notre propre démarche: refuser les préceptes du "nouvel ordre mondial", issu des affirmations de Locke, réactualisées et figées hors contexte  —et anachroniquement—  par Nozick et Buchanan.

L'objectif de d'Ors est:

- d'observer la réalité, de l'accepter dans ses diversités;

- d'éviter l'écueil d'un normativisme sec (que la philosophie relativiste avait jugé dénué de sens);

- de faire de la philosophie ironique la fidèle interprète de la réalité:

- de baigner à nouveau la philosophie dans les eaux vives de la curiosité;

- de s'inscrire dans la tradition vitaliste hispanique (Cf. le "ratiovitalisme" d'Ortega y Gasset).

- d'affirmer que les contradictions sont toujours déjà là, non comme dans la vulgate hégélienne, où la contradiction est perçue comme une forme ultérieure dans le temps. Eugenio d'Ors affirme la simultanéité du réel et des contradictions, sans vectorialité ni téléologie.

Ensuite:

1. L'ironie correspond à la plasticité du monde:

- mots-clefs: activité, flexibilité, dynamisme, élasticité.

- l'ironie respecte la "malléabilité" de tout objet (jamais elle ne le pose comme a priori rigide et fermé).

- l'ironie vise l'adéquation de l'intellect à un monde de lignes "estompées": fluides, fuyantes, diffuses (cf. Hennig Eichberg, in Vouloir n°8).

2. L'ironie correspond à l'ambigüité du langage:

Cet aspect de la philosophie de d'Ors est très important dans la lutte contre toute orthoglossie (contre toute prétention à imposer un langage unique, pour une pensée unique).

Première chose à retenir:

- Toute langue est la forme nécessaire que doit revêtir le savoir humain.

- Cependant, dit d'Ors, dans tout lexique, et plus particulièrement dans tout lexique philosophique, il y a toujours un "minimum d'équivoque" ou d'"inévitables imprécisions".

Pour d'Ors comme pour nous, ce n'est pas une tare mais "une garantie de vivacité, ce qui est hautement désirable", car le langage est alors bien le reflet du dynamisme du monde et du savoir.

Tout mot, toute parole, est dans une telle optique un ÉVENTAIL de possibilités créatrices ouvertes, un mouvement, une impulsion pour la pensée, une potentialité active d'enchaînements, de sources et de MÉTAPHORES.

D'Ors s'appuie sur la définition du langage de HUMBOLDT:

«Le langage n'est pas un résultat, tout de quiétude et de repos, mais une énergie, une création continue».

L'amphibologie (double sens que revêt ou peut revêtir toute phrase) et l'inexactitude du langage font de celui-ci une RAMPE DE LANCEMENT pour l'innovation: tout vrai écrivain écrit de perpétuels NÉOLOGISMES. (L'écrivain donne des sens nouveaux aux mots, les enrichit, les complète, complète leur champ sémantique, révèle des facettes occultées, oubliées ou refoulées du vocabulaire).

Par leur ambigüité constitutive, les langues ne résistent pas à l'exactitude quantitative et à la rigueur terminologique des symboles mathématiques. Pour les tentatives de construire une philosophie more geometrico  est condamnée à l'échec (mais aussi de construire une orthoglossie où les mots seraient tous absolument UNIVOQUES).

- L'ironie consiste à reconnaître cet incontournable fait de la linguistique: l'amphibologie.

- L'ironie reconnait le caractère irrécusablement métaphorique de toute parole, reconnait la dualité ou la pluralité inhérente à toute formulation. D'Ors: «Ley más laxa, más inteligente».

Conclusion de ce point 2:

«L'équivocité polysémique, que la philosophie conventionnelle (et partant, toute orthoglossie ou toute "novlangue" à la Orwell), ont considéré comme une malédiction babelienne, devient par le travail et la grâce, la légèreté, la flexibilité et la souplesse de l'ironie d'orsienne, une chance de comprendre davantage de choses dans ce qui est dit, de ne pas réduire le contenu du discours et de la pensée à des univocités rigides. Et surtout l'ironie d'orsienne nous permet toujours de compter avec la collaboration créatrice de l'autre, de l'interlocuteur potentiel (remarquons que la bonne formule pour désigner le dialogue avec l'Autre, venu d'une autre civilisation ou d'une autre culture est: “dialogue interculturel”).

Contre toutes les orthoglossistes fanatiques, présents et à venir, d'Ors sanctifie le PÉCHÉ ORIGINEL des langages, c'est-à-dire leur plurivocité. On ne peut pas renoncer aux contradictions et aux ambigüi­tés.

3. L'ironie correspond à la nature inépuisable de la vérité:

Comme l'ironie est MODESTIE INTELLECTUELLE, elle accepte qu'il reste des secrets, des mystères, dans le ciel et sur la terre (contrairement aux déistes). Il est impossible d'interpréter de façon EXHAUSTIVE les faits du monde. Ce serait aller à l'encontre de la nature.

4. L'ironie correspond à un monde où l'on travaille et l'on joue:

Dès 1911, d'Ors dit: «je vais énoncer la philosophie de l'homme en activité, de l'homme qui travaille et qui joue» (En 1914 paraît son livre: Filosofia del hombre que trabaja y juega).

L'existence humaine, c'est certes la lutte pour la vie, mais c'est aussi la fête et la joie. Ignorer l'aspect ludique, c'est mutiler cruellement l'humanité. Car le jeu est souvent, plus que le travail, le “lieu de la créativité”.

5. L'ironie correspond à l'aspect contradictoire du réel:

6. L'ironie correspond à l'expression catalane de “SENY":

- Quand les Catalans parlent de "Seny", ils entendent un mélange de sagesse, de savoir, de maturité, de prudence, de bon sens et d'intelligence.

- Pour le Catalan Eugenio d'Ors, l'ironie est la méthode du philosophe doué de "seny".

- Eugenio d'Ors replace ainsi l'ironie dans l'éthique, refuse de faire de l'ironie une pure arme de destruction.

- L'ironie ramène les choses à leurs justes proportions, qui ne sont jamais figées mais toujours en mouvement.

- L'ironie est donc une "position de liberté" vis-à-vis des axiomes rigides.

- L'ironie, en tant que position de liberté, donne à celui qui la pratique une position souveraine, libre de toute entrave, indépendante face au monde (mundanus),  aux contingences frivoles ou éphémères.

- Le philosophe ironique est davantage libre-penseur que le philosophe dogmatique.

La SOCIOLOGIE D'ANTON ZIJDERVELD:

Anton_Zijderveld_-_2012.jpgAprès le philosophe catalan Eugenio d'Ors, abordons la sociologie du Néerlandais Anton Zijderveld (disciple d'Arnold Gehlen).

Pour lui:

- L'humour est spontanéité et authenticité;

- L'humour est une fonction sociale oblitérée et traquée par la modernité;

- L'humour est une fonction sociale qu'il convient impérativement de réhabiliter. Dans cette optique, il faut, dit-il, retrouver le sens des fêtes, du carnaval, de la Fête des Fous où se conjuguent ébats de toutes sortes, dérision ritualisée du pouvoir et des édiles.

Le point de vue de Zijderveld n'est pas destructeur ou dissolvant: il dit que l'humour ne détruit pas les institutions (au sens de Gehlen), il les maintient en les remettant en question à intervalles réguliers, il évite qu'elles ne tournent à vide ou dérivent dans l'absurbe de la répétition.

Zijderveld s'oppose à ce qu'il appelle une “gnose sociale”, ou plus spécifiquement, le “nudisme social”. Selon le “nudisme social”, l'homme moderne est porté par l'obsession consistant à dire que l'homme n'est authentique que s'il a abjuré tous les rôles qu'il a joués, joue ou pourrait jouer au sein des institutions.

Rôles et institutions sont considérés par les “nudistes sociaux” comme des vecteurs d'aliénation oblitérant le véritable "moi" (fiction).

La fête médiévale, la Fête des Fous, les esbaudissements des Goliards, les confréries carnavalesques impliquent justement le port du masque: cela signifie qu'un homme authentique, qu'il soit boucher, boulanger, architecte ou médecin, adopte une inauthenticité fictive dans un segment limité du temps, le temps du carnaval, où est restitué brièvement le chaos originel.

Pour Zijderveld, la “gnose”, le “nudisme social”, l'obsession de l'homme authentique sans rôle ni profession ni béquille institutionnelle, est un apport du christianisme.

Mais l'histoire du moyen-âge européen, de la Renaissance, nous révèle que ce christianisme n'est qu'un mince vernis.

Preuve: la persistance des Saturnales ro­maines sous la forme du FESTUM STULTORUM ou du FESTUM FATUUM, pendant lequel blasphèmes et moqueries sont pleinement autorisés: il s'agit ni plus ni moins d'une INVERSION SALUTAIRE DE LA NORMALITÉ QUOTIDIENNE, qui permet de recréer brièvement le chaos originel, pour montrer son impossibilité dans le quotidien, la nécessité des institutions et, en même temps, leur fragilité.

 

shipoffools.jpg

Autre signe que le christianisme médiéval n'est que vernis: la présence permanente dans cette société médiévale des GOLIARDS et des VAGANTES, qui ne cessent de blasphémer dans leurs chansons et de véhiculer des idées anti-cléricales (Cf. Les Chants de Cambridge  de 1050 et les Carmina Burana  de 1250, mis en musique en ce siècle par Carl Orff).

A partir du Concile de Bâle en 1431, de la Condamnation des fêtes par la faculté de théologie de Paris en 1444 (Charles VII doit constater que les mesures prises n'ont aucun effet!), à partir de la Renaissance, la Fête des Fous est plus réglementée (Ordonnance du Parlement de Dijon en 1552), de même que les charivaris, dont la fonction devient la moralisation de la société (moqueries contre les adultères, les filles volages, etc.).

La Bazoche des étudiants juristes de Paris, Lyon et Bordeaux organise des théâtres caricaturants et satiriques, se mue ensuite en club littéraire (dans les Pays-Bas méridionaux, on parle de "Chambre de Rhétorique” ou "Kamers der Rederrijkers", plus audacieuses que dans les grands royaumes modernes).

Zijderveld cite deux auteurs:

- Rabelais (nous y revenons)

- Erasme (Laus Stultitiae: Eloge de la folie).

Conclusion de Zijderveld:

- Battre en brèche l'arrogance de l'Aufklärung

- Démontrer que le moyen-âge est moins "obscurantiste" qu'on ne l'a écrit

- Démonter que le moyen-âge était bien davantage anti-répressif que la modernité (Foucault), du moins dans les espaces-temps réservés à la fête.

- Montrer que l'INVERSION des règles quotidiennes doit pouvoir exister dans toute société, pour assurer une convivialité féconde.

Mais quid de l'humour dans la modernité selon Zijderveld?

- L'humour de la Fête des Fous, des Saturnales, est régulateur, naturel.

- L'humour n'y est pas simple "soupape" de sécurité.

Aujourd'hui:

- L'humour est rejeté parce qu'il serait AGRESSIF (arguments psychanalytiques). Cette agression latente doit être systématiquement "punie" (“Surveiller et punir” selon Foucault).

La réponse de Zijderveld:

- L'humour permet à tous d'entrevoir la fragilité des choses, même les plus sublimes;

- L'humour permet la communication sociale de manière optimale.

- L'humour soude la solidarité du groupe.

- L'humour permet la résistance passive contre la tyrannie ou l'occupation.

RICHARD RORTY: CONTINGENCE, IRONIE ET SOLIDARITÉ

Quelle position la philosophie actuelle laisse-t-elle à l'ironie?

Quelle est la place de l'ironie dans le contexte du "nouvel ordre mondial", après la concrétisation des projets de Nozick et Buchanan?

rorty.JPGLe corpus le plus significatif, le plus souvent évoqué à l'heure actuelle est l'œuvre de RICHARD RORTY (Contingency, Irony and Solidarity).

Rappelons quelques points essentiels de l'œuvre de Rorty:

- La philosophie ne peut évoluer si elle s'en tient à des critères délibérément soustraits au temps.

- Une démarche philosophique doit toujours être replacée dans son contexte historique.

- Il faut parier pour une philosophie plus formatrice (bildende) que préceptive.

- Il faut refuser la réduction de tous les discours à un seul discours universel.

- Il faut proclamer la légitimité des discours "contingents" à deux niveaux: au niveau individuel (autopoiésis; Selbsterschaffung)  et au niveau communautaire (consolider la solidarité).

La place du philosophe ironique (comme d'Ors) se justifie par:

- la réponse au double défi qu'il apporte, double défi de l'autopoiésis et de la solidarité.

- son savoir modeste qui veut que ses convictions, ses espoirs et ses besoins sont toujours CONTINGENTS.

- son souci d'éviter d'ériger un MÉTA-DISCOURS.

- sa volonté de comprendre et de faire comprendre que la raison pure de Kant et son avatar actuel “la raison communicationnelle” de Habermas sont devenus obsolètes, dans le sens où elles sont universalistes, métadiscours, se méfient de la contingence et de l'histoire.

- Nous n'avons plus besoin de "méta-discours" mais d'un RECOURS à la multiplicité des faits contingents.

- La solidarité ne dérive plus de l'adhésion à un méta-discours partagé par tous obligatoirement, mais par respect "nominaliste" et "historique" des multiples contingences qui font le monde.

- Rorty réhabilite la PHRONESIS grecque, soit la sagesse et l'intelligence pratiques.

- Rorty rejette les philosophie, les théories qui se posent comme purement spectatrices (sa différence d'avec d'Ors) et refusent l'IMMERSION dans la contingence concrète d'un contecxte historique qui réclame implicitement la solidarité.

- Rorty réclame l'abolition des représentations figées.

- Rorty n'est pas relativiste, puisqu'il ne nie pas les valeurs propres à une contingence particulière.

- Rorty développe un ethno-centrisme axiologique ET pragmatique qui n'est nullement missionnaire. Il ne cherche pas à imposer ailleurs dans le monde les valeurs (ou les non-valeurs) de la “culture nord-atlantique".

Conclusion:

Rorty se base sur NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN et HEIDEGGER (dont il ne reprend pas la définition de l'“Etre”), pour affirmer que les sociétés sont des contingences, pour rejeter le filon philosophique platonicien, pour dire que le philosophe doit se pencher sur la littérature, dont ORWELL et NABOKOV, parce que tous deux nous montrent l'effet de la CRUAUTÉ des métadiscours en acte à l'égard des contingences réelles de la vie et du monde.

Réel, vous avez dit "réel"?

Ce qui nous amène à Rabelais, Nietzsche, Foucault et Bataille.

RABELAIS:

rab.jpgRabelais (1494-1553), pourquoi Rabelais?

Au XXième siècle son exégète le plus intéressant est le Russe Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), linguiste et philosophe, historien des mentalités comme Michel Vovelle en France, Nathalie Davis dans l'espace linguistique anglo-saxon et Carlo Ginzburg en Italie.

La langue pour Bakhtine comme pour Foucault est:

- l'atelier où se forgent les instruments et les stratégies du pouvoir;

- mais elle est AUSSI le socle sur lequel se constitue une nouvelle communauté.

La langue de Rabelais, dans ses dimensions grotesques, ramène au CORPS, à ses limites et à ses capacités.

Les sources de l'écriture rabelaisienne sont les RÉCITS POPULAIRES, les CONTES et les LÉGENDES, dont les thèmes sont l'existence de sympathiques canailles, de simplets, de fous.

L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle hisse au niveau de la littérature universelle la dimension PARODIQUE des récits populaires.

Rabelais a vécu la rue, les marchés, les auberges et les tavernes de son temps, mais, simultanément, il a occupé de hautes fonctions.

Il fait ainsi charnière entre la culture populaire (encore largement païenne) et la culture des élites (christianisée).

Rabelais perçoit la différence entre:

- la langue des marchés, HÉTÉROGÈNE et NON FIGÉE et la langue des institutions, HOMOGÈNE et FIGÉE. Il perçoit très bien, avant la normalisation moderne, qu'il y a à la base, dans le peuple, pluralité et polysémie, tandis qu'au sommet il n'y a plus qu'univocité.

Bakhtine parlera de "réalisme grotesque" et pourra développer une critique subtile des rigidités soviétiques sans encourir les foudres du régime.

rabelais.jpgBakhtine en mettant en parallèle son réalisme grotesque et le réalisme socialiste officiel, revalorisera “LE PEUPLE RIANT SUR LA PLACE DU MARCHÉ”.

A partir de la Renaissance, l'église, la cour, l'Etat absolutiste, puis l'Etat sans monarque mais porté par l'Aufklärung, vont tenté de réduire au silence ce rire populaire, véhicule d'une formidable polysémie.

Pour Bakhtine, il s'agit d'une COLONISATION DE LA SPHÈRE VITALE (à mettre en parallèle avec les thèses analogues d'Elias, de Huizinga et de Simmel).

A la verticalité imposée d'en haut, il oppose la convivialité horizontale de la place publique.

Cette revalorisation de la convivialité et de l'humour corsé du peuple lui vaudra la critique négative de Tzvetan Todorov (auteur de Nous et les autres). Todorov accuse Bakhtine de “prendre parti pour le peuple sans esprit critique”.

Simone Périer (professeur à Paris VII) rend hommage, elle, à Bakhtine pour:

- sa biographie difficile (handicap, refus de lui accorder un doctorat)

- pour son hymne à la joie, sa profession de foi dans l'énergie collective («La sensation vivante qu'a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l'histoire»).

Que veut Bakhtine?

1. Transcender l'individuel: Bakhtine refuse de réduire l'humain à l'être biologique isolé ou à l'individu bourgeois égoïste.

2. Restaurer le carnaval (rabelaisien) en tant qu'antidote à l'“individuation malfaisante”.

3. Restaurer le PARLER HARDI, expression de la conscience nouvelle, libre, critique et historique.

4. Restaurer “la PROXIMITÉ rude et directe des choses désunies par le mensonge et le pharisaïsme”.

Il y a donc chez Rabelais une affirmation sans faille de la CORPORÉITÉ (de la LEIBLICHKEIT).

FOUCAULT:

Michel-Foucault.jpgNietzsche voit dans le corps le site d'une complexité née de multiples et diverses intersubjectivités et interactions, le lieu de passage de l'expérience, toujours diverse, chaque fois unique.

Foucault va systématiser ce filon corporel qui part du paganisme, de Rabelais et de Nietzsche.

Pour Foucault:

- l'homme est figure de sable, passagère et contingente, créée par des savoirs et des pratiques, tissés de hasard.

- si l'homme est CORPS, ce corps en tant que surface est lieu, site, évoluant dans un lieu spatial concret. C'est là que l'homme se situe et non dans un monde d'idées: par conséquent, toute lutte réelle est LOCALE.

- ce lieu doit être connu, sans cesse exploré, par enquête et historia  (= enquête en grec). L'enquête sur le lieu de notre vécu doit équivaloir à l'enquête lors d'un procès en droit. S'il y a enquête, il n'y a pas d'arbitraire, il y a liberté (et démocratie).

- mais le quadrillage de la modernité surplombe les enquêtes, distrait les hommes concrets de l'attention minutieuse qu'ils doivent apporter à leur lieu, à leur contingence.

- le quadrillage déclare apporter la démocratie et la transparence, mais pour s'imposer, il doit contrôler, CORRIGER, discipliner les corps (la "political correctness” est l'aboutissement de cette frénésie).

- dans un tel univers, le droit donne formellement l'égalité et la liberté, mais dans la concrétude quotidienne s'instaurent les micro-pouvoirs disciplinants, essentiellement inégalitaires et dyssimétriques.

- face à ces micro-pouvoirs, il n'est pas possible d'opérer un renversement global (le "tout ou rien" de la révolution fasciste ou communiste): on ne peut opposer que des résistances à un pouvoir "capillaire", des résistances multiformes, sans totalisation, une série de CONTRE-FEUX.

- l'objectif de la modernité: le PANOPTISME de l'architecture carcérale. Les grands mythes des Lumières recèlent le danger d'un espace transparent sans échappatoire (cf. 1984 + toute la veine contre-utopique de la littérature anglaise).

- pour Foucault, la VISIBILITÉ voulue par la modernité panoptique est un PIÈGE (les déistes déjà voulaient éliminer les "mystères"). «NOTRE SOCIÉTÉ N'EST PAS CELLE DU SPECTACLE MAIS DE LA SURVEILLANCE».

- le droit et la justice modernes sont les instruments de cette surveillance ubiquitaire: d'où la nécessité, pour Foucault, de rejeter radicalement le droit et de se montrer extrêmement sceptique à l'égard de la notion moderne de justice. Foucault développe un ANTIJURIDISME radical.

Mais la contestation du droit est restée dans l'orbe du droit; ses efforts se sont annulés. Il aurait fallu animer un PÔLE DE RÉTIVITÉ (exemple: les chahuts du 1 mai 96 organisés par les socialistes belges contre leurs dirigeants, les manifestations devant les palais de justice en Belgique en octobre 96, la suite, les "marches blanches" ayant été trop polies).

Foucault a plutôt parié pour les VIOLENCES MASSIVES, ce qu'on lui reproche aujourd'hui, de même que sa volonté de mettre la Vie au-dessus du droit (cf. Renaut, Ferry et même son biographe Jean-Claude Monod).

Conclusion:

La sextuple lecture de Swift, d'Ors, Rorty, Zijderveld, Bakhtine et Foucault doit nous conduire tout d'abord à

- ORGANISER CE PÔLE DE RÉTIVITÉ réclamé par Foucault.

Puis:

- de rejeter tout utopisme construit more geometrico.

- de tenir compte de l'extrême fragilité du matériel humain;

- de se maintenir dans la contingence, seul lieu possible de notre action;

- de chercher à restaurer la fête, comme espace virtuel d'inversion des valeurs;

- d'organiser une résistance ludique, difficilement dénonçable comme "totalitaire";

- de dénoncer la modernité et ses institutions politiques et judiciaires, de même que tous ses micro-pouvoirs comme une volonté obsessionnelle de SURVEILLER et PUNIR.

- de dire que l'orthoglossie obligatoire, la pensée unique et la "political correctness" sont des aboutissements de cette obsession de surveiller et de punir. Elles doivent être considérées puis traitées comme telles.

En conséquence, sur le plan philosophique qui doit précéder toute démarche pratique, nous devons allumer les CONTRE-FEUX du GRAND REFUS, impulser les synergies du PÔLE DE RÉTIVITÉ voulu par Foucault.

Bibliographie:

A. Généralités:

- ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.

- Julio CARO BAROJA, Le carnaval, Gallimard, Paris, 1979.

- Jacques HEERS, Fêtes des fous et carnavals, Fayard, Paris, 1983.

B. Sur Swift:

- Michael FOOT, «Introduction» to Jonathan Swift's Gulliver's Travels, Penguin, Harmondsworth, 1967.

- Emile LEGOUIS, Louis CAZAMIAN, Raymond LAS VERGNAS, A History of English Literature, J.M. Dent & Sons Ltd, London, 1971.

- Ernest TUVESON, Swift. A Collection of Critical Essays, Spectrum/Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1964.

- Ernest TUVESON, «Swift: The dean as Satirist», in E. TUVESON, Swift..., op. cit.

- Irvin EHRENPREIS, «The Meaning of Gulliver's Last Voyage», in E. TUVESON, op. cit.

- John TRAUGOTT, «A Voyage to nowhere with Thomas More and Jonathan Swift: Utopia and The Voyage to the Houyhnhnms», in E. TUVESON, op. cit.

- Maurice BOUVIER-AJAM, «Swift et son temps», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- Robert MERLE, «L'amère et profonde sagesse de Swift», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- M. Louise COUDERT, «Les trois rires: Rabelais, Swift, Voltaire», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

- Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Jonathan Swift», in: Lexikon des Konservativismus, Stocker Verlag, Graz, 1996.

C. Sur Eugenio d'Ors:

- Alfons LOPEZ QUINTAS, El pensamiento filosofico de Ortega y d'Ors. Una clave de interpretación, Ediciones Guadarrama, Madrid, 1972.

- Gonzalo FERNANDEZ DE LA MORA, Filósofos españoles del siglo XX, Planeta, Madrid, 1987.

D. Sur Foucault:

- Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.

- Michel FOUCAULT, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971.

- Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966. 

- Michel FOUCAULT, «Omnes et singulatim. vers une critique de la raison politique», in: Le Débat, n°41, sept.-nov. 1986.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, 68-86. Itinéraires de l'individu, Gallimard, Paris, 1987.

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- Henk OOSTERLING, De opstand van het lichaam. Over verzet en zelfervaring bij Foucault en Bataille, SUA, Amsterdam, 1989.

- Angèle KREMER-MARIETTI, Michel Foucault. Archéologie et généalogie, Livre de poche, coll. biblio-essais, Paris, 1985.

- François EWALD, «La fin d'un monde», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984. 

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- Jürgen HABERMAS, «Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault», In: Le Débat, n°41, op. cit.

- Jürgen HABERMAS, «Une flèche dans le cœur du temps présent», in Critique, Tome XLII, n°471-472, op. cit.

- Katharina von BÜLOW, «L'art du dire-vrai», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

- Pasquale PASQUINO, «De la modernité», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.

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- Joachim LAUENBURG, «Foucault», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.

- Frédéric GROS, Michel Foucault, PUF, Paris, 1996.

- Jean-Claude MONOD, Foucault: la police des conduites, Michalon, coll. «Le bien commun», Paris, 1997.

E. Sur Rorty:

- Richard RORTY, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge University Press, Cambridge, 1989-91 (3°ed.).

- Richard RORTY, La filosofia dopo la filosofia. Contingenza, ironia e solidarietà, Prefazione di Aldo G. Gargani, Editori Laterza, Roma/Bari, 1989.

- G. HOTTOIS, M. VAN DEN BOSSCHE, M. WEYEMBERGH, Richard Rorty. Ironie, Politiek en Postmodernisme, Hadewijch, Antwerpen/Baarn, 1994.

- Joachim LAUENBURG, «Rorty», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.

- Walter REESE-SCHÄFER, Richard Rorty, Campus, Frankfurt/New York, 1991.

F. Sur la problématique utopie/contre-utopie:

- Richard SAAGE (Hrsg.), Hat die politische Utopie eine Zukunft?, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.

- Ernst NOLTE, «Was ist oder was war die “politische” Utopie?», in R. SAAGE, op. cit.

- Rainer ZITELMANN, «Träume vom neuen Menschen», in R. SAAGE, op. cit.

- Iring FETSCHER, «Was ist eine Utopie? Oder: Zur Verwechslung utopischer Ideale mit geschichtsphilosophischen Legitimationsideologien», in: R. SAAGE, op. cit.

- Raymond TROUSSON, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1975.

- Mark R. HILLEGAS, The Future as Nightmare. H. G. Wells and the Anti-Utopians, Southern Illinois University Press, Carbondale and Edwardsville, Feffer & Simons, Inc., London/Amsterdam, 1967.

G. Sur Rabelais et Bakhtine:

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- Michel RAGON, «Rabelais le libertaire», propos recueillis par J.J. Brochier, in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Michel JEANNERET, «Et tout pour la tripe», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Pascal DIBIE, «Une ethnologie de la Renaissance», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Simone PERRIER, «Démesure pour démesure: le Rabelais de Bakhtine», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

H. Ouvrages d'Anton Zijderveld:

- Anton C. ZIJDERVELD, The Abstract Society. A Cultural Analysis of Our Time, Penguin/Pelican, Harmondsworth,1974.

- Anton C. ZIJDERVELD, Humor und Gesellschaft. Eine Soziologie des Humors und des Lachens, Styria, Graz, 1971.

jeudi, 29 août 2013

Европа, глобализация и метаполитика

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Европа, глобализация и метаполитика

Г-н Стойкерс, мы хотели бы начать наше интервью с описания текущей ситуации в ЕС, особенно в Северо-Западном регионе. Что вы могли бы рассказать нам об этом?
 
Ситуация в странах Бенилюкса представляет собой то, что я мог бы назвать тупиком: Нидерланды как мультикультурное государство с католическим большинством, хотя пару десятилетий назад ситуация была иной, с сильным меньшинством протестантов, включая кальвинистов, которые дали нации само ее рождение в 16-м и 17-м веках, атеистами, которые в настоящее время отвергают все формы религиозной веры, и мусульманским меньшинством из марокканской и турецкой общин иммигрантов, пытается категорически отвергнуть ислам, так как большинство иммигрантов не ведут себя должным образом в соответствии к голландскими стандартами и вообще не представляются достойными ислама, который будет соответствовать общей тенденции голландцев к порядочности, честной игре, респектабельности и мягкости. Нидерланды, в связи с доминирующей длительное время кальвинистской элитой, в настоящее время демонстрируют тенденцию подражать худшим британской или американской моделям, даже если католики, которые сейчас составляют большинство, склонны быть более восприимчивыми к немецкой или другой континентальной модели, будь то левые или правые. Исламофобский центр притяжения партии PVV ("партия свободы") Герта Вилдерса вынуждает голландское правительство следовать британской и американской внешней политике, хотя позиция бывшего исламофобского политического лидера Нидерландов Пима Фортейна, который был католиком-гомосексуалистом и был убит бандитом-псевдоэкологом, была направлена против интервенции Голландии в чьи-либо дела - он высказывался против военной акции в отношении сербов и за полный вывод голландских подразделений, которые были направлены в Боснию: это может и было реальной причина для его убийства, а не довольно агрессивная позиция по отношению к мусульманам, которую он занимал в своих политических выступлениях и брошюрах. Нидерланды, несмотря на то, что являются моделью государства в текущем кризисе ЕС, так как его финансовое положение относится к зоне евро и, кажется, остается довольно устойчивыми, но все же не без риска, потому что как и Испания, там есть спекулятивный пузырь в сфере недвижимости, который может взорваться в любой момент. Одна вещь, которую мы не должны забывать за рубежом: Нидерланды, вместе с Фландрией в Бельгии, постоянно производят огромное количество книг во всех видах гуманитарных наук, это темы, которые нас интересуют, но это, к сожалению, в значительной степени игнорируется в регионах, не говорящих по-голландски, где эти работы никогда не переводились и не цитировались в научных трудах, несмотря на то, что голландские и фламандские интеллектуалы в целом понимают, и читают, по крайней мере, на четырех языках и, следовательно, в состоянии сделать замечательный синтез.
 
Бельгия сейчас - это еще одно мультикультурное государство, разделенное языковыми границами, которые рассекли две основные католические общины - говорящих по-голландски фламандцев и франкоязычных валлонов (есть также небольшая община говорящая по-немецки на востоке страны, рядом с немецкой границей). В настоящее время фламандцы, как и голландцы, подвержены сильной тенденции подражать англосаксонской модели, а валлоны находятся под глубоким влиянием французских образов мышления. А немцы, конечно, под сильным влиянием немецких идей и дебатов. Эти "низкие Страны" представляют собой невероятное лоскутное одеяло из идей: вы более нигде не найдете таких больших потоков идей, широко распространенных среди населения и, наоборот, вы найдете все, левых или правых радикалов, иногда выражающих очень оригинальными способами, однако из этого широкого круга идей не получается никакой социальной сплоченности. Даже в рамках основных политических партий (либеральная, христиане-демократы, социалисты), тенденции довольно многочисленны как среди лидеров, так и боевиков. Основной тренд, конечно, поддерживает западную точку зрения в рамках НАТО, хотя все оппозиционные элементы, исторически (Хармель) или в настоящее время (Коллон) могут сильно критиковать идеологию и практику НАТО. Кроме того, люди на самом деле не заинтересованы в операциях, начатых в Ираке, Афганистане, Ливии или Сирии. Они не поддерживают армию, отправленную в этих страны, куда вторглось НАТО (конечно потому, что армия больше не является по призыву), так же, как Пим Фортейн требовал вывода голландских войск из бывшей Югославии. Лично я думаю, и я повторяю это снова, что это и было главной причиной его убийства, а не преднамеренный акт сумасшедшего активиста, чьи идеи парадоксально обосновали проНАТОвскую позицию преемника Фортейна в голландском популистском идеологическом течении, т.к. Герт Вилдерс, чей отец родился в католической провинции Лимбург близ немецкого города Аахен, и мать которого является индуской из Индии, скорее всего, довольно враждебны к мусульманам. Лояльность сына по отношению к матери может объяснить некоторые исламофобские подходы его партии...
 
В "низких странах" вы можете воспринимать множество изолированных реакций против Системы. Как пример можно привести усилия самого известного за рубежом политолога, воодушевленного Хомским, такого как экс-маоистский активист Мишель Коллон во франкоязычной Бельгии. Бельгия, тем не менее, является довольно проблемной страной, даже учитывая то, что три "низких страны" относятся к сильнейшим экономическим государствам в рамках ЕС. Последствия кризиса и рецессии сейчас ощутимы в Бельгии, когда цены на продукты питания и первой необходимости намного выше, чем во Франции и Германии, а общая покупательная способность населения резко снизилась. Бельгия сохраняет свою относительную стабильность только из-за гигантских клиентов соседей, которым является Германия, покупающая товары в Бельгии для производства других товаров в Германии для реализации на русских и китайских рынках. Так что Германия, и в "переводе", как сказал бы учитель математики, Бельгия и Нидерланды, - это основные партнеры Евразийского альянса стран БРИКС, даже если НАТО-ориентированная трэш-элита не хочет так считать, несмотря на экономические и коммерческие факты и цифры. Таким образом, "маленькая Бельгия" разделяет часть немецкого пирога в Евразии: в высоко коммерческих закрытых собраниях хорошо знают об этом и некоторые умники мечтают о выздоравливании позиции Бельгии, как было до 1914 года в России (когда Россия была главным торговым партнером Бельгии между 1890 и 1914 гг.), и даже в Китае, куда регулярно направляются коммерческие миссии.
 
В заключение этих коротких мыслей о "Низких странах", я хотел бы предложить русским друзьям создать небольшое закрытое собрание по голландским и фламандским исследованиям с целью сбора полезной информации, чтобы никто другой больше в долгосрочной перспективе не смог получать прибыль.
 
- Сейчас в Южной Европе воодятся меры жесткой экономии, это чувствуется на Северо-Западе? И что насчет всеевропейской солидарности или концерте наций в контексте кризиса?
 
Вы, наверное, знаете в России, что трагедия в Европе в том, что северные нации имеют не высокое мнение о их южных соседях, и политический мыслитель, такой как Жан Тириар, который остается источником вдохновения для меня и для профессора Дугина, сильно сожалел об этом. Большинство людей в Северной Европе говорят, что надо заставить Испанию, Грецию, Португалию и Италию принять эту политику жесткой экономии, однако, думая таким образом, они отказываются принимать во внимание простой факт, что спекуляции банкиров с Уолл-стрит против более хрупких стран Южной Европы являются спекуляцией против ЕС в целом и это была попытка уничтожить евро в качестве альтернативной валюты к доллару, которую некоторые страны БРИКС могли бы принять в качестве средства для регулирования международной торговли. Атлантистская слепота мешает лидерам ЕС воспринимать эти спекуляции американских банкиров как крайне смертоносное оружие в новых невоенных формах войны, так же, как шпионаж против европейских лабораторий и инженерных бюро через систему "Эшелон", столь же захватывающие бунты иммигрантов во французских пригородах, приводящие к партизанской войне против полиции и, наконец, устранение Ширака (который совершил два основных греха: дальнейшее развитие французского автономного ядерного оружия в 1995 году, в соответствии с видением де Голля, и поддержка идеи альянса между Парижем, Берлином и Москвой во время англо-американского нападения на Ирак в 2003 году) и замена его сумасшедшим политиком, таким как Николя Саркози, который несколько месяцев спустя вновь ввел Францию в верховное командование НАТО, как отправка "femens" пытающихся высмеять политиков или архиепископов, так же, как создание из ничего "оранжевых революций" и т.д. На самом деле, как вы и предлагаете, широкая и крепкая солидарность предпочтительнее для Европы, чем текущая трепка для южан, с которой мы экспериментируем этими днями, особенно учитывая, что три основных полуострова в Средиземноморском регионе имеют высокое стратегическое значение и являются потенциальными трамплинами для вторжения в Центр и Север европейского субконтинента. Одной главной идеей могла бы быть просто поддержка стран Южной Европы в новой политике, состоящей из отказа возвращать банкам кредиты и перезапуск нового направления, как было с победой сделано в Исландии. Это, конечно, разрушит все догмы неолиберализма. Но разве это не конечная цель нашей борьбы? 
 
Более или менее официальный журнал ЕС "Мир Европы", представил в своем весеннем выпуске 2013 г. две позиции по поводу кризиса. Автором одной является Ханс-Олаф Хенкель, президент Федерации немецкой промышленности (BDI), общепризнанный адвокат по вопросу евро: теперь он предлагает создать «Северный евро", что приводит к концу обещанную общеевропейскую солидарность. Затем глава Европейского института при Лондонской школе экономики Поль де Гров в том же номере "Мир Европы»" поет дифирамбы в пользу "фискального союза", такого, как и в Соединенных Штатах, даже если процесс создания для этого займет время, для того, чтобы избежать выдачи правительствами еврозоны долга в евро, не имея возможности контролировать валюту, что, в соответствии с де Гров, "мешает правительству дать гарантию держателям облигаций, что наличные всегда будут иметься для оплаты их запросов" (стр. 28). Даже если мы будем довольно подозрительными в отношении того, что главным образом предлагает неолиберальная Лондонская школа экономики, эта стратегия, предложенная де Гров, укрепила бы европейское единство и позволила бы избежать спекуляций в отношении более слабых стран. Де Гров называет предлагаемую им систему "Объединением долгов правительств еврозоны" с учетом, что "самое слабое (правительство) будет защищено от разрушительных последствий страха и паники, которые возникают на финансовых рынках, и, что в теории это может ударить по любой из стран-членов" (например, Нидерландам, если пузырь на рынке недвижимости даст некоторым банкирам возможность спекулировать против этого "славного государства"). Только таким образом Европа может стать полноправным игроком на многополярной шахматной доске и будет защищена от оружия спекуляций, что представляет постоянный риск, когда вы остаетесь приклеенным к евро-атлантическому региону, где «союзники» не являются союзниками, и как сказано в доктрине Клинтона, являются просто "чужеродной публикой", которую можно при случае отлупить, если вдруг кто-то напугает Вашингтон, что эти «союзники» могут стать вскоре стать реальными конкурентами.
 
А уполномоченные голоса в Германии предсказывают плохое будущее для экономичной сверхдержавы в самом центре Европейского субконтинента. Как консерваторы, такие как граф Кристиан фон Кроков, так и социалисты в лице Тило Саррацина перечисляют проблемы Германии в настоящее время в лице: 1) провала системы образования, которая в настоящее время не в состоянии генерировать необходимое количество технических или научных элит; 2) демографического упадка; 3) идеологического тупика; 4) отказа иммигрантов ассимилироваться или даже интегрироваться; 5) не управляемого кризиса государства всеобщего благосостояния и т.д. Кризис, охвативший Грецию или Испанию - это только прелюдия к большому кризису, который ударит по всей Европе, включая Германию, в ближайшие десятилетия, если не произойдет полного изменения в сознании людей.
 
- Является ли экономика судьбой Европы или есть более глубокие причины для объединения (или разъединения) всех европейских народов?
 
Европа, конечно, гармонизировала свою экономику после Второй мировой войны, а пять или шесть мрачных лет после 1945 г. были бедствием для наших стран, это трагический период заброшенности в нашей истории, как американско-британский историк Кит Лоу называет его в своей последней книге. это были такие же годы страданий, как и в бывшем Восточном блоке и в Советском Союзе. Германия представляла собой груду развалин, Франция и Италия также были слишком разрушены ковровыми бомбардировками (хотя и в меньшей степени, чем Германия) и разрушениями в связи с военными операциями были усеяны все страны. Мы не можем отрицать настоящий европейский патриотизм среди одних из первых архитекторов европейского объединительного процесса (таких как Шуман, Аденауэр и де Гаспери): их очевидной целью было сделать из Европы, на этот раз через экономику, а не военным путем, то, что Карл Шмитт называл "Большим пространством" ("Grossraum"). Но из-за дегенеративных процессов индуцированного массового потребления и "чувственного" материалистического отношения (я использую здесь слово "чувственное" так, как это было придумано Питиримом Сорокиным), где идеология мая 1968 была вершиной, частично в связи с постоянными, но тихими усилиями бывшего агента OSS (Офис стратегических служб США, предшественник ЦРУ - прим. пер.) Герберта Маркузе, стойкое видение объединенной Европы (или даже "Еврафрики") уступило место своего рода общей капитуляции, оставив руководство евроатлантической зоны в США, - это процесс, который вот-вот будет окончательно достигнут сейчас, когда американцы пытаются контролировать весь африканский континент через недавно созданное командование АФРИКОМ, чтобы вначале избавиться там от китайского присутствия, что сейчас сопровождается французской помощью для янки в Мали! Sic Transit Gloria Mundi! Можно согласиться с многими наблюдателями в том, что "чувственный" менталитет и приоритет материальных ценностей были специально спровоцированы американскими аналитическими центрами, которые на практике являлись воплощением идей Сунь Цзи, в соответствии с которыми вы должны ослабить ваших потенциальных врагов или конкурентов с помощью пробуждения среди них менталитета сибаритов.
 
Сейчас банковская практика, являющаяся двигателем экономики, построена на количестве, а не качестве, на материалистическом мировоззрении, которое как только возникает, то быстро устраняет все остальные ценности, как показал Жюльен Фройнд, и избавляется от всех этических или исторических чувств ответственности. Каждая форма торжествующего материализма побуждает людей больше не чувствовать себя связанными со своими соотечественниками и подстрекает их не уважать религиозные этические обязанности по отношению к другим, будь это те же убеждения, какие они разделяют, или, как говорит христианская или толстовская этика, человеческие существа должны уважаться как таковые, без иного рассмотрения. Именно в этом смысле отказ от всех национально-политических или религиозных связей, что заметил Артур Меллер ван ден Брук, который вместе со своей женой Люси Кэррик, перевеодил на немецкий язык Достоевского, уже через несколько десятилетий либерализма (т.е. "чувственной" материалистической идеологии, которую русский экономист и социолог Сергей Николаевич Булгаков (1871-1944) называл "буржуазностью", - неологизм, направленный на определение утилитарной идеологии британского либерализма) заметил, что люди просто умирают в качестве подлинного ценностно-рожденного сообщества и превращаются в кучу рассеянных индивидуумов, что происходит сейчас в наших странах. Европа должна быть вначале объединена посредством общей «культуры», общей системы образования, и на втором этапе мы бы придумали общую конституционную и гражданскую систему права, уважающую этнические и языковые общины ("реальные сообщества" ) на всей территории субконтинента. Таковы все прерогативы индоевропейской "Первой Функции", в соответствии с французским академиком Жоржем Дюмезилем, которые могли быть изложены в самом начале будущего процесса объединения. Позтом должна быть создана "Вторая функция" посредством создания автономной военной системы, а не в зависимости от структуры НАТО (как это было полностью юридически возможным в каждой западноевропейской стране), в том числе европейской сети производства современного оружия, чтобы не зависеть от военных поставок из-за рубежа. Только после создания общей культуры, образования, системы права и обороны, мы могли бы думать о различных процессах объединения на экономическом уровне. Первое, что нужно сделать, - это обозначить рамки для всех нематериалистических ценностей, что было бы реальной основой подлинной "идейной" (Сорокин) цивилизации, которую вы хотите продвигать. Исключением в европейском контексте будет конец сороковых годов и начало пятидесятых годов, где попытки унифицировать субконтинент по экономическому уровню были сведены минимуму и проводились по сути, т. e. преобразования в угольной и сталелитейной промышленности (EGKS / СЕСА).
 
- После Второй мировой войны США установили довольно сильное влияние на Западную Европу, которая трансформировалась в младшего партнера по евроатлантическому политическому сообществу с так называемыми "общими ценностями". Как "евроатлантизм" действует сейчас в Европе?
 
Процесс привязки Западной Европы, а теперь всех бывших стран СЭВ к США был долгим и достаточно сложным, чтобы понять это во всех ее аспектах (и объяснить их в коротком интервью), но можно без каких-либо колебаний сказать, что этот вопрос никогда еще не был систематически изучен. Скажем, если говорить в двух словах, что первая попытка Соединенных Штатов по ментальной колонизации европейцев (их самых опасных потенциальных врагов) происходила путем  погружения европейской кинематографической промышленности в океан голливудских постановок. Сражение было, таким образом, "метаполитическим". Голливуд должен был полностью заменить европейскую киноиндустрию. Франция, которая уже разработала хорошую киноиндустрию до 1939 года, подвергалась шантажу со стороны американцев в 1948 году: если французские кинотеатры не брали хотя бы 80% голливудских постановок, которые будут транслироваться во всей Франции, страна не получит денег по Плану Маршалла, и в решающий момент послевоенной истории Франции, когда бунты и забастовки парализовали страну, когда запасы продовольствия в крупных городах были дефицитом, мы можем безучастно задать вопрос: не выполняли ли коммунисты, организовавшие забастовки, и которые должны были действовать на благо Москвы, задания американских спецслужб, которые добивались того же с целью заставить Францию принять американский "диктат" по кредитам и показу голливудских фильмов? В 50-е годы социал-демократы были главными тайными союзниками США, так как они были выбраны в качестве партнеров американскими демократами вокруг Франклина Делано Рузвельта, чья политика Нового курса в 30-е годы стала образцом для социалистов во всех странах Европейского субконтинента. Метаполитическое влияние социализма и социал-демократии в Европе привело к тому, что американские демократы всегда лучше воспринимались в Европе, чем республиканцы: вспмоним Кеннеди, Клинтона (который организовал больше войн, чем его республиканские предшественники Рейган или Буш-старший), Обаму (который продолжает войны Буша-младшего, в результате чего есть еще более многочисленные жертвы в Афганистане и Пакистане...). Я хотел бы воспользоваться возможностью, чтобы назвать здесь две важных книги для понимания механизма колонизации Европы Соединенными Штатами: Richard F. Kuisel, Seducing the French – The Dilemma of Americanization, University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1993; Reinhold Wagnleitner, Coca-Colonization and the Cold War – The Cultural Mission of the United States in Austria after the Second World War, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1994.
 
Но стратегии, разработанные для европейских стран, не работают должным образом: Франция при де Голле оставила НАТО и утверждала оригинальную дипломатию во всем мире, частично вдоль линии, определенной Движением Неприсоединения, как это было предложено в знаменитой декларации де Голля в Пномпене (Камбоджа) в 1966 году. Эта новая французская дипломатия, при поддержке министров Кув де Мюрвиль и Жобера, нашла место и в развитии высокой технологической отрасли французской аэронавтики, где производились, среди прочих, и знаменитые истребители Mirage III, которые дали Израилю победу в июне 1967 года. Эти самолеты были проданы по всему миру и являлись серьезными конкурентами американских эквивалентов. Германия, несмотря на ее полное уничтожение в 1945 году и миллионов людей, которые остались военнопленными в Европе (один миллион только во Франции!), в Советском Союзе и в Америке, смогла полностью восстановиться, в частности, в связи с мужеством женщин, которые помогали восстанавливать города, так называемых "Trummerfrauen" или "дам руин", и двигалась к реальному экономическому чуду в конце 50-х годов, что вызвало восхищение даже среди бывших антифашистов. Германия имела и имеет слабое место: у нее больше нет авиационной промышленности, но там хорошо развита автомобильная промышленность, пожалуй, лучшая в мире. Соединенные Штаты потеряли много преимуществ на автомобильных рынках в Европе в связи с возрождением знаменитых немецких марок автомобилей: даже американские потребители начали покупать немецкий Volkswagen, Mercedes или BMW, так же, как сейчас делают новые богачи в китае или России. Поэтому Соединенные Штаты, ранее благоприятствовавшие европейскому объединительному процессу для того, чтобы получить огромный рынок для своей продукции, стали тайно отказываться от Европы как единого экономического блока и организовали коммерческую войну против многих видов продуктов питания, таких как сыры марки "камамбер" или "Грюйер", бананов из французских островов в Карибском море и т.д. За европейскими высокотехнологичными компаниями, такими, как фабрика по производству солнечных панелей, шпионили с помощью системы "Эшелон", а некоторым бывшим членам СЭВ было предложено вступить в ЕС и НАТО, с учетом того, что европейцы будут бесконечно платить за содержание нового военного блока, направленного на "сдерживание" России. Европейцы платили за поддержание слабых стран, а американцы выигрывают из стратегических преимуществ новой ситуации, не платя ни копейки. Последний акт войны - это, конечно, спекуляции против слабых экономик Южной Европы с целью нанесения удара по слабому "средиземноморскому подбрюшью" субконтинента.
 
Согласно геополитику Роберту Штраус-Хюпе, который ранее был сотрудником "Журнала геополитики" генерала Карла Хаусхофера ("Zeitschrift fur Geopolitik") в его родной Германии, но вынужденного покинуть Рейх после прихода Гитлера к власти, потому что он был частично еврейского происхождения и должен был выехать в Америку, где он стал советником в военном аппарате США, Европа и Германия в ее средней части всегда будут потенциально сильнее, чем США, по нескольким причинам, среди которых он считал превосходство системы образования и "расовую однородность". С помощью заговора в мае 68-го, придуманным бывшими офицерами OSS, такими как Герберт Маркузе (еще один немецкий эмигрант) и многих других, удалось уничтожить или, по крайней мере, серьезно подорвать европейскую систему образования. Ввоз мигрантов, которые не имеют серьезного уровня образования в своих странах, был направлен на парализацию системы социального обеспечения и конкурентоспособности европейских государств, которые тратили невероятно огромные бюджеты на то, чтобы помочь этим новым массам безработных, чтобы они выжили в повседневной жизни, вместо того, чтобы создавать, например, хорошую военную или аэрокосмическую промышленность. Вторая цель массовой иммиграции состояла в том, чтобы иметь возможность манипулировать этими массами для того, чтобы вызвать серьезные гражданские беспорядки в странах, которые могли бы, по тем или иным причинам, иметь свободные связи с Америкой: это было откровенно сказано  бывшим послом США в Париже Чарльзом Ривкиным (которого не нужно путать с экономистом Джереми Ривкиным), который начал проводить политику поддержки лидеров агрессивных молодежных группировок в парижском пригороде, обещая им американскую, саудовскую или катарскую поддержку. Беспорядки и поджоги в пригороде Парижа в ноябре 2005 года были местью американских неоконсерваторов, направленную на отстранение "нелояльного Ширака" от власти и замены его человеком, который забрал максимум голосов от партии Ширака и от  "Национального фронта" Ле Пена, т.е. Николя Саркози, пообещавшего французам "кархеризацию пригородов" и исключение "racaille" (сброда) ("Karcher" - это бренд, полученный от существительного, Karcher-машины используются для того, чтобы удалить пыль или грязь со стен домов с помощью мощных водяных струй). Ничего подобного сделано не было, но Саркози после прихода к власти  втянул Францию в НАТО и повел войну против Ливии, так что Конгрессу в Вашингтоне не нужно было голосовать за военные кредиты... Парижские беспорядки 2005 г. были использованы для содействия мутному политику, который использовал агрессивную и истеричную риторику для того, чтобы коренным образом изменить голлистскую политическую ориентацию своей страны в пользу американской мировой стратегии. Объективные наблюдатели могут увидеть то, насколько могут быть полезны безработные массы в "чужеродной публике" (Билл Клинтон), которая, хоть и является «союзником», но иногда вызывает противоречия.
 
Американское влияние закрепляется через музыкальное направление, моду, средства массовой информации и учреждения, которые всегда передают американскую интерпретацию мировых событий. Во Франции лучшим примером являются так называемые "новые философы".  Эта куча болтунов, несущих глупости и являющиеся производителями бреда, определяют повестку дня французской политики с конца семидесятых годов. Главная фигура из этой связки, несомненно, Бернар-Анри Леви, который имеет косвенно левый или псевдо-богословский или псевдо-республиканский (французский стиль) "ветренный язык" (это выражение было придумано Режи Дебре) и поддерживает все американские или израильские ходы на международной шахматной доске, изображающий всех врагов Америки как если бы они были опасными фашистами, ядовитыми диктаторами или консервативными популистами, националистами или палео-коммунистами. Во Франции Бернар-Анри Леви ведет систематическую кампанию против всех возможных претендентов во внутренней политике, а не только против националистов вокруг Ле Пен. Таким образом, "общие ценности" так называемого "атлантического сообщества ценностей" в настоящее время представляют сочетание консервативных атлантистов (когда некоторые наивные католики или протестанты считают, что Вашингтон является своего рода новой защитой для доброжелательного Рима, как теоретизировал интересный студент покойного Карла Шмитта, Эрих Вугенлин, который мигрировал в Соединенные Штаты во времена Гитлера), социалисты всех мастей, связанные с американскими демократами в традиции Рузвельта, манчестерские либералы, которые верят в религиозное кредо наследников Адама Смита, левое крыло либералов в стиле Кон-Бендит, которое стремится содействовать развитию растеканию антиценностей 68 мая для того, чтобы постоянно ослаблять Европу в пользу Соединенных Штатов, троцкисты второй волны, которые подменили большевистское понимание "перманентной революции" реальной практикой "перманентной войны" Бжезинского на "евразийской шахматной доске" (см. полемические книги и статьи Роберта Кагана), перманентной войны вокруг территории Афганистана, направленную на локализацию и уничтожение России, воспринимаемую как наследницу царей и Сталина. Есть, конечно, и «анти-ценности", ценности "Небытия", как Жан Парвулеско полемически называл их, против которых мои друзья и я боролись с самого начала нашей общественной деятельности. Они действительно являюбся ценностями "небытия", так как невозможно построить прочное государство или империю, опираясь на них (например, с точки зрения Парвулеско из его работы "Конец времен евразийской империи»). Усилия Бернар-Анри Леви имеют своей основной и единственной целью не допустить возвращения реальных политических ценностей, таких, каторые Карл Шмитт и Жюльен Фройнд (как и многие другие), описывают в их драгоценных произведениях.
 
- Вы ощущаете больше «свободы» в Европе после того, как Обама заявил о появлении "тихоокеанской оси" США?
 
Нет. Конечно, нет. Но, возможно, мы можем сказать, что постоянное давление  Западной Европе теперь больше не требуется, потому что наши страны являются политически мертвыми после стольких десятилетий "либерализма", как сказал бы Артур Меллер ван ден Брук. Верно также и то, что после трагических и ужасных событий в Ливии в 2011-2012 годах, когда Леви был советником Саркози, вместо французских генералов армии (!), фигура "новых философов" потерял свое влияние на общественное мнение. Ливийский вопрос вызвал среди других изменений во внутренней политики Франции ухудшение положения Саркози, предавшего видение де Голля международной политики, где Франция должна была играть роль независимой страны перед другими сверхдержавами. Один из последних провалов Леви совершил в апреле 2012 года, когда говорил об Алжире, который сейчас обхаживается Соединенными Штатами, чтобы присоединить его к неофициальному "Южному НАТО" вокруг главного союзника США Марокко, в том числе посредством угроз, как в Сирии, направленных на сохранение военизированного Фронта национального освобождения у власти с начала независимости страны в 1962 году - как о не арабской и мусульманской, а как о еврейской и французской стране! Эта жесткая атака определенным образом символизирует то, что Алжир хотел быть арабской, панарабской и арабской националистической страной в рамках сообщества арабских стран, несмотря на то, что большинство алжирцев берберского и кабильского происхождения. Арабская связь с алжирскими националистами, которые в шестидесятые года говорили на диалекте, сильно отличавшимся от классического арабского языка, должна была вытащить новую независимую страну из изоляции для участия в Движении неприсоединения и сделать ближе к насеритской версии панарабского идеала. Хотя очень интересная политическая фигура, такой как бывший президент Алжира Хуари Бумедьен, остался чисто политическим мыслителем, который мог генерировать команды очень способных дипломатов в семидесятых и восьмидесятых (до ужасной гражданской войны "Кровь десятилетия" с 1992 по 2003). Эти дипломаты могли, например, решить проблемы между Ираном и Ираком в 1975 году, когда суда с нефтью могли спокойно проходить в арабской части залива. Иран был представлен шахом, а Ирак Саддамом Хусейном. Мохаммед Сахнун, советник президента Шадли (преемник Бумедьена), был главой геополитической школы в Алжире и возглавлял дипломатическую миссию для решения проблем в районе Больших озер в Африке. Сахнун призвал к Евро-Африканскому союзу в целях изгнания Соединенных Штатов с Черного континента, особенно из стран Африканского Рога, регионе, который является стратегическим плацдармом для Индийского океана, описанным наследником Макиндера как "Сердцевиное море" перед Россией как "Сердцевинной Землей". Еще интереснее то, что Сахнун предполагал более тесное сближение с Тихоокеанским регионом на международной шахматной доске "культур", что предполагало возвращение к своим корням и отказ от ложных соблазнов убогих современных идеологий. Сахнун - это реальное противоядие от конфликта, который рассматривал в перспективе поздний Самуэль Хантингтон, автоматически воспринимавший культуры как антагонистов. Его идеи находят отклик в работах его японского альтер эго, Мориюки Мотоно, советника бывшего премьер-министра Накасонэ, который также признавал сближение тихоокеанских "культурных областей" но, на этот раз, через соседние "пересекающиеся регионы", которые помогут соседям лучше понимать друг друга просто потому, что они имеют в своих духовных ценностях наследие, общее для обеих соседних культур.
 
Бумедьен изучал арабскую литературу и, конечно, был благочестивым мусульманином, но он никогда не использовал религию в качестве эмблемы своего «специфического алжирского социализма». Когда Леви говорит, что Алжир не является мусульманской страной, он также нападает на салафитов из широкого спектра мусульманско ориентированных политических сил в Алжире. Сказать, что Алжир является как еврейским, так и французским, это значит, что Алжир не в состоянии помочь себе и требует повторной колонизации евреями и французами, которые были изгнаны оттуда в 1962 году. Леви добавил, что в краткосрочной перспективе в Алжире начнется «Арабская весна», как в Ливии и Сирии. Это, конечно, явная угроза для независимой страны, которая уже экспериментировала с гражданской войной, где погибло сотни тысяч людей. Но это было уже чересчур: Леви не воспринимается больше всерьез. Даже бельгийская ежедневная газета "Le Soir" (от 25 апреля 2013) в статье под названием “la Syrie ne fait plus recette”  ("Сирия не приносит больше наличных денег"), выразила сожаление, что инициативы по сбору денег для сирийских повстанцев в Бельгии потерпели неудачу. Таким образом, вся идеология, которую Леви и его чумные прихвостни пытаются насильно навязать, теряет в настоящее время свое влияние: люди более в ней не заинтересованы.
 
Эта атака против Алжира подводит меня непосредственно к вашему вопросу: целью атлантистов является включение Алжира в своего рода "Южное НАТО», присоединяя бывшую испанскую Сахару - Марокко и Мавританию как своего рода по новому оформленные колонии к официально антиколониальному Алжиру так, чтобы Алжир мог бы получить свою геополитическую мечту, будучи одновременно частью Средиземноморской и Атлантической силой. Проблема в том, что расстояние между Средиземным морем и берегом мавританской Атлантики довольно большое: более трех тысяч километров песчаной пустыни, с плохой коммуникацией шоссе или железной дороги, без какой-либо экономической пользы и под постоянной угрозой марокканской армии, которая может в любое время выйти с Атласских гор и нанести ответный удар когда захочет. Этот дар не является даром. Цель США - это контроль всей бывшей Французской Западной Африки, от Дакара в Сенегале до Сомали и Джибути для того, чтобы защищать добычу на нефтяных месторожденях в Нигерии, Камеруне и Чаде и предотвращать усиление китайского влияния в Черной Африке. Так что ваш вопрос, чувствуют ли европейцы себя более "безопасно" или "свободно", так как Обама решил отдать приоритет тихоокеанской оси, наверное, будет отрицательным, так как сдерживание Китая в Тихом океане подразумевает присутствие США в Африке и создание " Южного НАТО" как приложения к главному затвору - АФРИКОМу, что даст возможность полностью опоясать Европу на меридиональном фланге. Если Китай потеряет свои позиции Африке, то она будет значительно ослаблена и не в состоянии покупать столько товаров в Европе, как в настоящее время. Германия также будет ослаблена и Бельгия рискует быть в такой же ситуации, как Греция и Испания, чей государственный долг достаточно велик, тем более, что нужно принимать меры после более двух обанкротившихся банков в 2008 году (Fortis и Dexia / Belfius): запланированный обвал в еврозоне будет доведен до конца, и "Северный евро" останется лишь мечтой палео-националистов в Германии и Северной Европе. Нельзя забывать, что Бельгия и особенно Валлония - регионы угля и стали, пострадали от иранской исламской революции, которые помешали консолидации ядерной энергетики и сотрудничества сталелитейной промышленности, которое шах начал с Францией, Германией и Бельгией. Так называемая Исламская революция в Иране была для всех нас тяжелым последствиям, так что, даже если бы мы отказались от всех форм агрессии против современного Ирана, и если мы уважаем позиции президента Ахмадинежада на евразийской шахматной доске и в Латинской Америке (когда он сотрудничал с Чавесом), мы не разделяем некоторые взгляды и бывшего маоистского журналиста Мишеля Коллон об истории Ирана до исламской революции 1978-79 гг. Мы не забываем, что те же "новые философы" и троцкисты, который проповедовали против шаха на улицах Парижа, Брюсселя и Берлина в 1977-78 гг., в настоящее время пытаются подстрекать народ против Ахмадинежада точно так, как они это делали против Милошевича, Путина, Лукашенко, Каддафи и других! Цель состоит в том, чтобы предотвратить всякое сотрудничество между Европой и Ираном, будь то имперский или исламский режим, поэтому мы отстаиваем позиции шаха семидесятых, и мы поддерживаем все инициативы, направленные на предотвращение бесполезной и преступной войны против Ирана Ахмадинежада.
 
Тихоокеанская ось Обамы, таким образом, воздействует на южный фланг Европы. Где бы они ни ударили, они поражают нас всех. Давление на Китай в Африке означает также и удар по Европе.
 
- Что вы думаете о таких аутсайдерах для ЕС, как Турция, Сербия и некоторые постсоветские страны - Молдова, Беларусь и Украина?
 
Турция является чрезвычайно интересной страной для изучения, и она очаровывала меня в два незабываемых периода в моей жизни: 1) во время долгой поездки, которую наши учителя по философии и латыни организовали для нас летом 1972; 2) мое последующее чтение страниц Арнольда Тойнби о Вифинии, Византийской империи и Османской византийской стратегии, согласно Тойнби, который был "византологом", силе, которая господствовала в небольшой бывший римской провинции Вифинии возле Босфора, из которой можно действовать во всех направлениях: Черному морю, Балканах, Кавказу, Сирии, Египте и Северной Африке и даже за ее пределами, если есть достаточное количество материальных и человеческих ресурсов. Может быть поэтому американский стратег Эдвард Люттвак недавно написал книгу о византийской стратегии, где описано время, когда Византийская империя была еще мощным содружеством, контролирующим все бывшие провинции первой Римской империи так же, как оттоманы позже проводили ту же геостратегическую линию. Оттоманы не смогли выполнить задачу: их морское могущество стало уязвимым после битвы при Лепанто (1571 г.) а окончательное падение стало фактом после того как они не смогли взять Вену в 1683 году. После страшного поражения перед стенами Вены начался период их распада, хотя они и сохраняли свою власть на Балканах, в Сирии, Палестине, Ираке и Египте до русско-турецкой войны 1877-78 гг., балканских восстаний 1912 - 13 гг. и поражения 1918 года. По мнению их лидера Мустафы Кемаля Ататюрка исламско-османскому варианту пришел конец, а оставшееся турецкое государство должно было следовать другим путем. Он должен был сначала избавиться от исламского прошлого и найти новую идентичность, которая в соответствии с идеями Ататюрка, должна была быть хеттской идентичностью (поэтому он открыл археологический музей в Анкаре). Выбирая хеттскую идентичность, Ататюрк намеревался идентифицировать свою страну, уменьшенную до анатолийской части бывшей Османской империи и лишенную всех иракских нефтяных месторождений, с индо-европейскими народами, которые пришли из Европы завоевать Анатолию, где они оставили удивительную цивилизацию, и индуцировали геостратегические линии, которые были захвачены римлянами и крестоносцами, прошедших через Сирию и Месопотамию. Хеттская ярость продолжалась недолго и в современной Турции была заменена на политическую мифологию антиисламской военной элиты пантюркизма или пантуранизма, направленную на объединение всех тюрко-говорящих людей в одно гигантское государство от эгейского моря до Китая. Эта пантюркистская идеология была явно антисоветской, так как основные тюрко-говорящие страны, которые пантюркисты хотели захватить, были в советских руках в Центральной Азии. В 1942 году, когда немцы могли бы взять Сталинград и сократить свои маршруты поставок, а американцы организовали пути снабжения через железные дороги в Иране, а в Северной Атлантике из Нью-Йорка в Мурманск, создав огромные колонны "Кораблей Свободы", везущие боеприпасы и снаряжение для Советской Армии, турецкие офицеры из окружения главы генерального штаба генерала Чакмака предложили в Берлине осуществить вторжение на Кавказе, но их схема была настолько заумной, что немцы отвергли ее, опасаясь появления еще более опасного сверхгосударства на Востоке.
 
Эрдоган принял участие в открытии новой эры турецкой политики, поскольку он официально отверг не религиозные хеттский и пантуранский/пантюрский проекты в пользу возобновления османской исламской схемы. Его целью было уничтожение бывшей военной элиты и замены ее на новую благочестивую "буржуазию", которая процветала бы экономически в новом развивающемся регионе на юго-востоке современной Турции. Мы не можем вмешиваться во внутренние дела Турции и диктовать туркам каким образом они должны думать. Будь-то официальная кемалистская идеология или неооттаманская исламская, мы не заботимся и просто слушаем то, что говорят турецкие политики. Но когда Эрдоган приезжает в Германию или Бельгию и настоятельно призывает турецких людей, живущих в наших странах не ассимилироваться (которых я могу понять, потому что Европа в настоящее время переживает опасный и вредный период распада) и образуют своего рода «пятую колонну» в Eвропе с целью установления контроля, мы не можем с этим согласиться. Мы не согласны также с сирийской политикой, которую Эрдоган использует для поддержки повстанцев, за которыми стоит Запад и Катар против режима Баас и Башара Асада. Было бы лучше, если бы Турция, следуя своей изначальной политике дружеских отношений с Сирией до пророческого визита Эрдогана и Гюля в Дамаск в августе 2011 года, когда они пытались навязать министрам мятежных "Братьев-мусульман" для гипотетически следующего сирийского правительства. Связи, которые современный президент Турции имеет в банковском мире Эмиратов и, скорее всего, Катара, конечно, являются еще одной проблемой, которая может поставить под угрозу будущие плодотворные отношения с Европой и Россией. Министр иностранных дел Турции Эрдогана Ахмет Давутоглу по прозвищу "профессор" хотел разработать нео-османскую внешнюю политику, которую мы могли бы приняли в его первой версии, так как он хотел «ноль проблем с соседями" и первым начал положительную политику в отношении Сирии, Ирана, Ливии и других держав на Ближнем и Среднем Востоке. Но эта ориентация не имела будущего, к сожалению. Конечно, с европейской, австрийской, всеправославной и русской точек зрения, мы не можем принять расширение неоосманской схемы на Балканах, что поддерживалось США, Саудовской Аравией, Катаром и так называемыми исламскими финансами, с помощью которых, по-видимому, поднялся и Гюль. Даже если профессор Дугин и его итальянский друг Клаудио Мутти были под сильным влиянием идей Леонтьева, который предпочитал османское владычество на Балканах, чем сближение псевдоправославных минигосударств с сильным влиянием современных западных идей, все изменилось во второй половине ХХ века, и, конечно, сейчас для всех нас лучше поддерживать на Балканах хорватскую или сербскую геополитику.
 
Это подводит нас к Сербии. Эта страна является "основной зоной" на Балканах. Даже если немцы имели общую тенденцию поддерживать Хорватию вместо Сербии в 90-х годах, австрийский геополитик барон фон Йордис Лохаузен поддерживал Сербию в конце своей жизни и даже говорил об оси "Вена-Белград", направленную на связывание дунайской Европы с эгейским побережьем кратчайшими речными и сухопутными путями. Хорватия имеет другую точку зрения на геополитику: геополитические линии Адриатического и Средиземного моря и единственный конфликт с Сербией был за "окно" на реке Дунай в Вуковаре, где проходили ожесточенные бои между хорватскими войсками и сербской армией. В 1995 году хорватская армия завоевала регион Краина, которая была населена сельскими жителями сербского происхождения, и являлась стратегическим балконом, угрожающим гаваням Далмации, которые ранее были хорватско-венецианскими. Драмы Вуковар и Краины, конечно, оставили горький осадок в бывшей Югославии, но они не были ключевой областью, которая бы так опасно угрожала Сербии, как это позже произошло с движением за независимость Косова, начатое албанским ополчением из Армии освобождения Косово. Косово до османского нашествия в 14 веке было чисто сербской провинцией, где произошла трагическая битва на "поле черных дроздов", и в которой стояли древнейшие православные монастыри. Независимость Косово, безусловно, это самое странное увечье сербской территории, о котором мы должны сожалеть. Как вы, возможно, знаете, я был другом и Томислав Сунича, хорватского мыслителя, и Драгоша Калаича, художника и традиционного сербского философа, который издавал сербскую версию журнала "Элементы". Я также дружу с Юре Вуич, хорватским геополитиком и политологом, который недавно опубликовал книгу об атлантизме и евразийстве, для которой я написал предисловие: Вы прокомментировали эту книгу и мое предисловие на одном из ваших сайтов. Сунич, Вуич и Калаич выступали на летних курсах нашей организации "Евро-Синергия" во Франции, Италии и Германии. Сунич написал книгу об американском зле на хорватском и Калаич ("Amerikanski Zlo") на сербском языке. В 1999 году вместе с Лораном Озон во Франции, я выступал против интервенции НАТО в Югославии, и я говорил с Калаичем и его итальянским другом Архимедом Бонтемпи в Милане вместе с мэром города, чтобы объяснить, что война против Сербии была войной против Европы, целью которой была блокада всех речных перевозок по Дунаю и уничтожение инфраструктуры на Адриатическом море, где истребители НАТО сбрасывали дополнительные бомбы в море, убивая итальянских рыбаков. Мы направили письма галантному американскому сенатору сербского происхождения Бобу Джурджевичу и, со своей стороны, левые профессора Мишель Коллон и Жан Брикмон сделали то же самое: Коллон помнит все это вокруг диспетчеризации контринформации по Сербии, когда после первого первого акта сопротивления в Интернете и своей речи в Брюсселе и Брикмоне он был жестоко избит бандитами из Брюссельской полиции и брошен на всю ночь в грязную камеру, потому что он стоял перед зданием НАТО в столице Бельгии, точно так же, как несколько лет спустя поступил итальянский член Европейского парламента и бывший министр юстиции Марио Борджезио, который выступал против бомбардировки Белграда - ему тоже досталось, хотя он и был пожилым человеком, его избили дубинками и бросили в клетку: посольству Италии пришлось отправить своих клерков в бельгийское правительство, чтобы оно немедленно его освободило.
 
Косово является центральной частью того, что Калаич называл "исламской цепью государств", которую американцы и саудовцы установили на Балканах для того, чтобы построить кордон между Центральной Европой и восточной частью Средиземного моря, в результате чего Греция оказалась изолированной, а все возможные союзники России в этой области ослаблены. В Косово будет находиться огромнейшая военная база Соединенных Штатов в Европе - "Кэмп Бондстил", который была построена компанией "Халлибартон", куда переедет значительная часть американского гарнизона в Германии. О цели этой политики можно прочитать в книге сэра Найджела Бэгнэлла об "иллирийцских операцях" римлян между 229 и 227 г. и между 215 и 205 г. до н.э. В этих исторических исследованиях бывшего начальника британского Генштаба должным образом подчеркивается важность центральных районов Балкан: книга была написана в 1990 году и его немецкий перевод датируется 1995 годом, т.е. всего за четыре года до бомбардировки Сербии (Sir Nigel Bagnall, Rome und Karthago – Der Kampf ums Mittelemeer, Siedler, Berlin, 1995). Контроль над этой центральной косовско-сербской частью Балкан позволяет любой сверхдержаве угрожать или контролировать Италию и воспользоваться трамплином в Анатолию и дальше на восток, так же, как древние македонцы делали во времена Александра Македонского в канун своего вторжения в Персидскую империю. Османы, как только они смогли контролировать те же области в 14 веке, стали постоянной угрозой для Италии, Центральной Европы и региона Черного моря (Понтийского). Значит нетронутая Сербия, возможно, была бы территорией, которая бы объединила Центральную Европу (Австрию имперского наследия) и Россию (с Всеправославной точки зрения) в борьбе для изгнания всех иностранных держав из Балкан, Восточного Средиземноморья, Адриатическое моря и Причерноморья.
 
В настоящее время ЕС и США пытаются шантажировать Сербию, обещая быстрое членство в ЕС, если Сербия признает Косово как независимое государство. Я надеюсь, что Сербия не собирается отказываться от своей традиционной позиции и по-прежнему будет рассматривать Косово как потерянную провинцию, которая однажды снова станет сербской.
 
Если мы не слышим почти ничего о Молдове здесь, в Западной Европе, то Беларусь описывается в наших основных средствах массовой информации как шутовская диктатура палео-коммунистических фанатиков. Беларусь все же входит в центральную часть балто-черноморской линии Север-Юг. Есть три таких линии Север-Юг в Европе: 1) Линия Рейн / Рон, соединяющая сухопутные пути от Северного до Средиземного моря; 2) Балтийско/ Адриатическая линии от Штеттина или Гданьска / Данцига до Триеста в Италии или Пулы в Хорватии; эта область будет в краткосрочной перспективе будет связана прямой железной дорогой, соединяющей Данциг и Равенну в Северной Италии, город, который был столицей Остготского Королевства в Италии, которая была завоевана византийским полководцем Велизарием в 536 г. В Средние века король Богемии Отакар II Пржемысл (1253-1278 гг.) хотел создать царство, соединяющее Балтийское и Адриатическое моря: будущая скоростная железная дорога  между Гданьском / Данцигом и Равенной осуществит его мечту; 3) Балтийско-Черноморская линия никогда не была единым целым, за исключением, возможно, кануна вторжения гуннов в Центральную Европу и Римскую империю, поэтому эту линию иногда называют "готической осью". Польско-Литовское государство пыталось восстановить эту ось на основе Балтийско-славянской Ягеллонской династии, но проект не удался из-за османского завоевания современных украинских территорий за Одессой и Крымским полуостровом. В 18 веке императрица России Екатерина мечтала вместе с немецким философом Иоганном Готфридом Гердером создать в этом пространстве между Литвой и Крымом мир, который был бы новой германо-балто-славянской Элладой по образцу древней Греции. Новое просвещенное общество было бы создано в этом регионе для разделения Западной и Центральной Европы от России, то есть, одновременно была бы "областью пересечения" в соответствии с японским "культурологическим" философом Мориюки Мотоно (см. выше), который воспринимает "пересекающиеся области" как объединяющие факторы, а не разделяющие силы. Сама важность Беларуси как центральной части этого потенциала "пересекающейся области" и "Балто-черноморская" линии должны препятствовать европейским СМИ в постоянном очернении Беларуси и ее президента Лукашенко и вместо этого должны быть найдены все возможные положительные подходы к белорусскому фактору.
 
Во время так называемой «оранжевой революции» (2004-2005 гг.) мы опасались, что украинское государство может присоединиться к НАТО и изолирует Крымскую военно-морскую базу Черноморского флота России, что являлось одной из целью Збигнева Бжезинского, которой он хотел достичь. Для Бжезинского падение Украины означало бы полное и окончательное достижение его долгосрочной разработанной стратегии, так как это окончательно ослабило бы Россию и сделало Черное море американо-турецким озером. Благодаря победе анти-оранжевых партий в Киеве и Харькове проект Бжезинского был обречен на провал, что он признал, говоря, что его давняя политика состоявшая в разрушении России путем поддержки моджахедов в Афганистане, сепаратистских сил в мусульманских республиках бывшего Советского Союза и украинских националистов, не может быть выполнена в срок и что Соединенные Штаты теперь изменят стратегию и попытаются вступить в союз с Россией, чтобы создать большой альянс "Северного полушария" с Северной Америкой, Европой, Россией и Турцией (см. одну из своих последних книг «Стратегическое видение», опубликованную в Соединенных Штатах в марте 2012 года).
 
- Вы думаете, что некоторые из этих стран могли бы присоединиться к НАТО или ЕС по политическим мотивам, как Румыния и Болгария сделали во время так называемого расширения НАТО?
 
Турция уже является членом НАТО и одним из наиболее важных членом альянса из-за старого стратегического положение своей территории, занимающей пространство между Черным морем, Балканами, регионом Сирии, Восточным Средиземноморьем и Египтом. Но нет абсолютно никакой необходимости в новых странах в НАТО, так как этот альянс был создан в то время, когда коммунизм был еще довольно опасной идеологией, которая якобы хотела экспортировать «мировую революцию» и поджечь весь остальной мир. Этой идеологии больше не существует, кроме как в форме "троцкизма" теперь умело замаскированного в неоконсерватизме, где «перманентная революция» (Троцкий) стала "перманентной войной" (Каган): реальной «коммунистической опасностью» в настоящее время является Америка как троцкистская/неоконсервативная супердержава, еще более опасной, чем был Советский Союз. И даже в последние годы «холодной войны», американский контроль над Европой стал крепче, после того, как "век рынка", который принес американские истребители во все ВВС Западной Европы вместо французских Mirage или шведского истребителя Viggen или новых истребителей, созданных на совместном шведско-французское предприятии. Этот инцидент доказал, что наша политическая элита была гнилой и коррумпированной, и что они неосознанно совершили измену, и что мы не были свободными и постоянно предавались выродившимися политиками, все это побудило нас отказаться от НАТО как кабальной организации (рабы не имеют права на ношение оружия). Таким образом, с самого начала нашей деятельности мы были враждебны НАТО, а Жан Тириар действовал так еще около десяти лет до нас. Мы могли создать несколько бельгийских политических традиций, которые никогда не могли быть реализованы: когда НАТО было создано в соответствии с импульсом бельгийского министра-социалиста Поля-Анри Спаак, консерваторы среди бельгийских политиков издевались над попыткой построения такого союза и прозвали его "Спаакистан". Они не хотели включать Бельгию и бельгийскую колонию Конго в такую "спаакистанскую" конструкцию. Позже католический премьер-министр и будущий министр иностранных дел Пьер Армель пытался выскользнуть из тисков Америки, предложив новые двусторонние отношения между малыми странами содружества НАТО и малыми странами Организации Варшавского договора, т. e. между Бельгией и, например, Польшей или Венгрией (как католическими странами, а Венгрия, как и Бельгия принадлежала к Австрийской империи). Эти идеи, которые было невозможно реализовать из-за полного несоответствия Бельгии, все же еще живы в дебатах внутри страны: Профессор Рик Коолсэт и дипломатический тележурналист Ян Балью продолжили эту критическую традицию бельгийских интеллектуалов и дипломатического персонала, которые никогда не уставали критиковать американскую политику на международной шахматной доске.
 
В 1984 году у меня была возможность встретиться на Франкфуртской книжной ярмарке с бывшим дивизионным генералом немецкой армии Йохеном Лёзером, который был последним молодым офицером, эвакуированным на самолете Ju52 из Сталинграда после потери руки. Лёзер испытывал отвращение к колониальному поведению американцев и, в том числе, по вопросу размещения ракет "Першинг", направленных на позиции Варшавского договора, рискуя спровоцировать советский ответный удар по немецкой земле. Следовательно Германия, Восток и Запад, возможно, были бы стерты с карты земли из-за ковровой бомбардировки ядерным оружием. Нейтралитет политики, основанной на моделях Австрии, Швейцарии, Финляндии, Швеции и Югославии, поэтому, был единственной рациональной возможностью. Нейтральная центральная зона в Европе, должна была, в соответствии с Лёзером, быть увеличена до Восточной и Западной Германии, Польши, Чехословакии, Венгрии, Нидерландов, Бельгии и Люксембурга. Швейцарско-югославская бункеризированная система обороны должна была обезопасить весь регион. Перестройка Горбачева сделала такого рода спекуляции бесполезными. Через год генерал Гюнтер Кисслинг, немецкий делегат-офицер в штаб-квартире НАТО в Касто (Бельгия) также испытывал отвращение к тому факту, что офицеры высшего ранга всегда являлись американскими или британскими, несмотря на то, что европейские армии были более многочисленны в силах НАТО; Кисслинг впоследствии выступал за внешнюю политику, основанную на идеях Армеля. Наши позиции с самого начала истории наших журналов "Orientations" и "Vouloir", основывалась на этом рациональном и политическом, а не идеологическом образе мышления и наша враждебность к поджигателям войны из Вашингтона исходит из этих объективных формулировок.
 
- В одной из своих статей, опубликованных в 1998 году вы написали о приоритете народа (Volk) над абстрактным государством. Что вы думаете об этой позиции сейчас, когда у нас есть постмодернистская смесь с социальными сетями, национализм на дистанции и потоки мигрантов?
 
Я не помню точно, о какой статье вы говорите. Но все же чувство принадлежности, чувство долга и, в случае необходимости, жертвы, возможно только тогда, когда вы погружены в кровь и почву или если вы "в связке" ("encordes"), как альпинисты со своими коллегами-гражданами, как современный французский философ Роберт Редекер говорит, осуждая дегенеративную западную моду, сфокусированную только на больном «эго», сведенному к одному физическому телу, "Egobody", как он это называет, и старающемуся приукрасить его искусственным вмешательством или странными трюками, такими как татуировки, пирсинг, имплантаты грудей и т.д. Благопристойные традиционные люди должны иметь "страну-колыбель", язык, т. e. собственные слова, которые являются частью их интимной идентичности, идентичности, которая должна связывать с помощью "давней истории" или памяти, которые должны быть внедрены в подлинной истории и в песнях, стихах и романах, которые принадлежат им, а не импортируются. Интеллектуалы, конечно, всегда имели более открытое мышление и могли уехать за границу, но это, конечно, не повод, чтобы злобно отказаться от самих себя и создать искусственно космополитические общества и псевдоценности, полагая, что они являются единственными ключами к будущему, т. e. космополитические общества, которые неолибералы а-ля Сорос теперь называют "открытым обществом". Общество опасно "открыто" когда все его члены потеряли свои воспоминания и когда они пронумерованы как серия банок с тушенкой. Понятие народ (Volk) было впервые введено философом Иоганном Готфридом Гердером, который оказал большое влияние в России и вдохновил "народников". Это побудило царя в XIX веке платить лингвистам и грамматикам, чтобы они составили первую научную грамматику русского языка, а также, несколько десятилетий спустя, грамматику балтийских языков. Позже даже советская система помогла лучше сохранить малочисленные народы современной Российской Федерации, такие как мордва, чуваши, марийци и т.д. и дать им автономные округа или республики, которые сохранили их культурное наследие нетронутым и не угрожали Советскому Союзу или нынешней России как наднациональному целому. Это также является наследием мышления Гердера, что было "другим Просвещением", совершенно отличным от Просвещения, которое сгенерировало западную идеологию. Конечно, вы можете сказать, что советская система этнических республик привела к трагедии Чечни и опасности исламского восстания в Татарстане или Башкортостане. Я отвечю на это возражение, помня, что другие республики, как и, конечно, Осетия, остались абсолютно верными связям, которые у них есть уже около двух веков с Россией, и что мусульманские религиозные власти в Казани развивали ислам, который является оригинальным и имеет иммуннитет перед всеми ложными соблазнами ваххабизма.
 
Религиозные ценности могут сохраниться только в "этническо-идеационных" рамках, которыми “Volker” объективно и являются, без ханжеских или фанатичных выводов. Большие перенаселенные города представляют опасность для человеческого рода не только в Европе, в Японии или в России, но и в Африке (см. ужасы трущоб в Нигерии) и в Латинской Америке (Мехико и его преступные группировки превратили эту бедную страну, которая когда-то давно очаровала английского писателя Дэвида Герберта Лоуренса в "несостоявшееся государство"). Более того, идея разнообразия народов на поверхности Земли, выраженная несколько десятилетий тому назад бретонским мыслителем Янн Фуэре и его ирландскими товарищами из истинных лидеров Ирландии (Де Валера, Макбрайд, и т.д.), является истинной и приемлемой "международной" идеей, т. e. идеей общего "между народами" (лат. "inter nationes»), т. к. люди «реально существуют», а псевдо-международные и космополитические идеи являются лишь химерами. Вы не можете продать космополитические идеи парижских интеллектуалов а-ля Бернар Анри Леви в Африке. Китайцы искусно отказываются навязывать свои понятия африканцам, что помогло им завоевать рынки в самых заброшенных государствах Черного континента, потому что их лидеры были сыты по горло морализаторством и навязчивым вмешательством Запада в их внутренние дела. Франкоязычный поэт и писатель Леопольд Седар Сенгор, который стал президентом Сенегала, был внимательным читателем графа де Гобино, описанном во всех возможных "антифа" книгах и статьях как "отец расизма". Пару страниц Гобино, посвященных африканским народам в его "Эссе о неравенстве человеческих рас" не расстроили будущего президента Сенегала, когда он читал их будучи студентом, участвуя в  движении "негритюд" во Франции и французских колониях в Африке. Сенгор подчеркивал необходимость иметь в каждой возможной культуре: в Африке, Европе или в каком-либо другом месте мира, фигуры "conteur", "рассказчика", который передает память народа к будущим поколениям. В развитой стране коллективным "рассказчиком" могут быть историки и филологи, которые, конечно, живут лучше всего в наших обществах, но вытеснены с первого плана всевозможными отрицательными фигурами современности, такими как банкиры, экономисты, юристы, технократы и т.д., которые уничтожили коллективную память в наших развитых обществах, уничтожая то, что Редекер, как внимательный читатель Хайдеггера, называет "encordements", "бархатным канатом единения", оставляя после себя несчастный искалеченный (суб?)человеческий род, который не в состоянии реагировать должным образом перед всеми вызовами эпохи постмодерна.
 
Постмодернистская мысль могла бы избавиться от западной идеологии, которая претендует на статус единственного наследника эпохи Просвещения 18-го века и как таковая является только "истинно" приемлемым способом мышления: все другие формы мысли неприемлемы как расистские, фашистские, не демократические и т.д., и автоматически становятся противоправными и, несомненно, будут полностью игнорироваться средствами массовой информации (что противоречит принципам "Правам человека" как таковым, запрещающим политические преступления, осуждающие граждан на "гражданскую смерть") или отнесены к международным бандитыам, чье государство будет занесено в "черный список" презренных стран "оси зла". Армин Мёлер, который написал самую памятную книгу, дающую представление о всех аспектах так называемой  немецкой «консервативной революции» и просил всех нонконформистских европейцев в 60-х и 70-х гг. показать фактическую солидарность во всех государствах, которые США назвали "государствами-изгоями" - надеялся в 1988-89 гг., всего за несколько месяцев до разрушения Берлинской стены, что постмодернистские тенденции подточат западную идеологию, которая в Германии стала должной в версиях, придуманных сэром Ральфом Дарендорфом ( который был британским гражданином) и Юргеном Хабермасом. Никто не мог продумать и разработать идеологический корпус за пределами лишь нескольких путей, указанных Хабермасом, желчным профессором, который всегда поднимал указательный палец. Постмодерн означает прежде всего релятивизм. Кто-то, возможно, нуждался в релятивизме именно чтобы "релятивизировать" новую обязательную догматическую идеологию не только в Германии, но и повсюду в Западной Европе.
 
К сожалению, для Западной Европы и для бывшего СЭВ, в настоящее время включенного в ЕС, релятивизм некоторых постмодернистских мыслителей не смог выполнить работу, на которую надеялся Мёлер. Релятивизм постмодернистской мысли приводит к еще более "чувственному" миру распада, которому поздний и сожалеющий французский мыслитель Филипп Мюрэй дал имя "festivism", смеясь над текущей тенденцией придумывать новые «постмодернистские» торжества типа гей парадов для замены традиционных и литургических религиозных праздников и церемоний. Мёлер надеялся, что постмодерн восстановил бы ироническую критику на основе традиционной иронии древнегреческой философии (Диоген), знаменитой "философии молота" Ницше с целью обобщения "радостного знания" и на некоторых аспектах Хайдеггерианской воли к "разжижению понятий", чтобы устранить всю ригидность, которую концепты приобрели со временем из-за плохих привычек официальных философов, которые только и могли, что тупо повторять то, что их блестящие учителя сказали в прошлом, так что они постоянно теряли суть и основу форм. Конрад Гробер, приходской священник Хайдеггера (который как выдающийся теолог позднее стал архиепископом Фрайбург-им-Брайсгау) заставлял его учить концепции Аристотеля для того, чтобы думать не только жесткими понятиями, которые схоласты неуклюже извлекают из подлинных аристотелевских материалов. Согласно Гроберу концепции Аристотеля были более динамичными, чем статичными: схоласты не поняли должным образом значение времен греческой грамматики, которые выражают различные значения времени, среди которых некоторые были довольно статическими, а другие динамическими. Школяры сохранили только статический смысл в своих скудных мозгах. Гробер хотел восстановить динамические оттенки и сохранить католическую веру (это была его главная цель!), которая подверглась склерозу из-за слишком статической интерпретации понятий Аристотеля в схоластической традиции.
 
Во всем мире адаптация бедной безсущностной космополитической мысли, конечно, уничтожит этнические и этические ценности, т. e. ценности, означающие "Volker" и "volkisch" Гердера и народников, которые хотели сохранить постоянную активность поэтов, археологов, филологов, историков и грамматиков, а также те религиозные традиционные ценности, которые хотели восстановить такие выдающиеся люди, как Генон, Эвола, Туччи, Шуон, Кумарасвами и т.д. «Национализм» в положительном смысле этого слова, как его понимал Гердер, который хотел дать импульс в Германии, России и других странах, означает, что вы чувствуете за собой обязанность погрузить себя в национально-этническо-языковое окружение как фактическую и не вымышленную среду, в ваше "Nahe", ваше соседство, как Хайдеггер учил нас и как он практиковал это, выпивая пиво со своим любимым и часто забываемым братом Фрицем в пабе в своем родном городе Мескирх и подолгу прогуливаясь по тропинкам Черного леса рядом с его небольшим шале Тодтнауберга. Хайдеггер также подчеркивал важность "Nahe" в речи, которую он держал для жителей Мескирха в 1961 г. Речь была о телевидении: Хайдеггер объяснил, что телевидение - это дьявольское устройством введения "удаленности" ("die Ferne") в нашу «близость» (наш "Nahe"), разрушающее укрепления и реальные связи, в которых мы нуждались как стабильные и укорененные существа. В настоящее время современные устройства, как MP3, плееры и другие бесполезные безделушки, все возможные события или зрелищные фантазии постоянно вторгаются в нашу повседневную жизнь: резкие или какофонические GSM-колокола звонят, когда вы находитесь в своей ванной, в трамвае, в романтическом ресторане, в постели своей подружки или на серьезном совещании, ученики могут посмотреть фильм в классе, не будучи пойманным ничего не подозревающим учителем, молодые девочки и мальчики излучают любопытные звуки в автобусе, потому что они слушают громкую сумасшедшую музыку и осознают шумят. Этот вид субчеловечества вы можете наблюдать сейчас в вашей повседневной жизни, может быть, является человечеством "последних моргающих людей" (Ницше), но это, безусловно, "люди без центра", как Шуон назвал их в своей интересной книге "Avoir un centre", пытаясь одновременно найти и лекарство от этой антропологической катастрофы. Шуон выбирал место для медитации в пустыне Сахара или у сиу в Северной Америке.
 
Это те самые результаты потери всех форм литургии в религиозной жизни: Лоуренс предупреждал против такой потери в своем эссе "Апокалипсис", а Мирча Элиаде посвятил почти всю свою жизнь изучению реальных конфессий. Может быть, как объясняет Орландо Файджес в "Танец Наташи", его последней книге о русской интеллектуальной жизни до большевистской революции, "старообрядцы" выступали против современного мира в 16, 17 и 18 веках потому, что ритуалы и литургическое таинство были выхолощены из русской религиозной жизни... Можно, конечно, создать виртуальное сообщество "националистов" или "традиционалистов" в сети, получать много информации со всех частей света, но свой долг, тем не менее "hic et nunc", здесь и нигде больше, сейчас, а не в прошлом или в гипотетическом будущем, здесь, в литургической традиции и жестах, которые сплотили общины ваших предков. Если эти традиции были забыты или ушли прочь, вы просто должны помнить о них, и дать возможность помнить вашим землякам, выполняя иногда скромную должность филолога, этнолога или археолога, как Гердер нас побуждал делать. Множество людей в Западной Европе в настоящее время пытаются возрождить былые благородные и хорошо сбалансированные традиции, несмотря на молчание основных СМИ.
 
Массовая иммиграция представляет собой оружие, направленная на уничтожение обществ, бывший посол США Чарльз Ривкин признал это: современные европейские общества разрушаются по причине релятивизма - индуцированные современностью и дьявольской постмодернистской подрывной интеллигенцией люди не могут найти положительное решение для этой проблемы. Иммигранты также разрушаются тем простым фактом, что их традиционные семейные ценности также будут уничтожены, так как все они в краткосрочной перспективе станут "бесцентровыми" существами.
 
- А как бы вы связали традиционные "volkisch" идеи с предложением профессора Дугина, сформулированное в его Четвертой политической теории, для которой "народ" или “Volk”  являются субъектом истории, но не выраженные в виде "нации" на земле или "классе", но как "Dasein", согласно философии Хайдеггера?
 
Сложно ответить на этот вопрос, поскольку я не читал "Четвертую политическую теорию" Дугина. "Volker" больше не может быть эффективным субъектом истории, даже если иногда есть и явные исключения, например, протестующий исландского народ, который смог избежать удушья космополитической политики банкиров, или венесуэльский народ, стоящий за Уго Чавесом (Мадуро). Карл Шмитт очень хорошо объяснил, что сейчас реальными субъектами истории являются "Grossraum" ( "большие пространства»), свободные объединения этнических или не этнических стран вокруг гегемонистской (супер)державы. Малые народы не могут ничего добиться в настоящее время, за исключением внутренней политики сплоченности, что, конечно, необходимо. БРИКС-страны в настоящее время это "большие пространства" и являются гегемонами на своих собственных внутренних территориях, они также могут собрать вокруг себя и малые державы по соседству.
 
"Dasein" буквально означает на немецком языке "быть там" или "бытие-здесь", так что мы вернулись к предыдущему вопросу. Я потому что я нахожусь здесь. Я не может "быть" повсеместно в двух или трех разных местах, поэтому я не могу выступать в качестве подлинного "zoon politikon" (Аристотель), если у меня нет места или есть множество локаций, как у так называемых современных «Кочевников», которыми так восхищался псевдо-мыслитель Жак Аттали и предлагал в качестве модели для будущего человечества. Человек связан с его "Ойкос" и не может быть идеальным "zoon politikon", если он живет в другом месте, или если он непрерывно передвигается. Это один аспект. Но Хайдеггер, даже если он называл себя уроженцем Мескирха, конечно, не был близоруким мыслителем. Я предполагаю, что аспект, который хочет подчеркнуть Дугин в своей книге - это понятие "аутентичного человека", желающего уйти из мира современной стандартизации, мира, который ученик и бывшая подруга Хайдеггера Ханна Арендт называла "world of the petty jobs". Мы живем в антропологических руинах (Эвола!) современного мира, где само существование зациклено, скучно и бессмысленно. Это не может быть «реальной жизнью» в соответствии с экзистенциалистом Хайдеггером. Таким образом, "Dasein" разъясняется в узком смысле второго значения в философии Хайдеггера. "Dasein" часто переводится на французский язык словом "экзистенция" (как у Сартра в конце 40-х годов). В таком смысле "Sein" - это просто мир или вселенная, которая имеет смысл, будь то статичная, неживая, материальная или яркая, развивающаяся, динамичная, растительная или животная. Для человека, или лучше сказать для "zoon politikon", "Sein" без данного смысла не достаточно. Он или она должны добровольно перейти к экзистенции и если вы прыгаете из ("ех") неопределенного места, каким простой "Sein" ("res stantes") и является, вы попадете, конечно, в "там", где вы родились или "там", которое вы выбрали, чтобы быть в "ех" "res stantes", т. e. в динамичном, опасном мире "суще-ствования" (“ex-istence”), где вы должны бороться и страдать, чтобы быть аутентичным. Мы не удовлетворены руинами современного мира, беспорядком "фестивистического" постмодернистского общества, в котором мы не можем ничего сделать, кроме бунта. Наш "Dasein" - это восстание, которое является прыжком из этого беспорядка или, лучше сказать, результат готовности к прыжку, на который у нас есть смелость, чтобы не загнить в «аутентичности». Этот мятежный прыжок выполняется тысячами и тысячами людей во всем мире в результате рождения или перерождения в "реальной рискованной и революционной жизни" подлинных людей, которые хотят навсегда остаться традиционным "zoon politikon" или традиционными "кшатриями" или "брахманами". Именно в этом смысле я понимаю ваш вопрос, а затем и позицию Дугина. Дугин мечтает, очевидно, о мировом сплочении "аутентичных традиционных людей", которые сделали шаг назад на фронте хаоса, который представляет современность, тем самым избрав вначале то, что Арнольд Тойнби называл "уходом" для медитации, чтобы воссоздать метафизическую аутентичность в несовременных духовных пространствах, как делали старообрядцы в отдаленных деревнях на берегу Белого моря или в самых глубоких лесах Сибири, чтобы вернуться в один прекрасный день, в день "Возвращения" (Тойнби), когда начнется новый цикл.
 
Размышляя дальше над этим видением Хайдеггера и Арендт "аутентичной жизни", я сейчас читаю работы итальянскиого теолога Вито Манкузо, который написал книгу с точно таким же названием - "La Vita Autentica».
 
- В этом смысле как политическая метафизика может стать актуальной в Европе, где сейчас доминируют сильные светские настроения и в то же время заметен подъем ислама как в европейском обществе, так и на другой стороне Средиземного моря?
 
Дугин, действительно, очень часто использует фразу "политическая метафизика", обращаясь, главным образом, к традиционным корпусам из Генона и Эволы. Десятки авторов после Эволы, Генона, Шуона и многих других возрождают то, что мы можем назвать «политической метафизикой» или просто «метафизикой», где «метафизика», в конечном итоге, может быть политизирована. Метафизика как традиционное знание активных и взаимосвязанных вещей за пределами проявленной физики, как нематериальные, интуитивно понятные и поэтические способности избранных людей, воспринимающих божественные "ноумены" за рамками простого «явления», была постепенно отвергнута как "смешная иррациональность" в западных моделях мышления, а Иммануил Кант провозгласил конец метафизики в последнее десятилетие 18-го века. Многие пытались спасти метафизику от забвения, другие заменили ее "философией культуры" (Гамман, Гердер) или (Гегель, гегельянцы и марксисты). Мир модерна и постмодерна отвергает метафизику с 18-го века, а также с момента последней фазы этого катастрофического сдвига, ведущей через современную видимую "Кали-югу" и культуру как цемент общества, и историю как перспективный шаг к лучшему будущему, потому что как культура, так и история предполагают и обязанности. Кант мог теоретизировать об этическом подходе к долгу без метафизики, потому что он был философом, который заявил, что метафизика была отменена или будет отменена: это чувство кантианского (прусского!) долга было разрушено в долгосрочной перспективе путем крайнего индивидуализма и общества потребления. «Культура» как ее понимали Гамман или Гердер, также исчезла, а история, какой она ранее задумывалась у некоторых экзистенциалистов (Сартр, Камю, Мальро) и марксистов также подверглась издевкам и отвергнута постмодернистским релятивизмом. Даже самая соблазнительная "эрзац" метафизика ныне отвергнута и осмеяна постмодернистским релятивизмом. Тем не менее, здесь нужно сказать, что истинное понимание метафизики было лишь привилегией интеллектуальной или религиозной элиты, которая претерпевала длительный процесс обучения или инициацию: для основного количества людей литургия, религиозные праздники и обряды были фактически более важны, потому что они давали смысл их жизни и являлись ритмом их повседневного существования. Все эти старые крестьянские праздники и обряды, также исчезли из нашей повседневной жизни и им на смену пришло то, что Филипп Мюрэй называет "аттракционами", т. e. трюками в СМИ, или "пародиями", как сказали бы Генон или Эвола. Франческо Ламендола, современный итальянский философ, чьи статьи вы можете найти на интересных сайтах http://www.arianneditrice.it или http://www.centrostudilaruna.it, объяснил нам недавно, что даже официальная Католическая Церковь теперь не в состоянии, несмотря на определенные усилия Папы Бенедикта XVI, возродить метафизику или традиционные практики, так как она слишком долго пыталась подражать современным медиа субкультурам, чтобы спастись от общего распада: его статья была проиллюстрирована фото, показывающее священников и монахинь, танцующих и изгибающих свои тела как сумасшедшая молодежь в стиле хиппи... После того как вы потерпели такое недостойное отношение от самих хранителей вашей религии, вы не легко сможете найти путь назад к более достойным позициям. Светские безделушки вторглись и нейтрализовали все, что можно в религиозной сфере людей в Америке и Западной Европе, что вынудило другого итальянского философа Умберто Джмлимберти определить христианство как "религию пустых небес" ("La Religione Даля Cielo Vuoto").
 
Что касается ислама, вы должны иметь в виду, что мы полностью принимаем истинно традиционный ислам, каким он был показан такими выдающимися личностями как Сейед Хоссейн Наср, Анри Корбен (и его последователь Христиан Джамбет), Мишель Ходкевич или алжирский мыслитель Мерибут. Их взгляды, которые могли бы быть духовными моделями для Ирана и Средней Азии, или могут быть связаны с иранской средневековой мистикой Сохраварди или фламандско-рейнской мистической традицией (Руусбрук, Майстер Экхарт, сестра Хадевих, Николай Кузанский и т.д.), конечно, не имеют ничего общего с современным ваххабизмом или салафизмом или с неадекватными проповедями братьев-мусульман, которые ввергли Сирию в огонь в 1981-82 гг. и еще раз около двух лет назад. К сожалению, сочетание салафизма, ваххабизма и братьев-мусульман в настоящее время соблазняет тысячи молодых иммигрантов в современной Европе, которые отвергают и модернистский лунатизм и здоровые остатки традиционной Европы. Мысли Тарика Рамадана имеют также реальное влияние в настоящее время на мусульман в Европе, но, даже если этот швейцарский мусульманский интеллектуальный лидер высказывает некоторые интересные антизападные идеи, мы не должны забывать, что в соответствии с недавними историческими исследованиями, проведенными в Соединенных Штатах и Германии, его дядя Саид Рамадан, другой видный брат-мусульманин 50-х гг., активно помогал смещению всех проевропейских (и антисоветских) имамов главной мечети Мюнхена и мусульманского религиозного центра в Германии при содействии братьев- мусульман  и агентов ЦРУ, а братья-мусульмане в то время устроили заговор против египетского лидера Гамаля Абдель Насера (прозванному "Фараоном" его внутренними врагами) на благо Израиля, так же как сейчас они действуют против сирийской баасистской властной элиты. Такой ислам, несмотря на "големы"  американского производства типа Аль-Каиды или бен Ладена, является инструментом в руках Соединенных Штатов и Саудовской Аравии и нацелены на реализацию многих других проектов в воссоздании сильной стратегической «связки» исламизированных или полуисламизированных государств (Великая Албания, Косово, потенциально исламизированная Македония, автономные мусульманско-турецкие области в Болгарии, и т.д.) на Балканах против Сербии, Европы и России, как отмечал сербский традиционалистский мыслитель, дипломат и художник Драгош Калаич до своей ранней смерти несколько лет назад. Калаич называл этот проект "dorsale islamique dans les Balkans".
 
- Мы видим, что много людей протестует на улицах различных европейских столиц, но как сопротивление может возникнуть и развиваться в "буржуазном обществе", каким является ЕС?
 
Первое «буржуазное» общество исчезнет, если люди из среднего класса и трудящиеся будут полностью разбиты инфляцией и экономическим кризисом. В Испании, Португалии и Греции можно видеть социальную агитацию, но не революционный дух, который в состоянии изменить общество. В Исландии демонстрации, по крайней мере, вынудили правительство отказаться от выплат, подать в суд на ответственных министров и посадить их в тюрьму. В Италии, где на последних выборах победил Беппе Грилло, стало понятно, что люди не верят в обычные коррумпированные партии обветшалой партократии: это хорошо, что избирательный процесс, представленный в СМИ как квинтэссенция истинной демократии, разрушен, и является чистой подделкой, как только избранные технократы не захватывают власть, несмотря на отказ народа от коррупции и технократического управления. В Бельгии обычные профсоюзы пытались мобилизовать своих боевиков, чтобы отказались от мер жесткой экономии, но они ничего не говорят нам о слишком высоких ценах на энергоносители, продукты питания в супермаркетах и страховых взносах, которые подрывают покупательную способность всех наших сограждан. Во Франции ситуация удивительна: люди устали от неолиберального Саркози, но отвергают и социалиста Олланда, а протесты связаны с гомосексуальными браками. Франция, кажется, отвергает левый вольтеровской панкритицизм и типично французский Май-68, для которых идеология гомосексуализма, гендерные проблемы, преступность, маргинальность и т.д. считались аспектом определенного интеллектуального и морального превосходства перед условной массой гетеросексуальных женщин и мужчин, отцов и матерей: эта ранее не политизированная масса, кажется, теперь уже сыта по горло, и основными медиа показана как низшее сословие (или как потенциальные фашистские головорезы) и над которой издевалась так называемая «интеллектуальная элита». Гендерные спекуляции и гей-парады были также выставлены в качестве выражения истинных "республиканских ценностей", которые в настоящее время отвергнуты более широкими массами граждан, реагирующих не материалистическим, не "чувственным" способом. Это может являться выходом из буржуазной психики, которая, конечно, "чувственна" по определению Питирима Сорокина.
 
- По словам Грамши гражданам требуется консенсус для менеджмента и коэволюции, но, теперь кажется, что евробюрократия и транснациональные финансисты узурпировали все необходимые инструменты для принятия решений...
 
С технической точки зрения мы не живем  больше во времена Грамши, поэтому мы должны избегать всех анахронизмов. Грамши был под влиянием итальянской неомаккиавельянской социологической школы (Моска, Парето, Михельс), где понятие правящей элиты (олигархия) и элиты, бросающей вызов (революционеры), было очень важным. Грамши был основным мыслителем дофашистского итальянского коммунистического движения, в котором он видел инструмент упразднения власти итальянской олигархии (его любимый брат, напротив, видел в Фашизме лучший инструмент для управления олигархией). Для того, чтобы быть эффективными, революционерам пришлось начинать с культурной борьбы, в основном, с помощью популярного и классического театра в качестве инструмента. Так делали и футуристы вокруг Маринетти, которые стали фашистами, и так же Брехт в Германии, который остался коммунистом. В глазах Грамши современная арена итальянских улиц могла бы создать консенсус, но сейчас наследниками являются не коммунисты, а левые (Ленин: "детская болезнь левизны коммунизма») создающие распри во французском обществе, а акции типа Pussy Riot или FEMEN в стиле шестидесятых в основном рассматриваются как вульгарные и смешные. Настоящая «подрывная деятельность» против нынешней власти может осуществляться только через возвращение обычных "порядочных" традиционных обществ, как Джордж Оруэлл хотел в свое время сделать основным вариантом социалистических сил в Великобритании и других странах. Оруэлл и его наследник славист Энтони Берджесс (который больше не читает...) отклонили девиантное поведение левых, так как это было, в их глазах, лучшим инструментом для олигархии разрушить эффективность народного протеста.
 
Еврократия теперь вообще отрицается во всех странах Западной Европы. Политика жесткой экономии приводит к общему оспаривании еврократической власти так, что в конце апреля этого года они объявили официально, что найдут еще одно решение. Но для них невозможно  изменить их тип управления, так как они автоматически и окончательно будут исключены из власти. Европа уже сделала выбор: либо она принимает вариант для близорукой олигархии "экономических / финансовых причин" или она принимает решение в пользу "жизненно важных причин". Первый вариант означает политическую смерть, второе - выживание.
 
- Что политики и геополитики в Европе думают о России и других стран Евразийского пространства, таких как Индия и Китай?
 
Политики и те, кто формирует общественное мнение, в основном следуют тому, что говорит НАТО. Во Франции, несмотря на современные восстание против элит мая 68-го, "новые философы" по-прежнему определяют внешнюю политику. О России говорят, конечно же, плохо, Путин описывается как своего рода "новый Сталин", который управляет всеми выборами в вашей стране. Про Китай говорят, что там полностью пренебрегают правами человека, Тибет раздавлен вместе с уйгурами из Китайского Туркестана (Sin Kiang). Индия, пожалуй, воспринимается лучше, кроме случаев, когда индуистские националисты у власти. Геополитические школы в Европе, наоборот, имеют объективный взгляд на Россию, Индию и Китай. В Германии люди, такие как Питер Шолль-Латур или Александр Рар знают, что Соединенные Штаты постоянно следуют геополитическим взглядам, которые противопречят естественным интересам Германии. Эмрик Шопрад, который опубликовал свои книги по геополитике в издетельстве "Эллипсы" в Париже, был уволен из военной академии, как только Саркози пришел к власти, потому что он хотел остаться верным голлистской независимой французской позиции по отношению к НАТО. Геополитические школы рассматривают развитие стран БРИКС как положительное явление, поскольку это позволит нам избежать Американоцентричной однополярности на международной шахматной доске и, в первую очередь, создать многополярную сплоченности в мире, который будет сильно связан теллурическими, континентальными дорог от Атлантического побережья до Тихого океана.
 
- С точки зрения европоцентризма, что такое Россия? Есть ли опасения по поводу "желтой угрозы"?
 
Когда мы используем слово "европоцентризм" в положительном смысле, мы думаем об исторических периодах, когда своего рода евразийское единство было возможно без особых усилий или де-факто актуализированно. В 18 веке Людовик XVI, Мария Тереза Австрийская и Екатерина в России были союзниками против турок и Британии (по крайней мере, неофициально), и их царства и империи простиралась от Атлантики до Тихого океана. Нужно не забывать, что Россия обладала в то время Аляской, Гавайями и частью Тихоокеанского побережья Северной Америки до Форт-Росс на бывшей русско-испанской границе в Калифорнии! Священный союз или Пентархия (как Константин Франц называл его) был имплицитным альянсом от Ирландии до Аляски, который был специально уничтожен англичанами и французами во время Крымской войны. "Drei-Kaiser-Bund" ("Союз трех императоров») Германии, Австрии и России был также неявным альянсом, но не таким сильным, как два предыдущих, так как западное атлантическое побережье было потеряно, а США стали силой, которые могли бы завоевать калифорнийское побережье после войны с Мексикой и купить Аляску, чтобы дать царю покорить Центральную Азию. Артур Меллер ван ден Брук и "национал-большевики" среди немецких дипломатов или боевиков, хотели, по крайней мере, сделать германо-советский тандем, который мог стратегически объединить половину Европы и советской России от Гамбурга до Владивостока. Повальное увлечение возможной «желтой угрозы» не является особенностью западно-европейских или немецких фобий, даже если император Вильгельм II был, может быть, одним из главных представителей этоих фобических тенденции до 1914 года. Французский славист Жорж Нива проанализировал страх "китайской угрозы" в русской литературе между 1850 и 1914 гг., а также идеологический отказ от азиатской или буддийской моды среди некоторых интеллектуалов-петербуржцев, в результате чего "китайскую угрозу" не следует рассматривать исключительно как расовую, но как отказ от слишком централизованного и бюрократизированного государства. Императорский китайский "мандаринат" рассматривался как угроза для человеческой свободы и свободной воли, как подлинныех добродетелей "христианства" (то есть европейской и древнегреческой культуры). В принципе Китай не представляет опасности, так как Китай сосредоточен на себе. Китай предлагает миру международную организацию, при которой ни одна сила не будет иметь право вмешиваться во внутренние дела других стран. В Африке Китай может создать проблему в том случае, если займется рыболовством: если африканцы не могут извлечь выгоду из рыбных ресурсов вдоль своих берегов, они ужасно рискуют попасть в продовольственную зависимость, которая может иметь катастрофические последствия, особенно вместе с уже существующими дефицитом еды районе Сахеля.
 
- Николай Данилевский в своей книге "Россия и Европа" пишет, что европейцы боялись России из-за ее огромной суши, нависающей над Европой... Кроме того, у нас есть различия в религии, этике и т.д.
 
Мы давно говорили, что русские патриоты качаются между национализмом в стиле Данилевского и традиционализмом, ориентированным на Леонтьева. Данилевский частично был под влиянием дарвинизма как некоторые, но не все "пангерманисты" и увидел грядущую борьбу за выживание и господство между "старыми народами" (Великобритания, Франция) и "молодыми народами" (Россия и славяне в целом). Леонтьев был более традиционным и православным, и хотел сохранить статус-кво, особенно на Балканах. Европейцы опасались демографического бума в России в 19 веке, так же как европейцы и русские боялись китайской демографии или боятся нынешнего африканского или Североафриканского бума перенаселения или, как французы в конце 19-го века были одержимы увеличением немецкого населения, а их собственное население сокращалось. Россия в 19 веке, в основном, представляла угрозу не для Европы, так как Франция, Бельгия и Германия много вложили в Россию, но для британского либерализма и для Британской Индии, так как только царской армии удавалось контролировать страны Центральной Азии до афганской границы: огромные армии готовы были вторгнуться в Индию, краеугольный камнем британской империи и ключом к контролю "Сердцевинного моря", которым является Индийский океан. Крымская война, которая разрушила стратегическое единство Пентархии как воплощения европейской цивилизации и ослабила Россию за несколько десятилетий, является главным источником геополитического и метафизического противостояния между Востоком и Западом, как Достоевский указал на это в «Дневнике писателя». Запад появился в качестве подрывной силы, которая разрушала единство "Христианства" (то есть Европа и Россия воспринимались как стратегическое единство). По словам Константина Франца, отсутствие интереса к европейскому единству во Франции и Англии было связано с колониализмом: французская и британская империй больше не имели центра в Европе и могли выжить без необходимости единства: это непосредственно привело к катастрофе Первой мировой войны. Различия в религии и этосе могут более легко преодолеться при единственном условии, что католики или протестанты не попытаются обратить других всеми средствами, не только в России или в православных странах, но и в мусульманских регионах, в Китае или в Индии. Протестанты американских сект также должны отказаться от своей миссии в католической Латинской Америки. Отказ от прозелитизма должен быть одним из условий мира во всем мире наряду с отказом вмешиваться во внутреннюю политику, о чем говорят китайцы.
 
Французский еженедельный журнал "Valeurs actuelles" недавно (№ 3989)  опубликовал карту мира, изображающую «динамику столкновения между религиями», где не только Ислама или мусульманский фундаментализм выходит на передовую в мусульманских странах, в Африке (Нигерия) или в Индии, но и там, где по большей части процветает американсканская "Евангелическая церковь", поскольку они очень активны в Латинской Америке (и в Испании, в связи с иммиграцией выходцев из Латинской Америки!), в католической Черной Африке (Западная Африка, Конго, Ангола и др.), в Китае, Японии и на Филиппинах. Карта показывает нам также прогрессирование "религиозное разнообразие" в США, в Австралии, во всех европейских странах, в России и в Китае, Корее и Японии. "Религиозное разнообразие" означает, очевидно, снижение социальной сплоченности, когда это разнообразие импортируется и означает, что не стоит забывать, общие проблемы разрушения корней народов, когда "естественная" или "родная" религии исчезают даже в христианстве или исламизированных синкретических формах (см. недавние трагические случаи с мечетями Тимбукту и библиотеками или сербскими православными монастырями в Косово). Завоевания ваххабизма (или салафизма) и американской «Евангелической Церкви" являются доказательствами побед "однополярности", даже если Соединенные Штаты притворяются, что их главный враг - это "Аль-Каида". Оба гиперактивных фундаментализма, т. e. саудовский ваххабизм и американо-извращенный евангелизм, направлены на завоевание или повторное завоевание потерянных территорий или территорий, которые имели иммунитет от пуританско-ваххабитской подрывной деятельности, например, в интеллектуальных и эффективных гражданско-военных развивающихся режимах. Латинская Америка достигла определенного уровня независимости благодаря общему рынку Меркосур, индигенистских позиций Моралеса в Боливии или антиимпериалистической активности и дипломатии покойного президента Чавеса: Южно-Американский континент рискует в долгосрочной перспективе подвергнуться разрушению и повторному завоеванию со стороны социально активных церквей евангельского направления. В Африке очевидно, что тайной целью этих церквей является уменьшения связей франкоязычных стран Африки с Францией и ЕС и замена французского или европейского (и китайского!) влияния на американское господство для того, чтобы получать нефть из этой части мира. В Китае евангелические активисты иметь целью нарушить сплоченность китайского общества и создавать хаос, как было в 19-ом веке, когда гражданская война началась по инициативе обращенных христиан в Китае и унесла жизни более 20 миллионов человек. Так что эта религиозная подрывная деятельность является одним из орудий, используемых для устранения Китая как сверхдержавы-конкурента на Дальнем Востоке, вместе с другим оружием, направленным против Пекина - военным сдерживанием, поддержкой фундаменталистсов-уйгуров в Синьцзяне, кибервойной и т.д. 
 
Увеличение "религиозного разнообразия" в основных странах ЕС означает потерю социальной и политической сплоченности, которая соответствует целям геополитики Роберта Штраус-Хюпе, который стал советником президента США Рузвельта и Трумэна, наряду с Моргентау, который хотел превратить Германию в буколическое аграрное государство в самом центре Европы. Теперь, как опасается социалист Тило Саррацин, Германия будет в состоянии производить необходимое количество инженеров, чтобы немецкая промышленность работала должным образом. То же самое верно и для других европейских стран, так что мечта Моргентау рискует стать реальностью: роль Германии как слабой промышленной страны оживляется сумасшедшими социологами, которые представляют собой праздный класс, что может наложить фестивистский образ жизни (с вездесущей сексуальной вседозволенности и с "femens" как новыми монахинями!), и называть «фашистами» всех тех, кто хочет для себя более рациональное общество (см. Гельмут Шельски "Die Arbeit tun die Anderen»). 
 
- Спасибо, г-н Стойкерс, за интересные ответы на наши вопросы. Вы хотите что-то добавить или пожелать?
 
Такие организации как ваша и наша должны изучать геополитику и историю во всех их аспектах и знать все о силах, которые активизируют мусульманский мир от Атлантического побережья Морокко до мельчайших островов Индонезии. Мы должны создать мировую элиту мужчин и женщин, полностью застрахованную от искусственной агитации созданную американскими медиа-агентствами. Поэтому мы должны встречаться как можно чаще, обмениваться идеями с помощью интервью, но в более беспокойном темпе, чем делалось раньше: другим ведь не лень, поэтому и нам нужно быть не менее активными, в противном случае метаполитическая битва бой будет окончательно проиграна нами.
 
Беседовал Леонид Савин

lundi, 26 août 2013

De l’étude des racines celtiques au projet politique pan-celtique de la République d’Irlande

 

Robert Steuckers:

De l’étude des racines celtiques au projet politique pan-celtique de la République d’Irlande

Conférence prononcée au Château Coloma, Sint-Pieters-Leeuw, le 2 mars 2013.

Prologue:

kahn1.gifQuelle surprise, la veille de notre rendez-vous annuel en ce château, de découvrir à l’étal des librairies un ouvrage sur le thème de notre colloque d’aujourd’hui, les Celtes et le celtisme. Il est de la plume du célèbre Jean-François Kahn, directeur de l’hebdomadaire “Marianne”, du moins de sa version française, puisqu’il existe désormais une version belge qui ne me semble pas avoir le tonus de sa consoeur parisienne, si bien que je ne parie guère sur sa survie. Jean-François Kahn ne semble pas homme, a priori, qui encombre ses réflexions d’un souci permanent des racines celtiques ou gauloises de la France actuelle: ses sujets de prédilection sont à l’évidence les problèmes sociaux, les dysfonctionnements politiques qui affectent son pays. Dans la littérature géopolitique et dans certains atlas historiques, cet “Hexagone” est désormais qualifié d’ “espace gallique”, recouvrant ainsi l’acception de “Francie occidentale” lors du partage de Verdun en 843. Le reste, soit la part de l’Hexagone qui n’est pas “gallique”, est inclu dans un “espace germanique et lotharingien” par les auteurs d’un précieux “Atlas des peuples d’Europe occidentale”, soit Jean et André Sellier (La Découverte, Paris, 1995-2006). L’espace “germanique et lotharingien” étant, pour J. et A. Sellier, l’addition des héritages de Lothaire et de Louis le Germanique (la “Francie orientale”) en 843. Dans son livre “L’invention des Français – Du temps de nos folies gauloises” (Fayard, Paris, 2013), Jean-François Kahn se penche sur ce qui s’est passé sur le territoire aujourd’hui “français” (y compris la part lotharingienne —et burgonde— absorbée et dénaturée) entre 600 av. J. C. (date présumée de l’arrivée massive de tribus celtiques) et 500 après J. C., quand les Francs, venus de nos régions, prennent le relais des Romains moribonds ou disparus. Ces onze siècles, pour Kahn, sont le véritable creuset où s’est formée la “nation française”, en dépit des apports romains et germaniques, campés comme des adstrats sans réelle importance. Ce creuset est celui d’un “invraisemblable capharnaüm de bandes et de hordes, de cités et de nations”, d’où sortira, en bout de course, “un étrange mille-pattes à mille têtes qu’on appellera les Français”. Kahn privilégie évidemment l’idée d’un creuset où se mêlent toutes sortes d’ingrédients hétérogènes au détriment de toutes les homogénéités qui se sont juxtaposées dans les espaces gallique, lotharingien et burgonde. Kahn tente de retracer les épisodes qualifiables d’anarchisants et de libertaires dans ces onze siècles quasi inconnus de nos contemporains, en manifestant sa sympathie pour ce magma tissé de turbulences, rétif à tout ordre politique.

Toujours privilégier les faits romains et francs

Ce qui est vrai dans sa démonstration, comme dans la démonstration de bon nombre de celtisants bretons ou autres, c’est que l’historiographie dominante a toujours privilégié les faits romain/latin et franc/germanique dans l’espace gallique, au détriment de ce que Kahn campe aujourd’hui comme “celtique” ou “gaulois”. Effectivement, le facteur celtique a été longtemps oublié dans l’historiographie dominante. Rome a évidemment apporté la langue latine dans l’espace gallique et, comme l’histoire repose sur l’étude des textes, nous n’avons jamais disposé que de textes latins. Il n’y a pratiquement pas de textes longs, sinon des épigraphies, en langues celtiques continentales. La démarche de l’historien repose sur des textes, sur des travaux sauvés de l’oubli comme ceux de Tacite et de Tite-Live. La Renaissance carolingienne privilégie, elle aussi, le latin, toutefois elle collationne en marge de ses activités des récits populaires germaniques, sous l’impulsion d’Alcuin (natif de York) et d’Eginhard (un Rhénan). Même sous l’égide de Dicuil, moine irlandais au service du pouvoir installé par Charlemagne, le latin triomphe comme langue officielle de l’Empire, pourtant germanisé. Les Germains ont pris le relais de Rome, surtout sur le plan militaire. Dans le bassin parisien, les Francs, venus de Taxandrie et de l’espace rhénan au Nord de Cologne, puis de Tournai et de Soissons, donnent leur nom à l’espace gallique: après eux, on ne parlera plus de “Gaule” mais de “Francie” ou de “France”, de “Franken-Reich”, de l’Empire des Francs. La loi salique, droit coutumier germanique rédigé vers l’an 600 dans une langue dont dérive directement les parlers néerlandais actuels (du moins les dialectes “bas-franciques”), s’impose à tous. La mémoire populaire —non celle des historiens spécialisés dans le haut moyen âge— oublie généralement un apport celtique très important (non linguistique et non démographique), celui des missions irlandaises de Colomban, Columcille, Vergile (Fergill), sauveurs des textes antiques qu’ils se mettront à recopier, parfois en s’opposant, comme Vergile dans l’espace alpin à cheval sur l’Italie et l’Autriche actuelles, à la papauté romaine.

Aujourd’hui encore, les instances officielles campent la Wallonie comme germanique de race et latine de culture

col1.pngEn tenant compte de ce contexte historique lointain, carolingien et bas-lotharingien —il existait une Basse-Lotharingie et une Haute-Lotharingie— la Wallonie actuelle, notamment sous l’impulsion d’un historien haut en couleurs aujourd’hui décédé, Léopold Génicot, et dans un ouvrage sur “Le français en Belgique”, publié par l’ex-Communauté française (devenue la “Fédération Wallonie-Bruxelles”), se pose comme héritière de Rome et du catholicisme, en tant que cadre forgé par un Empereur romain, Constantin. Les Wallons, officiellement, ne revendiquent donc aucune racine celtique, même si a existé un fond pré-romain et pré-germanique, aujourd’hui difficilement définissable. Pour Génicot, les Wallons descendent des Lètes germaniques de l’Empire romain, chargés de garder la frontière contre d’autres incursions germaniques. Rapidement latinisés, avec leurs officiers qui accèdent souvent à la citoyenneté romaine, ces Lètes ont précédé les Francs sur le territoire aujourd’hui wallon, surtout dans la vallée mosane: dans le chef de Génicot, le germanisme avait un droit d’aînesse en Wallonie dans le cadre belge et non la Flandre! Pour les héritiers de Génicot, qui ont confectionné cet excellent ouvrage, très précis, méticuleux et philologique, sur “Le français en Belgique”, les soldats germaniques de l’armée romaine installés en Wallonie actuelle auraient été recrutés, non pas en Rhénanie ou dans les tribus vivant sur la rive droite du Rhin, mais le long des côtes de la Mer du Nord en Hollande, en Frise, dans les régions de Brème et de Hambourg et en Scandinavie parmi les tribus classées sous le nom d’ “Ingwéoniens”. Ce n’est pas moi qui le dit, pour paraphraser Himmler et Degrelle: ce sont les historiens de la dite “Communauté française”... qui ne partagent apparemment pas les vues de Jean-François Kahn quand celui-ci déplore l’oubli des facteurs celtiques dans l’espace gallique et critique la surévaluation, à ses yeux, des facteurs romains et francs. Nous vivons une époque étonnante...

La “Gaule Françoise” de François Hotman

col2.jpgLe facteur celtique a effectivement été escamoté par toutes les renaissances intellectuelles qui ont jalonné l’histoire d’Europe occidentale jusqu’à la fin du 18ème siècle. Nous ne trouvons que quelques vagues évocations au 16ème siècle, où, une fois de plus, les facteurs classiques, gréco-latins, et germaniques sont seuls valorisés. Dans sa critique d’une monarchie française, qu’il considérait comme dévoyée après les massacres de la Saint-Barthélémy (1572), le juriste huguenot français d’origine allemande François Hotman, né à Paris, évoque une “Franco-Gallia” ou une “Gaule Françoise” (1573). Hotman souligne les origines franques-germaniques de la France médiévale. Ces tribus, qui ont franchi le “Rhein” (sic), avaient une notion innée de la liberté, comme le soulignait aussi Tacite: le principe germanique est donc un principe de liberté (et de liberté religieuse pour le protestant Hotman), idée que l’on véhiculera jusqu’à la première guerre mondiale. Il y a donc, d’un côté, cette idée de liberté, et, de l’autre, l’idée féroce de l’absolutisme, qui n’hésite pas à recourir à des massacres comme celui de la Saint-Barthélémy. Quand les principes libertaires germaniques régnaient sur tous les esprits, écrit Hotman, “Les rois n’avaient pas une puissance infinie ni absolue” (cf. André Devyver, “Le sang épuré – Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’Ancien régime (1560-1720)”, Ed. de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1973). Kahn inverse simplement le raisonnement ancien du Huguenot Hotman: le fonds pré-celtique, celtique et autre est réservoir de liberté, tandis que les systèmes mis en place par Rome et par les Francs sont tyranniques. Pour retrouver leurs libertés face à une droite et une gauche qui deviennent “mabouls”, les Français contemporains doivent, selon Kahn, recourir au fonds hétérogène pré-romain. Chez Hotman, le fonds pré-franc et pré-romain était réservoir de cruelle anarchie: le système libertaire germanique est venu l’humaniser (avant la lettre).

Vogue celtisante et “Sturm und Drang”

col3.jpgLes 16ème et 17ème siècles sont donc peu enclins à redécouvrir le fait celtique dans l’histoire des espaces gallique et lotharingien/germanique. Il faudra attendre la fin du 18ème siècle pour que naisse une véritable “vogue celtisante”, qui se poursuit encore aujourd’hui, notamment dans l’univers de la chanson, dans la bande dessinée et avec un festival comme le “Festival inter-celtique de Lorient”. Le “Sturm und Drang” littéraire allemand secoue les bonnes habitudes ancrées dans la culture européenne. Les protagonistes de ce mouvement littéraire en ont assez de la répétition des modèles classiques. Ils recherchent autre chose. Ils veulent un retour à des thèmes plus variés, comme chez Shakespeare, qui s’inspire certes de la culture classique, mais puise aussi dans les traditions de la très vieille Angleterre et de la Scandinavie du haut moyen âge. Ils espèrent aussi un retour à l’hellénité homérique, plus âpre que l’Athènes classique. Le philosophe Herder démontre dans la foulée du “Sturm und Drang” que l’excellence littéraire vient uniquement des racines, des sources les plus anciennes et non pas d’une répétition ad nauseam des mêmes thèmes classiques. Les frères Grimm, célébrés en 2012 outre-Rhin, seront ses héritiers en Allemagne. Les slavophiles russes le seront en Russie. En Ecosse, James McPherson, un écrivain pré-romantique, épigone du “Sturm und Drang” allemand, prétend avoir découvert les écrits d’un barde celtique ancien et de les avoir traduits. Ce barde se serait appelé “Ossian”. Il n’y a jamais eu d’Ossian: ces magnifiques poèmes, construits sur des canons non classiques, sortaient tout droit de l’imagination de McPherson. La vogue celtisante était lancée. Elle ne s’arrêtera plus.

Nous verrons que ce “Sturm und Drang” et ce “celtisme” britannique sont à replacer dans un contexte révolutionnaire dans la période 1780-1795 mais un révolutionnarisme qui tient compte des racines, tout en se montrant fort virulent dans ses critiques de l’absolutisme royal de l’Ancien Régime. Après Ossian, nous avons la renaissance du druidisme au Pays de Galles et l’émergence des Gorsedd, concours de poésie en langue galloise. Ailleurs en Europe, en dehors des régions où l’on a parlé des langues celtiques jusqu’à nos jours, l’archéologie tchèque (W. Kruta), hongroise (M. Szabo) et autrichienne s’est penchée sur les civilisations celtiques de la Tène et de Halstatt, découvrant un celtisme alpin et danubien, dont le 18ème siècle du “Sturm und Drang” et de l’“ossianisme” n’avait pas encore conscience

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Le Pan-celtisme actuel

Recension et source majeure de cet exposé: Peter Berresford Ellis, The Celtic Dawn – A History of Pan-Celticism, Constable, London, 1993.

col4.jpgAvant de parler de “pan-celtisme”, il convient préalablement de définir le terme, l’“ethnonyme” de “Celte”. Pour la plupart des celtisants ou des militants indépendantistes celtophones, est “Celte” seulement celui qui est locuteur d’une langue celtique, comme le gaëlique irlandais ou le gallois, le cornique ou le breton. A l’exclusion de tous les autres. Cette exclusivité celtophone a posé quelques problèmes, notamment quand les Galiciens et les Asturiens de la péninsule ibérique ont voulu adhérer au club des nations celtiques. Galiciens et Asturiens défendaient leurs positions en arguant qu’une émigration britannique (brythonique!), face à l’invasion des Angles, Jutes et Saxons, s’était installée dans le Nord-Ouest de l’Espagne, en même temps qu’en Bretagne. L’argument des adversaires de leur adhésion était de dire que les dialectes galiciens et asturiens (le “bable”) contenaient moins de mots d’origine celtique que le français ou l’anglais. De plus, le Nord-Ouest de la péninsule ibérique recèle encore d’autres ingrédients ethniques, suèves, wisigothiques, basques et alains. Sont cependant acceptés les locuteurs d’une des deux “linguae francae”, l’anglais et le français, si les postulants peuvent se dire d’origine gaëlique, cornique, bretonne ou galloise, parce que dans leurs régions des langues celtiques ont encore été parlées à l’époque médiévale ou post-médiévale.

Solidarités celtiques

On ne parlait pas de “celtisme” ou de “celtitude” avant la seconde partie du 18ème siècle. Cependant, pour l’historien du celtisme et écrivain Peter Berresford Ellis, Président de la “Celtic League” de 1988 à 1990, on peut repérer, tout au long de l’histoire médiévale des Iles Britanniques, des solidarités politiques inter-celtiques contre la prépondérance des éléments angles, saxons, jutes et normands, notamment quand il s’agit de porter secours à l’Ecossais Robert Bruce en 1314 ou d’aider les Tudor suite à la Guerre des Deux Roses au 15ème siècle. Richard III reçoit effectivement un appui de troupes corniques, galloises, écossaises et bretonnes. Quand les Tudor accèderont au trône d’Angleterre, ils oublieront leurs racines celtiques et se montreront plus anglais que les Anglais, tout simplement parce qu’il auront alors hérité du pouvoir central et que celui-ci, quel qu’il soit, s’oppose toujours à ses marges géographiques et ethniques.

Les pionniers de la redécouverte du fait celtique sont Edward Lhuyd, en Angleterre, dont les oeuvres paraissent en 1707. C’est lui qui réintroduit les termes “celte” et “celtique” dans le vocabulaire (d’abord philologique). Son travail est purement académique. En Bretagne, l’Abbé Pezron se penche pour la première fois sur la littérature celtique et amorce, encore timidement, la “vogue celtique”, qui prendra, comme on l’a vu, sa vitesse de croisière avec James McPherson (1736-1796). Tributaire de la mode lancée par le “Sturm und Drang” allemand, McPherson écrit des ballades et des poésies, attribuées à un barde du nom d’Ossian, qu’il aurait soi-disant traduites du gaëlique écossais. C’est un faux qui aura une postérité incroyable. L’engouement pour la poésie bardique atteint toutes les couches de la société: Napoléon était un lecteur fervent de McPherson. Bernadotte, le futur roi de Suède, figure au départ picaresque et époux d’une Irlandaise née à Marseille, nommera son fils héritier “Oscar”, du nom du fils d’Ossian. A la même époque, les Gallois celtisants organisent leur premier “Eistedfodd”, un festival de musique, de chants et de poésie celtique, ancêtre du fameux “festival inter-celtique de Lorient”.

Méchantes racines et bons nomades

Aujourd’hui, vu l’hostilité des idéologies dominantes aux racines, surtout dans l’espace linguistique francophone, on a tendance à dissocier complètement recours aux racines et volonté révolutionnaire: ne peut être “révolutionnaire” ou “progressiste” que celui qui s’arrache à ses racines, comme le réclame explicitement, sans la moindre nuance, un Bernard-Henri Lévy depuis son fameux “Testament de Dieu”, où, comme Moïse, il nous annonçait, sans rire, les nouvelles tables de la Loi, qu’un hypothétique Yahvé lui aurait confiées. Pour être acceptable, non condamnable, il faut être un “nomade”, un “vagabond” errant partout sur la planète: les “errants” sont les nouveaux Übermenschen pour ce fatras idéologique. Les braves enracinés, les nouveaux Untermenschen. Cette optique hostile à toutes racines est peut-être vraie pour la France, où le Club des Jacobins donnera le ton, et luttera contre les “patois” et les “pequenauds”: ce n’est pas vrai ailleurs et cela explique, notamment, le renversement unanime des révolutionnaires allemands les plus virulents (Fichte, Arndt, Jahn, etc.), qui prendront fait et cause contre la domination napoléonienne, quitte à s’allier aux rois. Cette optique franco-jacobine est fausse pour le monde celtique, où recours aux racines et volonté révolutionnaire ne faisaient qu’un. Dès 1789, Thomas Jones, un révolutionnaire anti-monarchiste, organise les premiers “Gorsedd”, les assemblées druidiques, dont on se gausse au départ. Cependant, tous s’y mettront rapidement avec enthousiasme, au Pays de Galles, en Cornouailles et en Bretagne. Iolo Morganwg lance, le 21 juin 1792, jour du solstice d’été, une assemblée annuelle des Bardes.

Idées républicaines et renaissance des langues

walter_scott_1302553800.jpgEn 1820, se crée en Ecosse la “Celtic Society”, sous l’impulsion, notamment, du célèbre romancier Walter Scott, dont les opinions politiques sont républicaines. Il utilise l’anglais pour son oeuvre mais n’aborde que des thèmes hostiles à la monarchie d’origine normande, en opposant les Saxons (Ivanhoe, Robin des Bois) aux Normands. En Flandre, cette manière de présenter les choses sera reprise par Hendrik Conscience, qui y ajoute, consciemment ou inconsciemment, la thématique du Huguenot François Hotman: l’élément germanique est vecteur de liberté populaire (ou de fougue révolutionnaire — ce qui n’est pas le cas de Conscience, qui a l’appui de Léopold I), l’élément normand (chez Scott) ou capétien (chez Conscience) est synonyme d’absolutisme et de tyrannie. La “Celtic Society” de Walter Scott est à l’origine de deux revues, qui paraîtront jusqu’à la fin du 19ème siècle, le “Celtic Magazine”, et le “Celtic Monthly”. Ces publications se fixent deux buts: 1) promouvoir les idées républicaines; 2) promouvoir la renaissance des langues celtiques. La notion de “république”, que l’on répète inlassablement aujourd’hui en France, sur un ton incantatoire qui nous agace profondément en dehors des frontières de l’Hexagone, ne correspond dont pas du tout à l’idée républicaine véhiculée dans les pays celtiques et en Ecosse à l’époque de la révolution française.

Ainsi, Thomas Muir, proclamé “Président d’Ecosse”, suite à une rébellion républicaine en 1797, fuit en Irlande où il est reçu au sein de la confrérie occulte des “United Irishmen”, opposés aux Anglais et à la monarchie (avec leurs collègues des “United Scotsmen” et des “United Englishmen”). Les “United Irishmen” se révolteront avec l’appui d’unités françaises débarquées en 1797 mais, contrairement aux clivages à l’oeuvre depuis le soulèvement catholique de gauche de Bernadette Devlin en 1972, les nationalistes-révolutionnaires des “United Irishmen” seront plutôt protestants que catholiques, ces derniers, inquiétés par les dérapages de la révolution française en Vendée et en Bretagne, seront plutôt loyalistes.

Des racines celtiques de l’idée républicaine en France

Autre indice, qui confirme la thèse de Peter Berresford Ellis: les députés républicains bretons de l’Assemblée Nationale française, Armand Kersaint et Lafayette (homme de paradoxes...!) réclament une intervention militaire ou navale pour sauver les républicains écossais de la défaite et de la répression. Ces députés bretons sont opposés au centralisme parisien et ne cessent de réclamer l’autonomie de la Bretagne, inaugurant ainsi un filon qui perdure jusque aujourd’hui dans le mouvement breton. Thomas Paine, Gaëlique écossais, rédige le premier manifeste des “Droits de l’Homme”: l’édition gaëlique connaîtra, à l’époque, un chiffre de vente et de diffusion plus important que sa version française, preuve que les Jacobins, les BHListes parisiens actuels et les chaisières du bazar droit-de-l’hommard, de Mitterrand à Hollande, se soucient comme d’une guigne des véritables droits de l’homme, qu’ils galvaudent au rang de pur slogan. Le premier manifeste des “Droits de l’Homme” a été rédigé par un militant, peut-être naïf, diront les conservateurs, mais dont les convictions républicaines ne peuvent être mises en doute ni la volonté d’émanciper ses contemporains, mais cette volonté n’est pas séparable d’un recours aux racines les plus profondes. Robert Price, autre militant celtique du Pays de Galles, écrit en 1776, suite à la révolution américaine, un manifeste “Civil Liberties” qui inspirera les rédacteurs de la première constitution républicaine française: il y a donc en celle-ci un élément républicain gallois. Price en a été l’inspirateur, ainsi que son propre maître Thomas Roberts. Les républicains celtisants insulaires sont donc, à un certain moment, en porte-à-faux par rapport aux Bretons, qui abandonnent l’idéal républicain vicié par les Jacobins et les centralistes parisiens qui refusent la reconstitution du Parlement de Bretagne, et adhèrent à la chouannerie royaliste.

L’oeuvre de Charles De Gaulle (1837-1880)

Au dix-neuvième siècle, le celtisme breton sera structuré par Charles De Gaulle (1837-1880), oncle du général de même nom et prénom. Natif de Valenciennes, dans le Hainaut annexé et toujours occupé, cet homme, malade et invalide, mourra dix ans avant la naissance de son neveu, que l’on prénommera Charles en son souvenir. Les De Gaulle, originaires du Hainaut mutilé et de la Flandre irrédente, ont des origines irlandaises, en la famille d’un certain Sean McCartan, Colonel d’une brigade irlandaise de l’armée royale française. Charles De Gaulle (numéro un) est un infirme: il est paralysé et habite au 282 de la Rue de Vaugirard à Paris. C’est dans ce logis, qu’il ne quittera pratiquement jamais, qu’il va tout imaginer, explique Peter Berresford Ellis. Il devient le secrétaire de “Breurez Breiz”, la société des poètes bretons de Paris, où il rencontre Théodor Hersart de la Villemarqué (1815-1895), qui a publié en 1836 le “Barzaz Breiz”, anthologie remarquée de chants populaires de la Bretagne. Les deux hommes sont également liés à l’Association Bretonne, fondée auparavant par Armand de la Rouerie en 1791. Elle avait pour objectif de restaurer l’autonomie de la Bretagne (comme avant 1532). De la Rouerie restera fidèle à la révolution française, en dépit de son départ pour l’Amérique, jusqu’à l’abolition du Parlement de Bretagne. Il meurt en 1793. Son Association est dissoute mais recréée en 1843, formulant les mêmes revendications. En 1858, elle est à nouveau dissoute par Napoléon III, bête noire des polémistes en Belgique à l’époque, sans doute pour cette hostilité à toute autonomie bretonne mais surtout pour son annexion, jugée totalement inacceptable à Bruxelles, de la Savoie et du Comté de Nice, encore deux fragments de l’ancienne Burgondie impériale détachés d’un Etat héritier de ce Saint-Empire: la crainte était grande de voir Napoléon III, comme auparavant Philippe le Bel ou Louis XIV, diriger ses efforts vers l’espace bas-lotharingien, après avoir grignoté l’espace burgonde ou haut-lotharingien. Charles De Coster, libertaire d’opinion, ne se lassera pas de fustiger ce “Napoléon-le-petit”, comme disait Victor Hugo en exil à Bruxelles, et le Philippe II de son “Tyl Uilenspiegel” est parfois une caricature de Napoléon III.

Charles De Gaulle le celtisant, est royaliste, catholique et conservateur, contrairement à bon nombre de celtisants des Iles Britanniques. Il fait basculer le mouvement breton, jusqu’aux années 60 du 20ème siècle, dans le camp conservateur, avec l’appui, il faut le dire, d’un roman à grand succès, celui d’Alexis-François Rio, intitulé “La petite Chouannerie” (1842). Ce roman donne le coup d’envoi à la volonté récurrente, en Bretagne, de suggérer une autre vision de l’histoire. La revue “Stur” d’Olier Mordrel, avant la seconde guerre mondiale, son livre “Le mythe de l’Hexagone”, les articles de la revue “Gwenn ha Du”, sont autant d’expressions de cette volonté. De Gaulle plaide pour la résurrection de la langue, comme les celtisants des Iles Britanniques s’efforcent de raviver le gallois ou le gaëlique irlandais. Les efforts de De Gaulle seront dès lors plus linguistiques que politiques. Autre petit fait intéressant à signaler: lorsque le Gallois Michael D. Jones fonde une colonie galloise en Patagonie, De Gaulle soutient le projet mais demande de respecter là-bas l’identité araucarienne: nous voyons là l’émergence d’un thème cher à Jean Raspail, la défense de toutes les racines, et au créateur de bandes dessinées Bilal, qui fait émigrer tout un village breton, hostile à des promoteurs immobiliers sans scrupules, vers la pampa argentine. De Gaulle veut une langue celtique unifiée, d’abord en Bretagne même, puis dans l’ensemble de l’espace celtophone. Sous son impulsion, les études celtiques sont enfin prises au sérieux en milieux académiques. Une véritable renaissance peut commencer, se consolider et être sûre de sa pérennité.

Les trois tendances du mouvement celtique

Trois tendances vont alors se juxtaposer dans le mouvement celtique, toutes nations particulières confondues:

1.     Une tendance littéraire avec l’émergence d’une littérature d’inspiration celtique mais rédigée en français ou en anglais. William Butler Yeats en sera l’exemple le plus connu mais son ésotérisme, assez éthéré, sera critiqué notamment par la revue “Stur” en Bretagne, cet ésotérisme oblitérant toute référence directe au réel concret, tout recours fécond au “vécu” (Mordrel).

2.     Une tendance purement philologique qui se focalisera sur la renaissance des langues et leur emploi dans la vie quotidienne et publique.

3.     Une tendance politique, qui englobera le travail littéraire et le travail philologique mais les doublera de revendications politiques et sociales, articulées dans les parlements et dans la vie politique du Royaume-Uni surtout, dont la dévolution sous Blair, avec l’émergence de parlements autonomes gallois et écossais et les tentatives actuelles de faire aboutir un référendum pour l’indépendance de l’Ecosse sont les dernières manifestations.

Cens décent, “fixity of tenure”, Home Rule

La dimension politique du combat celtique, voire pan-celtique, va s’arc-bouter dans un premier temps sur un problème très important et fort épineux: la question agraire, suite notamment aux famines qui ont frappé l’Irlande. La question agraire n’est pas résolue dans le Royaume-Uni au 19ème siècle, ni en Irlande ni en Ecosse. Au Pays de Galles, elle se greffe sur le problème du “tithe”, soit le paiement d’une dîme au propriétaire terrien (généralement protestant et anglais). Le but des “Panceltes” qui veulent résoudre la question agraire est d’imposer aux latifundistes qu’ils se satisfassent d’un cens décent et qu’il acceptent la “fixity of tenure”, soit le droit des exploitants ruraux à ne pas être chassés de leur lopin. Ce combat sera notamment mené par William O’Brien (1852-1928), dont l’inspiration politico-culturelle était panceltique, mais dont l’action était concrète: il fut, outre un combattant pour le droit des petits paysans irlandais contre les propriétaires absents (les “absentee lords”), un défenseur de l’idée de “Home Rule”. Lloyd George, avant de détenir les plus hautes fonctions dans le Royaume-Uni, était partisan d’une alliance parlementaire entre députés gallois et irlandais (la périphérie contre le centre) et d’un “self-government” gallois, équivalent du Home Rule irlandais réclamé à Dublin. Dans le sillage de ce combat pour la question agraire et pour le Home Rule naît l’association culturelle “Conradh na Gaeilge”, visant la renaissance des langues dans la vie quotidienne: elle militera pour le bilinguisme dans les écoles.

Douglas_Hyde_2.jpgA l’aube du 20ème siècle, les anciennes structures panceltiques sont remplacées par le “Celtic Congress” puis par la “Celtic League”. Ce sont des organisations faîtières qui chapeautent tout le mouvement panceltique. La figure principale, la plus notable, dans le cadre de ces organisations a été le Dr. Douglas Hyde (1860-1949), issu directement du “Conradh na Gaeilge”. Il sera le premier président de l’Irlande indépendante en 1937. Avant cela, il fut le premier professeur d’irlandais moderne (“Modern Irish”) à l’Université de Dublin. Des tiraillements existaient dans le mouvement irlandais avant la première guerre mondiale: fallait-il privilégier le combat linguistique, en visant l’ancrage de l’irlandais moderne dans les réseaux d’enseignement? Ou fallait-il privilégier l’union panceltique? La majorité a privilégié le combat linguistique; le combat panceltique était jugé difficile voire impossible sur le plan purement pragmatique à l’époque: de plus, il se heurtait à des clivages religieux qu’on ne saurait minimiser; les Irlandais étaient majoritairement catholiques et puisaient dans les ressources de leur catholicisme des énergies pour combattre l’Angleterre, tandis que les Ecossais étaient majoritairement presbytériens et les Gallois, méthodistes. Dans ces réseaux, issus du “Conradh na Gaeilge”, s’activait un futur martyr de la cause irlandaise, Padraig Pearse (1879-1916), l’un des seize fusillés suite à l’insurrection des Pâques 1916. Pearse mêlait dans son oeuvre des références au passé païen d’avant la conversion de l’Irlande par Patrick à un catholicisme celtique de l’époque mérovingienne, dont l’idéalisme de Columcille, l’un des sauveteurs de l’héritage antique. Il développait une éthique du sacrifice, à laquelle il a eu le courage de ne pas se soustraire.

Une ambiance révolutionnaire

Le “Celtic Congress” avait des dimensions essentiellement académiques. Il voulait celtiser l’enseignement et a donc axé son combat sur la question scolaire en Irlande. C’est à ce niveau que se rejoignent les dimensions culturelles et politiques parce que ce combat devait se gagner forcément dans les assemblées élues et légiférantes. La propagande anglaise soulignait alors l’“archaïsme” qu’il y avait à parler et écrire des langues celtiques: Pearse et ses compagnons rétorquèrent que les parler devenait de ce fait un acte politique contestataire de l’ordre établi. En 1914, avec l’éclatement de la Grande Guerre, le “Celtic Congress” a dû interrompre ses activités. Elles ne reprendront ni en 1915 ni en 1916. Elles reprennent toutefois en 1917, quand le souvenir cuisant de l’échec de l’insurrection d’avril 1916 se fait encore douloureusemet sentir. Ces activités se font à feu doux. Pearse est mort, d’autres sont encore emprisonnés. L’ambiance est révolutionnaire. Parmi les fusillés de 1916, il y avait le fougueux et très original leader socialiste irlandais, James Connolly, adepte et théoricien d’un marxisme virulent (appelé à résoudre la question agraire et les problèmes ouvriers), mais un marxisme “hibernisé”, avec des références à la mythologie celtique. Peter Berresford Ellis, également auteur d’une histoire du mouvement ouvrier irlandais (1), rappelle quelles ont été les grandes lignes de ce marxisme hibernisé. Il repose principalement sur l’idée d’un “communisme primitif” des tribus celtiques irlandaises, avant la conquête anglaise du 12ème siècle. Friedrich Engels apprendra même des rudiments de la langue celtique d’Irlande pour étudier ces structures tribales communautaires, avant d’ajouter un chapitre (jamais achevé) de son ouvrage essentiel sur les “Origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat”. L’appui de Marx et d’Engels à l’indépendantisme irlandais, comme expression de la lutte des classes et de l’émancipation des ruraux exploités par les latifundistes, ont suscité l’enthousiasme non seulement des pionniers du socialisme irlandais mais aussi des nationalistes, qui seront toujours reconnaissants à l’endroit et de Marx et d’Engels.

 

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James Connolly: alchimie marxiste et nationaliste

De cet enthousiasme du “Dr. Marx” qui prend fait et cause pour l’indépendance de l’Irlande, même face à l’hostilité des socialistes anglais, découle le mixte, étonnant ailleurs en Europe et dans le monde, de nationalisme et de marxisme. Pierre Joannon, dans son “Histoire de l’Irlande et des irlandais” (Perrin, Paris, 2006), nous explique très bien l’alchimie nationaliste et marxiste de la pensée de James Connolly, tout comme, en marquant une distance plus nette, l’historien anglais F. S. L. Lyons (2) nous avait démontré comment nationalisme, catholicisme et socialisme s’étaient combinés en une synthèse originale et difficilement transposable en d’autres contextes. Pour Connolly, le socialisme en place, devenu routinier et opportuniste, ne faisait plus que du “syndicalisme étroit aux objectifs limités” (Joannon, op. cit., p. 345). Le socialisme irlandais devait donc recevoir un apport d’énergie complémentaire que seul le nationalisme pouvait lui procurer, surtout le mixte de catholicisme sacrificiel et de nationalisme celtique mythologisé, chanté par Padraig Pearse (3). Ces réflexions sur le combat social, bien ancré dans le mouvement ouvrier et marxiste de son époque, et sur l’apport indispensable de la religion, de la mythologie et du nationalisme, conduisent Connolly à se joindre aux insurgés de Pâques 1916, à être capturé par les Anglais les armes à la main dans le “Grand Post Office” de Dublin et d’être condamné à mort et exécuté. Peter Berresford Ellis rappelle qu’en pleine guerre, les ouvrirers gallois envisagent de faire grève pour obtenir la grâce de Connolly. Ils volent même des explosifs qui seront expédiés en Irlande. Plus tard, des volontaires gallois et écossais (notamment la “Scottish Brigade” de Jim Reeder) se battront aux côtés des insurgés républicains entre 1919 et 1923.

Les événements qui secouent l’Irlande de 1916 à 1923 éveillent les esprits en Bretagne armoricaine. Les militants bretons sont fascinés par la création du premier Etat celtique moderne. Morvan Marchal est l’un de leurs chefs de file. Il appelle en 1925 les peuples celtiques à créer une organisation faîtière pour défendre leurs droits politiques et culturels, doublé d’un “Comité international pour les minorités nationales”. Forts de cette idée, les Bretons de “Breizh Atao” dépassent très vite les limites du seul “panceltisme”; ils appellent Corses, Flamands et Basques à se joindre à leur combat. Du “panceltisme”, on passe à l’idée d’un fédéralisme européen, celui que véhiculeront, chacun à leur manière et en dehors de tout contexte socialiste et marxiste, des figures comme Olier Mordrel, Marc Augier (dit “Saint-Loup”), Jean Mabire ou Yann-Ber Tillenon. “Breizh Atao” est ainsi la toute première organisation politique à énoncer l’idée d’un parlement européen, ne représentant pas des partis (corrompus) mais des populations réelles, concrètes, inscrites dans l’histoire.

De quelques nationalistes écossais

Le clivage gauche/droite, tel qu’il est manipulé par les idéologies dominantes et leurs médias actuellement, n’est nullement de mise quand on évoque les pages de l’histoire du panceltisme. Ainsi, le nationaliste écossais, le baron Ruraidh Erskine, est un aristocrate de vieille famille mais aussi un marxiste et un socialiste, qui va transmettre au nationalisme écossais, jusqu’à nos jours où il enregistre ses meilleurs succès, une idéologie de gauche. Erskine est en faveur d’une “république socialiste d’Ecosse”, tout comme son compatriote John Mclean (1879-1923), mort des suites des tortures qu’il a endurées après avoir protesté contre “la guerre impérialiste imposée aux Ecossais” en 1914. Dix mille personnes suivent son cercueil jusqu’au cimetière, à Glasgow lors de ses obsèques. Erskine, qui prend le relais de ce martyr, encourage, outre la lutte ouvrière comme Connolly en Irlande avant 1914, des aspects plus traditionnels, plus culturels et littéraires, selon les bonnes habitudes prises en pays celtiques. Lewis Spence (1874-1950) s’intéresse ainsi au druidisme, à l’art magique, aux traditions celtiques en général. Hugh MacDiarmid (1892-1978) lance le mouvement de la “Scottish Renaissance” qui ne se borne pas à ressusciter le gaëlique écossais des franges littorales occidentales de l’Ecosse mais aussi les dialectiques germanisés (influencés par l’anglais et le norvégien) des autres territoires écossais. MacDiarmid est également, comme Erskine, partisan d’une “république radicale-socialiste d’Ecosse”. Il est l’un des fondateurs du SNP (“Scottish National Party”) en 1928, ce qui nous ramène à l’actualité britannique, où, justement, ce SNP a le vent en poupe et s’apprête à demander que se tienne un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Les avatars du nationalisme écossais nous montrent clairement que les démarches panceltiques sont inséparables des questions sociales et du monde ouvrier traditionnel, teinté de marxisme mais d’un marxisme somme toute bien différent de ce que nous connaissons sur le continent.

L’itinéraire étonnant de Hugh MacDiarmid

Revenons à MacDiarmid: son marxisme, rappelle Peter Berresford Ellis, n’est ni celui d’un Marchais et du PCF ni celui de la RDA ou de l’URSS mais, bien évidemment, celui de Connolly. MacDiarmid a également eu sa (brève) période mussolinienne, ce qui étonnera plus d’un simplet qui gobe aujourd’hui les terribles simplismes des médias actuels. Mais Mussolini était un socialiste vigoureux, aimé de Lénine, et, surtout, apprécié de Jules Destrée chez nous, dont l’énorme statue de bronze se dresse sur une place à Charleroi, sans qu’on ne se rappelle qu’il fut un vibrant mussolinien! L’engouement passager de MacDiarmid pour Mussolini ne l’empêche pas de devenir communiste par la suite pour être exclu plus tard pour “déviationnisme national”. Cette exclusion ne l’empêche pas d’être réintégré, à un moment fort mal choisi, en 1956, immédiatement après l’intervention soviétique en Hongrie.

Exclusion des Bretons et discours de De Valera

La persistance d’une fidélité à Marx —qui avait réclamé l’indépendance de l’Irlande dès les années 60 du 19ème siècle et avait ébauché des plans précis pour concrétiser ce projet— fait qu’après la seconde guerre mondiale, les Bretons sont exclus de l’orbe panceltique, vu l’engagement de nombreux nationalistes dans une formation paramilitaire, la “Bezen Perrot”, mise sur pied et armée par l’occupant allemand, pour venger un prêtre philologue très populaire, le paisible Abbé Perrot, assassiné par des militants communistes pro-français. Le mouvement nationaliste breton, en porte-à-faux idéologique par rapport aux autres nationalismes celtiques des Iles Britanniques, subit la répression française de plein fouet à partir de la fin 1944. Dans les Iles, la situation est calme: l’Irlande est restée neutre et les Ecossais et les Gallois ont combattu dans le camp allié. En 1947 se crée la “Celtic Union”, avec l’appui du Président irlandais Eamon de Valera (1882-1975). Celui-ci adresse un message intéressant à relire à ses amis gallois. Peter Berresford Ellis nous en rappelle la teneur et la clarté: “En étant fidèles à leurs traditions et à leurs langues, même dans des circonstances qui peuvent être jugées très critiques, les Gallois ont prouvé qu’une nation peut préserver son individualité tant que sa langue, qui lui procure l’expression le plus parfaite de sa personnalité, demeure utilisée dans la vie quotidienne. Un lien fort relie le peuple du Pays de Galles à celui d’Irlande, non seulement parce tous deux procèdent de la même matrice celtique, mais aussi parce qu’ils marquent une dévotion aux choses de l’esprit; cette attitude a été prouvée au-delà de tout doute possible par le désir passionné de chacune de ces nations à préserver leur culture. Nos deux nations savent qu’en agissant ainsi, elles sauvegardent quelque chose qui enrichit l’humanité toute entière, et, en particulier, renforce les liens qui unissent les peuples celtiques entre eux”. On retiendra de ce discours la nécessité impérieuse de garder sa langue ou ses traditions dans la vie quotidienne. Aussi que toute politique sérieuse, acceptable, toute politique qui n’est pas inéluctablement vouée à sombrer dans la plus veule des trivialités, doit uniquement envisager les “choses de l’esprit”, comme le voulait aussi un précurseur fascinant du nationalisme irlandais au 19ème siècle, Thomas Davis. La primauté accordée au spirituel par De Valera en 1947 permet effectivement d’enrichir l’humanité entière: les idéologies et les pratiques politiques qui n’accordent pas cette primauté à la culture, à la mémoire, constituent donc, sous-entendu, autant de dangers pour tous les hommes, quelles que soient leurs origines, leur race, leur position sur la carte du globe.

En 1947, les Bretons sont toujours exclus des organisations faîtières panceltiques. Mais les Gallois et les Ecossais finissent par apprendre que la répression française ne frappe pas seulement les volontaires de la “Bezen Perrot”. D’autres Bretons, apolitiques et non collaborateurs, parfois fort hostiles à l’idéologie nationale-socialiste allemande, ont été assassinés par les Français, dont le poète Barz Ar Yeodet, l’historienne Madame de Gerny et les écrivains Louis Stephen et Yves de Cambourg. Ces dérapages, les Gallois ne peuvent les admettre. Ils envoient une délégation en Bretagne et en France qui mènera une enquête minutieuse du 22 avril au 14 mai 1947. Le rapport de cette délégation est accablant pour Paris. Il donne tort à la France sur toute la ligne. Les Gallois déclenchent alors une campagne de presse dans tout le monde anglo-saxon qui conduit notamment à la grâce du militant Geoffroy, condamné à mort. Les Bretons sont aussitôt réhabilités et à nouveau acceptés dans les organisations panceltiques: l’attitude de la France est si inacceptable aux yeux des nationalistes gallois marxisés que la collaboration avec l’Allemagne hitlérienne est considérée sans doute comme un pis-aller, de toutes les façons comme un dérapage inéluctable dans le contexte tragique de l’époque.

Sean MacBride

En 1948, les Unionistes pro-britanniques gagnent les élections en Ulster, créant de la sorte les conditions d’une partition définitive de l’Ile Verte. Cette victoire conduit à l’émergence du “mouvement anti-partition”, dont les objectifs se poursuivent encore de nos jours. De Valera: “Pour nous, c’est une simple question de justice. L’Irlande est une; c’est donc une injustice criante que nous soyons partagés entre deux Etats. La partition est un mal qui doit être rectifié”. Dans la suite de son discours, résumé par Peter Berresford Ellis, De Valera exprimait son espoir de voir les peuples celtiques apprendre davantage les uns des autres parce qu’une nouvelle société, partout dans le monde, ne pouvait se construire que sur base de rapports entre ethnies profondément enracinées et non sur base de rapports entre empires ou Etats multi-nationaux, dominés par une seule nation. Il n’y avait pas de meilleur plaidoyer pour un ethnopluralisme planétaire, l’année même où les blocs se formaient suite au “coup de Prague” et allaient enfermer les peuples jusqu’à la perestroïka dont les retombées n’apporteront pas l’émancipation mais un esclavage nouveau sous l’emprise du néo-libéralisme.

SEAN-MAC-BRIDE0002.jpg Le ministre irlandais des affaires étrangères, Sean MacBride, fils de John MacBride, fusillé en 1916, avait été le chef de l’état-major de l’IRA. Cet avocat, fondateur du “Clann na Poblachta”, petit parti nationaliste radical, deviendra aussi le président d’Amnesty International, puis obtiendra le Prix Nobel de la Paix en 1974 et le Prix Lénine de la Paix en 1977! L’homme était un nationaliste irlandais pan-celte. Interviewé par le journal “Le Peuple breton”, il déclare, rappelle Peter Berresford Ellis: “Ce qui manque au monde, c’est un idéal basé sur un système où la liberté et la dignité humaines sont reconnues parce que la liberté, l’indépendance et l’intégrité des peuples sont protégées... les peuples celtiques peuvent aider (le monde) à propager cet idéal, qui est absent aujourd’hui”.

De 1947 à 1954, l’idéal panceltique est porté, entre autres organisations, par la revue “An Aimsir Cheilteach”, soucieuse de l’avenir des langues sans exclure un souci profond et permanent pour les questions sociales, en bonne logique “connollyste”. Cet engagement social rapproche les militants panceltes du “Labour” britannique. Mais suscite aussi les moqueries acides de la presse anglaise. En France, la répression jacobine, portée par son habituelle bêtise à front de taureau, s’abat sur cette revue, qui est interdite. Car le recours aux “interdits”, en bonne logique orwellienne, est une pratique qui coïncide avec la devise de la “République”: liberté, égalité, fraternité... MacBride, avocat, estime, pour sa part, que c’est une violation des droits de l’homme et engage un procès contre l’Etat français, qu’il gagne bien évidemment. Comique: la patrie des “droits de l’homme”, qui se targue de cette qualité depuis les délires à l’emporte-pièce énoncés par le très médiatisé Bernard-Henri Lévy, a été condamnée pour violation des droits de l’homme, lors d’un procès mené par un ministre irlandais des affaires étrangères, Prix Nobel et Prix Lénine de la Paix et président d’Amnesty International... Un petit épisode à rappeler, un sourire narquois aux lèvres, quand on a devant soi un fort en gueule qui pontifie son pauvre catéchisme “droit-de-l’hommard” à la sauce BHL! L’hydre jacobine cède de mauvaise foi: la revue n’est plus interdite. On fait simplement pression pour qu’elle ne soit pas distribuée. Rien de nouveau sous le soleil!

Première session du “Conseil de l’Europe”

En 1949, se tient la première session du “Conseil de l’Europe”, présidé par Paul-Henri Spaak. Les délégués irlandais déclarent que “l’Europe a sombré dans un marécage” et que “la vision celtique (ethnopluraliste définie par De Valera et MacBride) peut la sauver”. John Legonna (1918-1978) abondait dans ce sens, lors de son discours: “par leur exemple et par l’action de leurs dirigeants, les peuples celtiques pourraient fournir à l’Europe une voie pour retrouver le salut et s’extraire du marais dans lequel s’enfonce progressivement la civilisation européenne. Nous, dans les pays celtiques, disposons de tous les éléments nécessaires pour mener à bien une tâche historique de la sorte. Nous, les Celtes, avons toujours une puissante contribution à offrir à la civilisation humaine”. Les délégués celtiques demandent la création d’une “Union Fédérale des Nationalités Européennes”, pour sauvegarder les droits des minorités ethniques. Ce sera en vain: la Grande-Bretagne bloque la résolution parce qu’elle ne veut pas que les Irlandais d’Eire ouvrent le dossier de la partition, qu’ils jugent inique. La France, elle, refuse la constitution d’une “Court européenne des Droits de l’Homme”! Encore un bon rappel pour les zélotes actuels... Les Irlandais, dépités, haussent les épaules: “encore une manifestation des ‘power politics’”, conclueront-ils.

Une autre figure, également mise en exergue par Peter Berresford Ellis, mérite d’être extraite de l’oubli, celle de la juriste galloise Noëlle Davies, auteur d’ouvrages sur le nationaliste romantique Danois Grundvigt et sur Connolly. Elle suggère, pour les peuples celtiques comme pour les peuples européens, un modèle “pan-nordique”, semblable à l’Union Scandinave. En 1961, la “Celtic League” élit comme Président le Breton Alan Heusaff, un ancien combattant de la “Bezen Perrot”, qui lance la revue “Cairn”, qui paraît toujours actuellement.

Le panceltisme, qui permet de penser le politique en dehors du clivage gauche/droite, tel que nous le subissons dans le prêt-à-penser dominant, ouvre des pistes non encore exploitées:

-          l’anti-impérialisme en des termes euro-centrés, centré sur des identités européennes visibles et concrètes et non sur des identités loitaines difficiles à comprendre, soit un anti-impérialisme qui ne soit pas uniquement à l’usage de peuples du dit “tiers monde”, quoique ces derniers ont évidemment bien le droit d’en développer des formes propres, à leur bon usage; l’impérialisme contemporain pratique la colonisation mentale et la dépendance économique en Europe aussi: ce que bon nombre de tiers-mondistes des années 60 et 70 avaient oublié.

-          Un socialisme réel, non détaché d’une certaine matrice marxiste, qui pourrait renouer aussi avec des filons fédéralistes-proudhoniens, comme l’avaient proposé les auteurs d’un groupe animé à Nice par Alexandre Marc ou certains théoriciens italiens; la solidarité populaire, génératrice de formes politiques socialistes, ne peut être optimale qu’au sein d’identité concrètes; les autres formes de socialismes s’accomodent trop aisément du système; on l’a vu avec le néo-libéralisme, la fausse “troisième voie” du travailliste Blair, le bellicisme de ce dernier, les timidités et les atermoiements des sociaux-démocrates qui fâchaient déjà James Connolly.

-          Un féminisme sainement conçu dans le sillage d’une autre héroïne irlandaise, dont il faudra un jour parler à cette tribune, la Comtesse Markiewicz (1869-1927), où la citoyenne d’une république socialiste, nationaliste et panceltique aurait été un “zoon politikon” au même titre que les mâles.

-          Une piste écologique intéressante, où la préservation de la nature est aussi un impératif dicté par le désir naturel de préserver les paysages exaltés par la poésie traditionnelle et les traditions populaires. Cette piste écologique est inséparable d’un recours au local, même de dimensions réduites, au nom du slogan “Small is beautiful” de Kohr et Schumacher, et surtout respectueuse des “lois de la variété requise”, selon l’idée qu’avait formulée le militant breton devenu citoyen irlandais, Yann Fouéré.

S’engager sur les pistes qu’ouvrent les études serrées du panceltisme ou du socialisme irlandais, comme celles réalisées par Peter Berresford Ellis, permet de s’insinuer profondément dans les dispositifs de nos adversaires, d’utiliser leur propre vocabulaire en lui donnant une épaisseur bien plus substantielle, en le ramenant de force à ses matrices historiques: en effet, la métapolitique d’en face procède par affirmations péremptoires, assénées par la répétition ad nauseam dans les “mainstream medias”, par une méthode Coué qui finit par saoûler. Toutes ses affirmations, aussi tonitruantes que boîteuses, qu’elles se réfèrent à une forme ou une autre de marxisme ou au corpus des “droits de l’homme”, sont posées comme détachées de tout contexte historique. Elles n’ont dès lors aucune consistance car leur donner consistance, en les plongeant dans un empirisme historique, serait les transformer en armes redoutables contre le système planétaire, aliénant et amnésique qui nous oppresse. Le nationalisme et le socialisme identitaires des Irlandais a bien fait fléchir l’Empire britannique au faîte de sa puissance. Le système ne veut pas de consistance car toute consistance est, en fin de compte, un matériau pour l’érection d’un môle de résistance à l’homogénéisation globale, à l’homocratie en marche (Jan Mahnert). Nous voulons redonner de la consistance à nos peuples pour qu’ils s’émancipent, tout comme BHL veut nous arracher à nos racines et à  nos mémoires pour que nous soyons d’éternels moutons de Panurge. Le modèle irlandais est une bonne source d’inspiration pour réapprendreà résister.Une source d’inspiration à laquelle nous allons sans cesse retourner, ainsi qu’à d’autres chantiers similaires. J’espère que le résultat de ce colloque sera de susciter de telles vocations.

Robert Steuckers.

(Forest-Flotzenberg, février 2013; version finale: août 2013).

Notes:

(1)   Peter Berresford Ellis, Historia de la clase obrera irlandesa, Ed. Hiru, Hundarribia (Guipuzcoa), 2013 (traduction espagnole d’un livre aujourd’hui épuisé et intitulé A History of the Irish Workig Class, 1985).

(2)   F. S. L. Lyons, Culture and Anarchy in Ireland 1890-1939, Oxford University Press, 1982.

(3)   F. S. L. Lyons, op. cit.; cf. également: Ruth Dudley Edwards, Patrick Pearse, The Triumph of Failure, Gollancz, London, 1977.

mercredi, 03 juillet 2013

Entretien accordé à Manuel Quesada

Robert Steuckers:

Entretien accordé à Manuel Quesada

1.

Monsieur Steuckers, vous avez passé de nombreuses années à circuler dans l’espace défini comme “identitaire” voire “nationaliste” ou “néo-nationaliste”, de tendance “nouvelle droite”. Nous avons un ami commun, le Britannique Troy Southgate. Qu’est-ce qui vous a incité à choisir cet espace culturel et politique?

ATHENA.jpgAu départ, rien, mais absolument rien, ne me prédestinait à aller circuler dans ce milieu, qui a précédé puis fondé l’espace politico-culturel de la “nouvelle droite”. Aucune tradition familiale ne m’a incité à aller chercher du sens dans un tel espace: en effet, les agitations politiciennes relevaient, pour mon père, issu du paysannat limbourgeois-hesbignon, de la “folie des villes”. Sa devise était: “pour vivre heureux, vivons caché” et il la citait volontiers en français, qui n’était pas sa langue maternelle. Quant à ma mère, elle était issue d’une famille qui entendait vivre en parfaite autarcie par rapport à une société que mon grand-père, ancien combattant de 14-18, méprisait, quelles qu’en aient été les facettes. Quand on évoquait des grands problèmes sociaux, irrésolus, ma mère disait, en flamand: “’t is ver van mijn bed!” (“C’est loin de mon lit!”), sous-entendu, “je n’ai pas à m’en occuper”. Mon père a travaillé de 1938 à 1944, et de 1952 à 1978 pour le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, l’oncle de Rodolphe de Hemricourt de Grünne, le héros de l’aviation franquiste pendant la guerre d’Espagne, où ce jeune et fringant aristocrate, issu du Collège Saint-Louis de Bruxelles, s’était porté volontaire pour s’affranchir d’une vie de dandy qui ne le satisfaisait plus. Les frères de Guillaume de Grünne, Eugène et Xavier, étaient eux aussi des héros militaires. Eugène, chantre du sacrifice du soldat chrétien (catholique), a d’ailleurs été tué à la guerre, aux côtés du beau-frère de mon père, à Maldegem, en mai 1940, fidèle aux préceptes qu’il énonçait, volontaire de guerre en première ligne à 57 ans! Xavier, alpiniste chevronné, puis sénateur rexiste, puis adversaire de Degrelle, puis fondateur d’une “Phalange belge” hostile tant aux Anglais qu’aux Allemands, mourra en déportation à Mauthausen, fidèle à la neutralité belge jusqu’à son dernier souffle, en dépit de tous les rapports de force! Un idéalisme d’une pureté inouïe qui s’est fracassé contre le “granit du pragmatisme”, comme aurait dit le regretté Dominique Venner!

 

Mais l’option catholique intransigeante, qui n’avait plus aucune représentation politique en Belgique dans les années 50, 60 et 70, était totalement refoulée, à l’époque bénie de mon enfance, sous l’impact du consumérisme, de la modernité, des modes un peu canailles (existentialisme sartrien, hédonisme à la Françoise Sagan, Beatles anglais, hippies, etc.). On ne parlait plus de politique. On cherchait d’autres choses, sans les trouver vraiment ou alors très furtivement, car ces “choses” étaient démodées déjà avant qu’on ne les ait comprises, tant dans leur aspect subversif que dans leur aspect superficiel de pure fabrication médiatique. Bref les adages que répétaient mes parents, à satiété, semblaient parfaitement de mise: mieux vaut ne pas s’occuper des folies modernes, mieux vaut s’occuper de ses propres affaires, gérer sa vie selon les principes immémoriaux (ma mère: “Ne t’occupe pas du chapeau de la gamine, pousse ta voiture!”), bref selon une forme modeste de “mos majorum”. Je ne me suis pas révolté contre cette limitation volontaire: je l’ai acceptée. Je n’avais pas le loisir de me payer le luxe d’une révolte fracassante comme les gamins des bourgeois nantis. Les modes et les chansonnettes m’horripilaient et j’aime toujours à regarder cette planche désopilante de Franquin, le créateur de “Gaston Lagaffe”, où le chef de bureau Prunelle, excédé par la niaiserie des paroles chantées, canarde à la carabine de chasse, suite à une maladresse technique de l’inénarrable gaffeur, les disques virevoltants qui reproduisaient bruyamment les chansonnettes ineptes et qui appartenaient à la vieille Tante Hortense de Lagaffe: c’est ce sentiment de Prunelle excédé que je partageais quand les filles passaient de tels disques lors de mes vacances franc-comtoises. Mais j’ai estimé, dès l’âge de quatorze ans, qu’on ne pouvait pas toujours vivre caché et qu’il y avait bien des choses passionnantes loin de mon lit...

 

En fait, vous me demandez un travail d’anamnèse un peu harassant: quels ont été chez moi les déclics qui, cumulés, ont provoqué le rejet du pandémonium dominant? D’abord, oui, cet univers cucu-la-praline des chansonettes des années 60, aussi navrantes que celles des années 30 (dont se rappelait ma mère, qui les écoutait en français à Bruxelles, sa ville natale); ensuite, le basculement du catholicisme sociologique vers des choses qui me paraissaient tout-à-fait inintéressantes; ce nouveau catholicisme abandonnait ce que la religion dominante avait auparavant d’exaltant: art, cathédrales somptueuses (qui, avec leurs rosaces, me fascinent toujours, me rappellent un culte michaélien et zoroastrien du soleil et de la lumière), esprit de croisade, etc. Nous vivions dans un porte-à-faux permanent en ce milieu belge du catholicisme sociologique dans les années 60, en pleine mutation, en plein passage d’un virilisme latin à la liquéfaction para-hippy. Certains instituteurs exaltaient le passé médiéval et bourguignon de la Belgique. D’autres n’avaient aucune vision historique. Un jour, quand une formidable bataille s’était déclenchée à la cour de récréation de mon école primaire, et que les élèves encourageaient les combattants comme autour d’un ring de boxe, le vicaire-aumônier B., pourtant haut en couleurs, est arrivé, en criant et en levant les bras au ciel: “Mais enfin, les enfants, est-il chrétien de se battre comme ça?”. J’ai répondu: “Et les croisés, monsieur l’Abbé?”. Le vicaire B. est resté sans voix et a tourné les talons. Deux ans plus tard, quand, pour rire et pour faire les malins devant les filles, nous nous bagarrions comme de vrais sauvageons dans l’autobus qui nous ramenait du prieuré où nous avions fait retraite quelques jours avant notre communion solenelle, le successeur du vicaire B., le frêle et triste abbé G., tentait de nous ramener à la raison, en posant la même question. J’ai eu exactement la même réponse. J’ai fait ma communion solenelle avec le front maquillé, enduit de fond de teint, car il était d’un bleu violacé, tout en laideur: un condisciple, Yves M., m’avait atteint le front d’un maître coup de catapulte tiré quasi à bout portant, alors que je donnais l’assaut à sa position, perché qu’il était au sommet d’une cage à poules. Ces joyeusetés étaient devenues tout-à-coup tabou. Interdites. On nous pressait de rentrer dans un moule étriqué, dans un monde aseptisé, sans joie, sans couleurs, tout de retenue, avec pour consolation, on allait le voir, des musiques et des glapissements fabriqués aux Etats-Unis et, avec mai 68, un an plus tard, une “libération sexuelle” sérialisée, sans danger ni piment dans la mesure où veillaient la pilule et la capote anglaise

 

Même glissement dans le mouvement scout. J’étais louveteau, selon les rituels de Baden-Powell, à huit ans sous l’autorité d’un Akéla extraordinaire, le fils de la famille Biswall des chocolats Côte-d’Or. On s’amusait comme des petits fous. On arpentaient les sentiers de la Forêt de Soignes. On se distribuait, dans la joie et sans rancune, moults horions et maîtres coups de bâton. Akéla-Biswall est parti à l’université, pour y étudier le droit, et a été remplacé par le fils compassé d’un gargotier du quartier, prolo mental, style démo-crétin, totalement coincé, qui a interdit tous les jeux collectifs un peu vigoureux, a supprimé les sorties dans la Forêt de Soignes. Un emmerdeur, pire, un emmerdeur compassé, car les tenants de l’idéologie dominante sont finalement tous des emmerdeurs. Il nous fallait, tout un après-midi, alors que le soleil était là, qu’une belle hêtraie verdoyante était à 300 m, mimer, à l’intérieur du local sans lumière, le vol de la petite abeille Maya. Je me suis enfui. Plus tard, grâce à une émission de la VRT ou de la RTBF, j’ai appris que l’animal qui avait voulu rendre le mouvement scout “politiquement correct” —ante litteram— n’était autre que le futur premier ministre Jean-Luc Dehaene, le patapouf qui a ruiné la Belgique, contracté des dettes pharamineuses, mis par terre la banque Dexia, endetté le pays et ses familles pour de nombreuses générations. Non seulement ces gens sont des emmerdeurs mais ils sont aussi des incapables.

 

Réflexion faite, je pense toutefois que c’est l’immersion dans l’univers héroïque du “De Viris Illustribus” simplifié que nous utilisions en deuxième année de latin en 1968-69 qui m’a conduit sur la voie d’une adhésion aux tréfonds de la culture européenne. J’ai racheté, il y a deux ou trois ans, un exemplaire quasi neuf de cette vieille méthode d’enseignement du latin, jetée bien sûr aux orties par les nouveaux pédagogues qui croient avoir trouvé la clef qui ouvrira aux élèves tous les secrets de l’univers. J’ai été stupéfait de constater combien de phrases, de règles, de schémas, d’exercices me revenaient à l’esprit en feuilletant cette méthode du Prof. Van Rijckevorsel. Il y avait là les Horaces et les Curiaces, l’enlèvement des Sabines, les oies du Capitole, Mucius Scaevola (mon préféré!) et surtout Cincinnatus, qui sauvait les “res publicae” et retournait tranquillement à sa charrue. La maturation politique, qui germait dans l’intériorité du pré-adolescent que j’étais, venait incontestablement de ces modèles: on ne pouvait être homme, “vir”, on ne pouvait faire de la politique, oeuvrer dans la Cité, que si l’on prenait ces héros de la Rome antique comme exemples! Après venaient les quelques copains —une toute petite minorité— qui, eux aussi, rejetaient et les niaiseries à la mode des années 60 —les stupides chansonnettes françaises prisées par la “Tante Hortense”— et l’esprit de la revue branchée “Salut les copains” que nous abominions au profit, bien sûr, tradition locale oblige, du journal “Tintin”, parce qu’il y avait notamment, dans ses pages, l’univers antique d’Alix, avec la Reine Adréa de Sparte et le sage commandant de sa “Garde Noire”, Astyanax... Les “modes” ne nous intéressaient pas, nous les détestions et dans le mot “mode”, il y a la racine du terme “moderne”. Est “moderne” au départ, celui qui ne prête plus attention aux fondements (politiques, religieux, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques), ceux des “Anciens”, et s’entiche des dernières créations en vogue, toujours artificielles, toujours éphémères et vite remplacées par de nouveaux engouements: pérenniser cette succession ininterrompue d’historiettes et de radotages bricolés, dépourvus de fondements, est l’objectif de la modernité, est le noyau même de la démarche moderne qui fait de la disparition des fondements, des assises de toute civilisation, un “progrès”, accompagné du relativisme et des “petits récits” sans continuité de la postmodernité (qui n’a pas su prendre révolutionnairement le relais de la modernité libérale).

 

A notre pré-adolescence, donc, il fallait, nous semblait-il, penser en termes de fondements donc cultiver la “longue mémoire”, procéder par la méthode “généalogique” ou “archéologique”, qu’une lecture assez rapide de Nietzsche, vers quinze ans, aller conforter: certes, cette lecture peut s’avérer dangereuse et destructrice pour un jeune esprit, faire de lui un être hostile à la religion en général —à toute religion— ou un être dépourvu de tout sens moral ou éthique, s’estimant autorisé à commettre sans scrupules les actes les plus répréhensibles. On a pu relever, quelques fois, des dérapages dus à une lecture mal digérée de textes ou de citations de Nietzsche, non pas tant dans un quelconque espace politisé mais dans des bandes “à la mode” (encore!) qui se donnaient un style agressif, avec des oripeaux ou des coiffures de grande laideur, destinés à faire peur ou à se démarquer de toute bienséance, se marginalisant du même coup, rendant impossible la transposition de leurs quelques vagues idées “nietzschéennes” dans la réalité concrète des citoyens actifs de la Cité, ceux qui, avec abnégation et persévérence, affrontent en permanence les défis qui se présentent, dans toute leur concrétude. Les “sub-cultures”, qu’elles soient de gauche ou de droite, qu’elles se donnent des allures soft, comme les hippies, ou hard, comme les “blousons noirs” ou les “skinheads”, participent du système qui génère les modes parce que les modes font oublier les fondements de notre culture européenne (et japonaise au Japon, chinoise en Chine, etc.) et aussi et surtout parce qu’elles permettent, adroitement, de marginaliser les contestations puis de les récupérer ou de les diaboliser, justement parce qu’elles ont été “montées en spectacle”, visibilisées sous les feux de rampe médiatiques, par ce système aliénant moderne que Guy Debord, le situationniste, nommait la “société du spectacle”.

 

 

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Cela nous ramène à l’actualité, quand l’historienne américaine des idées Susan Jacoby publie en 2008 son ouvrage de référence indispensable à assimiler pour bien gérer le combat métapolitique de la mouvance identitaire européenne actuelle, “The Age of American Unreason – Dumbing Down and the Future of Democracy” (Old Street Publishing, London, 2ème éd.). Dans ce livre, Susan Jacoby dénonce la culture populaire actuellement dominante, issue des fabriques à ahurir basées aux Etats-Unis. C’est une culture de la déraison totale, de la non-raison, que proposent paradoxalement une société et une superpuissance qui prétendent que leurs racines résident dans les “Lumières” du 18ème siècle, dans le savoir rationnel et pragmatique que ces “Lumières” ont induit pour contrecarrer les effets permanents et anciens d’une “tradition” (tout à la fois aristotélicienne et religieuse), tradition qu’elles posaient derechef comme irrationnelle et obscurantiste. Or, en bout de course, la superpuissance-guide de l’Occident “éclairé” générait chez elle et exportait partout dans le monde un “junk thought”, une “pensée-détritus” qui ne tenait plus compte de la pondération, de la rationalité, du bon sens, pour produire, via les médias, via le fondamentalisme religieux le plus stupide et via l’enseignement américain à la dérive, via, aussi, la crédulité entretenue du grand public, une sous-culture de l’“infotainment” (des loisirs via l’information médiatisée), qui ne mobilisait plus du tout l’esprit critique, nécessaire en permanence pour ne pas s’enliser dans les répétitions, pour être apte à répondre à tous les défis qui pourraient se présenter. Ce “junk thought” a-critique n’est pas vraiment assimilable aux irrationalismes d’antan ou aux formes philosophiques d’anti-intellectualisme ou d’anti-rationalisme: la “non-raison” qu’il répand à grande échelle engendre un déclin bien perceptible, d’abord dans l’enseignement et la transmission (devenue, sous toutes ses formes, “politiquement incorrecte” et sabotée par les pédagogues officiels, fonctionnaires des ministères); ensuite, cette “non-raison” s’infiltre dans le vaste public, toujours plus ignorant des tenants et aboutissants réels du monde passé et présent, un public devenu “reality-denier”, “négateur du réel”, et répétant des banalités sans fondements dans un langage codé par les médias. Susan Jacoby constate l’impasse dans laquelle les “Lumières” se sont fourvoyées en pariant, non pas, à terme, sur le despotisme éclairé des monarques politiques, mais sur le “moderne” (donc sur les “modes” inventées puis oubliées et remplacées). Il fallait qu’au nom d’une “liberté” faussement comprise, il débouche immanquablement sur le “junk thought”.

En 1975, je découvre le livre de Pierre Chassard, “La philosophie de l’histoire  dans la philosophie de Nietzsche”, publié par le GRECE à Paris. J’ai passé l’été 1975 à lire non seulement ce livre mais à me référer à toutes les oeuvres de Nietzsche lui-même, citées dans les pages de Chassard. C’est ainsi que j’ai reçu ma formation nietzschéenne. Au même moment, Bernard Garcet, qui avait été cadre de “Jeune Europe” à l’Université de Louvain au début des années 60 avait réanimé, chez lui, une “école des cadres”, cette fois non politisée, et très “sciences po” dans ses exigences: il m’a forcé à lire Burke, Mannheim, Rougier et à structurer mes notes de lecture, à les couler dans un exposé cohérent. Etonnant personnage que ce Garcet, professeur de religion catholique, agréé par le vicariat diocésain, tout en se réclamant d’un catholicisme irlando-écossais du haut moyen âge en rupture de ban avec les dogmes habituels de l’Eglise et avec Vatican II sans adhérer au lefébvrisme, percevant le christianisme de Scot Erigène comme la continuation du druidisme païen... Un Garcet qui parlait d’Orwell dans son cours... Un Garcet qui sera aussi un redoutable professeur de “Thaï Boxing”, célèbre à Schaerbeek et environs. Un Garcet quinquagénaire qu’on avait muté dans une école de sages jeunes filles pour terminer sa carrière car il avait secoué un élève violent... le directeur avait ri sous cape...

Sur cette note un peu nostalgique, je termine tout de même ma réponse à votre question: c’est l’école primaire, puis l’école secondaire et l’université qui m’ont formé. C’est toujours dans leur cadre que j’ai appris les fondamentaux qui font aujourd’hui ma vision du monde. Si j’ai eu entre les mains le livre de Chassard et si j’ai fréquenté l’“école des cadres” de Garcet, c’est parce que des professeurs m’avaient mis sur la voie: comment ne pas évoquer avec tendresse le patriotisme bourguignon de l’instituteur M., très sévère et fils  d’un résistant royaliste ardennais, et les cours de littérature allemande d’Albert D. (dont je narrerai un jour l’époustouflante biographie... qui fera  jaser les “Vigilants”...).

 

2.

Vous défendez l’idée eurasienne. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’elle est, ce qui en tient lieu de fondement, pour vous? Quelles sont de votre point de vue les racines de l’eurasismecontemporain?

J’ai toujours souligné, surtout dans l’introduction que j’ai rédigée pour le livre du géopolitologue croate Jure Vujic, que ma perspective “eurasienne” (et donc “eurasiste”), provient d’une lecture ancienne, celles des atlas historiques du Britannique Colin McEvedy. Cet historien, géographe et cartographe avait écrit de nombreux atlas historiques pour les écoles du Royaume-Uni. Dans son introduction au premier de ces précieux volumes, McEvedy ne réduit pas l’histoire proto-historique et antique d’un point de vue exclusivement européen actuel, donc euro-centrique au mauvais sens du terme, dans la mesure où il serait limité aux seuls pays européens actuels: pour lui, l’espace de déploiement des peuples européens (indo-européens) englobe certes l’ensemble du sous-continent européen mais aussi l’espace nord-africain, parce Rome s’y est imposé suite aux guerres puniques, le Levant jusqu’à la Mésopotamie, parce que les Empereurs romains y ont mené leurs légions. McEvedy va même plus loin: l’espace des peuples européens s’étend jusqu’aux montagnes du Pamir, là où ont buté les peuples cavaliers de souche européenne au seizième siècle avant l’ère chrétienne. Il inclut également l’Ouest de l’Iran actuel, là où les cavaliers indo-européens venus soit des hauts plateaux de l’Iran soit de l’aire mésopotamienne ont rencontré les peuples élamo-dravidiens. Je rappelle notamment que Dominique Venner, dans “Histoire et tradition des Européens – 30.000 ans d’identité” estimait que l’identité de nos peuples trouve ses racines dans ce lointain passé, dans ces quelques vingt-huit millénaires de proto-histoire et de haute antiquité. McEvedy dans la première édition de son Atlas historique du monde antique posait l’hypothèse d’une origine des peuples européens dans l’espace dit de la “culture swiderienne”, une culture préhistorique, datant de 12 ou 13 millénaires avant l’ère chrétienne. Cet espace se situait en lisière de la banquise glaciaire de l’époque, sur une bande territoriale d’une profondeur maximale de 250 km, située approximativement entre le Sud de la Finlande et la Thuringe. A partir de ce territoire matriciel, les pré-Européens auraient essaimé vers l’Est et l’Ouest, de l’Irlande au Pamir et de l’Espagne à l’Indus.

 

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L’épopée des peuples cavaliers, de souche européenne, fait partie intégrante de notre héritage le plus ancien. Le chercheur ukrainien Iaroslav Lebedynsky publie la plupart de ses ouvrages en français à Paris, où il enseigne à l’“Institut national des langues et civilisations orientales”: on lui doit de remarquables monographies sur les Scythes, les Sarmates, les Saces, les Cimmériens, les Iazyges et les Roxolans, les Alains, etc. qui nous procurent un regard absolument inédit sur l’aventure extraordinaire de ces peuples de souche européenne sur un espace que l’on qualifie un peu vite d’ “asiatique” dans les atlas d’écoles primaires. Il n’y a pas de frontières naturelles entre l’Europe orientale et l’Asie sibérienne, expliquait le Général Heinrich Jordis von Lohausen dans son fameux traité de géopolitique de l’année 1979, que j’allais résumer dans le tout premier numéro des revues parues sous ma houlette. Les Monts Ourals ont une hauteur maximale de 1600 m, pas davantage que le Chasseral dans le Jura suisse. De la plaine hongroise, la Puszta, à la Mandchourie, il n’y a pas d’obstacles majeurs, si l’on évite les massifs montagneux du Pamir et de l’Altaï, du Danube pannonien au Don, de celui-ci à la Caspienne et de celle-ci à la Mer d’Aral et au Lac Balkach. C’est la future route de la soie menant d’Europe en Chine. Jusqu’à l’irruption des Huns, sur le Don face aux Goths, puis dans la plaine hongroise puis jusqu’aux Champs Catalauniques de Champagne, cet immense espace a été déterminé par des cultures de souche européenne, comme le prouvent aussi les momies du Tarim, découvertes par des archéologues il y a une trentaine d’années.

 

L’histoire européenne depuis les Champs Catalauniques est l’histoire d’un long et gigantesque combat pour reprendre l’initiative. Le Prof. Lebedynsky, suite sans doute aux ouvrages du professeur français René Gousset, le rappelle dans son dernier volume sur les peuples cavaliers de souche européenne, consacré aux Cosaques. Ce sont eux qui ont repris le contrôle de la Sibérie et empêché la réémergence de coalitions irrésistibles de cavaliers turco-mongols dans cet espace nomade. En Méditerranée, la flotte de Don Juan à Lépante en 1571, les armées de hussards ailés du Roi Jean III Sobieski en 1683 et les techniques militaires du Prince Eugène de Savoie-Carignan jusqu’en 1718 ont contenu définitivement les Ottomans, comme nous l’a très bien expliqué, dans plusieurs livres clairs, l’historien français, ancien officier de la Légion étrangère, Dominique Farale. A partir de ce moment-là seulement, quand les Ottomans étaient contenus en Méditerranée et dans les Balkans, et que les Cosaques surveillaient le territoire initial des Mongols en lisière de la Mandchourie, l’Europe a pu maîtriser le monde. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: vit-on à nouveau un ressac de la puissance européenne? Plusieurs historiens en vue dans le monde anglo-saxon, dont notamment John Darwin, auteur de “After Tamerlan” (2007), estiment d’ailleurs que la suprématie européenne de ces deux ou trois cents dernières années pourrait bien être une anomalie passagère de l’histoire, l’Inde et la Chine ayant constitué plus de 35% du commerce mondial dans la seconde moitié du 18ème siècle. Un autre historien britannique, Ian Morris, pense lui, au contraire, que la suprématie européenne, qui a certes connu des hauts et des bas, est un fait historique inscrit dans une assez longue durée et qu’elle explique la survie de la culture européenne, capable de réagir vite, même au bord du gouffre (cf. Ian Morris, “Why the West Rules – For Now – The Patterns of History and What They Reveal about the Future”, Profile Books, London, 2010-2011). Le débat est ouvert...

 

Dès les victoires autrichiennes du Prince Eugène et de ses successeurs contre les Ottomans dans les Balkans, l’Europe pense, avec la Russie désormais maîtresse de la Sibérie jusqu’aux côtes pacifiques, à avoir une frontière commune, favorisant les échanges directs, avec l’autre môle d’impérialité sur la masse continentale eurasienne, la Chine. Le philosophe, diplomate et mathématicien allemand Leibniz raisonnera en de tels termes et couchera sur le papier des réflexions géopolitiques qui conservent, en leur noyau, fraîcheur et actualité. Un peu plus tard, au 18ème siècle, nous avons une alliance tacite, eurasienne avant la lettre et assez conforme aux vues de Leibniz, entre la France de Louis XVI (réconcilié avec l’Autriche par son mariage avec Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine), l’Autriche de Marie-Thérèse puis de Joseph II et la Russie de Catherine II la Grande. Cette alliance tacite, étayée par les meilleurs diplomates (Vergennes par exemple), offrait un espace stratégique de la Bretagne atlantique, voire de l’Espagne des Bourbons éclairés notamment sous le règne de Carlos III, jusqu’aux confins pacifiques de la Sibérie orientale. Cette alliance eurasienne a permis, entre l’avènement de Louis XVI en 1774 et la révolution française, d’esquisser une unité géostratégique entre les trois principales puissances continentales européennes (où la France avait acquis une supériorité navale dans l’Atlantique Nord suite à la guerre d’indépendance des Etats-Unis).

 

En 1815, la Sainte-Alliance a voulu répéter cette unité, en y ajoutant l’Angleterre et la Prusse protestantes. La Prusse jouera le jeu jusqu’à l’éviction de Bismarck, qui rendra caduque l’alliance Berlin-Pétersbourg. L’Angleterre —en détachant progressivement la France de cette Sainte-Alliance, une France qui ne s’était pas vraiment guérie de son fondamentalisme jacobin et de ses folies révolutionnaires— fera émerger l’exception occidentale dès la guerre de Crimée, comme le constatera avec pertinence Dostoïevski dans son “Journal d’un écrivain”. L’espace stratégique eurasien s’étendra désormais du Rhin au Pacifique et non plus de l’Atlantique au Pacifique. L’Union des Trois Empereurs (Russie, Allemagne, Autriche) prendra le relais de la Sainte-Alliance, dont la puissance potentielle, et la présence sur le continent américain, en Alaska (jusqu’en 1867) et dans les Caraïbes (à Cuba jusqu’en 1898), avait contraint le Président américain Monroe à proclamer sa célèbre doctrine de “l’Amérique aux Américains”, visant d’abord à chasser l’Espagne du Nouveau Monde, pour être sûr que, dans son sillage, et au nom d’une unité “eurasienne”, les autres puissances européennes, unies dans leurs visées stratégiques, n’interviennent en Amérique, au départ d’une quelconque possession espagnole ou au départ de l’Alaska, russe à l’époque. Cette logique géopolitique nord-américaine a été tout de suite dénoncée par le ministre autrichien Hülsemann, qui a vu, avant tout le monde, émerger, sur l’autre rive de l’Atlantique, une puissance négatrice de l’excellence européenne, une “puissance-antipode”. D’autres verront également clair: le diplomate allemand Constantin Frantz constate, après la guerre de Crimée, que la Sainte-Alliance a péri et que l’Occident anglo-français est tout prêt à importer en Europe des querelles nées bien loin en dehors du sous-continent, matrice géographique des peuples européens. Ces querelles risquent de susciter des guerres en Europe pour des raisons étrangères à l’indispensable équilibre de l’Europe. Sans cet équilibre, l’Europe risque l’implosion. Et, privée de cet équilibre, elle a effectivement implosé dès 1914.

 

La Doctrine de Monroe, par la pression constante qu’elle a exercée, a conduit à l’effondrement définitif de l’Espagne impériale en 1898 et à la crise morale qui s’en est suivie. L’Espagne est, en ce sens, la première victime européenne de la Doctrine de Monroe. Tarabustée par une “légende noire” fort tenace, inventée par les fondamentalistes protestants hollandais et par l’Angleterre élizabéthaine, puis reprise par les Français de Richelieu, l’Espagne a été paralysée, depuis la fin du 16ème jusqu’à nos jours, par une légende négative, colportée ad infinitum: c’est là une technique de déstabilisation de l’adversaire, qu’ont utilisé les propagandistes protestants hier, les tenants de la “correction politique” et des vérités médiatiques aujourd’hui; cette technique propagandiste sera reprise et affinée pour éliminer et affaiblir en permanence l’Allemagne, suite aux deux guerres mondiales du 20ème siècle, tant et si bien que l’hebdomadaire britannique “The Economist” pouvait sortir un dossier récent (début juin 2013), consacré à l’Allemagne d’Angela Merkel; ce dossier, assez copieux, campait la superpuissance économique germanique en plein milieu de notre Europe comme un nain politique, à cause de son incapacité à surmonter sa propre “leyenda negra”. La Russie, à son tour, même après le communisme, est victime d’une autre “légende noire”, colportée et amplifiée depuis les diatribes du Marquis de Custines et la propagande anglaise lors de la Guerre de Crimée. Il conviendrait donc de réfléchir à annuler les effets de toutes les “leyendas negras”, par des efforts coordonnées, à l’échelle globale, dans tous les Etats européens, en Iran, au sein de toutes les puissances du BRICS.

 

L’eurasisme, à mon sens, doit être la reprise actualisée de l’alliance austro-franco-russe du 18ème, de la Sainte-Alliance (surtout telle qu’elle fut envisagée par Hülsemann) et de l’Union des Trois Empereurs, voire une résurrection des projets d’alliance franco-germano-austro-russe de Gabriel Hanotaux (1853-1944), avant 1914. On ne parle pas assez de ce Gabriel Hanotaux, qui deviendra ministre des affaires étrangères en France en 1894. Nationaliste de coeur, il a soutenu le programme de colonisation française en Afrique, en Algérie et à Madagascar, tout en s’opposant à la pénétration britannique au Soudan, où il a été un partisan de la fermeté au moment de la fameuse affaire de Fachoda en 1898, quand des forces françaises et britanniques s’étaient affrontées pour le contrôle du Nil soudanais. Selon certaines sources, qu’aimait citer l’eurasiste européiste Jean Parvulesco, malheureusement décédé en 2010, Hanotaux ne souhaitait pas l’alliance britannique, préférait à coup sûr l’alliance russe et aurait envisagé une réconciliation franco-allemande.

 

3.

Nous aimerions que vous nous révéliez vos idées sur l’éventuelle résolution des facteurs raciaux au sein de l’Eurasie, car celles-ci contient effectivement des peuples ethniquement et racialement très différents...

 

Mon concept d’Eurasie est synonyme d’une confédération solidaire de peuples de souche européenne qui devront, éventuellement, occuper des territoires où vivent d’autres peuples, pour des raisons essentiellement stratégiques. J’ai oublié de dire, en répondant à votre deuxième question, que l’idée eurasienne provient également du géopolitologue allemand Karl Haushofer, pour qui les puissances d’Europe et le Japon devaient unir leurs forces pour organiser en parallèle, selon des “corridors Nord-Sud” —des corridors eurafricain, russo-irano-indien, nippo-micronésien, sino-indochinois, tous bien délimités— la masse continentale entre Atlantique et Pacifique: il appelait cela la troïka germano-russo-japonaise, puis, après la consolidation en 1938 de l’Axe Rome-Berlin, le quadrige germano-italo-russo-japonais. Mis à part le Japon —qui devait se développer de préférence en direction du Sud et dans l’espace pacifique (après avoir hérité à Versailles de la Micronésie jadis espagnole puis devenue allemande), sans meurtrir la Chine— les autres puissances de la troïka ou du quadrige étaient européennes dans leur esprit, dérivé de Rome ou de la Troisième Rome byzantine (que représente la Russie). La vision ethno-différentialiste postule que les peuples non européens ne soient pas obligés de singer les Européens, de modifier leurs substrats naturels, que ce soit par fusion, par mixage ou par aliénation culturelle. Il me semble que l’URSS de Brejnev, dans sa constitution modifiée de 1977, ait quelque peu répondu à votre question, sans que nous ne soyons obligés, à l’heure actuelle, de reprendre en compte les archaïsmes et les schématismes communistes que cette constitution soviétique véhiculait.

 

La pensée des “autres Lumières” (celles que ne sont plus jugées “politiquement correctes” par la pensée dominante actuelle), notamment les “Lumières” qui ont promu la vision ethno-différentialiste de Herder, a donné le mouvement slavophile des “narodniki” en Russie, que le communiste n’a jamais pu éradiquer, tant et si bien, que, dès les années soixante, la culture soviétique, contrairement à l’Occident, retourne timidement, et parfois plus audacieusement, vers le passé slavophile. On a pu parler, fin des années 70, avec le dissident occidentaliste Yanov, réfugié en Californie, d’une “nouvelle droite” soviétique, bien ancrée dans les cercles académiques de l’URSS, déjà en phase d’implosion. Cet esprit herdérien a permis, même sous Staline (mutatis mutandis) de créer des républiques ethniques, parfois, hélas, avec des tracés aberrants. Généralement, les républiques ethniques finno-ougriennes et indo-européennes (comme les Ossètes), sont restées fidèles à l’URSS, puis à la Fédération de Russie. Certaines républiques turcophones ou tatars (ouralo-altaïques) aussi. On sait que la Doctrine Brzezinski visait à soulever tout le ventre mou de l’URSS, dès 1978, quand l’Afghanistan officiel avait opté pour une alliance afghano-soviétique. Pour soulever ce “ventre mou”, il fallait utiliser un levier: le seul levier possible était l’islam fondamentaliste, lequel pouvait évidemment bénéficier de la manne financière saoudienne.

 

Brzezinski-strategic-vision1.jpgToutefois, cette stratégie a échoué, comme l’avoue Brzezinski lui-même dans son dernier ouvrage de mars 2012, intitulé “Strategic Vision”. Pour le théoricien de la conquête de la “Route de la Soie” (“Silk Road”) et de l’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN, pour l’homme qui a suggéré l’armement des talibans contre les Soviétiques en Afghanistan, toutes ces strtatégies, qu’il a préconisées, ont échoué. Selon le regard nouveau qu’il propose de jeter sur l’échiquier international, il ne faut donc plus fragmenter la Russie à l’infini mais s’allier à elle, dans une sorte de grande alliance de l’hémisphère Nord, avec l’Amérique du Nord, l’Europe (Turquie comprise) et la Russie! Au soir de sa vie, à 84 ans, cet homme avoue sans état d’âme, sans s’effondrer mentalement, que ses projets n’ont pas abouti! Et propose exactement ce que propose un théoricien néo-droitiste français, tout à fait inclassable, comme Guillaume Faye! Ou que proposent aussi beaucoup de théoriciens nationalistes américains, partisans d’une “unité du monde blanc”! Brzezinski est devenu “Amereurasiste”! Apparemment, il n’est guère écouté Outre-Atantique, où l’“Administration Obama” poursuit les guerres de Bush et le contrôle des esprits dissidents ou contestataires aux Etats-Unis mêmes, avec une acribie encore plus frénétique.

 

Personnellement, pour moi, il faudrait que l’Amérique du Nord revienne à une pensée aristotélicienne, renaissanciste (au sens où l’ntendait Julien Freund), débarrassée de tous les résidus de ce puritanisme échevelé, de cette pseudo-théologie fanatique où aucun esprit d’équilibre, de pondération et d’harmonie ne souffle, pour envisager une alliance avec les puissances du Vieux Monde. Le biblisme nord-américain s’exporte en Amérique ibérique, disloquant souvent les sociétés ibéro-améridiennes de ce continent. Cette propension à s’exporter vient de la nature messianique de cette pseudo-théologie, parfois laïcisée et transformée en une vulgate médiatique particulièrement nocive. Le Vieux Monde comprend trois ou quatre pôles civilisationnels: l’Europe (Russie comprise), car je ne retiens pas, pour l’Europe, le clivage entre, d’une part, un Occident catholico-protestant (où règnerait d’office la “bonne gouvernance”) et, d’autre part, une zone russo-byzantino-orthodoxe (où se maintiendraient des résidus d’autoritarisme) comme le faisait Samuel Huntington dans son “Choc des civilisations”; l’Inde et la Chine (ou le complexe sino-nippon bouddhisto-confucéano-taoisto-shintoïste). Ian Morris en voit deux, nés dès la fameuse période axiale de l’histoire, selon Karl Jaspers et Karen Armstrong: l’espace européen, ultérieurement marqué par Rome qui l’a unifié “impérialement”, et la Chine, unifiée et transformée en empire dès les Qing. Pour moi, aujourd’hui, il y en a quatre voire cinq: l’Europe, héritière de Rome et de la germanisation, par Prétoriens et Foederati interposés, dès le Bas Empire et pendant le haut moyen-âge (en Espagne, on peut parler de la “wisigothisation”); l’Iran post-avestique, pré-islamique, zoroastrien et islamisé selon un mode très différent de l’espace arabophone ou turcophone, avec une composante mystique et nationale; l’Inde, qui a retrouvé son identité grâce au mouvement métapolitique du RSS, né sous le “Raj” britannique en tant que mouvement contestataire de la colonisation et de l’exploitation sauvage du sous-continent indien; la Chine, monde en soi, rejetant tout messianisme, tout esprit de conversion et toute forme d’immixtion dans les affaires intérieures d’entités politiques tierces; le Japon, cinquième pôle, animé par la spiritualité shintoïste, également non messianique car intransmissible aux non Japonais. Ces entités ne constituent pas une menace pour l’Europe car elles ne sont pas animées par le messianisme américano-bibliste ou par l’effervescence wahhabite-salafiste, qu’elles considèrent comme de dangereuses aberrations, bouleversant équilibres et harmonies.

 

Il y a d’ailleurs alliance implicite du messianisme nord-américain bibliste et du messianisme saoudien, wahhabitico-salafiste. Ces anomalies dangereuses doivent être contrées par l’idée équilibrante et harmonieuse de l’auto-centrage des aires civilisationnelles.

 

4.

Ne serait-il pas plus correct de procéder à une extension du fait politique européen sur l’échiquier eurasiatique, en englobant la “Russie blanche” dans un ensemble européen homogène, plutôt que de parler d’Eurasie?

 

De toutes les façons, dans un cas comme dans l’autre, la Russie actuelle, la Fédération de Russie, présidée par Poutine ou Medvedev, est pour l’essentiel, de souche européenne: les autres ethnies, minoritaires, sont neutralisées par l’idéologie herdérienne, post-narodnikiste. Y compris les Tatars du Tatarstan et les Bachkirs du Bachkirtostan, dont les imams se sont farouchement opposés aux menées wahhabites, virulentes du temps où Brzezinski espérait encore disloquer la Russie en utilisant le levier wahhabite et saoudien. La seule exception semble être le Nord-Caucase tchétchène et daghestanais, travaillé par la propagande wahhabite. Nous avons là le seul front “chaud”, résidu de l’ancienne stratégie Brzezinski. Par ailleurs, le Président kazak Nazarbaïev n’a pas succombé aux tentations, auxquelles les Américains auraient bien voulu qu’il succombe: ni au fondamentalisme wahhabite ni aux sirènes du panturquisme/pantouranisme du temps du premier ministre turc Türgüt Özal. La géopolitique kazak actuelle est la négation même du “brzezinskisme”, la preuve vivante de sa faillite, la preuve que le tronçon central de la “Route de la Soie” n’est pas assimilable à la géostratégie offensive et disloquante de Washington sur l’échiquier eurasiatique. Et la preuve aussi qu’une géopolitique, portée par un peuple turcophone, asiatique et non européen, peut s’harmoniser parfaitement avec l’idée d’une troïka ou d’un quadrige haushoférien —et, partant, européen et euro-nippon— réactualisé.

 

5.

Quel est votre opinion sur l’Europe des ethnies?

 

Il y a deux visions de l’Europe des ethnies: celle qui veut la fragmentation du continent ad infinitum, de manière à le rendre aussi “invertébré” que l’Espagne après 1898, phénomène de dissolution dénoncé par Ortega y Gasset dans son fameux ouvrage “España invertebrada”, livre de chevet de Jean Thiriart, en même temps que “La révolte des masses”. Cette vision “invertébrée” ne retient pas l’idée impériale, pourtant respectueuse des diversités qui composent les grands ensembles transnationaux ou transethniques. La Suisse et l’Allemagne fédérale, tout comme l’Autriche, sont des entités fédérales, respectueuses des diversités régionales, sans que personne, au sein de ces Etats fédéraux, ne songe à ruiner l’unité. A côté des “ethnistes fragmenteurs”, il y a ce que je nommerais les “ethnistes impériaux”, qui couplent l’idée impériale-européenne au souci herdérien de l’enracinement des peuples dans leur propre culture. Quand on prend en compte les oeuvres politiques des mouvements ethnistes, on doit pouvoir distinguer entre, d’une part, les “fragmenteurs”, qui commettent un “politicide” dans la mesure où ils participent à la balkanisation de notre sous-continent au bénéfice des superpuissances hégémoniques et où ils prennent le relais des “petits-nationalismes” étriqués qui ont précipité l’Europe dans les guerres fratricides qui l’ont ruinée; et, d’autre part, les “impériaux” qui cherchent à unir les hommes réels, de chair et de sang, dans un vaste projet commun, où les réalités charnelles ne seront ni gommées ni oblitérées.

 

Certains mouvements ethnistes peuvent contribuer à ruiner des polities ou des républiques qui ont tendance, systématiquement, à se replier sur elles-mêmes et à se placer en position antagoniste, contre le reste du continent, contre leur propre aire civilisationnelle, au nom d’un égoïsme à courte vue ou d’un messianisme laïque complètement ridicule. C’est, au fond, l’opposition du 16ème siècle entre Charles-Quint, Impérial et soucieux du destin de l’Europe face au danger ottoman, et François I, qui s’allie à ces derniers pour satisfaire des appétits égoïstes, hostiles à l’harmonie de notre aire civilisationnelle. Dans cette même optique, toute velléité ethniste, dans un pays européen quelconque, qui vise à se détacher d’une forme ou l’autre d’Etat, dont l’existence est en contradiction avec le “testament de Charles-Quint” et qui aurait annexé des territoires ayant un jour fait partie, ou ayant un jour voulu faire partie, de la “Grande Alianza” (Bourgogne + Habsbourg + Castille-Aragon), est bien évidemment légitime: un peuple, ou un fragment de peuple, qui souhaite revenir dans le giron de la “Grande Alianza”, après en avoir été détaché par la force ou la contrainte, pose là une démarche “impériale” et non une démarche “fragmenteuse”. Je rappelle ici que Sud-Néerlandais, Autrichiens, Hongrois, Croates, Allemands, Espagnols, Italiens du Nord ne sont “vertébrés” politiquement, au sens où l’entendait José Ortega y Gasset, que s’ils gardent en tête le “testament de Charles-Quint”, base inamovible de toute véritable démarche européenne. S’ils n’ont pas ce “Testament” en tête, ils sont vecteurs de folie, de dissensus, de conflits civils, ils participent à la ruine de notre civilisation.

 

6.

Dans un entretien que vous avez naguère accordé aux animateurs du “Mouvement International Eurasiste” (“International Eurasian Movement”), vous évoquez la vision d’un monde multipolaire. Y a-t-il une possibilité réelle de faire émerger un tel monde, alors que la globalisation a déjà tout envahi? Cette multipolarité ne serait alors que le cache-sexe d’une globalisation parachevée, où le monde entier serait soumis aux intérêts de la haute finance...

 

Après l’effondrement de l’Union Soviétique suite à la perestroïka de Gorbatchev, que le dissident et philosophe Alexandre Zinoviev nommait la “catastroïka”, le monde semblait basculer vers l’unipolarité, centrée sur la seule “américanosphère”. Le penseur nippo-américain Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire et l’entrée du monde dans l’ère de la parousie néo-libérale. Pour lui, avec l’avènement d’Eltsine suite à un putsch paléo-communiste avorté qui entendait chasser Gorbatchev du pouvoir, l’ex-URSS allait se fondre à son tour dans la “Globalia” néo-libérale. Eltsine plonge alors la Russie dans le marasme, Poutine l’en sortira. Moralité: les prévisions de Fukuyama se sont avérées fausses. L’histoire est revenue, d’abord avec les néo-conservateurs américains, trotskistes recyclés qui ont remplacé la “révolution permanente” théorisée par leur maître initial par la “guerre permanente” que doivent mener les Etats-Unis, instance étatique élue par Dieu (?) pour faire triompher le Bien sur la Terre, contre le reste du monde, y compris contre leurs propres alliés qu’ils espionnent avec ECHELON et, très récemment, avec le système d’écoute “Prism” de la NSA ou “Tempora” de leurs homologues britanniques. Les théoriciens néo-conservateurs comme Robert Kagan ont annoncé “le retour de l’histoire” et non pas son terminus, et, surtout, “la fin des rêves” (cf. R. Kagan, “The Return of History and the End of Dreams”, 2008). Evidemment, pour Kagan, seuls les Etats-Unis sont autorisés à retourner au chantier de l’histoire, à quitter le monde onirique des idéologies iréniques. Ils doivent combattre les môles de puissance irréductibles que sont la Russie, la Chine et l’Iran, tout en se méfiant de l’Inde. Ils considèrent l’Europe comme un espace neutralisé, gouverné par des pitres sans envergure (seul Poutine est considéré comme un “chien dangereux” selon les documents révélés par Assange lors de l’affaire “Wikileaks”), un espace émasculé que l’on peut piller à qui mieux-mieux via les systèmes d’espionnage satellitaires. Dans un ouvrage plus récent, un autre néo-conservateur américain, Robert D. Kaplan, rappelle qu’un empire —en l’occurrence, pour lui, l’empire américain— doit en permanence se souvenir des impératifs de la géographie (cf. R. D. Kaplan, “The Revenge of Geography – What the Map Tells Us about Coming Conflicts and the Battle Against Fate”, Random House, New York, 2012) quand il façonne ses stratégies. Dans cet ouvrage qui réhabilite complètement les démarches géopolitiques et passe en revue les fondements géographiques de chaque puissance eurasienne, avouant implicitement qu’il y a, de facto, une multipolarité, mais une multipolarité que les Américains, selon Kagan ou Kaplan, doivent affronter, dont ils doivent réduire les môles de puissance, contenir leurs éventuelles expansions.

 

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Kaplan est également l’auteur d’un ouvrage de géopolitique capital pour comprendre le monde d’aujourd’hui et les intentions de l’hyperpuissance américaine: ce livre est consacré à l’Océan du Milieu, en d’autres termes, l’Océan Indien. Il s’intitule “”Monsoon – The Indian Ocean and the Future of American Power” (Random House, 2010, 2nd ed., 2011). Kaplan rejette la projection géographique usuelle aux Etats-Unis, où l’hémisphère occidental, c’est-à-dire les deux Amériques, est placé au centre des cartes, escamotant du même coup l’Océan Indien, alors que cet espace océanique est véritablement central, qu’il offre à qui le contrôle la domination sur le “rimland” asiatique des moussons. Cette “Asie des moussons” a donné aux Britanniques la puissance la plus déterminante sur l’échiquier européen et mondial, dès la seconde moitié du 18ème siècle. Au 21ème siècle, il en sera de même, il faudra, pour détenir l’hyperpuissance sur la planète, contrôler l’espace de l’Océan des Moussons: les Etats-Unis, pour Kaplan, ont intérêt à contrôler ou à contenir rapidement les puissances, petites ou moyennes, de l’arc de l’Asie des moussons, soit l’Inde, le Pakistan, la Chine, l’Indonésie, la Birmanie/Myanmar, Oman, le Sri Lanka, le Bengla Desh et la Tanzanie. Car c’est là, précise Kaplan, dans cet espace fragmenté, bigarré, sans homogénéité raciale ou culturelle, vaguement rassemblé dans une “Association des pays riverains de l’Océan Indien pour une coopération régionale” (IOR-ARC), que la lutte planétaire pour la “démocratie” (évidemment!), pour l’indépendance énergétique (américaine) et pour la “liberté religieuse” (?) sera gagné ou perdu. La diplomatie américaine doit concentrer tous ses efforts sur cette partie du monde si Washington veut continuer à garder un certain hégémonisme sur la Terre. Les pères fondateurs de la géopolitique, Mackinder et Haushofer ne disaient rien d’autre... L’Océan Indien baigne un espace à pôles multiples: il est l’espace même d’une multipolarité divergente.

 

La mondialisation/globalisation procède certes par le truchement d’un mode de société toujours plus consumériste. Les Chinois commencent à consommer avec la même frénésie que les Américains et les Européens. La délocalisation de bon nombre d’industries manufacturières, qui ont quitté l’Amérique du Nord et l’Europe pour l’Asie et surtout pour la Chine, provoquant un chômage endémique dans nos pays, sanctionne finalement une “division du travail”, générant plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il n’empêche que cette fusion apparente dans le creuset d’une globalisation économique laisse intacte les desseins géopolitiques et géostratégiques des “pôles” de la multipolarité.

 

Les sphères émergentes contestent l’hégémonisme américain, contestent aussi l’idéologie que cet hégémonisme véhicule. Le point commun de tous les pôles, sauf l’Europe, totalement neutralisée, est de refuser l’immixtion permanente des Etats-Unis, notamment par le biais de l’idéologie dite des “droits-de-l’homme”, inventée, ou plutôt ré-inventée, à l’époque de la Présidence de Jimmy Carter, pour subvertir l’Iran du Shah et l’URSS de Brejnev (à l’époque, la Chine maoïste était exemptée de tout immixtionnisme américain puisqu’elle venait de sceller une alliance anti-soviétique avec Washington). Les cibles demeurent les mêmes: l’Iran, la Russie, la Chine qui retrouve le rôle négatif qu’on lui avait attribué dans les années 50 et 60. L’Inde —qui, explique Kaplan dans “Monsoon” (op. cit.), cherche à s’étendre “horizontalement” (vers l’Est et vers l’Ouest) et non pas “verticalement” (du Nord vers le Sud) comme le fait au contraire la Chine qui, en outre, cherche à devenir une puissance bi-océanique, d’où la condamnation de ses stratégies par Washington aujourd’hui— est tantôt ménagée, parce qu’elle doit participer à l’endiguement (“containment”) de la Chine, tantôt fustigée, quand elle affirme son caractère hindou (avec le BJP) ou qu’elle conserve ses liens étroits avec la Russie. L’Inde se définit comme “un pont entre différents mondes”, sans se reconnaître dans aucun groupe d’Etats (sous-entendu, elle garde ses distances avec le fameux “Groupe de Shanghai”). Malgré le poids de leur hyperpuissance militaire, les Etats-Unis seront toujours incapables d’absorber et de neutraliser les pôles asiatiques ou eurasiatiques comme ils ont brisé l’Europe, en détruisant l’Allemagne d’abord, en contrôlant totalement l’UE ensuite, par l’importation d’un néo-libéralisme qui a empêché l’Europe de consolider ses velléités d’autarcie, d’ordo-libéralisme (de capitalisme patrimonial rhénan ou, au Japon, “samourai”) ou de socialisme bien conçu, disons de facture bismarcko-keynesienne, comme le voulaient ses pères fondateurs ou encore un Jacques Delors. L’Europe, que nous espérions voir devenir un pôle à part entière dans un monde recomposé et enfin sorti du bipolarisme figé du temps de la Guerre Froide, enfin émancipé complètement de la tutelle américaine, est, aujourd’hui plus que jamais, un espace neutralisé, au tissu industriel mité, aux sociétés disloquées par toutes sortes de facteurs au départ exogènes, un espace d’amnésie historique, un espace totalement “invertébré”, un espace qui vénère benoîtement la “norme” sans oser se doter de force (Zaki Laïdi); ces dernières semaines de juin 2013 nous apportent une preuve éloquente de cette déliquescence de tout un continent potentiellement puissant mais paralysé, quand la Commissaire à la justice Viviane Reding, qui avait capitulé sans condition devant les Américains et les Britanniques qui espionnent, avec les systèmes d’écoute “Prism” et “Tempora”, les autres Européens, au mépris des règles diplomatiques et internationales les mieux établies, tout en promettant, la pauvre bougresse, de prendre des “mesures”, qui ne viendront évidemment jamais ou resteront au stade de voeu pieux...

 

L’Europe-croupion, que nous avons devant les yeux, est une victime consentante de la globalisation voulue par l’hegemon américain. Les autres pôles ne le sont pas. Ils ont encore tous une pensée “vertébrée”, des traditions orthodoxes, hindouistes ou confucéennes intactes. En ce sens, l’Europe actuelle, sans “épine dorsale”, est effectivement soumise aux diktats de la haute finance internationale. Comme l’avait réclamé dans son recueil “Von rechts gesehen” (“Vu de droite”), Armin Mohler, théoricien de la “révolution conservatrice” allemande et ancien secrétaire de l’écrivain Ernst Jünger, écrivait que, pour se dégager des tutelles exogènes, l’Allemagne devait opter pour une alliance avec la France gaullienne —à l’époque une réalité, aujourd’hui disparue sous l’effet délétère des politiques aberrantes de Sarközy et de Hollande— et ne jamais hésiter à entretenir des relations avec les Etats que la propagande américaine nommait déjà les “Rogue States”. Armin Mohler et Jean Thiriart étaient au fond sur la même longueur d’onde. L’actualisation de leurs injonctions politiques postule évidemment, pour nous, de privilégier les rapports euro-BRICS ou euro-Shanghaï, de façon à nous dégager des étaux de la propagande médiatique américaine et du banksterisme de Wall Street, dans lesquels nous étouffons. La multipolarité pourrait nous donner l’occasion de rejouer une carte contestatrice à la Mohler et à la Thiriart en matières de politique extérieure.

 

7.

Aujourd’hui, 10% de la population vivant en Europe est musulmane et à ces 10% il faut ajouter l’installation en Europe de toute une série d’autres populations non indigènes; sans entrer dans les détails, je ne citerai qu’un exemple: la population européenne (de souche, toutes nationalités confondues) ne totalise qu’un tiers de la population de Londres aujourd’hui, elle est donc en état d’infériorité numérique par rapport aux autres “races” qui, de plus, ont un taux de natalité bien supérieur, le triple de la moyenne européenne. A quel phénomène faisons-nous face? Et comment le résoudre?

 

Vous savez bien qu’il est interdit de parler sereinement de ces phénomènes, surtout en France ou en Belgique où la liberté d’expression n’existe plus en ce domaine bien particulier. Vous pouvez blasphémer à qui mieux-mieux contre les religions autochtones, surtout le catholicisme lorsque des “femens” déchaînées et camées s’attaquent à Bruxelles à un archevêque qui, très timidement, veut ramener un tout petit peu de bon sens dans une église à la dérive depuis un demi siècle, vous pouvez vous moquer avec la plus extrême des méchancetés de toutes les traditions européennes, religieuses ou culinaires, historiques ou littéraires, artistiques ou philosophiques, vous pouvez fabriquer la pornographie la plus outrancière et la plus perverse, mais vous ne pouvez souffler mot sur le phénomène que certains polémistes français comme Renaud Camus appellent le “grand remplacement”. Depuis les émeutes de Paris et des grandes villes françaises en novembre 2005, depuis les émeutes de grande ampleur à Londres en août 2011, depuis les récentes émeutes de Suède en mai 2013, on sait que la situation va devenir très difficilement gérable dans la décennie à venir, surtout sur fond de crise économique et financière car la gestion de ces populations, précarisées du fait de leur non intégration, va coûter de plus en plus cher et l’argent n’est plus là, tout simplement. Ces installations irréfléchies de populations hétéroclites dans les grands centres urbains de l’Europe va, à terme, provoquer l’effondrement du système de sécurité sociale, laborieusement mis en place pendant les “Trente Glorieuses” et maintenu vaille que vaille durant les “Trente Piteuses”, effondrement dont pâtiront et les autochtones les plus précarisés et les migrants intégrés ou non, sans distinction.

 

Ce n’est évidemment pas ce seul phénomène “migratoire” qui va faire s’effondrer le système, bon dans ses principes organisationnels et dans ses intentions premières, mais malheureusement bâti sur du sable et non sur le réalisme politique et économique de la tradition aristotélicienne, bâti, hélas, sur le sable mouvant des “nuisances idéologiques” (Raymond Ruyer), qui sont nuisances justement parce qu’elles ignorent tout principe d’harmonie et d’équilibre, toute limite et toute pondération; parmi elles, il y a surtout l’emballement que provoque la forme dominante du néo-libéralisme, imposé depuis l’ère Thatcher & Reagan, depuis les années 1979 à 1982. Le néo-libéralisme en place est principalement une forme de capitalisme financier, et non industriel et patrimonial, qui a misé sur le court terme, la spéculation, la titrisation, la dollarisation, plutôt que sur les investissements, la recherche et le développement, le long terme, la consolidation lente et précise des acquis, etc. La crise de l’automne 2008 et la période de ressac que nous connaissons tous depuis lors, surtout dans les pays méditerranéens, en Grèce et en Espagne, sont l’aboutissement d’une idéologie fumeuse, inapplicable car irréelle, que mes amis et moi-même dénonçons depuis le moment même de son avènement: nous avons été des “voces clamantes in deserto”.

 

Cette crise va fragiliser les phénomènes connexes à cette globalisation néo-libérale, dont l’immigration-peuplement, surtout qu’il y a eu, en plus, “délocalisation” du tissu industriel donc perte massive d’emplois pour travailleurs peu qualifiés. Bon nombre d’auteurs, même en dehors du microcosme dit “identitaire”, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme.

 

Je pense notamment au Français Jean-Paul Gourévitch qui, en 2007, énumérait quatre défis majeurs auxquels les pays accueillant de fortes minorités immigrées allaient être confrontés:

1)     le vieillissement de la population européenne, observable déjà depuis les années 60, notamment par un historien comme Pierre Chaunu (père de l’“histoire sérielle”), est un phénomène très préoccupant d’implosion et de ressac qui n’a jamais été contré par une politique nataliste et volontariste, semblable à celle que Poutine tente de mettre en place en Russie; le recul des naissances, dans la logique d’une société de consommation, où le quantitatif prime le qualitatif, oblige à faire appel à des migrations comme palliatifs, des migrations d’abord bien encadrées, quand la bonne conjoncture des “Trente Glorieuses” le permettait encore, puis déversées dans nos villes de manière anarchique et incontrôlée;

2)     la lutte difficile contre les inévitables discriminations, lutte amorcée en vue de faciliter l’intégration; ces difficultés sont dues, notamment, entre beaucoup d’autres pierres d’achoppement, à l’impossibilité d’étendre à l’infini le marché public du logement social, lequel se compose, notamment en France, d’appartements de quatre pièces, insuffisants pour abriter des familles extrêmement nombreuses, parfois polygames; le parc immobilier, mis à la disposition des plus démunis, exige des frais d’entretien énormes que les municipalités ne peuvent plus financer; les volontés de “mixité” sociale, exprimées par les pouvoirs publics, se heurtent tout à la fois à l’hostilité des autochtones, qui quittent les villes pour les périphéries, et des immigrés qui veulent rester entre eux, sans immixtion constante de fonctionnaires municipaux, dénués de raison vitale et adeptes de toutes les niaiseries idéologiques; les discriminations à l’emploi continuent à frapper les immigrés, en dépit de plus de deux décennies de propagande massive en faveur de l’intégration; on doit donc en conclure que les politiques d’intégration ont partout fait faillitte car elles ne sont acceptées ni des autochtones, qui restent silencieux et fuient les villes pour constituer une nouvelle catégorie démographique, celle des “néo-ruraux”, ni des immigrés, qui manifestent parfois bruyamment leur mécontentement, quand les subsides qui leur sont pourtant généreusement alloués leur semblent trop chiches (voir les récents événements de Suède).

3)     Les Etats hôtes d’Europe occidentale n’ont pas pu maîtriser l’immigration clandestine qui, par le flux ininterrompu qu’elle représente, précarise, bien au-delà du simple regroupement familial préconisé depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les strates immigrées déjà présentes ou anciennes; elles rendent encore plus hétéroclites les masses non intégrées, créant de la sorte, en ce début de 21ème siècle, la situation aberrante que narre le mythe biblique de la “Tour de Babel”, où tous finissent pas fuir parce que s’instaure la confusion générale. Les flux hétérogènes, différents des premières vagues migratoires légales vers l’Europe, génèrent, de par leur illégalité, une exploitation cruelle, assimilable à une forme d’esclavage, n’épargnant pas les mineurs d’âge (50% des nouveaux esclaves!) et basculant largement dans une prostitution incontrôlable. A laquelle s’ajoutent aussi les trafics d’organes. Cette “économie” parallèle contribue à corrompre les services de police et de justice. Autre horreur: la réapparition de “murs” (après la disparition de celui de Berlin) le long de la frontière américano-mexicaine, en lisière des villes espagnoles de Ceuta et Melilla, et de murs “virtuels” sous forme de radars et de détecteurs en Mer du Nord et en Méditerranée, dispositifs chimiques pour détecter l’émission des gaz carboniques émis par les corps humains dissimulés, etc. Toutes ces infrastructures de dissuasion coûtent fort cher et mobilisent des budgets qui rognent sur ceux, utiles, de la sécurité sociale, de la recherche et du développement, du réarmement de l’Europe, de l’enseignement, etc. Ils contribuent ainsi à l’affaiblissement généralisé de l’Europe, citadelle aujourd’hui assiégée de toutes parts. Tous ces problèmes horribles, inouïs, et le sort cruel des exploités, des enfants réduits à une prostitution incontrôlée, les pauvres hères à qui on achète les organes, les travailleurs sans protection qu’on oblige à prester des travaux dangereux ne font pas sourciller les faux humanistes, qui se donnent bonne conscience en défendant les “sans papiers” mais qui sont, par là même, les complices évidents des mafieux —également “sans papiers” pour échapper à toute poursuite et à toute localisation. Ceux-ci peuvent ainsi tranquillement poursuivre leurs activités lucratives: en tant qu’“idiots utiles”, les humanistes à faux nez sont complices et donc coupables, co-auteurs, des crimes commis contre ces pauvres déracinés sans protection et que ne protègeront pas, bien entendu, les fameux “papiers” qu’on réclame pour eux. Nos angélistes aux discours tout de mièvrerie sont donc complices des forfaits commis, au même titre que les proxénètes, les négriers et les trafiquants. Sans la mobilisation des “bonnes consciences”, ces derniers ne pourraient pas aussi aisément poursuivre leurs menées criminelles.

4)     Le quatrième défi, mis en évidence par Gourévitch, est celui de l’économie informelle, phénomène antérieur aux flux migratoires, mais que ceux-ci ont amplifiés, tout en alimentant la fraction, de plus en plus nombreuse, des populations migrantes qui ne parviennent pas à s’insérer dans le tissu social, en dépit des dispositifs d’intégration mis en place depuis trois bonnes décennies. La France a beau avoir mis en place la DILTI (“Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Travail Illégal”), l’OCDE a eu tout aussi beau jeu de tirer à son tour la sonnette d’alarme, l’ethnic business et l’économie souterraine, les recels et les locations de taudis insalubres, bref la totalité de l’économie informelle aurait brassé, selon l’enquête menée par Gourevitch en 2007 à plus de 300 milliards d’euro, soit 17 à 18% du PIB français. L’ampleur de cette économie informelle et l’opacité du milieu qui la génère rend les services de police et la justice totalement impuissants.

 

Nous faisons donc face à cette économie informelle, qui génère des “sociétés parallèles” (qu’appuie un certain Erdogan en Europe centrale, avec tout le poids de la diplomatie turque...) et à la démultiplication quasi à l’infini des frais sociaux, prévus par l’Etat-Providence. Cette démultiplication va entraîner très vite, dans les cinq à dix ans à venir, l’assèchement des caisses municipales (et autres...) et à l’impossibilité de lever de nouveaux impôts sur une classe moyenne considérablement appauvrie par la crise. La démesure babelienne que les intellos écervelés et les “croyeux” naïfs ont prise pour du “progressisme”, à grand renfort de propagande médiatique, va se muer en un bel éventail de facteurs non niables de “régressisme”, de régression sociale, de détricotage de tous les acquis sociaux et syndicaux. Selon l’adage: qui veut faire l’ange, fait la bête... Les négateurs de balises et de limites, qui voulaient tout bousculer au nom du “progrès” (qu’ils imaginaient au-delà de tout empirisme), vont provoquer une crise qui rendra leurs rêves totalement impossibles pour au moins une dizaine de générations, sauf si nous connaîtrons l’implosion totale et définitive... Quant aux solutions que nous pourrions apporter, eh bien, elles sont nulles car le système a bétonné toute critique: il voulait poursuivre sa logique, sans accepter le moindre correctif démocratique, en croyant que tout trouverait une solution. Ce calcul s’est avéré faux. Archi-faux. Donc tout va s’effondrer. Devant notre lucidité. Nous rirons de la déconfiture de nos adversaires mais nous pleurerons amèrement sur les malheurs de nos peuples.

 

8.

Si nous prenons en considération l’avancée profonde du matérialisme et de l’individualisme dans les pays occidentaux, ne devons-nous pas craindre d’être poussé vers une perte totale de spiritualité?

 

Nous avons déjà perdu toute spiritualité. Les traditionalistes, qui s’inspirent de Guénon et d’Evola, évoquent une ère de “Kali Yuga”, d’âge sombre, telle que l’entrevoit la tradition hindoue. C’est bien l’époque que nous vivons car Evola a signalé qu’en fin de cycle, les phénomènes de dégénérescence et de déclin vont en s’accélérant, plongeant les Empires et les Etats dans la déliquescence totale. En Europe, où nous n’avons même plus un Kagan ou un Kaplan pour nous rappeler quelques recettes élémentaires pour tenir un Empire, même à une époque de ressac. Le “Kali Yuga” est donc bien palpable de nos jours: la France, depuis Sarközy et Hollande (dit “Holl’andouille”) n’est plus que la caricature d’elle-même, et la négation de sa propre originalité politico-diplomatique gaullienne; l’Allemagne se cramponne à des idées fixes et n’ose pas s’affirmer, sous le règne d’une Angela Merkel qui n’a bien entendu ni le tonus ni la clairvoyance de ses prédécesseurs socialistes, d’un Schroeder ou d’un Schmitt. Votre question, si j’y répondais de manière exhaustive, exigerait la rédaction d’un livre tout entier. Je ne peux dire en quelques lignes ce qu’Evola, Schuon, Guénon ou d’autres traditionalistes ont dit en plusieurs dizaines de volumes, car, souvent, il n’y a pas grand chose à ajouter à leurs diagnostics, si ce n’est les traduire en un langage plus quotidien.

 

L’histoire de mon pays, la Belgique, nous fait entrevoir le désastre, rien que dans l’involution de la famille politique catholique, puis “démocrate-chrétienne”. Notre histoire politique montre donc que l’exigence morale des tenants de la “Jeune Droite” de Henry Carton de Wiart au début du 20ème siècle, puis des militants de l’ACJB (“Action Catholique de la Jeunesse Belge”), quelles qu’aient été leurs options ultérieures après l’émergence du rexisme de Léon Degrelle, que le souci éthique que le Prof. Marcel Decorte avait encore voulu réveiller dans les années 50, se sont bien vite évanouis au profit d’un technocratisme sans épaisseur éthique, importé par Paul Van Zeeland avant-guerre et poursuivi par toute une série de politiciens sans envergure ou sans scrupules après 1945 ou au profit d’un démocratisme du “je-ne-sais-quoi” et du “presque-rien” qui a débouché sur la mascarade puante d’un parti dirigé par des festivistes écervelés qui se donnent désormais l’étiquette d’“humanistes”. On se demande en quoi leurs salades sont “humanistes”: Erasme, qui était hypocondriaque mais un véritable humaniste renaissanciste, doit galoper plein tube vers un bassinet pour y vômir sa soupe aux légumes quand, du haut de son empyrée céleste, il jette un regard sur le spectacle que nous donne en permanence cette brochette de connards et de connasses qui ont galvaudé le terme même d’humanisme puis transformé, par leurs sottises, la principale force politique de la Belgique, en un parti estropié et minoritaire, à la remorque des socialistes, qui titubent d’une corruption à l’autre, pour chavirer ensuite dans une autre perversité. En Flandre, les excès de technocratisme, tourné en “plomberie” du temps de Dehaene, ont également ruiné le pôle démocrate-chrétien au profit d’une forme de pseudo-nationalisme, centré sur la vacuité et la vanité d’un gros bonhomme qui a maigri pour faire jacasser les médias, une formation idéologiquement filandreuse à relents festivistes, avec laquelle personne ne veut gouverner. Bref, l’absence d’éthique dans le pôle politique qui, précisément, entendait l’incarner, du moins jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, a provoqué l’implosion du pays. L’Europe et le reste du monde occidental présentent la même implosion, parfois en moins ridicule mais toujours sur un mode aussi navrant, aussi impolitique, aussi incapable de sortir notre aire civilisationnelle de l’ornière où elle s’est enlisée.

 

La disparition de toute épine dorsale éthique dans le monde occidental, le plus touché par la décadence, entraîne toute une série de maladies psycho-sociales, dont quelques universitaires dressent la cartographie, tout en étant complètement ignorés des “décideurs” politiques qui, comme on le sait, préfèrent la politique de l’autruche. Parmi ces universitaires, je ne citerai que le Flamand Dirk De Wachter, professeur à la KUL de Louvain, et l’Allemand Manfred Spitzer, directeur de la clinique psychiatrique de l’Université d’Ulm (cf. Dirk De Wachter, “Borderline Times – Het einde van de normaliteit”, Lannoo Campus, Tielt, 2012; Manfred Spitzer, “Digitale Demenz – Wie wir uns und unsere Kinder um den Verstand bringen”, Droemer, München, 2012).

 

Le Prof. De Wachter voit disparaître toute forme de “normalité” et glisser nos populations vers ce qu’il appelle, en jargon de psychiatrie, le “borderline”, la “limite” acceptable pour tout comportement social intégré, une “borderline” que de plus en plus de citoyens franchissent malheureusement pour basculer dans une forme plus ou moins douce, plus ou moins dangereuse, de folie: en Belgique, 25% de la population est en “traitement”, 10% ingurgitent des anti-dépresseurs, de 2005 à 2009 le nombre d’enfants et d’adolescents contraints de prendre de la rilatine a doublé rien qu’en Flandre (de 15.000 à 30.000...); en 2007, la Flandre est le deuxième pays sur la liste en Europe quant au nombre de suicides par million d’habitants (161/un million). C’est là, on en conviendra, une brillante réussite de la politique régimiste! Bilan désastreux pour nos “progressistes” qui croyaient avoir trouvé toutes les formules pour faire le bonheur des masses! Pour le Prof. De Wachter, la solution réside dans un renouveau culturel, littéraire et artistique, basé sur des principes radicalement différents de ceux appliqués aujourd’hui dans les établissements d’enseignement: l’effondrement du niveau, où le prof doit se mettre au niveau des élèves et capter leur attention “no matter what” et la négligence des branches littéraires, artistiques et musicales, qui permettent à l’enfant de tenir compte d’autrui, font basculer les nouvelles générations dans une déshumanisation problématique, constate le Prof. De Wachter, en se réclamant du philosophe conservateur britannique Roger Scruton et de la “communautariste” américaine Martha Nussbaum, vigoureuse avocate du retour aux humanités classiques, à nos racines grecques et aristotéliciennes. Guérir notre société malade passe donc par une révolution culturelle, soit par un retour, par un “revolvere” aux fondements sûrs de notre civilisation, aux humanités classiques et aux bases identitaires. Sans identité, sans tradition, sans “centre” intérieur (Frithjof Schuon), on devient fou: tel est notre constat, schématisé ici de manière certes un peu abrupte, et il est corroboré par l’une des plus grandes sommités de la médecine psychiatrique de la célèbre université de Louvain. Ceux qui nous contrarient au nom de leurs chimères et de leurs délires, sont, par voie de conséquence, sans trop solliciter les faits, des fous qui veulent précipiter leurs contemporains au-delà de la “borderline”, où on ne survit qu’à grands renforts d’anti-dépresseurs ou d’euphorisants, à moins de passer dans la catégorie des 161 infortunés sur un million d’habitants qui recourent au suicide.

 

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Quant à ce spécialiste des recherches sur le fonctionnement du cerveau qu’est le Prof. Manfred Spitzer, il s’est penché tout spécialement, dans son dernier livre (op. cit.) sur la “démence digitale”, où il dénonce l’utilisation abusive de médias digitalisés dans l’enseignement. Son ouvrage est une riposte à une dangereuse élucubration de la “Commission d’enquête” du Bundestag allemand, qui avait prévu d’offrir un “notebook” à tous les écoliers et de promouvoir la “pédagogie par jeux informatiques”: il paraît d’après ces délirants germaniques que cette bimbeloterie high tech et cette pédagogie de cornecul vont offrir “un meilleur avenir pour nos enfants” (gnagnagna...). Pour le Prof. Spitzer, nobelisable, ce délire témoigne d’une méconnaissance totale du fonctionnement du cerveau humain (surtout au stade de l’enfance et de l’adolescence) et d’un commercialisme sans scrupules (car les marchands d’ordinateurs et de logiciels ont sûrement graissé la patte des politicards et des pédagogogues). Pourtant, bon nombre d’études scientifiques ont prouvé que les médias digitalisés ne donnaient que de piètres résultats sur le plan pédagogique. Pire, ils endommagent les corps et les cerveaux, dans la mesure où la mémoire et la concentration en pâtissent. On entraîne ainsi les nouvelles générations dans la superficialité, dans l’a-socialité (les amis virtuels de “Facebook” ou de “Twitter” ne sont pas des amis de chair et de sang), dans la dépression (cf. De Wachter), due notamment à l’absence de sommeil cumulée sur des mois voire des années. Et dans les pages 276 à 281 de son livre, Spitzer pointe du doigt les coupables: les politiciens, tous partis confondus; citation: “Lors de conférences et de débats, on m’a souvent demandé d’aller parler aux hommes politiques. Je l’ai fait, à plusieurs reprises, notamment, il y a quelques années, lors d’un audit d’experts mandé par la Commission de la jeunesse du Bundestag. Cet audit a duré deux fois plus de temps que prévu et les députés ont trouvé formidable tout ce que nous leur disions. Après environ six semaines, on a pondu un long protocole qui concluait... qu’il n’y avait aucune raison d’agir... Le lobby médiatique, entretemps, n’avait pas perdu son temps”. Mieux: “Le sort des enfants n’est pas pris au sérieux par les responsables politiques. Ils les perçoivent plutôt comme du bétail et non pas comme des êtres en pleine croissance, comme de petits diamants que l’on doit traiter raisonnablement et avec respect”. Voilà donc l’avis de deux experts, issus de facultés de médecine prestigieuses, un avis que les politiciens ignorent... Et peuvent ignorer en toute tranquillité parce qu’il n’y a pas de structures de combat métapolitique dans nos quartiers pour contrer leurs agissements criminels et anti-sociaux dans nos assemblées municipales, dans nos écoles, dans nos comités de voisinage, etc. Il y a des dizaines de savants irréprochables, comme De Wachter et Spitzer, qui ne peuvent pas faire entendre leur voix parce qu’ils n’ont aucun relais dans la société civile, aucune association métapolitique pour leur venir en aide et faire triompher, dans chaque quartier, dans chaque bourg, leurs idées justes et bonnes.

 

9.

Quelles est votre opinion sur la montée ou sur les avatars des partis dits “nationalistes” en Europe aujourd’hui?

 

A partir de la perestroïka de Gorbatchev, au moment de la chute du Mur de Berlin, au début des années 90 du 20ème siècle, tous les espoirs étaient quasi permis: le communisme disparaissait en tant que partie prenante du duopole de Yalta. Sa fonction de croquemitaine pour imposer le libéralisme manchestérien à l’Europe occidentale s’évanouissait. On pouvait envisager ce que nous appellions, à l’ère du duopole, une “troisième voie” (Jean-Gilles Malliarakis à Paris) ou un “solidarisme” (Lothar Penz et Ulrich Behrenz à Hambourg). Rien n’est arrivé. Nos espoirs ont été totalement déçus. Les partis dits “nationalistes” sont apparus à la même époque: Le Pen prend son envol, grâce aux efforts de Stirbois à Dreux, dès 1984, un an avant l’accession de Gorbatchev au pouvoir. D’autres partis sortent de la marginalité ailleurs en Europe: le bilan de cette effervescence nouvelle à l’époque, je l’ai dressé, encore assez enthousiaste, avec le regretté Roland Gaucher, dans un numéro spécial sur les “nouveaux nationalistes” du célèbre mensuel parisien “Le Crapouillot” en 1994. C’était là une enquête minutieuse que j’avais pu mener allègrement, grâce, surtout, à la formidable documentation qu’avaient compilée Peter Dehoust, Heinz-Dieter Hansen et Wolfgang Strauss en Allemagne dans les colonnes de revues ou de bulletins comme “Nation Europa”, “DESG-Inform” ou “Staatsbriefe” (du Dr. Hans-Dieter Sander). Deux écueils expliquent la stagnation actuelle de toutes ces formations politiques, stagnation assortie par d’interminables querelles entre personnes: 1) le mirage du néo-libéralisme, dont ces formations ne se sont pas assez démarquées au profit d’un solidarisme nouveau, c’est-à-dire d’un socialisme comme aux temps héroïques, comme au temps de Georges Sorel ou de Roberto Michels, d’un socialisme débarrassé de toutes corruptions mais demeurant inébranlablement au service du peuple, ce qui n’est plus le cas d’un socialisme “diroupetté” ou “hollandouillé”; 2) l’incapacité à s’unir dans le domaine de la politique étrangère; on a vu certains partis faire l’apologie de Bush et du néo-conservatisme new-yorkais, au nom d’une islamophobie qui confondait l’islam avec les dérapages inacceptables du wahhabisme saoudien ou du salafisme nord-africain. Position aussi imbécile que celles des socialistes (corrompus) des vieilles sociales-démocraties usées d’Europe qui croyaient qu’Obama allait nous apporter une ère de paix diamétralement différente du bellicisme néo-conservateur! Alors qu’Obama poursuit, opiniâtre, le programme guerrier et pétrolier du père et du fils Bush!

 

Seule la FPÖ autrichienne offre, dans sa presse, des articles anti-impérialistes bien argumentés et documentés, dus à la plume d’un véritable héros contemporain de l’européisme sainement conçu, un héros modeste et effacé, le Dr. Bernhard Tomaschitz, que j’ai le vif plaisir de traduire assez souvent. En Italie, le quotidien de la “Lega Nord”, “La Padania”, offrait aussi de fructueuses analyses en politique étrangère et je me souviens, avec nostalgie, de ma coopération avec Archimede Bontempi, lors de la guerre de l’OTAN contre la Serbie. En dehors des partis représentés dans les hémicycles, le quotidien romain “Rinascita”, organe d’une “gauche nationale” offre chaque jour, grâce à un excellent réseau de correspondants dispersés dans le monde entier, des analyses de politique internationale qui devraient servir d’exemples à tous et faire honte à tous les cancres qui ne s’en inspirent pas...

 

En tant qu’admirateur de la clarté conceptuelle de Jean Thiriart, j’ai donc été déçu de ne pas voir les analyses de Tomaschitz, de Bontempi (et de ses amis) et de la formidable équipe de “Rinascita” être traduites en un militantisme offensif, tous azimuts, mobilisant les universités (si c’est encore possible, à l’heure de la démence digitalisée stigmatisée par le Prof. Spitzer...), les cercles culturels, para-politiques et métapolitiques, les débats parlementaires en commission des affaires étrangères, de manière à s’opposer systématiquement aux diktats de l’hegemon, non pas par une politique frontale, car nous n’en avons pas (encore) les moyens, mais par une stratégie des petits coups d’épingle constants et incessants, une stratégie dont les partis dits “nationalistes” auraient dû se faire le fer de lance, faute d’autres combattants représentatifs et à cause des scléroses mentales des formations d’extrême-gauche, pourtant plus férues de politique étrangère... Beaucoup n’ont pas opté pour ce combat constant et nécessaire... En attendant, l’Europe des tartuffes constate qu’elle est espionnée, que l’Oncle Sam a des yeux et des oreilles partout, jusque dans les chiottes du Parlement européen (pour parler comme Poutine...), grâce au système Prism et que John Bull fait de même, avec “Tempora”. Les cocus magnifiques... Nous n’avons pas attendu un tel scandale ni les révélations de Julian Assange ou d’Edward Snowden pour réagir, pour organiser un mini-pôle de rétivité. Une fois de plus, nous avons eu raison, mille fois raisons. Notre politique de refus de l’américanisme était la bonne. La seule qui soit politiquement rationnelle face à un hegemon malhonnête.

 

10.

Pour terminer cet entretien, je voudrais que vous expliquiez aux néophytes que nous sommes ce qu’a été le rôle de “Synergies Européennes”?

 

Vous pourrez consulter l’entretien que j’ai accordé au site scandinave “Oskorei” pour comprendre ce qu’a été “Synergies Européennes”. L’objectif était de faire travailler ensemble des Européens lucides et enracinés dans leur culture par des colloques, conférences et universités d’été communes et par une politique de traduction tous azimuts. Lors de mon intervention sur les ondes de la radio libre “Méridien Zéro” en juin 2012, l’animateur de service ce jour-là m’a bien avoué qu’il manque aujourd’hui en Europe une association “baldaquin” du genre que celle que j’ai animée jusqu’en 2004, avant de passer au virtuel comme tout le monde —ce qui n’est pas la même chose, hélas, que les rapports directs et personnels entre confrères— sur les sites http://euro-synergies.hautetfort.com puis http://vouloir.hautetfort.com et http://archiveseroe.eu . Mes textes personnels se trouvent sur http://robertsteuckers.blogspot.com . Si d’aucuns estiment opportune la renaissance d’une telle structure souple et ouverte, d’un tel baldaquin, que les volontaires se présentent au bureau de recrutement, avec leurs références, prouvant qu’ils savent travailler dans la constance et la détermination. Et tout redémarrera comme au premier jour.

 

11.

Merci d’ajouter les quelques mots de la fin pour nos lecteurs...

 

Méditez l’adage tiré de la fable de Lafontaine, “Le laboureur et ses enfants”: “Travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins”.

 

jeudi, 13 juin 2013

Europe, Globalization and Metapolitics

 

Robert Steuckers:

Europe, Globalization and Metapolitics

Questions by Leonid Savin (April/May 2013)

Ex: http://www.geopolitca.ru/

Mr. Steuckers, we would like to start our interview by describing the current situation in the EU, especially in its North-West region. What could you tell us about it?

 
The situation in the Benelux-countries is what I could call a blind alley: the Netherlands, as a multicultural state —now with a majority of Catholics since only a couple of decades, a strong minority of Protestants including the Calvinists, who gave the nation its very birth in the 16th and 17th centuries, Atheists, who currently reject all forms of religious belief, and a Muslim minority within the predominently Moroccan and Turkish immigrant communities— is trying to reject vehemently Islam, as most immigrants don’t behave properly according to the Dutch standards and don’t represent at all a dignified Islam that would fit the general tendency of the Dutch people towards decency, fair play, respectability and gentleness. The Netherlands, due to the long dominating Calvinist elite, show currently a tendency to imitate the worst British or American models, even if Catholics, now a majority, incline to be more receptive to German or other Continental models, be they left-wing or right-wing. The islamophobic bias of the current leader of the PVV-party (“Liberty Party”), Geert Wilders, induce the Dutch government to follow the British and American foreign policy, although the positions of the former islamophobic political leader of the Netherlands, Pim Fortuyn, who was a Catholic homosexual and was assassinated by a pseudo-environmentalist thug, was against all Dutch intervention in the Balkan to crush the Serbians and pleaded for a complete withdrawal of the Dutch units that had been sent to Bosnia: this may have been the real reason for his assassination and not the lack of ecological positions in his programme or the quite agressive stances against Muslims he had taken in his political speeches and pamphlets. The Netherlands, although a model state in the current EU-crisis, as its financial status in the euro-zone seems to be perfectly sound, are nevertheless at risk because, exactly like Spain, they have a speculative bubble in real estate, that could explode at any moment.
 
One thing we should not forget abroad: the Netherlands, together with Flanders in Belgium, are constantly producing a huge amount of books on all levels of human sciences, on topics we are interested in, but that are unfortunately largely ignored in non Dutch-speaking areas, never translated and never quoted in scientific works, despite the fact that Dutch and Flemish intellectuals generally understand and read at least four languages and are therefore able to make remarkable synthesis.
 
Belgium is now another multicultural state, divided by a linguistic border separating two mainly Catholic communities, the Dutch-speaking Flemings and the French-speaking Walloons (there is also a small German-speaking community in the East of the country, alongside the German border). The Flemings have nowadays a stonger tendency, like the Dutch, to imitate Anglo-Saxon models while the Walloons are deeply influenced by French ways of thinking. The Germans are of course strongly influenced by German ideas and debates. These Low Countries are an incredible patchwork of ideas: you don’t find overthere large currents of ideas widely partaken within the population; on the contrary, you’ll find everything, left-wing or right-wing, sometimes expressed in very original ways but no social coherence deduced from this wide variety of ideas. Even within the main political parties (liberal, christian-democrats, socialists), tendencies are numerous among the leaders and the militants. The main trend is of course to accept the Western views within the frame that NATO is, although all the opposite elements are historically (Harmel) or currently (Collon) available to develop a strong critique of the NATO-ideology and praxis. Besides, people are not really interested in the operations launched in Iraq, Afghanistan, Libya or Syria. They don’t support the army sent overthere in these NATO-invaded countries (surely because the army is not a conscription army anymore), just as Pim Fortuyn wanted to withdraw Dutch troops from ex-Yugoslavia. I think personally, and I repeat it here, that this was most probably the main reason for his assassination and not the deliberate act of a crazy environmentalist activist; later, when the filmmaker Theo Van Gogh was murdered in Amsterdam by a Muslim fanatic because he had produced a short film allegedly criticizing presumed Islamic anti-feminism, the religious creeds of the assassin contributed to justify paradoxically the pro-NATO attitudes of Fortuyn’s successor in the Dutch populist ideological area, i. e. Geert Wilders, whose father was born in the Catholic province of Limburg near the German City of Aachen and whose mother is an Indian Hindu, most probably quite hostile to Muslims. The loyalty of the son towards his mother could explain some islamophobic BJP-like attitudes...
 
In the Low Countries, you can perceive a lot of isolated reactions against the System whereby the efforts of a Chomsky-inspired politologist like the ex-Maoist activist Michel Collon in French-speaking Belgium are the most notorious abroad. Belgium is nevertheless a fragilized country, even if the three Low Countries belong to the strongest economical powers within the EU. The effects of the crisis and the recession are palpable in Belgium now, as prices for food and first necessity products are a lot higher than in France and Germany, reducing drastically the common people’s purchasing power. Belgium maintains its relative stability only because of the giant customer-neighbour that is Germany, that buys goods in Belgium to produce other goods in Germany for the Russian and Chinese markets. So Germany, and by “translation” as a math teacher would say, Belgium and the Netherlands, are main partners of the most prominent Eurasian BRICS-countries, even if the NATO-oriented thrash-elite doesn’t want to be considered as such, despite the economical and commercial facts and figures. Thus “Little Belgium” shares a part of the German pie in Eurasia: in high commercial caucuses they are well aware of it and some cleverer minds dream of recuperating the positions Belgium had before 1914 in Russia (as Russia was the main commercial partner of Belgium between 1890 and 1914) and even in China, where many commercial missions are sent regularly. 
 
To conclude these short thoughts about the Low Countries, I would suggest Russian friends to create a small caucus for Dutch and Flemish studies in order to gather useful information that no one else would in the long run be able to take profit of.
 
- Austerity policies are now implemented in Southern Europe: how do you perceive them in the North-West? And what about the idea of a Pan-European solidarity or concert of nations in a crisis context?
 
You’ll probably know in Russia that the tragedy in Europe is that Northern people don’t have high consideration for their Southern neighbours and a political thinker such as Jean Thiriart, who remains a source of inspiration for me and for Prof. Dugin, deeply regretted it. Most people in Northern Europe say that we should force Spain, Greece, Portugal and Italy to accept these austerity policies but by thinking so they refuse to take the plain fact into consideration: the speculation of Wall Street banksters against the more fragile Southern European countries are speculations against the EU as a whole and an attempt to smash the euro as an alternative currency to the dollar, that some BRICS countries could have accepted as a mean to regulate international trade. The Atlanticist blindness prevent the EU-leaders to perceive these US-based banksters speculation as an extreme lethal weapon in the new non military types of warfare, just as spying European labs or engineering bureaus through the ECHELON-satellites system, just as exciting immigrants in French suburbs to start a guerilla warfare against the police to finally eliminate Chirac (who committed two main sins: developing further a French autonomous nuclear armament in 1995, according to De Gaulle’s vision, and having supported the idea of an Alliance between Paris, Berlin and Moscow during the British-American assault on Iraq in 2003) and replace him by a wacko politician such as Nicolas Sarkozy, who would some months later reintroduce France in the NATO High Command, just as sending “femens” trying to ridicule able politicians or archbishops, just as creating ex nihilo “orange revolutions”, etc. Indeed, as you suggest it, a wide and indefectible solidarity would be preferable in Europa than the current Southerner-bashing we are experimenting these days, especially as the three main peninsulas in the Mediterranean area are of the highest strategical importance and are potential springboards to invade the Centre and the North of the European subcontinent. One key idea would simply be to support the Southern European countries in a new policy consisting of refusing to pay banks back and to restart a new area, as they successfully did in Iceland. This would of course ruin all the dogmas of neo-liberalism. But is this not the ultimate aim of our struggle? 
 
The more or less official journal of the EU, “Europe’s World”, presents in its Spring 2013 issue two positions about the crisis, the one of Hans-Olaf Henkel, President of the Federation of German Industries (BDI), once an avowed advocate of the euro: he suggests now to create a “Northern euro” making an end to the promised Pan-European solidarity. Then the head of the European Institute at the London School of Economics, Paul De Grauwe, in the same issue of “Europe’s World”, pleads in favour of a “fiscal union” as that in the United States, even if the process of establishing it would take time, in order to avoid eurozone governments issuing debt in euros without being able to control the currency, what, according to De Grauwe, “prevents governments to give a guarantee to bondholders that the cash will always be available to pay them at maturity” (p. 28). Even if we have to be quite suspicious in front of all what the mainly neo-liberal London School of Economics theorizes, this strategy, suggested by De Grauwe, would reinforce European unity and avoid speculation against weaker countries. De Grauwe calls his suggested system the “pooling of eurozone governments’ debts” in order that “the weakest are protected from destructive movements of fear and panic that arise in the financial markets, and that in theory can hit any member country” (for instance, the Netherlands if the real estate bubble would give some banksters the opportunity to speculate against this otherwise financial “sound state”). Only this way could Europe become a full actor on the multipolar chessboard and be protected against the weapon of speculation that is a permanent risk when you remain glued in the Euro-Atlanticist realm where the “allies” aren’t allies anymore since the Clinton Doctrine described them as mere “alien audiences” that can be thrashed if there is somehow a fear in Washington that these “allies” could become very soon real competitors. 
 
Northern pride or not, learned and authorized voices in Germany predict a bad future for the economical superpower in the very Middle of the European subcontinent: both Conservative Count Christian von Krockow and Socialist Thilo Sarrazin enumerate the problems Germany has now to face: dereliction of the education system, which is now unable to generate the needed amount of technical or scientific elites, demographic downfall, ideological stalemate, refusal of the immigrants to assimilate or even to integrate, non manageable crisis of the Welfare State, etc. The crisis affecting Greece or Spain are only preludes to the big crisis that will hit whole Europe, including Germany, in the next decades, if a complete and total change of mind doesn’t occur. 
 
- Are economics a fate for Europe or is there a deeper base for a union (or a separation) of all European people?
 
Europa had of course to harmonize its economy after the Second World War, as the five or six gloomy years that followed 1945 were a disaster for our countries, a tragical derelict period in our history that an American or British historian, Keith Lowe, describes in a recent book; these were years of misery just as in the former Eastern Block and in the Soviet Union. Germany was a heap of ruins and France and Italy had been harshly hit too by carpet bombings (although to a lesser extent than Germany) and destructions due to military operations dotted both countries. We cannot deny a real European patriotism among the first architects of the European unification process (as Schuman, Adenauer and De Gasperi): their obvious aim was to make of Europe —this time through economical and not through military means— what Carl Schmitt would have called a “Greater Area” (a “Grossraum”). But due to a degenerative process induced by mass consumption and “sensate” materialistic attitudes (I use here the word “sensate” as it was coined by Pitirim Sorokin), out of which the May 68 ideology was the apex, partly due to the constant but silent efforts of former OSS-agent Herbert Marcuse, the staunch vision of a United Europe (or even of a “Eurafrica”) gave way to a kind of general capitulation, leaving the leadership of the Euro-Atlantic zone to the United States, a process that is about to be definitively achieved now when the Americans are trying to control the whole African continent through the recently set up AFRICOM-Command and so to get rid there of the Chinese first, who will be followed by the French now helping the Yankees in Mali! Sic transit gloria mundi! We can agree with many observers that the “sensate” mentality and the priority given to materialistic values have been deliberately induced by American think tanks who were and are transfering into practice the ideas of Sun Tsu, according to whom you have to weaken your potential ennemies or competitors by awakening among them a Sybarite mentality. 
 
If set down as the main and only possible motor to create a social system at narrow-national or wide-continental levels, economics induces by fatality, and as a practice banking on quantities and not rightly on qualities, a materialistic worldview that emerges and eliminates quickly all other values, as Julien Freund could demonstrate it, and gets rid of all ethical or historical sense of duty. Each form of triumphant materialism prompt people not to feel linked to their fellow countrymen anymore or instigates them not to respect religious ethical duties towards others, be they partaking the same beliefs as they do or, as Christian or Tolstoian ethics lays it, be they simply human beings who should be respected as such with no other consideration. It is in this sense of abandoning all national-political or religious links that Arthur Moeller van den Bruck, who together with his wife Lucy Kerrick, translated Dostoievski into German, said that after only some decades of liberalism (i. e. The “sensate” materialistic ideology of what the Russian economist and sociologist Sergej Nikolaievich Bulgakov —1871-1944— called “bourgeoisnost”, a neologism aiming at defining the utilitarian ideology of British liberalism) a people simply dies as a genuine value-born community and become a heap of scattered individuals, as we have now in our countries. Europe should have first be unified by means of a common “culture”, by a common educational system, and, in a second step, we would have coined a common constitutional and civil law system, respecting ethnic and linguistic communities (“real communities”) throughout the subcontinent. So all the prerogatives of the Indo-European “First Function”, according to the French academician Georges Dumezil, would have been set down as a very first frame for a future unification process. Later, the “Second Function” should have been established by constituting an autonomous military system, not depending on the NATO structures (as it was fully juridically possible in each Western European country), including a European production network for modern weapons in order not to depend from abroad for military supplies. Only after having created a general culture, education, law and defence frame, we could have thought of various unification processes on economical levels. The first think you have to do is to design the frame for all non materialistic values, which would be the real backbone of the genuine “ideational” (Sorokin) civilisation you want to promote, except perhaps in the European context in the late Forties and in the beginning of the Fifties, where urgently needed attempts to unify the subcontinent on economical level were reduced to the essential and the minimum, i. e. the coal and steel industry (EGKS/CECA).
 
- After the Second World War, the United States got a very strong influence on Western Europe, that was subsequently transformed into a junior partner in a Euro-Atlantic political community with so-called “shared values”. How does “Euro-Atlanticism” works nowadays in Europe?
 
The process of linking Western Europe, and now all the former COMECON-countries, to the United States has been long and quite complicated to understand it in all its aspects (and to explain them in a short interview) but one can say without any hesitation that it has never been studied systematically till yet. Let’s say, to put it in a nutshell, that the first attempt of the United States to colonize mentally the Europeans (their most dangerous potential foes) was to submerge the European cinematographic industry in the ocean of Hollywood productions. The battle was thus “metapolitical”. Hollywood was supposed to replace entirely the European film industry. France, that had already developed a good film producing industry before 1939, was positively blackmailed by the Americans in 1948: if the French cinemas didn’t take at least 80% of Hollywood productions to be broadcast everywhere in France, the country wouldn’t benefit from the money of the Marshall Plan, at a crucial moment of postwar French history, when riots and strikes were paralysing the country, when food supplies in big cities were undergoing scarcity, so that we can now blankly ask the question: weren’t the Communists, who organized the strikes and were supposed to operate for the benefit of Moscow, not performing the job the American secret services wanted actually to be done, in order to force France to accept the American “diktat” to give money if the movies were alone productions of Hollywood? In the Fifties, the Social-Democrats were the main secret allies of the Americans, as a result that they were chosen as partners by the American Democrats around Franklin Delano Roosevelt, whose New Deal policy in the Thirties became a model for socialists throughout the European subcontinent. The metapolitical influence of socialism and social-democracy in Europe has as result that American Democrats are always prefered in Europe than Republicans: remember Kennedy, Clinton (who waged more wars than his Republican predecessors Reagan or Bush Senior), Obama (who’s continuing Bush Junior’s wars and replacing troops by drones, causing even more numerous casualties in Afghanistan and Pakistan...). I would like to take the opportunity to evoke here two important books to understand the mechanisms of Europe’s colonization by the United States: 
- Richard F. Kuisel, Seducing the French – The Dilemma of Americanization, University of California Press, Berkeley/Los Angeles, 1993;
- Reinhold Wagnleitner, Coca-Colonization and the Cold War – The Cultural Mission of the United States in Austria after the Second World War, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1994.
 
But the strategies developed in the European countries didn’t work properly: France under De Gaulle left NATO and asserted an original diplomacy throughout the world, partly along the lines defined by the Non-Aligned as suggested by De Gaulle’s famous declaration in Pnonh Penh (Cambodia) in 1966. This new French diplomacy, supported by able ministers like Couve de Murville and Jobert, was also backed by the high technological development of French aeronautics industry, producing among others the famous Mirage III fighters, that gave Israel the victory in June 1967. These planes were sold everywhere in the world and were serious competitors to American equals. Germany, despite its total destruction in 1945 and the millions of men who were prisoners of war in Europe (one million alone for France!), in the Soviet Union and in America could recover completely, in particular due to the courage of the women who helped rebuild the towns, the so-called “Trummerfrauen” or “Ruins ladies”, and could start the real economical wonder at the end of the Fifties, what aroused admiration even among former anti-Fascists. Germany had and still has a weak point: it has no aeronautics industry anymore but a well-developed automobile industry, perhaps the best in the world. The United States lost a lot of parts on the car markets in Europe due to the renewal of the celebrated German car brands: even American consumers started to buy German Volkswagen, Mercedes or BMW, just as Chinese or Russian new rich do nowadays. So the United States, once favorable to the European unification process, in order to get a huge market for their own products, began to reject secretely Europe as a unified economical block and to organize a commercial war against a lot of products like Camembert or Gruyere cheese, bananas from the French islands in the Caribbean Sea etc. European high technology companies, such as a German one producing solar panels, were spied by the ECHELON-Satellites; some former COMECON-countries were invited to join the EU and the NATO, so that the Europeans would pay endlessly for the constitution of a new military block aiming at “containing” Russia. The Europeans were to pay to sustain the weak countries and the Americans were taking the strategic benefits of the new situation without giving out a single penny. The last act of war is of course the speculation against the weaker economies of Southern Europe, in order to strike the “weak Mediterranean” belly of the subcontinent officially described as an ally but actually treated as a foe. 
 
According to geopolitican Robert Strauss-Hupe, who was formerly a collaborator of General Karl Haushofer’s “Journal of Geopolitics” (“Zeitschrift fur Geopolitik”) in his native Germany but had to leave the Reich after Hitler’s arrival to power because he was partly Jewish or had a Jewish wife and had to settle in America where he became an adviser of the US war machine, Europe and Germany in its middle part will always be potentially stronger than the United States for several reasons, among which he counted the excellence of the education systems and the “racial homogeneity”. The May 68 plots, coined by former OSS-officers like Herbert Marcuse (another German emigre) and many others, managed to destroy or at least to handicap seriously the European education systems. The importation of immigrants, having not benefited from a serious level of education in their own derelict countries, aimed at paralysing the social security systems and at compelling the European States to devote incredibly huge budgets to help these new masses of jobless people to survive in everyday life instead of creating for instance a good military or aeronautics industry. Second purpose of mass immigration is to be able to manipulate these masses in order to create severe civilian disorder in countries that could, for one reason or another, loose the links that bond them to America: this was said frankly by a former US ambassador in Paris, Charles Rivkin (that we shouldn’t confuse with the economist Jeremy Rivkin), who started a policy of supporting leaders of agressive youth gangs in the Parisian suburbs and promising them American and Saoudi or Qatari support. The riots that set ablaze the Parisian suburbs in November 2005 were a revenge of the US neo-conservatives aiming at chasing “disloyal Chirac” from power and to replace him by the man who took away a maximum of votes from Chirac’s RPR/UMP and from Le Pen’s “Front National”, i. e. Nicolas Sarkozy, by promising the French to “karcherize the banlieues” and to eliminate the “racaille” (the riffraff) (a “Karcher” is a brand derived noun, as Karcher-machines are used to remove the dust or the filth from houses’ walls by using an extreme powerful water spray). Nothing of that sort was obviously ever done but Sarkozy came to power and brought France back in the NATO and waged a war against Libya, so that the Congress in Washington hadn’t to vote war credits... The 2005 Parisian riots were used to promote an obscure suburb politician, who uttered a strong agressive and hysterical language to gather votes in order to change radically the Gaullist political orientations of his country in favour of the American world strategy. Objective observers can so see what can be the useful purpose of jobless masses in “alien audiences” (Bill Clinton), that are perhaps “allies” but should sometimes be thrashed. 
 
American influence is consolidated by several musical fashions and modes and through media agencies that always convey the US interpretation of world events. In France, the best exemple is furnished by the so-called “nouveaux philosophes”. This bunch of jabbering nonsense and humbug producers is determining the agenda of French politics since the end of the Seventies. The figurehead of the bunch is undoubtedly Bernard-Henry Levy (BHL), who has indirectly —with a leftist or pseudo-theological or pseudo-republican (French style) “wind language” (this expression was coined by Regis Debray)— supported all the American or Israeli moves on the international chessboard, depicting all the ennemies of America as if they all were dangerous Fascists, venomous dictators or backward populists, nationalists or paleo-communists. In France, BHL lead a systematic campaign against all possible challengers in domestic politics and not only against the nationalists around Le Pen. So the “shared values” of the so-called “Atlantic Community of Values” are now a mix of conservative Atlanticists (when some naive Catholics or Protestants believe that Washington is a kind of new protecting and benevolent Rome, as an otherwise interesting student of late Carl Schmitt, Erich Voegelin, who migrated to the United States during Hitler’s time, theorized), of Socialists of all kinds linked to the American Democrats in the Rooseveltian tradition, Manchesterian liberals who believe religiously in the credos coined by Adams Smith’s heirs, left-wing liberals a la Cohn-Bendit whose endeavours to promote the dissoluting anti-values of May 68 in order to weaken permanently Europe for the benefit of the United States, recycled Trotskites who replace the former Bolshevik notion of “permanent revolution” by the the actual practice of “permanent war” on Brzezinski” Eurasian chessboard (see the polemic books and articles of Robert Kagan), a permanent war around the territory of Afghanistan aiming at containing and destroying Russia, perceived as the heir power of the Czars and of Stalin. These are of course the “anti-values”, the values of “Non Being” as Jean Parvulesco polemically called them, against which my friends and I have struggled since the very beginning of our public activities. They are indeed “non being” values as it is impossible to build a lasting state or empire banking on them (for instance Parvulesco’s vision of an “End of time’s Eurasian Empire”). BHL endeavours have as main and only purpose to prevent the return of real political values, such as the ones Carl Schmitt and Julien Freund (among many others) illustrated in their precious works.
 
- Do you feel more “freedom” in Europe after Obama announced the emergence of a US “Pacific Axis”?
 
No. Not really. But maybe we can say that constant pressure is not needed anymore in Western Europe now because our countries are politically dead after so many decades of “liberalism” as Arthur Moeller van den Bruck would have said. It is also true that after the tragical and awful events in Libya in 2011-2012, where BHL was Sarkozy’s adviser instead of the French army’s generals (!), the figurehead of the “nouveaux philosophes” has lost a good deal of his impact on public opinion. The Lybian affair caused among other changes in French domestic politics the fall of Sarkozy who betrayed De Gaulle’s vision of international politics, in which France should have played an independant role in front of the orther superpowers. One of the last flops BHL committed in April 2012 was to describe Algeria —which is now simultaneously courted by the United States to join an informal “Southern NATO” around US main ally Morrocco and threatened like Syria is for keeping the militarized FLN in power since the independance of the country in 1962— not as an Arab and Muslim country but as a Jewish and French country! This vicious attack is emblematic in a certain way as Algeria wanted to be an Arab, Panarabian and Arab nationalist country within the community of Arab countries, despite the fact that most of the Algerians are of Berber/Capsian stock. The Arab reference of the Algerian nationalists, who spoke in the Sixties a dialect quite different from the classical Arabic language, was to take the new independant country out of isolation, to participate to a wider range of non aligned nations and to be close to the Nasserite form of the Panarabian ideal. Although a very interesting political figure as the former Algerian President Houari Boumediene remained a purely political thinker who could generate a team of very able diplomats in the Seventies and Eighties (before the terrible civil war of the “Blood Decade” from 1992 to 2003). These diplmats could for instance solve the problems between Iran and Iraq in 1975, when the circulation of oil vessels could be pacifically regulated in the Chatt-el-Arab part of the Gulf. Iran was represented by the Shah and Iraq by Saddam Hussein. Mohammed Sahnoun, adviser of President Chadli (Boumediene’s successor), was the head of a geopolitcal school in Algeria and lead the diplomatic mission to solve the problems in the Grand Lakes area in Africa. Sahnoun pleaded for an Euro-African alliance aiming at keeping the United States out of the Black Continent, especially out of the Horn of Africa, a region which is a strategic bridgehead to the Indian Ocean, described by Mackinder’s heir as the “Heart Sea” in front of Russia as the “Heart Land”. Still more interesting, Sahnoun theorized in a positive way the pacific and cooperative juxtaposition on the international chessboard of “cultures”, that would have to come back to their roots and abandon the false seductions of mean modern ideologies. Sahnoun is the real antidote to the conflict arousing perspective of late Samuel Huntington, who perceived the cultures as automatically antagonist. His ideas find an echo in the works of his Japanese alter ego, Moriyuki Motono, adviser of former Prime Minister Nakasone, who also pleaded for a pacific juxtaposition of “cultural areas” but having this time neighbouring “intersection areas” which would help neighbours to understand each other better, simply because they have in their spiritual heritage values shared by both neighbouring cultures. 
 
Boumediene had been a student of Arab literature and was surely a pious Muslim but he never used religion as an emblem of his “Algerian specific socialism”. When BHL says that Algeria is neither a Muslim country, he attacks also the Salafists of the wide range of Muslim-oriented political forces in Algeria. To say that Algeria is both Jewish and French means that Algeria is unable to help itself and needs a recolonization by the Jews and French, who were expelled in 1962. BHL added that in the short run Algeria will be undergoing an “Arab Spring” like Libya and Syria. This is of course a clear threat to an independant country which has already experimented a civil war that caused hundreds of thousands of casualities. But this has been too much: BHL isn’t taken seriously anymore. Even the Belgian daily paper “Le Soir” (25th April 2013) titled “la Syrie ne fait plus recette” (“Syria doesn’t bring cash anymore”), deploring that initiatives to raise money for the Syrian rebels in Belgium isn’t a success. So the whole ideology that BHL and his chums are trying to impose with a good dose of forcefulness loses currently all impact: people aren’t interested anymore. 
 
This attack against Algeria brings me directly back to your question: the purpose of the Atlanticists is to include Algeria in a kind of “Southern NATO” by giving the former Spanish Sahara to Morrocco and give Mauretania as a kind of newly designed colony to an officially anti-colonialist Algeria, so that Algeria could get its geopolitical dream fulfilled by being simultaneously a Mediterranean and an Atlantic power. The problem is that the distance between de Mediterranean and the first parts of the Mauretanian Atlantic shore is incredbly long: more than three thousand kilometers of sand desert, with poor communications by road or railway and so without any economical utility and permanently under the threat of the Morroccan army, which can at any time withdraw in the Atlas mountains and strike back at will. The gift suggested is not a real gift. The US goal is to control the whole former French West Africa, from Dakar in Senegal to Somalia, Djibuti included, in order to protect the exploitation of oil fields in Nigeria, Camerun and Chad and to prevent the Chinese to be the leading exploiting power in Black Africa. So your question asking if Europeans feel more “safe” or “free” since Obama decided to give priority to a Pacific Axis can be obviously answered negatively as the containment of China in the Pacific implies a US presence in Africa and the creation of a “Southern NATO” being an annex of a general AFRICOM-bolt that would encircle completely Europe on its meridional flank. If China loses its African positions, it will be considerably weakened and unable to order as many goods as nowadays in Europe. Germany would also be weakened and Belgium risks to be in the same situation as Greece or Spain, as its public debt is quite high, especially since the compelled taking over of two bankrupt banks after 2008 (Fortis and Dexia/Belfius): the planned crumbling down of the eurozone would be brought to an end and the “Northern euro” would only be a dream of paleo-nationalists in Germany and Northern Europe. One must not forget that Belgium and especially the Walloon coal-and-steel areas were hit by the Iranian Islamic revolution that prevented the consolidation of the nuclear power and steel industry cooperation that the Shah started with France, Germany and Belgium. The so-called Islamic revolution in Iran had for us all severe consequences so that, even if we refused all forms of agression against present-day Iran and if we respect the positions of President Ahmadinedjad on the Eurasian chessboard and in Latin America (when he cooperated with Chavez), we don’t share some views of yours and of former ex-Maoist journalist Michel Collon about the history of Iran before the Islamic revolution of 1978-79. We don’t forget that the same “nouveaux philosophes” and Trotskites, who preached against the Shah in the streets of Paris, Brussels and Berlin in 1977-78, are now trying to excite people against Ahmadinedjad, exactly as they did against Milosevic, Putin, Lukachenko, Khadafi and others! The purpose is to prevent all cooperation between Europe and Iran, be the regime overthere Imperial or Islamic; therefore we defend the positions of the Shah in the Seventies and we support all initiatives trying to prevent a useless and criminal war against Ahmadinedjad’s Iran.
 
Obama’s Pacific Axis has thus effects on the Southern flank of Europe. Wherever they strike, they hit us all. Hitting China in Africa means hitting Europe here and there too. 
 
-What do you think about EU-outsiders such as Turkey, Serbia and some ex-Soviet countries like Moldova, Belarus and Ukraine?
 
Turkey is a tremendously interesting country to study and it fascinates me since two memorable periods in my life: 1) the long trip our Latin and Philosophy teachers organized for us to Turkey in the Summer of 1972; 2) My subsequent reading of Arnold Toynbee’s pages on Bythinia, the Byzantine Empire and the Ottoman Byzantine strategy; according to Toynbee, who was a “byzantologist”, the power that dominates the small narrow former Roman province of Bythinia and the neighbouring Bosphorus area is able to expend in all directions, i. e. the Black Sea, the Balkan, Caucasus, Syria, Egypt and Northern Africa and even beyond if enough material and human means are available. It’s maybe therefore that the American strategist Edward Luttwak has recently written a book about the Byzantine strategy, which aimed, when the Byzantine Empire was still a powerful commonwealth, at controlling all the former areas of the first Roman Empire exactly like the Ottomans will later try to expend alongside the same geostrategical lines. The Ottomans couldn’t perform the task: their sea power was fragilized after the battle of Lepanto (1571) and the definitive blowback was a fact after they failed to take the City of Vienna in 1683. After the terrible defeat in front of Vienna’s walls, their decay period started, even if they could maintain their grip on the Balkans, Syria, Palestina, Iraq and Egypt till the Russian-Turkish war of 1877-78, the Balkan uprisings of 1912-13 and the defeat of 1918. In the eyes of their leader Mustafa Kemal Ataturk, the Islamic-Ottoman option had been brought to an end and the remaining Turkish state had to follow other paths. It should first get rid of the Islamic past and find a new identity that according to Ataturk himself should be a Hittite identity (he therefore opened an archeological museum in Ankara). By choosing a Hittite identity, Ataturk intended to identify his country, reduced to the Anatolian part of the former Ottoman Empire and bereft of all the Iraqi oil fields, with an Indo-European people that came from Europe to conquer Anatolia, where it left an astonishing civilisation, and induced geostrategical lines that were taken over by the Romans and the Crusaders marching towards Syria and Mesopotamia. The Hittite rage didn’t last long in modern Turkey and was replaced in the political mythology of the anti-islamic military elite by Panturkism or Panturanism, aiming at assembling all Turkish-speaking people in one giant state from the Egean to China. This Panturkic ideology was resolutely anti-Soviet as the main Turkish-speaking area the Panturkists wanted to acquire were in Soviet hands in Central Asia. In 1942, when the Germans could have taken Stalingrad and cut in their very middle the supply routes the Americans had created in Iran by organizing the Paniranian railways and in the Northern Atlantic from New York to Murmansk by organizing huge convoys of “Liberty ships” bringing ammunitions and material to the Soviet Army, Turkish officers around Staff-Chief General Cakmak proposed in Berlin to invade the Caucasus but their scheme was so abstruse that the Germans didn’t want this suggested alliance implying the emergence of an even more dangerous super-state in the East. 
 
Erdogan has inaugurated a new era in Turkish politics as he rejects officially the non religious Hittite and Panturanic/Panturkic projects in favour of a renewed Ottoman-Islamic scheme. His aim is to crush the former military elite and to replace it by a new pious “bourgeoisie” that thrived economically in the new developing area in the South-East part of present-day Turkey. We cannot meddle in the domestic affairs of Turkey and dictate the Turks in which way they should think. So be the official ideology Kemalist or Neo-Ottoman/Islamic, we don’t care and simply hear and listen to what Turkish politicians say. But when Erdogan comes to Germany or Belgium and urges Turkish people living in our countries not to assimilate (which I can understand because Europe lives now in a dangerous and deleterious period of decay) and to form a kind of “Fifth Column” in a Europa that they will in the end control and bereave of its identity, we cannot agree. We disagree too with the Syrian policy that Erdogan followed in supporting the Western- and Qatari-backed rebels against the Baath regime of Bechar El-Assad. It would have been better if Turkey had followed its initial policy of friendly relationships with Syria before the fatidic visit of Erdogan and Gul in Damascus in August 2011, when they tried to impose ministers of the rebellious “Muslim Brotherhood” in a next hypothetical Syrian government. The links that the present-day Turkish president has in the bank world of the Gulf Emirates and most probably of Qatar are of course another problem, that can jeopardize fruitful future relations with Europe and Russia. Erdogan’s Minister of Foreign Affairs, Ahmet Davutoglu, nicknamed the “Hoca”, the “Professor”, in Turkey, wanted to develop a neo-Ottoman foreign policy, which we could have accepted in its first version, as it wanted “zero problems on our borders” and started the first positive policy towards Syria, Iran, Libya and other powers in the Near- and Middle-East. But this orientation has had no future, unfortunately. Of course from a European, Austrian, Panorthodox and Russian point of view, we cannot accept the expansion of a neo-Ottoman scheme in the Balkan, that would be backed by the United States, Saudi Arabia, Qatar and the so-called Islamic finance, from which apparently Gul proceeds. Even if Prof. Dugin and his Italian friend Claudio Mutti were deeply influenced by Leontiev’s ideas, which prefered an Ottoman domination in the Balkan than the juxtaposition of false Orthodox mini-powers strongly influenced by modern Western ideas, things have changed in the second half of the 20th century and it is of course now better for all of us to support in the Balkan Croatian or Serbian geopolitics. 
 
This brings us to Serbia. This country is the “core area” of the Balkan. Even if Germans had a general tendency to support Croatia in the Nineties instead of Serbia, the Austrian geopolitician Baron Jordis von Lohausen supported Serbia at the end of his life and even evoked an Axis “Vienna-Belgrado” to link Danubian Europe to the Egean by the shortest river and land roads. Croatia has a different perspective on geopolitics: its geopolitical lines are Adriatic-Mediterranean and the only conflict with Serbia was about a “window” on the Danube river at Vukovar where fierce fights opposed Croatian troops to the Serbian Army. In 1995, the Croatian Army conquered the Kraina region, which was peopled by Serbian villagers but was a strategic balcony threatening Dalmatia’s harbours which were formerly Croatian-Venetian. The dramas of Vukovar and the Kraina have certainly left a huge amount of bitterness in former Yugoslavia but the core area that Serbia is has not been so dangerously threatened as it was later by the Kosovar independance movement lead by the Albanian-speaking UCK-militia. Kosovo was till the Ottoman invasion in the 14th century a pure Serbian province, in which the tragical battle of the “Blackbirds’ Field” took place and in which the oldest Orthodox monastries stood. The independance of Kosovo is certainly the oddest mutilation of Serbian territory that we have to deplore. As you perhaps know, I am and was a friend of both Tomislav Sunic, the Croatian thinker, and of late Dragos Kalajic, the Serbian painter and traditional philosopher who published the Serbian version of the magazine “Elementy”. I am also a friend of Jure Vujic, the Croatian geopolitician and political scientist who recently published a book on Atlanticism and Eurasianism, for which I wrote a foreword: you have commented this book and my introduction on one of your websites. Sunic, Vujic and Kalajic were speakers at our Euro-Synergies’ Summer Courses in France, Italy and Germany. Sunic has written a book on the American Evil in Croatian and so did Kalajic (“Amerikanski Zlo”) in Serbian. In 1999, together with Laurent Ozon in France, I opposed the NATO-intervention against Yugoslavia and I spoke with Kalajic and his Italian friend Archimede Bontempi in Milano, together with the Mayor of the City, to explain how the war against Serbia was a war against Europe, which purpose it was to block all river traffic on the Danube and to destroy for long all developments in the Adriatic Sea, where NATO-fighters dropped their extra bombs in the sea, killing Italian fishermen. We dispatched the texts of the gallant American senator of Serbian origin, Bob Djurdjevic and, on their side, the left-wing Professors Michel Collon and Jean Bricmont did the same: Collon remembers this all around dispatching of counter-information on Serbia as the first resistance action on the internet in a recent speech he held in Brussels and Bricmont was even savagely beaten up by the thugs of the Brussels police and thrown an all night in a dirty cell because he stood in front of the NATO-buildings in the Belgian capital, just as some years later the Italian member of European Parliament and former Justice Secretary of State Mario Borghezio, who had opposed the bombings of Belgrado too, got also —even if he is an elderly man— a hiding with truncheons by the same scum and thrown in a cell: the Italian Embassy had to send officers to order the Belgian government to let him immediately free. 
 
Kosovo is the central part of what Kalajic called the “Islamic chain of States” that Americans and Saudis intended to install in the Balkan in order to bolt the landway between Central Europe and the Eastern Mediterranean, leaving Greece isolated and weakening all possible allies of Russia in this area. Kosovo will shelter the hugest military base of the United States in Europe, the “Camp Bondsteele”, that was built by Halliburton and where a substantial part of the US garrisons of Germany will move to. The purpose of this policy could have been read in Sir Nigel Bagnall’s book about the “Illyrians operations” of the Romans between 229 and 227 B.C. and between 215 and 205 B.C. In these historical studies by the former Chief of the British General Staff, the importance of the central areas of the Balkan are duly stressed: the book has been written in 1990 and its German translation dates back 1995, just four years before the bombings started in Serbia (Sir Nigel Bagnall, Rome und Karthago – Der Kampf ums Mittelemeer, Siedler, Berlin, 1995). A control of this central Kosovar-Serbian part of the Balkan allows every superpower to threaten or control Italy and to benefit from a springboard towards Anatolia and further East, exactly like the Ancient Macedonians did at the time of Alexander the Great at the eve of his invasion of the Persian Empire. The Ottomans, once they could control the same areas in the 14th century, became a permanent threat for Italy, Central Europe and the Black Sea (Pontic) area. So an intact Serbia could have been the territory that would have united Central Europe (Austria’s imperial heritage) and Russia (in a Panorthodox perspective) in the struggle to repel all foreign powers out of the Balkans, the Eastern Mediterranean, the Adriatic Sea and the Pontic area. 
 
Now the EU and the United States are trying to blackmail Serbia, promising a rapid membership in the EU if Serbia recognizes Kosovo as an independant state. I hope Serbia is not going to abandon its traditional position and still will consider Kosovo as a lost province that will one day be Serbian again. 
 
If we hear almost nothing about Moldova here in Western Europe, Belarus is described in our mainstream media as a clownish dictatorship of paleo-communist bigots. Belarus is nevertheless the central part of the North-South “Baltic/Pontic” line. There are three such North-South lines in Europe: 1) the Rhine/Rhone line linking by landways the North Sea to the Mediterranean; 2) the Baltic/Adriatic line from Stettin or Gdansk/Dantzig to Trieste in Italy or Pula in Croatia; this area will in the short run be linked by a direct railway track linking Dantzig to Ravenna in Northern Italy, a City that was the capital of the Ostrogothic Kingdom in Italy, which was conquered by the Byzantine General Belisarius in 536. In the Middle Ages, King Ottokar II Przmysl (1253-1278) of Bohemia wanted to create a realm linking the Baltic Sea to the Adriatic: the future rapid railway track between Gdansk/Dantzig and Ravenna will fulfill his dream; 3) the Baltic/Pontic line has never been united except perhaps by the Goths at the eve of the Hun invasion of Central Europe and the Roman Empire; therefore this line is sometimes called the “Gothic Axis”. The Polish-Lithuanian state was an attempt to restore this Axis under the Baltic-Slavonic Jagellon dynasty but the project failed due to the Ottoman conquest of the present-day Ukrainian territories beyond Odessa and of the Crimean peninsula. In the 18th century, the Empress of Russia Catherine dreamt together with the German philosopher Johann Gottfried Herder to create in this space between Lithuania and Crimea a realm that would be a new Germanic-Baltic-Slavonic Hellas, on the model of Ancient Greece. New enlightened societies would have been created in this area separating Western and Central Europe from Russia, that is simultaneously an “intersection area” according to the Japanese “culturalist” philosopher Moriyuki Motono (cf. supra), who perceives “intersection areas” as unifying factors and not as dividing forces. The very importance of Belarus, as the central part of this potential “intersection area” and of the “Baltic/Pontic” line should prevent the European medias to bash constantly Belarus and its President Lukatshenko and find instead all possible positive approaches of the Belarussian factor. 
 
At the time of the so-called “Orange revolution” (2004-2005), we could have feared that the Ukrainian state would have joined the NATO and have isolated the Crimean Navy base of the Russian Black Sea Fleet, which was one of the purposes Zbigniew Brzezinski hoped to achieve. For Brzezinski the fall of the Ukraine would have meant the total and complete achievement of his long elaborated strategy, as it would have weakened Russia definitively and made of the Black Sea an American-Turkish lake. Due to the victory of the anti-orange party in Kiev and Kharkov, Brzezinski’s project is doomed to be a failure, what he has recognized himself by saying that his long hammered policy of destroying Russia, by supporting the Mujahiddin in Afghanistan, the secessionist forces in the Muslim Republics of the former Soviet Union and the Ukrainian nationalists couldn’t be carried out in due time and that the United States had now to change strategy and try to ally with Russia in order to create a “Northern Hemisphere” Big Alliance with Northern America, Europe, Russia and Turkey (see one of his last books “Strategic Vision”, published in the United States in March 2012). 
 
- Do you think that some of these countries could possibly join the NATO or the EU for political reasons, like Rumania and Bulgaria did at the time of the so-called NATO-enlargement? 
 
Turkey is already a NATO-member and among the most important ones due to the old strategic position its territory occupies between the Black Sea, the Balkan, the Syrian area, the Eastern Mediterranean and Egypt. But there is absolutely no necessity for new countries to join the NATO as this Atlantic Alliance had been set up in the time when communism was still a quite virulent ideology that allegedly wanted to export a “world revolution” and put the rest of the world ablaze. This ideology doesn’t exist anymore, except in the form of “trotskism” now skillfully disguised in neo-conservatism as “permanent revolution” (Trotsky) has become “permanent war” (Kagan): the real “communist danger” nowadays is America as a trostskite/neo-con superpower, even more virulent than the Soviet Union ever was. And even in the last years of the “Cold War”, the American grip on Europe became tighter, after the “century’s market” which imposed American fighters in all the air forces of Western Europe instead of the French Mirage or the Swedish Viggen fighter or a new fighter having been produced by a joint Swedish-French venture. This incident proved that our political elite was rotten and corrupted and that they were not conscious of the treason they committed and, subsequently that we were not free and constantly betrayed by degenerated politicians; all that induced us to reject NATO as an enslaving organisation (slaves are not entitled to carry weapons). So since the very beginning of our activities we were hostile to NATO, as Jean Thiriart was some ten years before us. We could bank on several Belgian political traditions, that never could be implemented: when NATO was created under the impulse of the Belgian socialist minister Paul-Henri Spaak, the conservatives among the Belgian politicians were mocking the attempt to build such an Alliance and nicknamed it “Spaakistan”. They were reluctant to include Belgium and the Belgian Congo colony into such a “Spaakistanese” construct. Later the Catholic Prime Minister and future Foreign Affairs minister Pierre Harmel tried to escape the grip of America by proposing new bilateral relationships between small powers of the NATO commonwealth and small powers of the Warsaw Pact, i. e. between Belgium and, for instance, Poland or Hungary (as Catholic countries, Hungary being a State having belonged like Belgium to the Austrian Empire). These ideas, that were impossible to implement due to the total infeodation of Belgium, are nevertheless still alive in the debates run in the country: Prof. Rik Coolsaet and diplomatic TV-journalist Jan Balliauw continue this critical tradition of Belgian intellectuals and diplomatic personnel who were never tired to criticize American policies on the international chessboard. 
 
In 1984 I had the opportunity to meet at the Frankfurt Book Fair former Division General Jochen Loser of the German Army, who also was the last young officer who had been evacuated by a Ju52 plane from Stalingrad after having lost his hand. Loser had been disgusted by the colonialist behaviour of Americans and moreover by the policy of installing Pershing rackets targeting Warsaw Pact positions, risking to provoke Soviet retaliation on the German soil. Consequently Germany, East and West, could have been wiped out the map through a carpet bombing through nuclear weapons. A neutrality policy based on the models of Austria, Switzerland, Finland, Sweden and Yugoslavia was therefore the only rational possibility. The neutral central zone in Europe should, according to Loser, be enlarged to East and West Germany, Poland, Czechoslovakia, Hungary, the Netherlands, Belgium and Luxemburg. A Swiss-Yugoslavian bunkerized defence system should have sanctuarized the whole area. The perestroika of Gorbachev made this kind of speculations useless. One year later, General Gunther Kiessling, German delegate officer at the NATO Headquarters in Casteau (Belgium) was also disgusted by the fact that High Staf officers were always American or British despite the fact that European armies were more numerous in the forces displayed by NATO; Kiessling subsequently advocated a foreign policy based on Harmel’s ideas. Our positions, at the very beginning of the history of our magazines “Orientations” and “Vouloir”, stood in this rational, political and non ideological way of thinking and our hostility to Washington’s warmongers derives from these objective statements.
 
- In one of your articles issued in 1998 you wrote about the priority of “Volk” over abstract state. How do you think about this position now when we have a postmodern mix with the social networks, the long-distance nationalism and the immigrants flows?
 
I don’t remember exactly about which article you are talking. But nevertheless the sense of belonging, the sense of duty and, if necessary of sacrifice, is only possible when you are embedded in a blood and soil humus or if you’re “roped together” (“encordes”) like alpinists with your fellow-citizens as the present-day French philosopher Robert Redeker says in denouncing the degenerative Western fashions, focussing only on the diseased “ego” reduced to the only physical body, the “Egobody”, as he calls it, and trying to embellish it by artificial interventions or bizarre tricks like tattoos, piercings, mamal implants, etc. Modest traditional people should have a “craddle country”, have a dialect, i. e. words of their own that are a part of their intimate identity, an identity that has to be linked by a “long story” or a memory which ought to be embedded in a genuine history and in songs, poems and novels that are their own and non imported. Intellectuals of course have always had a more open mind, could always throw and catch a glimpse beyond the border of their own kinship but this is of course not a reason to reject viciously what’s carved in your own self and create artificially cosmopolitan societies and pseudo-values, believing they are the only keys to the future, i. e. cosmopolitan societies that neo-liberals a la Soros now call “open societies”. A society is dangerously “open” when all its members have lost their memories, when they are serialized like preserved meat cans or like poor battery chickens. The notion of “Volk” was first coined philosophically by Johann Gottfried Herder, who had a great influence in Russia and inspired the “Narodniki” thinkers. This enabled the Czar in the 19th century to pay linguists and grammarians to write down a first scientific Russian grammar and also, a couple of decades later, grammars of the Baltic languages. Later, even the Soviet system could better preserve the small peoples of the present-day Russian Federation like the Mordves, the Chuvashes, the Maris, etc. and give them autonomous districts or republics that kept their cultural heritage intact without even endangering Soviet Union or current Russia as supranational wholes. This also is a heritage of Herder’s thinking, which is “another Enlightenment” quite different than the Enlightenment that generated the Western ideology. You could of course say that the Soviet system of ethnical republics lead to the tragedy of Chechnya and the dangers of an Islamic rebellion in Tatarstan or Bashkirtostan. I answer this objection by remembering that other Republics, like of course Ossetia remained absolutely true to the links they have since about two centuries with Russia and that the Muslim religious authorities in Kazan develop an Islam that is original and immune in front of all the false seductions of Wahhabism. 
 
Religious values can only be kept alive in the “ethnical-ideational” frames that “Volker” objectively are, without any sanctimonious or bigot derivations. Big overcrowded Cities are a danger for the human kind not only in Europe, in Japan or in Russia but also in Africa (see the horrors of the slums in Nigeria for instance) and in Latin America (Mexico City and his criminal gangs having transformed this poor country —that once upon a time fascinated the English writer David Herbert Lawrence— in a “failed State”). Once more the idea of a variety of people on the surface of the Earth, expressed some decades ago by the Breton thinker Yann Fouere and his Irish fellows among the true leaders of Eire (De Valera, MacBride, etc.), is a true and acceptable “inter-national” idea, i. e. an idea shared “among nations” (Latin, “inter nationes”), as the people are “actually existing” and the pseudo-international, cosmopolitan ideas are mere chimaeras. You cannot sell the cosmopolitan ideas of Parisian intellectuals a la Bernard-Henri Levy in Africa. The Chinese by cleverly refusing to impose their own foreign notions to Africans could conquer markets in the most derelict states of the Black Continent because their leaders were fed up by the moralizing and intrusive interference of the West with their domectic affairs. The French-speaking poet and writer Leopold Sedar Senghor, who became President of Senegal, was an attentive reader of Count de Gobineau, described in all possible “antifa” books and essays as the “Father of Racism”. The couple of pages Gobineau devoted to the African people in is “Essay on the Inequality of Races” didn’t upset the future President of Senegal when he read them as a student involved in the “Negritude” movement in France and French-dominated Africa. Senghor stressed the necessity to keep in each possible culture, in Africa, Europe or elsewhere in the world, the figure of the “conteur”, the “storyteller”, who transmit the people’s memory to the future generations. In a developed country the collective “storyteller” could be the historians and philologists, who surely exist in the best way in our societies, but are edged out and bereft of all consideration in front of all the negative figures of modernity like bankers, economists, lawyers, technocrats, etc. who have wiped out the collective memories in our developed societies, destroying what Redeker, as an attentive reader of Heidegger, calls the “encordements”, the “roped-togetherness”, leaving behind a miserable crippled (sub?)human kind unable to react properly in front of all the challenges of postmodern age. 
 
Postmodern thoughts could have been an opportunity to get rid of the Western ideology that claims to be the only heir of the 18th Century Enlightenment and as such the only “true” acceptable way of thinking: all other forms of thoughts being dismissed as unacceptable, racist, fascist, non democratic, etc. becoming automatically a domestic outlaw, who would surely be totally ignored by the mainstream media (which is a contradiction to the “Human Rights” principles as such an edging-out is equivalent to the forbidden political crime of condemning a citizen to the “civil death”) or an international thug, whose state would be registered in the “Black List” of the contemptible “Axis of Evil States”. Armin Mohler —who wrote the most memorable book introducing us to all the aspects of the German so-called “Conservative Revolution” and asked all non-conformist Europeans in the Sixites and Seventies to show an actual solidarity towards all the States that the USA described as “Rogue States”— had hoped in 1988-89, just some months before the destruction of the Berlin Wall, that postmodern trends would have eroded the Western ideology, which in Germany had become a must in the versions coined by Sir Ralf Dahrendorf (who was a British citizen) and Jurgen Habermas. No one could think, elaborate an ideological corpus outside the only few paths indicated by Habermas, the atrabilious professor who was always rising an admonishing finger. Postmodernity signifies first of all relativism. One could have needed a relativism precisely to “relativize” the new compulsory ideology imposed not only in Germany but everywhere else in Western Europe. 
 
Unfortunately for Western Europe and for the ex-Comecon states now included in the EU, the relativism of some postmodern thinkers couldn’t perform the job that Mohler hoped that we would have achieved. The relativism of postmodern thoughts leads to a still more “sensate” world of decay, that the late and regretted French thinker Philippe Muray called the “festivism”, mocking the current trend to invent new “postmodern” festivities like Gay Prides to replace traditional and liturgical religious festivals or ceremonies. Mohler hoped that postmodernity would have restored an ironical criticism banking on the traditional irony of Ancient Greek philosophy (Diogenes), on the famous “Hammer’s philosophy” of Nietzsche aiming at generalizing a “joyful knowledge” and on some aspects of the Heideggerian will to “fluidify the concepts”, that’s to say to eliminate all the rigidities the concepts had acquired by time because of the bad habits of starchy philosophers who only could repeat stupidly what their brilliant teachers in the past had said, so that they were constantly losing the substance and rigidifying the forms. Heidegger had been ordered by Conrad Grober, his parish priest (who as an eminent theologist became later the Archbishop of Freiburg-im-Breisgau), to study the concepts of Aristoteles in order to think beyond the rigid concepts the Scholastics had clumsily fabricated out of the genuine Aristotelian materials. According to Grober, Aristoteles’ concepts were more dynamic than static: the schoolmen hadn’t understood properly the meaning of the Greek grammar tenses, that express a variety of time meanings, among which some were rather static and others frankly dynamic. The schoolmen had only kept the static meaning in their narrow brains. Grober wanted to restore the dynamic nuances and save the Catholic faith (it was his main aim!) of sclerosis due to a too static interpretation of Aristoteles’ concepts by the scholastic tradition. 
 
The worldwide adoption of the poor substanceless cosmopolitan cogitations will surely destroy ethnical and ethical values, i. e. the “Volker” and “volkisch”-determined values Herder and the Narodniki wanted to save by a constant acitvity of poets, archeologists, philologists, grammarians and historians as well as the religious traditional values eminent men like Guenon, Evola, Tucci, Schuon, Coomaraswamy, etc. wanted to restore. “Nationalism” in the positive sense of the word, that’s to say in the sense Herder had wanted to impulse in Germany, Russia and elsewhere, implies that you feel as your duty to immerge yourself in your national-ethnical-linguistic surroundings, as actual and non fictional surroundings, in your “Nahe”, your proximity, as Heidegger has taught us and as he had practiced it by drinking beers with his beloved and often forgotten brother Fritz in the pub of his native town of Messkirch in Schwabenland and by having long walks on the paths of the Black Forest near his small chalet of Todtnauberg. Heidegger also stressed the importance of the “Nahe” in a speech he held in plain language for the inhabitants of Messkirch in 1961; the speech was about television: Heidegger explained that television was a devilish device introducing “Farness” (“die Ferne”) into our “proximity” (our “Nahe”), ruining the entrenchments and real-life links we needed as stabile and not uprooted beings. Nowadays with modern devices as MP3, iPods and another useless knick-knacks every possible event or presposterous fancy spectacle is permanently irrupting in our daily lives: strident or cacophonic GSM-bells are ringing when you’re in your bath, in a tramcar, in a romantic restaurant, in your girlfriend’s bed or at a serious meeting, pupils can watch a film in the classroom without being caught by the unaware teacher, young girls and boys are emitting curious sounds in the bus because they’re listening to loud crazy music, so that they’re even conscious of making noises. This kind of subhumanity you can observe now in your daily life is maybe the humanity of the “last men twinkling their eyes” (Nietzsche) but they are surely “people without a centre” as Schuon explained it in his tremedously interesting book “Avoir un centre”, trying simultaneously to find a remedy to this anthropological disaster. Schuon opted for meditation in the Sahara desert or among the Sioux in North America. 
 
These are the very results of the lost of all form of liturgy in religious life: D. H. Lawrence warned against such a lost in his booklet “Apocalypse” and Mircea Eliade devoted almost all his life to the study of real-life faiths. Maybe as Orlando Figes explains it in “Natasha’s Dance”, his recent book about Russian intellectual life before the Bolshevik revolution, the “Old Believers” revolted against the modern world in being in the 16th, 17th and 18th centuries because rituals and liturgical sacred gestures were scrapped out of Russian religious life... So you can surely create a virtual community of “nationalists” or of “traditionalists” on the net, you can get a lot of information from all parts of the world but your duty is nevertheless “hic et nunc”, here and nowhere else, now and not in the past or in a hypothetical future, here in the liturgical traditions and gestures that have given cohesion to your ancestors’ communities. If these traditions have been forgotten or mocked away, you simply have to remember them and let them remember by your fellow-countrymen, by performing the sometimes modest job of the philologist or the ethnologist or the archeologist as Herder induced us to do. Scores of people in Western Europe are now trying to revive past gentle and well-balanced traditions, despite the silence of the mainstream medias.
 
Mass immigration is a weapon to destroy societies, as former US Ambassador Charles Rivkin has acknowledged it: the present-day European societies are destroyed because the relativism —induced by modernity and forcefully imposed by devilish postmodern subversive intellectuals— renders the people unable to find a positive solution to the problem. The immigrants are also destroyed by the simple fact that their traditional family values will also be eradicated, as all will in the short run become “centerless” beings. 
 
- And how would you link your traditional “volkisch” ideas with the suggestion Prof. Dugin has formulated in his 4th Political Theory, for which the “People” as “Volk” or “Narod” remains a subject of history but not expressed as a “nation” in a land or as a “class” but as a “Dasein” according to Heidegger’s philosophy?
 
Difficult question to answer as I wasn’t sent a copy of Dugin’s “Fourth Political Theory”. The “Volker” cannot be efficient subjects of history anymore, even if there are sometimes notable exceptions as the protesting Icelandic people that could escape the choking policy of the cosmopolitan banksters or the Venezuelan people that stood behind Hugo Chavez. Carl Schmitt explained very well that now the real subjects of history are the “Grossraume” (the “Greater Areas”), a volunteer assembly of ethnical or non ethnical countries around a hegemon (super)power. Small nations cannot achieve anything now, except domestic cohesion policies, which are of course duly needed. The BRICS-countries are now all “Greater Areas” and are hegemon in their own domestic territory; they are also able to assemble around their leadership smaller powers in their neighbourhood. 
 
“Dasein” means literally in German “to be there” or the “being-there”, so that we are brought back to the previous question. I am because I am located here. I cannot “be” ubiquitously in two or three different places, so I cannot act as a genuine “zoon politikon” (Aristoteles) if I have no location or a score of locations, like the so-called modern “nomads” that a mainstream pseudo-thinker like Jacques Attali admires so much and suggests as models for future mankind. Man is linked to his “oikos” and cannot be a perfect “zoon politikon” if he lives elsewhere or if he is moving ceaselessly. That’s one aspect. But Heidegger, even if he defined himself as a native of Messkirch, was certainly not a short-sighted thinker. I suppose the aspect Dugin wants to stress in his book is the notion of “authentic man”, willing to escape the world of modern standardization, the world that his student and former girlfriend Hannah Arendt called the “world of the petty jobs”. We live in the anthropological ruins (Evola!) of modern world where mere existence is repetitive, dull, nonsensical. This cannot be “real life” according to existentialist Heidegger. Therefore “Dasein” has, let’s say for the purpose of explaining here the matter in a narrow nutshell, a second meaning in Heidegger philosophy. “Dasein” is often translated into French by the word “existence” (as Sartre did in the late Forties). In this way the “Sein” is simply the world or the universe that was given a sense yet, be it static, lifeless, material or be it vivid, growing, dynamic, vegetal or animal. For a human being, or better said for a “zoon politikon”, “Sein” without a given sense is not enough. He or she has to jump voluntarily into existence and if you jump from (“ex”) an indefinite place, as the mere “Sein” (“res stantes”) is, you arrive of course “there” where you’re born or “there” where you’ve chosen to be, you are “ex” the “res stantes”, i. e. in a dynamic, dangerous world, an “ex-istence”, where you have to struggle or to suffer to be authentic. We are not satisfied with the ruins of modern world, with the mess of the “festivistic” postmodern societies in which we cannot do anything else but rebel. Our “Dasein” is also this rebellion which is the jump out of this mess, or better said the result of the willing jump we had the audacity to perform in order not to rotten in “in-authenticity”. This rebellious jump is performed by thousands and thousands of people throughout the world, resulting in the birth or rebirth in the “real risky and revolutionary life” of the authentic men, the ones who want to remain for ever traditional “zoon politikon” or traditional “Kschatriyas” or “Brahmani”. It is in this sense that I understand your question and subsequently Dugin’s position. Dugin dreams obviously of a worldwide rallying unity of “authentic traditional men” that have set a step backward in front of the mess that modernity is, thus having opted first for what Arnold Toynbee called a “withdrawal” to meditate, to recreate metaphysical authenticity in non modern spiritual areas, like the Old Believers lived in remote villages on the shore of the White Sea or in the deepest forests of Siberia, to come back one day, the day of the “return” (Toynbee), when a new cycle will start. 
 
To think further into this Heidegger and Arendt vision of “authentic life”, I am reading now the works of the Italian theologist Vito Mancuso, who wrote precisely a book significantly titled “La Vita autentica” (= “Authentic Life”). 
 
- In this sense how might political metaphysics become actual in Europe where strong secular moods are now dominating, while you have the rise of Islam within the European societies now as well as on the other side of the Mediterranean?
 
Dugin indeed very often uses the phrase “political metaphysics”, referring mainly to the traditional corpuses of Guenon and Evola. Dozens of authors revive now, after Evola, Guenon, Schuon and many others what we can call “political metaphysics” or simply “metaphysics”, whereby “metaphysics” can eventually be politicized. Metaphysics as the traditional knowledge of things active and linked together behind the physical appearances, as a non material, intuitive and poetical ability of selected humans to perceive the divine “noumena” beyond the mere “phenomena” has been gradually rejected as a “ridiculous irrationality” in the Western thought patterns and Immanuel Kant proclaimed the end of metaphysics in the last decade of the 18th century. Many tried to save metaphysics from oblivion, others replace it by “culture philosophy” (Hamann, Herder) or by history (Hegel, the Hegelians and the Marxists). The modern and postmodern world rejects metaphysics since the 18th century as well as, since the last phases of this catastrophic shift leading towards present-day visible “Kali Yuga”, culture as cement of societies and history as a prospective move towards a better future, because both culture and history implies also duties. Kant could theorize an ethical approach of duty without metaphysics, because he was the philosopher who declared metaphysics was abolished or to be abolished: this sense of Kantian (Prussian!) duty was ruined in the long run by extreme individualism and consumption society. “Culture” as Hamann or Herder undesrtood it has also vanished and history as it had been formerly conceived by some existentialists (Sartre, Camus, Malraux) and by the Marxists is also mocked and rejected by postmodern relativists. Even the most seducing “Ersatze” of metaphysics are now rejected and mocked by postmodern relativism. Nevertheless it must be said here that the true understanding of metaphysics was only a privilege of intellectual or religious elites, having undergone a long training or initiation: for common people liturgy, religious festivities and rites were factually more important, because they were giving sense to their lifes and were rhythming their daily existence. All these old peasants’ festivities and rites have also vanished out of our everyday life to be replaced by what Philippe Muray calls “attractions”, i. e. media tricks, or “parodies” as Guenon or Evola would have said. Francesco Lamendola, a present-day Italian philosopher, whose articles you can find on high interesting sites like http://www.arianneditrice.it or http://www.centrostudilaruna.it , explained us recently that even the official Catholic Church is now unable, despite certain efforts of Pope Benedict XVI, to revive metaphysics or traditional ways as it has too long tried to ape modern media subcultures to be saved again from total decay: his article was illustrated by a photo showing priests and nuns dancing and twisting their bodies like crazy youths, hippy-style... Once you tolerate such undignified attitudes by the very guardian of your religion you cannot find easily the way back to more worthy positions. Secular bric-a-brac has invaded and neutralized everything in the religious realm of people in America and Western Europe, what induces another current Italian philosopher, Umberto Galimberti, to define christianity as “a religion of the empty heavens” (“la religione dal cielo vuoto”). 
 
What concerns Islam, you must keep in mind that we would fully accept a truely traditional Islam as it has been illustrated by high figures such as Seyyed Hossein Nasr, Henry Corbin (and his follower Christian Jambet), Michel Chodkiewicz or the Algerian thinker Meriboute. Their visions, that could be spiritual models for Iran and Central Asia, or could be connected with the Iranian medieval mystique (Sohrawardi) or the Flemish-Rhinish mystical tradition (Ruusbroec, Meister Eckhart, Sister Hadewych, Nicolaus von Cues, etc.), have of course nothing to do with present-day salafism or wahhabism or with the inadequacies preached by the Muslim Brotherhood that has set Syria aflame in 1981-82 and once again since about two years. Unfortunately the mix of salafism, wahhabism and Brotherhood’s Islam is currently seducing thousands of young immigrants in Europe today, who then reject both the modernist lunacies and the healthy remains of traditional Europe. Tariq Ramadan’s thoughts have also a real impact nowadays on Muslims in Europe but, even if this Swiss-based Muslim intellectual leader seems to suggest some interesting anti-Western ideas, we should not forget that, according to very recent historical studies performed in the United States and in Germany, his uncle Said Ramadan, another prominent Muslim Brother in the Fifties, helped actively to replace all the pro-European (and anti-Soviet) imams of Munich’s main mosque and Muslim religious centre in Germany by Muslim Brothers with the help of CIA-agents as the Muslim Brothers were at that time plotting against the Egyptian leader Gamal Abdel Nasser (nicknamed the “Pharao” by his domestic foes) for the high benefit of Israel as they are plotting now against the Syrian Baathist power elite. This kind of Islam is, despite American-made “Golems” like Al Qaeda or Bin Laden, an instrument in the hand of the United States and Saudi Arabia and aims under many other projects at recreating a strong strategic “bolt” of islamized or semi-islamized states (Greater Albania, Kosovo, a potentially islamized Macedonia, autonomous Muslim-Turkish areas in Bulgaria, etc.) in the Balkan against Serbia, Europe and Russia, as the Serbian traditionalist thinker, diplomat and artist Dragos Kalajic observed attentively before his early death some years ago. Kalajic used to call this project the “dorsale islamique dans les Balkans”. 
 
- We see that many people are protesting in the streets of many European capitals but how resistance can occur and develop in “bourgeois societies” like these of the EU?
 
First “bourgeois” societies are going to vanish if middle classe people and workers all together will be completely ruined by inflation and economical crisis. In Spain, Portugal and Greece you’ve surely a social agitation but not a revolutionary spirit able to modify thoroughly society. In iceland the demonstrations have at least compelled the government to refuse to pay banks back and to sue the responsible ministers and throw them in jail. In Italy, the last elections, with the success of Beppe Grillo, prove that people don’t believe in the usual corrupted parties of the worn-out old partitocracy: this is a good thing, proving that the election process, presented in the media as the quintessence of true democracy, is ruined, is pure fake, as soon as non elected technocrats are taking over power in spite of people’s rejection of corruption and technocratic governance. In Belgium the conventional trade unions tried to mobilize their militants so that they refuse austerity but tell us nothing about the too high prices for energy, food in supermarkets and insurance fees, that are eroding the purchase power of all our fellow-citizens. In France, the situation is astonishing: people were tired of neo-liberal Sarkozy but reject also socialist Hollande whereby protests are focussed on homosexual marriage. France seems to reject left-wing Voltairian pan-criticism and the typical French May-68 ideology for which homosexuality, gender problems, criminality, marginality, etc. were considered as an aspect of a certain intellectual and moral superiority in front of the conventional mass of heterosexual women and men, of fathers and mothers: this previously non politicized mass seems now to be fed up to be seen by all mainstream medias as inferior (or as potential fascist thugs) and mocked by the so-called “intellectual elite”. Gender speculations and Gay Prides were also set out as expressions of the true “Republican values”, which are now rejected by a wider mass of citizens reacting in a non materialistic, non “sensate” way. This could be a way out of the bourgeois mentality which is of course “sensate” in the definition once given by Pitirim Sorokin. 
 
- In Gramsci’s words, citizens need a consensus for managemant and co-evolution but it seems now that the Euro-bureaucracy and the transnational financists have usurped all the necessary tools for decision-making...
 
Technologically speaking we don’t live in Gramsci’s time anymore so we must avoid all anachronisms. Gramsci was influenced by the Italian neo-Macchiavellian school of sociology (Mosca, Pareto, Michels) where the notions of ruling (oligarchy) and challenging elites (revolutionists) were very important. Gramsci was the main thinker of the pre-Fascist Italian communist movement, in which he saw an instrument to abolish the power of the Italian oligarchy (his beloved brother on the contrary saw Fascism as a better instrument to control the oligarchy!). In order to be efficient, the revolutionists had to start a cultural struggle mainly by using popular and classical theater as a tool. So did the Futurists around Marinetti, who became fascists, and so did Brecht in Germany, who remained a communist. In the eyes of Gramsci, modern Italian street theater would create consensus but now the heirs of the non communist but leftist (Lenin: “leftism as the infantile illness of communism”!) are creating dissensus in French society and the pussy riots or femen “happenings” in the purest Sixties’ style are mainly considered as vulgar and ridiculous. True “subversion” of the establishment’s power can only be now a kind of blowback, a return of the usual “decency” of traditional societies as George Orwell wanted also in his time to be the main option of socialist forces in Britain and elsewhere. Orwell and his heir the Slavist Anthony Burgess (who is not read anymore...) rejected deviant behaviours within the Left as it was, in their eyes, the best tools of the oligarchies to cancel the efficiency of peoples’ protest. 
 
The Eurocracy is now generally rejected in all Western European countries. The policy of austerity leads to a general contestation of the Eurocratic power so that at the end of April this year they announced officially that they would find out another solution. But it is impossible for them to change their type of governance as they would automatically and definitively be expelled from power. Europe has now to make a choice: either she takes the option for the shortsighted oligarchy’s “economical/financial reasons” or she makes the decision in favour of the “vital reasons”. The first option means political derath; the second, survival. 
 
- What do politicians and geopoliticans in Europe think about Russi and other Eurasian countries such as India and China?
 
Politicians and mainstream opinion-makers generally follows what NATO says. In France, despite the present-day revolt against the May 68-elites, the “nouveaux philosophes” still determine foreign policy. Bad things are said about Russia, of course, as Putin is described as a kind of “new Stalin” who manipulates all elections held in your country. In China the Human Rights are said to be fully neglected and Tibet is considered as crushed as well as the Uighours of Chinese Turkestan (Sin Kiang). India is perhaps better perceived, except when the BJP-Hindu nationalists are in power. The geopolitical schools in Europe on the contrary have an objective view on Russia, India and China. In Germany people as Peter Scholl-Latour or Alexander Rahr knows that the United States are constantly imposing geopolitical views that are opposite to the natural interests of Germany. Aymeric Chauprade, who published his books on geopolitics by the “Ellipses” publisher in Paris, was fired from the Military Academy as soon as Sarkozy came to power because he wanted to remain true to the Gaullist independent French position towards NATO. Geopolitical schools see the development of the BRICS-powers as positive because it allows us to escape America-centrered unipolarity on the international chessboard and, above all things, create a multipolar cohesion in the world that will be strongly linked by telluric-continental highways from the Atlantic shores till the Pacific Ocean.
 
- From the point of view of eurocentrism, what is Russia? Is there any fears of a “yellow threat”?
 
When we use the word “eurocentrism” in a positive way, we think about historical periods where a kind of Eurasian unity would have been possible without great efforts or was de facto actualized. In the 18th century, Louis XVIth, Maria Theresa of Austria and Catherine of Russia were allied against the Turks and the British (at least unofficially), and their kingdoms and empires stretched from the Atlantic to the Pacific, not to forget that Russia possessed at that time Alaska, the Hawai and a portion of the Pacific Coast of North America till Fort Ross on the former Russian-Spanish border in California! The Holy Alliance or Pentarchy (as Constantin Frantz called it) was an implict alliance from Ireland to Alaska that was deliberately destroyed by the British and the French at the time of the Crimean War. The “Drei-Kaiser-Bund” (the “Three-Emperors-Alliance”) of Germany, Austria and Russia was also an implicit alliance but not so strong as the two previous ones, as the Western Atlantic coast was lost and as the United States had become a non negligible power, that could conquer the Californian coast after a war against Mexico and buy Alaska to allow the Czar to conquer Central Asia. Arthur Moeller van den Bruck and the “National-Bolsheviks” among the German diplomats or militants wanted at least a German-Soviet tandem that would have strategically united half Europe and Sovietized Russia, from Hamburg till Vladivostok. The craze of a possible “yellow threat” is not a specific West-European or German phobia, even if Emperor Wilhelm II was maybe one of the main representative of this phobic trend before 1914. The French Slavist Georges Nivat has analyzed the fear of a “Chinese threat” in Russian literature between 1850 and 1914 as well as the ideological rejection of Asian or Buddhist fashions among some Petersburger intellectuals, whereby the “Chinese threat” shouldn’t be seen exclusively as racial but also as a rejection of a too centralized and bureaucratized state. The Imperial Chinese “Mandarinate” was seen as a threat for human freedom and free will, as genuine virtues of “Christianity” (i. e. of European and Ancient Greek culture). In principle China isn’t a danger as China is centered on itself. China proposes the world an international organization where no single power would have the right to interfere in others’ domestic affairs. In Africa, the only problem China can create is on the level of high sea fishing: if Africans cannot benefit from the fish along their own coasts, they risk an awful food dependancy that could have catastrophic consequences, especially if coupled with the already existing food shortages and the draughts in the Sahel area. 
 
- Nikolai Danilevski in his book “Russia and Europe” wrote that Europeans were afraid of Russia because of its huge landmass overhanging over Europe... But we have also differences in religion, ethos, etc.
 
We’ve stated since long that Russian patriots are swinging between a Danilevski-oriented nationalism and a Leontiev-oriented traditionalism. Danilevski was partially influenced by Darwinism like some but not all “Pangermans” and saw a coming struggle for survival and domination between “old peoples” (Britain, France) and “young peoples” (Russia, the Slavs in general). Leontiev was more traditional and ortthodox and wanted the status quo being preserved, especially in the Balkans. The Europeans feared Russia’s demographic boom in the 19th century, exactly as Europeans and Russians had also feared Chinese demography or fear the current African or Northern African population boom or as the French at the end of the 19th century were obsessed by the increase of German population, while their own population was decreasing. Russia in the 19th century was mainly a threat not for Europe, as France, Belgium, Germany invested a lot in Russia, but for British liberalism and for British India as soon as the Czar’s armies managed to control Central Asia till the Afghan borders: huge armies could have been ready to invade India, the cornerstone of the British Empire and the key to control the “Heart Sea”, which is the Indian Ocean. The Crimean War, that destroyed the strategical unity of Pentarchy, as the embodiment of European civilization, and weakened Russia only for a couple of decades, is the very source of the geopolitical and metaphysical opposition between East and West, as Dostoievsky pointed it out in his “Diary of a Writer”. The West appeared as a subversive force that was undermining the unity of “Christianity” (i. e. Europe and Russia perceived as a strategical unity). According to Constantin Frantz, the lack of interest in European unity in France and Britain was due to colonialism: both French and British empires hadn’t their centre in Europe anymore and could survive without the necessity of a unity: this lead directly to the catastrophe of World War One. The differences in religion and ethos can more easily be bridged, at the sole condition that Catholics or Protestants aren’t trying to convert others by all means, not only in Russia or in Orthodox countries but also in Muslim areas, in China or in India. Protestants US based sects should also give up their missions in Catholic Latin America. The giving up of proselytism should be one condition of world peace alongside the renouncing to interfere in domestic policies as the Chinese have asked for. 
 
This week, the French weekly magazine “Valeurs actuelles” (n°3989) publishes a world map showing the “clash between religious dynamics” where not only Islam or Muslim fundamentalism is pushing forward in Muslim countries, in Africa (Nigeria) or in India but where the mostly US based “Evangelic churches” are thriving tremendously as they are extremely active in Latin America (and in Spain due to Latino immigration!), in Catholic Black Africa (West Africa, Congo, Angola, etc.), in China, Japan and the Philippines. The map shows us also the progression of “religious diversity” in the United States, in Australia, in all European countries, in Russia and in China, Corea and Japan. “Religious diversity” means obviously a decrease in social coherence when this diversity is imported and means also, one should not forget it, a general and problematic uprooting of people when “natural” or “native” religions are disappearing, even in their christianized or islamized syncretic forms (see the recent tragical fate of Tumbuctu mosques and libraries or of the Serbian Orthodox monastries in Kosovo). Both the conquests of Wahhabism (or Salafism) and of the American “Evangelic Churches” are proofs of the victories of “unipolarity” even if the United States pretend to be the main foe of “Al Qaeda”. Both hyper-active fundamentalisms, i. e. Saudi Wahhabism and US-perverted Evangelism, aims at conquering or re-conquering lost territories or territories that had been previously immunized against Puritanical-Wahhabite subversion, for instance by intelligent and efficient civilian-military developing regimes. Latin America has reached a certain level of independance thanks to the Mercosur common market, the indigenist positions of Morales in Bolivia or the anti-imperialist actions and diplomacy of late President Chavez: the South-American continent risks in the long run to be totally subverted and reconquered by the social action of the Evangelic churches. In Africa it is obvious that the secret aim of these churches is to cut French-speaking Africa from France and the EU and to replace French or European (and Chinese!) influence by American domination in order to get the oil of this part of the world. In China the Evangelical moves have as purpose to break the cohesion of the Han Chinese society and to create confusion and dissensus, exactly like in the 19th century when a civil war lead by a curious convert to a kind of strange christianity cost China more than 20 millions dead. So this religious subversion is one of the weapons used to eliminate China as a competitor superpower in the Far East, like military containment, support of fundamentalist Uighurs in Sinkiang, Cyberwarfare, etc. are other weapons pointed against Beijing. 
 
The increase of “religious diversity” in the main countries of the EU means a lost of social and political cohesion that corresponds to the purposes of the geopolitician Robert Strauss-Hupe, who became an adviser of the US presidents Roosevelt and Truman, alongside a certain Mr. Morgenthau who wanted to transform Germany into a bucolic agrarian state in the very middle of Europe. Now, as Socialist Thilo Sarrazin fears it, Germany will be unable to produce the needed engineers to let the German industrial machine work properly. The same is true for other European countries and so Morgenthau’s dream risks to become reality: Germany as a weak industrial country animated by crazy sociologists, who would be a kind of leisure class priesthood, that would impose a “festivist” way of life (with ubiquitous sexual permissiveness and with the “femens” as new tarty nuns!) and would flay as “fascist” all those who would plead for a more rational society (see Helmut Schelsky, “Die Arbeit tun die Anderen”). 
 
- Thank you, Mr. Steuckers, for having answering these questions. Do you want to add something or to formulate some other remarks?
 
Caucuses like yours and ours should study geopolitics and history in all their aspects and know all about the forces that activate the Muslim world from the Atlantic coasts of Morrocco to the tiniest islands of Indonesia. We must create a world elite of men and women totally immune to the artificial propagandas produced by US based media agencies. Therefore we must meet as often as possible, exchange ideas by means of interviews, but at a more trepident tempo as it has been done till yet: the others are not lazy, so we may certainly not be less active, otherwise the metapolitical battle will be definitively lost for us. 

Interviewed by Leonid Savin

samedi, 23 mars 2013

Orientations n°1 - 1982

ORIENTATIONS n°1 - 1982
 
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A lire in extenso sur: Lien n°2

◘ Sommaire :

    Dossier Spengler

    Spengler aujourd'hui (W. Duden)
    Hommage à O. Spengler (A. Mohler)
    Réflexions d'un lecteur du “Déclin” (L. Penz)
    Quoi de neuf ? Oswald Spengler ! (R. Steuckers)
    O. Spengler et l'idée de déclin (GK Kaltenbrunner)

    Histoire

    Le vocabulaire de Toynbee (R. Steuckers)
    Les fondements d'une unité de destin (G. Parker)
    L'idée d'État dans les grands Pays-Bas (F. De Hoon)
    Conceptions organiques et conceptions systématiques de l'histoire (W. Hoskins)  

    Chroniques

    Alexandre Zinoviev : le communisme comme réalité (RS)

mardi, 05 mars 2013

Sur la notion de patrie charnelle

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Robert STEUCKERS:

Causerie à bâtons rompus sur la notion de patrie charnelle

 

Conférence prononcée à Nancy, à la tribune de “Terre & Peuple” (Lorraine), le 10 mars 2012

 

La notion de patrie charnelle nous vient de l’écrivain et militant politique Marc Augier, dit “Saint-Loup”, dont le monde de l’édition —en particulier les “Presses de la Cité”— a surtout retenu les récits de son aventure militaire sur le Front de l’Est pendant la seconde guerre mondiale. Mais l’oeuvre de Saint-Loup ne se résume pas à cette seule aventure militaire, ses récits de fiction, son évocation des “Cathares de Montségur” ou de la Terre de Feu argentine le hissent au niveau d’un très grand écrivain, ce qu’il serait devenu indubitablement pour la postérité s’il n’avait traîné une réputation de “réprouvé” donc de “pestiféré”. Dans les écrits de ce Français très original, il y a beaucoup plus à glaner que ces seules péripéties militaires dans un conflit mondial du passé qui ne cesse de hanter les esprits, comme le prouve l’existence de belles revues sur papier glacé, comme “39-45” ou “Ligne de front”, par exemple. Il faut se rappeler, entre bien d’autres choses, qu’il a été l’initiateur des auberges de jeunesse sous le “Front Populaire”, lorsqu’il était un militant socialiste, incarnant un socialisme fort différent de celui des avocats aigris, “maçonneux”, encravatés et radoteurs-rationalistes: le socialisme du camarade Marc Augier (qui n’est pas encore Saint-Loup) est joyeux et juvénile, c’est un socialisme de l’action, du grand “oui” à la Vie. Saint-Loup, que je n’ai rencontré que deux fois, en 1975, était effectivement un homme affable et doux mais amoureux de l’action, de toute action amenant des résultats durables, hostile aux chichis et aux airs pincés des psycho-rigides qui ont incarné les établissements successifs dont la France a été affligée.

 

Un monde qui devrait être tissé de fraternité

 

augier-dit-saint-loup.jpgLe terme “action”, en politique, dans l’espace linguistique francophone, possède une genèse particulière. Maurras utilise le mot dans le nom de son mouvement, l’Action Française, sans nécessairement se référer à la philosophie du catholique Maurice Blondel, auteur d’un solide traité philosophique intitulé “L’Action”, pour qui l’engagement pour la foi devait être permanent et inscrit dans des “oeuvres”, créées pour le “Bien commun” et qu’il fallait perpétuer en offrant ses efforts, sans tenter de les monnayer, sans espérer une sinécure comme récompense. En Belgique, le Cardinal Mercier, correspondant de Blondel, donnera une connotation politisée, sans nul doute teintée de maurrassisme, à des initiatives comme l’Action Catholique de la Jeunesse Belge (ACJB), dont émergeront deux phénomènes marquants de l’histoire et de l’art belges du 20ème siècle: 1) le rexisme de Degrelle en tant que dissidence contestatrice fugace et éphémère du “Parti Catholique”, et, 2) dans un registre non politicien et plus durable, la figure de Tintin, qui agit dans ses aventures pour que le Bien platonicien ou la justice (divine?) triomphe, sans jamais faire état de ses croyances, de ses aspirations religieuses, sans jamais montrer bondieuseries ou affects pharisiens. Cette dimension aventurière, Saint-Loup l’a très certainement incarnée, comme Tintin, même si son idiosyncrasie personnelle ne le rapprochait nullement du catholicisme français de son époque, amoureux des productions graphiques d’Hergé via la revue “Coeurs Vaillants”; en effet, Saint-Loup est né dans une famille protestante, hostile à l’Eglise en tant qu’appareil trop rigide. Ce protestantisme se muera en un laïcisme militant, exercé dans un cadre politique socialiste, se voulant détaché de tout appareil clérical, au nom du laïcisme révolutionnaire. Saint-Loup crée en effet ses auberges de jeunesse dans le cadre d’une association nommée “Centre laïque des Auberges de Jeunesse”. Dans cette optique, qui est la sienne avant-guerre, le monde idéal, s’il advenait, devrait être tissé de fraternité, ce qui exclut tout bigotisme et tout alignement sur les manies des bien-pensants (et là il rejoint un catholique haut en couleurs, Georges Bernanos...).

 

Contre la “double désincarnation”

 

Les linéaments idiosyncratiques de la pensée émergente du jeune Marc Augier conduisent bien entendu à une rupture bien nette avec l’ordre établi, parce que l’ordre est désormais désincarné et qu’il faut le réincarner. Comment? En recréant de la fraternité, notamment par le biais des auberges de jeunesse. Aussi en revenant aux sources de toutes les religions, c’est-à-dire au paganisme (option également partagée par Robert Dun). Sur le plan politique, les options de Saint-Loup sont anti-étatistes, l’Etat étant une rigidité, comme l’Eglise, qui empêche toute véritable fraternité de se déployer dans la société. Saint-Loup ne sera donc jamais l’adepte d’un nationalisme étatique, partageant cette option avec le Breton Olier Mordrel, qui fut, lui, condamné à mort par l’Etat français en 1940: le militant de la Bretagne libre va alors condamner à mort en esprit l’instance (de pure fabrication) qui l’a condamné à mort, lui, le Breton de chair et de sang. Chez Saint-Loup, ces notions de fraternité, de paganisme, d’anti-étatisme postulent en bout de course 1) une vision de l’espace français comme tissu pluriel, dont il ne faut jamais gommer la diversité, et 2) une option européenne. Mais l’Europe, telle qu’elle était, telle qu’elle est aujourd’hui, aux mains des bien-pensants, n’était et n’est plus elle-même; elle est coupée de ses racines par un christianisme étranger à ses terres et par la modernité qui est un avatar laïcisé de ce christianisme éradicateur. Constater que l’Europe est malade et décadente revient donc à constater une “double désincarnation”.

 

Les deux axiomes de la pensée charnelle

 

060807_100457_PEEL_RY9d9G.jpgCette perception de l’Europe, de nos sociétés européennes, se révèle dans le roman “La peau de l’aurochs”, géographiquement situé dans une vallée valdotaine. Les Valdotains de “La peau de l’aurochs” se rebiffent contre l’industrialisation qui détruit les traditions populaires (ce n’est pas toujours vrai, à mon sens, car dans des régions industrielles comme la Lorraine, la Ruhr ou la Wallonie du sillon Sambre-Meuse sont nées des cultures ouvrières et populaires riches, d’où les sculpteurs Constantin Meunier et Georges Wasterlain ont tiré leurs créations époustouflantes de beauté classique). Et les Valdotains du roman de Saint-Loup veulent aussi préserver les cultes ancestraux, ce qui est toujours plus aisé dans les régions montagneuses que dans les plaines, notamment en Suisse, où les dialectes des vallées se maintiennent encore, ainsi que dans tout l’arc alpin, notamment en Italie du Nord où une revue comme “Terra Insubre” défend et illustre les résidus encore bien vivants de la culture populaire lombarde et cisalpine. “La peau de l’aurochs” est un roman qui nous permet de déduire un premier axiome dans le cadre de la défense de toutes les identités charnelles: la PRESERVATION DE NOTRE IDENTITE = la GARANTIE DE NOTRE ETERNITE. Cet axiome pourrait justifier une sorte de quiétisme, d’abandon de toute revendication politique, un désintérêt pour le monde. Ce pourrait être le cas si on se contentait de ne plus faire que du “muséisme”, de ne recenser que des faits de folklore, en répétant seulement des traditions anciennes. Mais Saint-Loup, comme plus tard Jean Mabire, ajoute à cette volonté de préservation un sens de l’aventure. Nos deux auteurs s’interdisent de sombrer dans toute forme de rigidité conceptuelle et privilégient, comme Olier Mordrel, le vécu. Le Breton était très explicite sur ce recours permanent au “vécu” dans les colonnes de sa revue “Stur” avant la seconde guerre mondiale. De ce recours à l’aventure et au vécu, nous pouvons déduire un second axiome: les RACINES SONT DANS LES EXPERIENCES INTENSES. Ce deuxième axiome doit nous rendre attentifs aux oppositions suivantes: enracinement/déracinement, désinstallation/installation. Avec Saint-Loup et Mabire, il convient donc de prôner l’avènement d’une humanité enracinée et désinstallée (aventureuse) et de fustiger toute humanité déclinante qui serait déracinée et installée.

 

On ne peut juger avec exactitude l’impact de la lecture de Nietzsche sur la génération de Saint-Loup en France. Mais il est certain que la notion, non théorisée à l’époque, de “désinstallation”, est une notion cardinale de la “révolution conservatrice” allemande, relayée par Ernst Jünger à l’époque de son militantisme national-révolutionnaire puis, après 1945, par Armin Mohler et, à sa suite, par la “nouvelle droite”, via les thèses “nominalistes” qu’il avait exposées dans les colonnes de la revue munichoise “Criticon”, en 1978-79. La personnalité volontariste et désinstallée, en retrait (“withdrawal”, disait Toynbee) par rapport aux établissements installés, est celle qui, si la chance lui sourit, impulse aux cycles historiques de nouveaux infléchissements, lors de son retour (“return” chez Toynbee) sur la scène historico-politique. Cette idée, exposée dans la présentation que faisait Mohler de la “révolution conservatrice” dans sa célèbre thèse de doctorat, a été importée dans le corpus de la “nouvelle droite” française par Giorgio Locchi, qui a recensé cet ouvrage fondamental pour la revue “Nouvelle école”.

 

Saint-Loup, Tournier: la fascination pour l’Allemagne

 

le-roi-des-aulnes.jpgLe socialiste Marc Augier, actif dans le cadre du “Front populaire” français de 1936, découvrira l’Allemagne et tombera sous son charme. Pourquoi l’Allemagne? Dans les années 30, elle exerçait une véritable fascination, une fascination qui est d’abord esthétique, avec les “cathédrales de lumière” de Nuremberg, qui s’explique ensuite par le culte de la jeunesse en vigueur au cours de ces années. Les auberges et les camps allemands sont plus convaincants, aux yeux de Marc Augier, que les initiatives, somme toute bancales, du “Front populaire”. Il ne sera pas le seul à partager ce point de vue: Michel Tournier, dans “Le Roi des Aulnes”, partage cette opinion, qui s’exprime encore avec davantage de brio dans le film du même titre, réalisé par Volker Schlöndorff. Le célèbre créateur de bandes dessinées “Dimitri”, lui aussi, critique les formes anciennes d’éducation, rigides et répressives, dans sa magnifique histoire d’un pauvre gamin orphelin, devenu valet de ferme puis condamné à la maison de correction pour avoir tué le boucher venu occire son veau favori, confident de ses chagrins, et qui, extrait de cette prison pour aller servir la patrie aux armées, meurt à la bataille de Gallipoli. Le héros naïf Abel dans “le Roi des Aulnes” de Schlöndorff, un Abel, homme naïf, naturel et intact, jugé “idiot” par ses contemporains est incarné par l’acteur John Malkovich: il parle aux animaux (le grand élan, la lionne de Goering, les pigeons de l’armée française...) et communique facilement avec les enfants, trouve que la convivialité et la fraternité sont réellement présentes dans les camps allemands de la jeunesse alors qu’elles étaient totalement absentes, en tant que vertus, dans son école française, le collège Saint-Christophe. Certes Schlöndorff montre, dans son film, que cette convivialité bon enfant tourne à l’aigreur, la crispation et la fureur au moment de l’ultime défaite: le visage du gamin qui frappe Abel d’un coup de crosse, lui brise les lunettes, est l’expression la plus terrifiante de cette rage devenue suicidaire.Tournier narre d’ailleurs ce qui le rapproche de l’Allemagne dans un petit essai largement autobiographique, “Le bonheur en Allemagne?” (Folio, n°4366).

 

Une vision “sphérique” de l’histoire

 

Toutes ces tendances, perceptibles dans la France sainement contestatrice des années 30, sont tributaires d’une lecture de Nietzsche, philosophe qui avait brisé à coups de marteau les icônes conventionnelles d’une société qui risquait bien, à la fin du “stupide 19ème siècle”, de se figer définitivement, comme le craignaient tous les esprits non conformes et aventureux. Le nietzschéisme, via les mouvements d’avant-gardes ou via des séismographes comme Arthur Moeller van den Bruck, va compénétrer tout le mouvement dit de la “révolution conservatrice” puis passer dans le corpus national-révolutionnaire avec Ernst Jünger, tributaire, lui aussi, du nietzschéisme ambiant des cercles “jungkonservativ” mais tributaire également, dans les traits tout personnels de son style et dans ses options intimes, de Barrès et de Bloy. Quand Armin Mohler, secrétaire d’Ernst Jünger après la seconde guerre mondiale, voudra réactiver ce corpus qu’il qualifiera de “conservateur” (ce qu’il n’était pas aux sens français et britannique du terme) ou de “nominaliste” (pour lancer dans le débat une étiquette nouvelle et non “grillée”), il transmettra en quelque sorte le flambeau à la “nouvelle droite”, grâce notamment aux recensions de Giorgio Locchi, qui résumera en quelques lignes, mais sans grand lendemain dans ces milieux, la conception “sphérique” de l’histoire. Pour les tenants de cette conception “sphérique” de l’histoire, celle-ci n’est forcément pas “linéaire”, ne s’inscrit pas sur une ligne posée comme “ascendante” et laissant derrière elle tout le passé, considéré sans la moindre nuance comme un ballast devenu inutile. L’histoire n’est pas davantage “cyclique”, reproduisant un “même” à intervalles réguliers, comme pourrait le faire suggérer la succession des saisons dans le temps naturel sous nos latitudes européennes. Elle est sphérique car des volontés bien tranchées, des personnalités hors normes, lui impulsent une direction nouvelle sur la surface de la “sphère”, quand elles rejettent énergiquement un ronron répétitif menaçant de faire périr d’ennui et de sclérose un “vivre-en-commun”, auparavant innervé par les forces vives de la tradition. S’amorce alors un cycle nouveau qui n’a pas nécessairement, sur la sphère, la même trajectoire circulaire et rotative que son prédécesseur.

 

Le nietzschéisme diffus, présent dans la France des années 20 et 30, mais atténué par rapport à la Belle Epoque, où des germanistes français comme Charles Andler l’avaient introduit, ensuite l’idéal de la jeunesse vagabondante, randonneuse et proche de la nature, inauguré par les mouvements dits du “Wandervogel”, vont induire un engouement pour les choses allemandes, en dépit de la germanophobie ambiante, du poids des formes mortes qu’étaient le laïcardisme de la IIIème République ou le nationalisme maurassien (contesté par les “non-conformistes” des années 30 ou par de plus jeunes éléments comme ceux qui animaient la rédaction de “Je suis partout”).

 

BHL: exécuteur testamentaire de Mister Yahvé

 

Le_testament_de_Dieu.jpgJe répète la question: pourquoi l’Allemagne? Malgré la pression due à la propagande revancharde d’avant 1914 et l’hostilité d’après 1918, la nouvelle Allemagne exerce,comme je viens de le dire, une fascination sur les esprits: cette fascination est esthétique (les “cathédrales de lumière”); elle est due aussi au culte de la jeunesse, présent en marge du régime arrivé au pouvoir en janvier 1933. L’organisation des auberges et des camps de vacances apparait plus convaincante aux yeux de Saint-Loup que les initiatives du Front Populaire, auquel il a pourtant adhéré avec enthousiasme. La fascination exercée par la “modernité nationale-socialiste” (à laquelle s’opposera une décennie plus tard la “modernité nord-américaine” victorieuse du conflit) va bien au-delà du régime politique en tant que tel qui ne fait que jouer sur un filon ancien de la tradition philosophique allemande qui trouve ses racines dans la pensée de Johann Gottfried Herder (1744-1803), comme il jouera d’ailleurs sur d’autres filons, secrétant de la sorte diverses opportunités politiques, exploitables par une propagande bien huilée qui joue en permanence sur plusieurs tableaux. Herder, ce personnage-clef dans l’histoire de la pensée allemande appartient à une tradition qu’il faut bien appeler les “autres Lumières”. Quand on évoque la philosophie des “Lumières” aujourd’hui, on songe immédiatement à la soupe que veulent nous servir les grands pontes du “politiquement correct” qui sévissent aujourd’hui, en France avec Bernard-Henri Lévy et en Allemagne avec Jürgen Habermas, qui nous intiment tous deux l’ordre de penser uniquement selon leur mode, sous peine de damnation, et orchestent ou font orchestrer par leurs larbins frénétiques des campagnes de haine contre tous les contrevenants. On sait aussi que pour Lévy, les “Lumières” (auxquelles il faut adhérer!) représentent une sorte de pot-pourri où l’on retrouve les idées de la révolution française, la tambouille droit-de-l’hommiste cuite dans les marmites médiatiques des services secrets américains du temps de la présidence de Jimmy Carter (un Quaker cultivateur de cacahouètes) et un hypothétique “Testament de Dieu”, yahvique dans sa définition toute bricolée, et dont ce Lévy serait bien entendu l’unique exécuteur testamentaire. Tous ceux qui osent ne pas croire que cette formule apportera la parousie ou la fin de l’histoire, tous les déviants, qu’ils soient maurassiens, communistes, socialistes au sens des non-conformistes français des années 30, néo-droitistes, gaullistes, économistes hétérodoxes et j’en passe, sont houspillés dans une géhenne, celle dite de l’ “idéologie française”, sorte de cloaque nauséabond, selon Lévy, où marineraient des haines cuites et recuites, où les spermatozoïdes et les ovaires de la “bête immonde” risqueraient encore de procréer suite à des coïts monstrueux, comme celui des “rouges-bruns” putatifs du printemps et de l’été 1993. Il est donc illicite d’aller remuer dans ce chaudron de sorcières, dans l’espoir de faire naître du nouveau.

 

Habermas, théoricien de la “raison palabrante”

 

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Pour Habermas —dont, paraît-il, le papa était Kreisleiter de la NSDAP dans la région de Francfort (ce qui doit nous laisser supposer qu’il a dû porter un beau petit uniforme de membre du Jungvolk et qu’on a dû lui confier une superbe trompette ou un joli petit tambour)— le fondement du politique n’est pas un peuple précis, un peuple de familles plus ou moins soudées par d’innombrables liens de cousinage soit, en bref, une grande famille concrète; il n’est pas davantage une communauté politique et/ou militaire partageant une histoire ou une épopée commune ni une population qui a, au fil de l’histoire, généré un ensemble d’institutions spécifiques (difficilement exportables parce que liées à un site précis et à une temporalité particulière, difficilement solubles aussi dans une panade à la BHL ou à la Habermas). Pour Jürgen Habermas, le fiston du Kreisleiter qui ne cesse de faire son Oedipe, le fondement du politique ne peut être qu’un système abstrait (abstrait par rapport à toutes les réalités concrètes et charnelles), donc une construction rationnelle (Habermas étant bien entendu, et selon lui-même, la seule incarnation de la raison dans une Allemagne qui doit sans cesse être rappelée à l’ordre parce qu’elle aurait une tendance irrépressible à basculer dans ses irrationalités), c’est-à-dire une constitution basée sur les principes des Lumières, que Habermas se charge de redéfinir à sa façon, deux siècles après leur émergence dans la pensée européenne. Dans cette perspective, même la constitution démocratique adoptée par la République Fédérale allemande en 1949 est suspecte: en effet, elle dit s’adresser à un peuple précis, le peuple allemand, et évoque une vieille vertu germanique, la “Würde”, qu’il s’agit de respecter en la personne de chaque citoyen. En ce sens, elle n’est pas universaliste, comme l’est la version des “Lumières” redéfinie par Habermas, et fait appel à un sentiment qui ne se laisse pas enfermer dans un corset conceptuel de facture rationnelle.

 

Dans la sphère du politique, l’émergence des principes des Lumières, revus suite aux cogitations de Jürgen Habermas, s’effectue par le “débat”, par la perpétuelle remise en question de tout et du contraire de tout. Ce débat porte le nom pompeux d’ “agir communicationnel”, que le philosophe Gerd Bergfleth avait qualifié, dans un solide petit pamphlet bien ficelé, de “Palavernde Vernunft”, de “raison palabrante”, soit de perpétuel bavardage, critique pertinente qui a valu à son auteur, le pauvre Bergfleth, d’être vilipendé et ostracisé. Notons que Habermas a fabriqué sa propre petite géhenne, qu’il appelle la “pensée néo-irrationnelle” où sont jetés, pêle-mêle, les tenants les plus en vue de la philosophie française contemporaine comme Derrida (!), Foucault, Deleuze, Guattari, Bataille, etc. ainsi que leur maître allemand, le bon philosophe souabe Martin Heidegger. Si l’on additionne les auteurs jetés dans la géhenne de l’ “idéologie française” par Lévy à ceux que fustige Habermas, il ne reste plus grand chose à lire... Il n’y a plus beaucoup de combinatoires possibles, et tenter encore et toujours de “combiner” les ingrédients (“mauvais” selon Lévy et Habermas) pour faire du neuf, pour faire éclore d’autres possibles, serait, pour nos deux inquisiteurs, se placer dans une posture condamnable que l’on adopterait que sous peine de devenir immanquablement, irrémédiablement, inexorablement, un “irrationaliste”, donc un “facho”, d’office exclu de tous débats...

 

Jean-François Lyotard, critique des “universaux” de Habermas

 

lyotard1.jpgAvec un entêtement qui devient tout-à-fait navrant au fil du temps, Habermas veut conserver dans sa philosophie et sa sociologie, dans sa vision du fonctionnement optimal de la politique quotidienne au sein des Etats occidentaux, posés comme modèles pour le reste du monde, une forme procédurière à la manière de Kant, gage d’appartenance aux Lumières et de “correction politique”, une forme procédurière qui deviendrait le fondement intangible des mécanismes politiques, un fondement privé désormais de toute la transcendance qui les chapeautait encore dans la pensée kantienne. Ce sont ces procédures, véritables épures du réel, qui doivent unir les citoyens dans un consensus minimal, obtenu par un “parler” ininterrompu, par un usage “adéquat” de la parole, conditionné par des universaux linguistiques que Habermas pose comme inamovibles (“Kommunikativa”, “Konstativa”, “Repräsentativa/Expressiva”, “Regulativa”). Bref, le Dieu piétiste kantien remplacé par le blabla des baba-cools ou des députés moisis ou des avocaillons militants, voir le “moteur immobile” d’Aristote remplacé par la fébrilité logorrhique des nouvelles “clasas discutidoras”... Le philosophe français Jean-François Lyotard démontre que de tels universaux soi-disant pragmatiques n’existent pas: les jeux de langage sont toujours producteurs d’hétérogénéité, se manifestent selon des règles qui leur sont propres et qui suscitent bien entendu des inévitables conflits. Il n’existe donc pas pour Lyotard quelque chose qui équivaudrait à un “télos du consensus général”, reposant sur ce que Habermas appelle, sans rire, “les compétences interactionnelles post-conventionnelles”; au contraire, pour Lyotard, comme, en d’autres termes, pour Armin Mohler ou l’Ernst Jünger national-révolutionnaire des années 20, il faut constater qu’il y a toujours et partout “agonalité conflictuelle entre paroles diverses/divergentes”; si l’on s’obstine à vouloir enrayer les effets de cette agonalité et à effacer cette pluralité divergente, toutes deux objectives, toutes deux bien observables dans l’histoire, on fera basculer le monde entier sous la férule d’un “totalitarisme de la raison”, soit un “totalitarisme de la raison devenue folle à force d’être palabrante”, qui éliminera l’essence même de l’humanité comme kaléidoscope infini de peuples, de diversités d’expression; cette essence réside dans la pluralité ineffaçable des jeux de paroles diverses (cf. Ralf Bambach, “Jürgen Habermas”, in J. Nida-Rümelin (Hrsg.), “Philosophie der Gegenwart in Einzeldarstellungen von Adorno bis v. Wright”, Kröner, Stuttgart, 1991; Yves Cusset, “Habermas – L’espoir de la discussion”, Michalon, coll. “Bien commun”, Paris, 2001).

 

En France, les vitupérations de Lévy dans “L’idéologie française” empêchent, in fine, de retourner, au-delà des thèses de l’Action Française, aux “grandes idées incontestables” qu’entendait sauver Hauriou (et qui suscitaient l’intérêt de Carl Schmitt), ce qui met la “République”, privée d’assises solides issues de son histoire, en porte-à-faux permanent avec des pays qui, comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Turquie ou la Chine façonnent leur agir politique sur l’échiquier international en se référant constamment à de “grandes idées incontestables”, semblables à celles évoquées par Hauriou. Ensuite, l’inquisition décrétée par ce Lévy, exécuteur testamentaire de Yahvé sur la place de Paris, interdit de (re)penser une économie différente (historique, institutionnaliste et régulationniste sur le plan de la théorie) au profit d’une population en voie de paupérisation, de déréliction et d’aliénation économique totale; une nouvelle économie correctrice ne peut que suivre les recettes issues des filons hétérodoxes de la pensée économique et donc de parachever certaines initiatives avortées du gaullisme de la fin des années 60 (idée de “participation” et d’”intéressement”, sénat des régions et des professions, etc.). Les fulminations inquisitoriales des Lévy et Habermas conduisent donc à l’impasse, à l’impossibilité, tant que leurs propagandes ne sont pas réduites à néant, de sortir des enlisements contemporains. De tous les enlisements où marinent désormais les régimes démocratiques occidentaux, aujourd’hui aux mains des baba-cools sâoulés de logorrhées habermassiennes et soixante-huitardes.

 

Habermas: contre l’idée prussienne et contre l’Etat ethnique

 

Habermas, dans le contexte allemand, combat en fait deux idées, deux visions de l’Etat et de la politique. Il combat l’idée prussienne, où l’Etat et la machine administrative, le fonctionnariat serviteur du peuple, dérivent d’un principe de “nation armée”. Notons que cette vision prussienne de l’Etat ne repose sur aucun a priori de type “ethnique” car l’armée de Frédéric II comprenait des hommes de toutes nationalités (Finnois, Slaves, Irlandais, Allemands, Hongrois, Huguenots français, Ottomans d’Europe, etc.). Notons également que Habermas, tout en se revendiquant bruyamment des “Lumières”, rejette, avec sa critique véhémente de l’idée prussienne, un pur produit des Lumières, de l’Aufklärung, qui avait rejeté bien des archaïsmes, devenus franchement inutiles, au siècle de son triomphe. Cette critique vise en fait toute forme d’Etat encadrant et durable, rétif au principe du bavardage perpétuel, pompeusement baptisé “agir communicationnel”. Simultanément, Habermas rejette les idéaux relevant des “autres Lumières”, celles de Herder, où le fondement du politique réside dans la “populité”, la “Volkheit”, soit le peuple (débarrassé d’aristocraties aux moeurs artificielles, déracinées et exotiques). Habermas, tout en se faisant passer pour l’exécuteur testamentaire des “philosophes des Lumières”, à l’instar de Bernard-Henri Lévy qui, lui, est l’exécuteur testamentaire de Yahvé en personne, jette aux orties une bonne partie de l’héritage philosophique du 18ème siècle. Avec ces deux compères, nous faisons face à la plus formidable escroquerie politico-philosophique du siècle! Ils veulent nous vendre comme seul produit autorisé l’Aufklärung mais ce qu’ils placent sur l’étal de leur boutique, c’est un Aufklärung homogénéisé, nettoyé des trois quarts de son contenu, cette tradition étant plurielle, variée, comme l’ont démontré des auteurs, non traduits, comme Peter Gay en Angleterre et Antonio Santucci en Italie (cf. Peter Gay, “The Enlightenment: An Interpretation – The Rise of Modern Paganism”, W. W. Norton & Company, New York/London, 1966-1977; Peter Gay, “The Enlightenment: An Interpretation – The Science of Freedom, Wildwood House, London, 1969-1979; Antonio Santucci (a cura di), “Interpretazioni dell’Illuminismo”, Il Mulino, Bologna, 1979; on se réfèrera aussi aux livres suivants: Léo Gershoy, “L’Europe des princes éclairés 1763-1789”, Gérard Montfort éd., Brionne, 1982; Michel Delon, “L”idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820)”, PUF, Paris, 1988).

 

Deux principes kantiens chez Herder

 

Cette option de Herder, qui est “populaire” ou “ethnique”, “ethno-centrée”, est aussi corollaire de la vision fraternelle d’une future Europe libérée, qui serait basée sur le pluralisme ethnique ou l’“ethnopluralisme”, où les peuples ne devraient plus passer par des filtres étrangers ou artificiels/abstraits pour faire valoir leurs droits ou leur identité culturelle. La vision herdérienne dérive bien des “Lumières” dans la mesure où elle fait siens deux principes kantiens; premier principe de Kant: “Tu ne feras pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’autrui te fasse”; ce premier principe induit un respect des différences entre les hommes et interdit de gommer par décret autoritaire ou par manoeuvres politiques sournoises les traditions d’un peuple donné; deuxième principe kantien: “Sapere aude!”, “Ose savoir!”, autrement dit: libère-toi des pesanteurs inutiles, débarrasse-toi du ballast accumulé et encombrant, de tous les filtres inutiles, qui t’empêchent d’être toi-même! Ce principe kantien, réclamant l’audace du sujet pensant, Herder le fusionne avec l’adage grec “Gnôthi seautôn!”, “Connais-toi toi-même”. Pour parfaire cette fusion, il procède à une enquête générale sur les racines de la littérature, et de la culture de son temps et des temps anciens, en n’omettant pas les pans entiers de nos héritages qui avaient été refoulés par le christianisme, le dolorisme chrétien, la scolastique figée, le cartésianisme abscons, le blabla des Lumières palabrantes, le classicisme répétitif et académique, etc., comme nous devrions nous aussi, sans jamais nous arrêter, procéder à ce type de travail archéologique et généalogique, cette fois contre la “pensée unique”, le “politiquement correct” et le pseudo-testament de Yahvé.

 

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Définition de la “Bildung”

 

Dans la perspective ouverte par Herder, les fondements de l’Etat sont dès lors le peuple, héritier de son propre passé, la culture et la littérature que ce peuple a produites et les valeurs éthiques que cette culture transmet et véhicule. En bref, nous aussi, nous sommes héritiers des Lumières, non pas de celles du jacobinisme ou celles que veut nous imposer le système aujourd’hui, mais de ces “autres Lumières”. Saint-Loup, en critiquant le christianisme et le modèle occidental (soit, anticipativement, les “Lumières” tronquées de BHL et d’Habermas) s’inscrit dans le filon herdérien, sans jamais retomber dans des formes sclérosantes de “tu dois!”. “Sapere aude!” est également pour lui un impératif, lié à la belle injonction grecque “Gnôthi seautôn!”. Toujours dans cette perspective herdérienne, l’humanité n’est pas une panade zoologique d’êtres humains homogénéisés par la mise en oeuvre, disciplinante et sévère, d’idées abstraites, mais un ensemble de groupes humains diversifiés, souvent vastes, qui explorent en permanence et dans la joie leurs propres racines, comme les “humanités” gréco-latines nous permettent d’explorer nos racines d’avant la chrisitanisation. Pour Herder, il faut un retour aux Grecs, mais au-delà de toutes les édulcorations “ad usum Delphini”; ce retour ne peut donc déboucher sur un culte stéréotypé de la seule antiquité classique, il faut qu’il soit flanqué d’un retour aux racines germaniques dans les pays germaniques et scandinaves, au fond celtique dans les pays de langues gaëliques, aux traditions slaves dans le monde slave. Le processus d’auto-centrage des peuples, de mise en adéquation permanente avec leur fond propre, s’effectue par le truchement de la “Bildung”. Ce terme allemand dérive du verbe “bilden”, “construire”. Je me construis moi-même, et mon peuple se construit lui-même, en cherchant en permanence l’adéquation à mes racines, à ses racines. La “Bildung” consiste à chercher dans ses racines les recettes pour arraisonner le réel et ses défis, dans un monde soumis à la loi perpétuelle du changement.

 

Pour Herder, représentant emblématique des “autres Lumières”, le peuple, c’est l’ensemble des “Bürger”, terme que l’on peut certes traduire par “bourgeois” mais qu’il faut plutôt traduire par le terme latin “civis/cives”, soit “citoyen”, “membre du corps du peuple”. Le terme “bourgeois”, au cours du 19ème siècle, ayant acquis une connotation péjorative, synonyme de “rentier déconnecté” grenouillant en marge du monde réel où l’on oeuvre et où l’on souffre. Pour Herder, le peuple est donc l’ensemble des paysans, des artisans et des lettrés. Les paysans sont les dépositaires de la tradition vernaculaire, la classe nourricière incontournable. Les artisans sont les créateurs de biens matériels utiles. Les lettrés sont, eux, les gardiens de la mémoire. Herder exclut de sa définition du “peuple” l’aristocratie, parce qu’est s’est composé un monde artificiel étranger aux racines, et les “déclassés” ou “hors classe”, qu’il appelle la “canaille” et qui est imperméable à toute transmission et à toute discipline dans quelque domaine intellectuel ou pratique que ce soit. Cette exclusion de l’aristocratie explique notamment le républicanisme ultérieur des nationalismes irlandais et flamand, qui rejettent tous deux l’aristocratie et la bourgeoisie anglicisées ou francisées. Sa définition est injuste pour les aristocraties liées aux terroirs, comme dans le Brandebourg prussien (les “Krautjunker”), la Franche-Comté (où les frontières entre la noblesse et la paysannerie sont ténues et poreuses) et les Ardennes luxembourgeoises de parlers romans.

 

Une formidable postérité intellectuelle

 

220px-Hersart_de_villemarque.jpgL’oeuvre de Herder a connu une formidable postérité intellectuelle. Pour l’essentiel, toute l’érudition historique du 19ème siècle, toutes les avancées dans les domaines de l’archéologie, de la philologie et de la linguistique, lui sont redevables. En Allemagne, la quête archéo-généalogique de Herder se poursuit avec Wilhelm Dilthey, pour qui les manifestations du vivant (et donc de l’histoire), échappent à toute définition figeante, les seules choses définissables avec précision étant les choses mortes: tant qu’un phénomène vit, il échappe à toute définition; tant qu’un peuple vit, il ne peut entrer dans un corset institutionnel posé comme définitif et toujours condamné, à un moment donné du devenir historique, à se rigidifier. Nietzsche appartient au filon ouvert par Herder dans la mesure où la Grèce qu’il entend explorer et réhabiliter est celle des tragiques et des pré-socratiques, celle qui échappe justement à une raison trop étriquée, trop répétitive, celle qui chante en communauté les hymnes à Dionysos, dans le théâtre d’Athènes, au flanc de l’Acropole, ou dans celui d’Epidaure. Les engouements folcistes (= “völkisch”), y compris ceux que l’on peut rétrospectivement qualifier d’exagérés ou de “chromomorphes”, s’inscrivent à leur tour dans la postérité de Herder. Pour le Professeur anglais Barnard, exégète minutieux de l’oeuvre de Herder, sa pensée n’a pas eu de grand impact en France; cependant, toute une érudition archéo-généalogique très peu politisée (et donc, à ce titre, oubliée), souvent axée sur l’histoire locale, mérite amplement d’être redécouverte en France, notamment à la suite d’une historienne et philologue comme Nicole Belmont (cf. “Paroles païennes – Mythe et folklore”, Imago, Paris, 1986). Théodore Hersart de la Villemarqué (1815-1895) (photo), selon une méthode préconisée par les frères Grimm, rassemble dans un recueil les chants populaires de Bretagne, sous le titre de “Barzaz Breiz” en 1836. Hippolyte Taine ou Augustin Thierry, quand ils abordent l’histoire des Francs, l’époque mérovingienne ou les origines de la France d’Ancien Régime effectuent un travail archéo-généalogique, “révolutionnaire” dans la mesure où ils lancent des pistes qui dépassent forcément les répétitions et les fixismes, les ritournelles et les rengaines des pensées scolastiques, cartésiennes ou illuministes-républicaines. Aujourd’hui, Micberth (qui fut le premier à utiliser le terme “nouvelle droite” dans un contexte tout à fait différent de celui de la “nouvelle droite” qui fit la une des médias dès l’année 1979) publie des centaines de monographies, rédigées par des érudits du 19ème et du début du 20ème, sur des villages ou de petites villes de France, où l’on retrouve des trésors oubliées et surtout d’innombrables pistes laissées en jachère. Enfin, l’exégète des oeuvres de Herder, Max Rouché, nous a légué des introductions bien charpentées à leurs éditions françaises, parus en édition bilingue chez Aubier-Montaigne.

 

Irlande, Flandre et Scandinavie

 

thomas_davis.jpgLe nationalisme irlandais est l’exemple même d’un nationalisme de matrice “herdérienne”. La figure la plus emblématique de l’ “herdérianisation” du nationalisme irlandais demeure Thomas Davis, né en 1814. Bien qu’il ait été un protestant d’origine anglo-galloise, son nationalisme irlandais propose surtout de dépasser les clivages religieux qui divisent l’Ile Verte, et d’abandonner l’utilitarisme, idéologie dominante en Angleterre au début du 19ème siècle. Le nationalisme irlandais est donc aussi une révolte contre le libéralisme utilitariste; l’effacer de l’horizon des peuples est dès lors la tâche exemplaire qui l’attend, selon Thomas Davis. Ecoutons-le: “L’anglicanisme moderne, c’est-à-dire l’utilitarisme, les idées de Russell et de Peel ainsi que celles des radicaux, que l’on peut appler ‘yankeeïsme’ ou ‘anglichisme’, se borne à mesurer la prospérité à l’aune de valeurs échangeables, à mesurer le devoir à l’aune du gain, à limiter les désirs [de l’homme] aux fringues, à la bouffe et à la [fausse] respectabilité; cette malédiction [anglichiste] s’est abattue sur l’Irlande sous le règne des Whigs mais elle est aussi la malédiction favorite des Tories à la Peel” (cité in: D. George Boyce, “Nationalism in Ireland”, Routledge, London, 1995, 3ème éd.). Comme Thomas Carlyle, Thomas Davis critique l’étranglement mental des peuples des Iles Britanniques par l’utilitarisme ou la “shop keeper mentality”; inspiré par les idées du romantisme nationaliste allemand, dérivé de Herder, il explique à ses compatriotes qu’un peuple, pour se dégager de la “néo-animalité” utilitariste, doit cesser de se penser non pas comme un “agglomérat accidentel” de personnes d’origines disparates habitant sur un territoire donné, mais comme un ensemble non fortuit d’hommes et de femmes partageant une culture héritée de longue date et s’exprimant par la littérature, par l’histoire et surtout, par la langue. Celle-ci est le véhicule de la mémoire historique d’un peuple et non pas un ensemble accidentel de mots en vrac ne servant qu’à une communication élémentaire, “utile”, comme tente de le faire croire l’enseignement dévoyé d’aujourd’hui quand il régule de manière autoritaire (sans en avoir l’air... à grand renfort de justifications pseudo-pédagogiques boiteuses...) et maladroite (en changeant d’avis à tour de bras...) l’apprentissage des langues maternelles et des langues étrangères, réduisant leur étude à des tristes répétitions de banalités quotidiennes vides de sens. Davis: “La langue qui évolue avec le peuple est conforme à ses origines; elle décrit son climat, sa constitution et ses moeurs; elle se mêle inextricablement à son histoire et à son âme...” (cité par D. G. Boyce, op. cit.).

 

PearseMain.jpgCatholique, l’Irlande profonde réagit contre la colonisation puritaine, achevée par Cromwell au 17ème siècle. Le chantre d’un “homo celticus” ou “hibernicus”, différent du puritain anglais ou de l’utilitariste du 19ème siècle, sera indubitablement Padraig Pearse (1879-1916). Son nationalisme mystique vise à faire advenir en terre d’Irlande un homme non pas “nouveau”, fabriqué dans un laboratoire expérimental qui fait du passé table rase, mais renouant avec des traditions immémoriales, celles du “Gaël”. Pearse: “Le Gaël n’est pas comme les autres hommes, la bêche et le métier à tisser, et même l’épée, ne sont pas pour lui. Mais c’est une destinée plus glorieuse encore que celle de Rome qui l’attend, plus glorieuse aussi que celle de Dame Britannia: il doit devenir le sauveur de l’idéalisme dans la vie moderne, intellectuelle et sociale” (cité in: F. S. L. Lyons, “Culture and Anarchy in Ireland 1890-1939”, Oxford University Press, 1982). Pearse, de parents anglais, se réfère à la légende du héros païen Cuchulainn, dont la devise était: “Peu me chaut de ne vivre qu’un seul jour et qu’une seule nuit pourvu que ma réputation (fama) et mes actes vivent après moi”. Cette concession d’un catholique fervent au paganisme celtique (du moins au mythe de Cuchulainn) se double d’un culte de Saint Columcille, le moine et missionnaire qui appartenait à l’ordre des “Filid” (des druides après la christianisation) et entendait sauvegarder sous un travestissement chrétien les mystères antiques et avait exigé des chefs irlandais de faire construire des établissements pour qu’on puisse y perpétuer les savoirs disponibles; à ce titre, Columcille, en imposant la construction d’abbayes-bibliothèques en dur, a sauvé une bonne partie de l’héritage antique. Pearse: “L’ancien système irlandais, qu’il ait été païen ou chrétien, possédait, à un degré exceptionnel, la chose la plus nécessaire à l’éducation: une inspiration adéquate. Columcille nous a fait entendre ce que pouvait être cette inspiration quand il a dit: ‘si je meurs, ce sera de l’excès d’amour que je porte en moi, en tant que Gaël’. Un amour et un sens du service si excessif qu’il annihile toute pensée égoïste, cette attitude, c’est reconnaître que l’on doit tout donner, que l’on doit être toujours prêt à faire le sacrifice ultime: voilà ce qui a inspiré le héros Cuchulainn et le saint Columcille; c’est l’inspiration qui a fait de l’un un héros, de l’autre, un saint” (cité par F. S. L. Lyons, op. cit.). Chez Pearse, le mysticisme pré-chrétien et la ferveur d’un catholicisme rebelle fusionnent dans un culte du sang versé. La rose noire, symbole de l’Irlande humiliée, privée de sa liberté et de son identité, deviendra rose rouge et vivante, resplendissante, par le sang des héros qui la coloreront en se sacrifiant pour elle. Cette mystique de la “rose rouge” était partagée par trois martyrs de l’insurrection des Pâques 1916: Pearse lui-même, Thomas MacDonagh et Joseph Plunkett. On peut vraiment dire que cette vision mystique et poétique a été prémonitoire.

 

En dépit de son “papisme”, l’Irlande embraye donc sur le renouveau celtique, néo-païen, né au Pays de Galles à la fin du 18ème, où les “identitaires” gallois de l’époque réaniment la tradition des fêtes populaires de l’Eisteddfod, dont les origines remontent au 12ème siècle. Plus tard, les reminiscences celtiques se retrouvent chez des poètes comme Yeats, pourtant de tradition familiale protestante, et comme Padraig Pearse (que je viens de citer et auquel Jean Mabire a consacré une monographie), fusillé après le soulèvement de Pâques 1916. En Flandre, la renaissance d’un nationalisme vernaculaire, le premier recours conscient aux racines locales et vernaculaires via une volonté de sauver la langue populaire du naufrage, s’inscrit, dès son premier balbutiement, dans la tradition des “autres Lumières”, non pas directement de Herder mais d’une approche “rousseauiste” et “leibnizienne” (elle reprend —outre l’idée rousseauiste d’émancipation réinsérée dans une histoire populaire réelle et non pas laissée dans une empyrée désincarnée— l’idée d’une appartenance oubliée à l’ensemble des peuples “japhétiques”, c’est-à-dire indo-européens, selon Leibniz): cette approche est parfaitement décelable dans le manifeste de 1788 rédigé par Jan-Baptist Verlooy avant la “révolution brabançonne” de 1789 (qui contrairement à la révolution de Paris était “intégriste catholique” et dirigée contre les Lumières des Encyclopédistes). L’érudition en pays de langues germaniques s’abreuvera à la source herdérienne, si bien, que l’on peut aussi qualifier le mouvement flamand de “herdérien”. Il tire également son inspiration du roman historique écossais (Walter Scott), expression d’une rébellion républicaine calédonienne, d’inspiration panceltique avant la lettre. En effet, Hendrik Conscience avait lu Scott, dont le style narratif et romantique lui servira de modèle pour le type de roman national flamando-belge qu’il entendait produire, juste avant d’écrire son célèbre “Lion des Flandres” (= “De Leeuw van Vlaanderen”). Les Allemands Hoffmann von Fallersleben et Oetker recueilleront des récits populaires flamands selon la méthode inaugurée par les Frères Grimm dans le Nord de la Hesse, le long d’une route féérique que l’on appelle toujours la “Märchenstrasse” (“La route des contes”). De nos jours encore, il existe toute une érudition flamande qui repose sur les mêmes principes archéo-généalogiques.

 

L’idéal de l’Odelsbonde

 

En Scandinavie, la démarche archéo-généalogique de Herder fusionne avec des traditions locales norvégiennes ou danoises (avec Grundvigt, dont l’itinéraire fascinait Jean Mabire). La tradition politique scandinave, avec sa survalorisation du paysannat (surtout en Norvège), dérive directement de postulats similaires, les armées norvégiennes, au service des monarques suédois ou danois, étant constituées de paysans libres, sans caste aristocratique distincte du peuple et en marge de lui (au sens où on l’entendait dans la France de Louis XV, par exemple, quand on ne tenait pas compte des paysannats libres locaux). L’idéal humain de la tradition politique norvégienne, jusque chez un Knut Hamsun, est celui de l’Odelsbonde, du “paysan libre” arcbouté sur son lopin ingrat, dont il tire librement sa subsistance, sous un climat d’une dureté cruelle. Les musées d’Oslo exaltent cette figure centrale, tout en diffusant un ethnopluralisme sainement compris: le même type d’érudition objective est mis au service des peuples non indo-européens de l’espace circumpolaire, comme les Sami finno-ougriens.

 

L’actualité montre que cette double tradition herdérienne et grundvigtienne en Scandinavie, flanquée de l’idéal de l’Odelsbonde demeure vivace et qu’elle peut donner des leçons de véritable démocratie (il faudrait dire: “de laocratie”, “laos” étant le véritable substantif désignant le meilleur du peuple en langue grecque) à nos démocrates auto-proclamés qui hissent les catégories les plus abjectes de la population au-dessus du peuple réel, c’est-à-dire au-dessus des strates positives de la population qui oeuvrent en cultivant le sol, en produisant de leurs mains des biens nécessaires et de bonne qualité ou en transmettant le savoir ancestral. Seules ces dernières castes sont incontournables et nécessaires au bon fonctionnement d’une société. Les autres, celles qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé, sont parasitaires et génèrent des comportements anti-laocratiques: le peuple d’Islande l’a compris au cours de ces deux ou trois dernières années; il a flanqué ses banquiers et les politicards véreux, qui en étaient les instruments, au trou après la crise de l’automne 2008. Résultat: l’Islande se porte bien. Elle a redressé la barre et se développe. Les strates parasitaires ont été matées. Nos pays vont mal: les banquiers et leurs valets politiciens tirent leur révérence en empochant la manne de leurs “parachutes dorés”. Aucun cul de basse-fosse ne leur sert de logis bien mérité. Dès lors tout vaut tout et tout est permis (pourquoi faudrait-il désormais sanctionner l’ado qui pique un portable à l’étal d’un “Media-Markt”, si un patapouf comme Dehaene fout le camp après son interminable cortège de gaffes avec, en son escarcelle, des milliards de dédommagements non mérités?). Les principes les plus élémentaires d’éthique sont foulés aux pieds.

 

Tradition “herdérienne” dans les pays slaves

 

2196788-M.jpgDans les pays slaves, la tradition archéo-généalogique de Herder s’est maintenue tout au long du 19ème siècle et a même survécu sous les divers régimes communistes, imposés en 1917 ou en 1945-48. Chez les Tchèques, elle a sauvé la langue de l’abâtardissement mais s’est retournée paradoxalement contre l’Allemagne, patrie de Herder, et contre l’Autriche-Hongrie. Chez les Croates et les Serbes, elle a toujours manifesté sa présence, au grand dam des éradicateurs contemporains; en effet, les porteurs de l’idéal folciste sud-slave ont été vilipendés par Alain Finkelkraut lors de la crise yougoslave du début des années 90 du 20ème siècle, sous prétexte que ces érudits et historiens auraient justifié à l’avance les “épurations ethniques” du récent conflit inter-yougoslave, alors que le journaliste et slaviste israélite autrichien Wolfgang Libal considérait dans son livre “Die Serben”, publié au même moment, que ces figures, vouées aux gémonies par Finkelkraut et les autres maniaques parisiens du “politiquement correct” et du “prêt-à-penser”, étaient des érudits hors pair et des apôtres de la libération laocratique de leurs peuples, notamment face à l’arbitraire ottoman... Vous avez dit “bricolage médiatique”? En Russie, l’héritage de Herder a donné les slavophiles ou “narodniki”, dont la tradition est demeurée intacte aujourd’hui, en dépit des sept décennies de communisme. Des auteurs contemporains comme Valentin Raspoutine ou Alexandre Soljénitsyne en sont tributaires. Le travail de nos amis Ivanov, Avdeev et Toulaev également.

 

En Bretagne, le réveil celtique, après 1918, s’inscrit dans le sillage du celtisme irlandais et de toutes les tentatives de créer un mouvement panceltique pour le bien des “Six Nations” (Irlandais, Gallois, Gaëliques écossais, Manxois, Corniques et Bretons), un panceltisme dûment appuyé, dès le lendemain de la défaite allemande de 1945, par le nouvel Etat irlandais dominé par le Fianna Fail d’Eamon de Valera et par le ministre irlandais Sean MacBride, fils d’un fusillé de 1916. La tradition archéo-généalogique de Herder, d’où dérive l’idéal de “patrie charnelle” et le rejet de tous les mécanismes anti-laocratiques visant à infliger aux peuples une domination abstraite sous un masque “démocratique” ou non, est immensément riche en diversités. Sa richesse est même infinie. Tout mouvement identitaire, impliquant le retour à la terre et au peuple, aux facteurs sang et sol de la méthode historique d’Hyppolite Taine, à l’agonalité entre “paroles diverses” (Lyotard), est un avatar de cette immense planète de la pensée, toute tissée d’érudition. Si un Jean Haudry explore la tradition indo-européenne et son émergence à l’ère proto-historique, si un Pierre Vial exalte les oeuvres de Jean Giono ou d’Henri Vincenot ou si un Jean Mabire évoque une quantité impressionnante d’auteurs liés à leurs terres ou chante la geste des “éveilleurs de peuple”, ils sont des disciples de Herder et des chantres des patries charnelles. Ils ne cherchent pas les fondements du politique dans des idées figées et toutes faites ni n’inscrivent leurs démarches dans une métapolitique aggiornamenté, qui se voudrait aussi une culture du “débat”, un “autre débat” peut-être, mais qui ne sera jamais qu’une sorte d’ersatz plus ou moins “droitisé”, vaguement infléchi de quelques misérables degrés vers une droite de conviction, un ersatz à coup sûr parisianisé de ces “palabres rationnels” de Habermas qui ont tant envahi nos médias, nos hémicycles politiques, nos innombrables commissions qui ne résolvent rien.

 

Robert STEUCKERS.

Avec la nostalgie du “Grand Lothier”, Forest-Flotzenberg & Nancy, mars 2012.

dimanche, 25 novembre 2012

Parc Vigeland, Oslo

Parc Vigeland, Oslo, 6 & 7 août 2011

Photos de Robert Steuckers

6 août, journée ensoleillée et torride, excellente lumière

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mardi, 07 février 2012

Nouveaux textes sur http://robertsteuckers.blogspot.com/

Nouveaux textes sur

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De l'humanisme italien au paganisme germanique: avatars de la critique du christianisme de la Renaissance à l'époque contemporaine:

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Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne - Aux sources de l'européisme contemporain!

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Les concepts de Toynbee

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Sur l'identité européenne

http://robertsteuckers.blogspot.com/2012/01/sur-lidentite-europeenne.html

Pourquoi nous opposons-nous à l'OTAN?

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mercredi, 14 septembre 2011

R. Steuckers: "Vitalist Thinking is incorrect"

Archive de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Interview with Robert Steuckers

“Vitalist Thinking is incorrect”

by Jürgen Hatzenbichler


joie.jpgThis year is the thirtieth anniversary of the 1968 revolution. What value does the “New Left” have for a rightist discourse today?

Steuckers: First, it has to be said that although the “New Left” demonstrated, rioted and mobilised the factories in Paris in May 1968, one million counter-demonstrators were also on the streets, there to put an end to the events. Furthermore, the “right” won in May; de Gaulle returned in June. One must keep in mind that the so-called “anti-authority movement” could only start the occupation of the institutions in 1988, after the assumption of power by Mitterand. Although between 1968 and 1981 the “New Left” carried a lot of weight in France, the “liberal-conservative Right” remained in power and was able to develop its “Weltanschauung”. One should also know, in order to understand ’68, that de Gaulle had changed his programme completely after the War in Algeria: he was anti-imperialist and anti-American, he visited Russia in 1965 and left NATO. In a speech in Cambodia, he depicted France as the leading anti-imperialist Power and as a partner for countries that were neither “americanist” nor communist. He also developed contacts with South America, which lead to the French aviation industry being able to drive out the Americans there. In Quebec in 1967, he exclaimed “free Quebec”, which was a direct provocation for the Americans, who didn’t tolerate it. Thus the May of ’68 was partly brought about by the American secret service, so that France would refrain from its anti-imperialist function.

In the German-speaking world 1968 is subsequently linked to “political correctness”. What impact did the revolution have in the francophone world?

Steuckers: Moralism appeared more strongly in Germany and with the German Left than in France. In France there are two concepts. There is May ’68: the student movement as a revolutionary movement. But there is also the “thought of ‘68”, la pensée ’68. When one speaks of it, one means a way of thinking like Foucault, Derrida, Deleuze and Guattari among others, who were especially inspired by Nietzsche. Nowadays “political correctness” criticises these philosophers because they think “lebensphilosophisch”, because they are “vitalists”.

This method of “deconstruction” criticises the modern age above all…

Steuckers: …yes, against the “Enlightenment”. Here I would like to highlight an “accent” of Michel Foucault. Foucault is of course regarded as a leftist philosopher, but at the start of his career, which he began with an article that appeared in 1961, he developed a thesis, which stated that the enlightenment was not at all the emancipation of humanity, but instead the beginning of omnipotent observation and punishment. When this article appeared, Foucault was branded a reactionary by certain guardians of virtue. It’s well known that Foucault was a homosexual… He said: “I must commit myself to the outsiders, I must play for the left, otherwise my career is lost.” Nevertheless, his thesis is valid: the enlightenment means observation and punishment. He further criticised the enlightenment as the “ground” for the French Jacobin state. For Foucault, enlightenment society embodies a new panoptical prison, in the middle of which stands a tower, from which all prisoners can be observed. The model of the enlightenment also embodies a “transparent” society without mystery, without a private sphere or personal feelings. Political correctness has seen that these thoughts are extremely dangerous for enlightenment states/ regimes. Foucault is branded a vitalist.

Which ideas of the “New Left” are still relevant?

Steuckers: I’ll have to answer this question in a roundabout way: what does the current “New Left” want? Does the “New Left” want to disseminate the ideas of Foucault, be against societies that want total surveillance and punishment? I can’t answer for the left. But what I do see is that the “New Left” never thinks nowadays, but merely wants to push through political correctness.

The left-right schema is now called into question by some rightists. Is the abolition of these opposites relevant?

Steuckers: I think that for several decades the right has repeated the same obloquies too often. Though I see that today in Germany certain philosophical currents are reading Foucault together with Carl Schmitt and Max Weber. This is very important; it is the kernel of a new conservative revolution, because it is anti-enlightenment. Though I don’t reject the entire enlightenment myself; not the enlightenment King of Prussia, Friedrich II for example. Nor do I reject everything from Voltaire – who was an enlightenment philosopher and gave an excellent definition of identity when he said: “There is no identity without memory.” I don’t reject everything, but I gladly reject political correctness, which claims to be heir to the enlightenment, but sold us a corrupt enlightenment. It has to be said, anti-enlightenment ideas are available on both the right and left. On the other hand, a certain “right”, above all the techno-conservative powers, no longer poses the question of values. These conservatives want an enlightenment profile like the politically correct left.

Can one say that in such a society, which sees everything in terms of economics and consumption, the intellectuals of the left and right are the last defenders of meaning and value?

Steuckers: The American debate answered this very well, when the philosopher John Rawls posed the question of justice. If the enlightenment ends in consumerism, neither community nor justice is possible. There are seemingly conservative and progressive values and here a debate over the deciding questions of tomorrow is possible, but the organised groups of “political correctness” will do everything to prevent it.

Where on the right do you see the possible divisions between a value conservative attitude and a reactionary position?

Steuckers: Nowadays a “value conservative” attitude cannot remain structurally conservative. This attitude defends the values that hold a community together. If structural conservatives, meaning economic liberals, absolutely avoid posing the question of values, then the dissolution of communities is pushed forward. Then we have the danger that states, and even an eventual global community, become totally ungovernable.

What value does the “Nouvelle Droite” have in today’s intellectual discourse?

Steuckers: Nowadays it no longer has a solitary position. It should back the American communitarians more and lead the debate against globalisation and for identity-building values. Outside of Europe and America: to observe those non-western civilizations, like China and the Asiatic states, which have twice rejected the enlightenment ideology of “human rights”; first in Bangkok then in Vienna. These societies have set out to ensure that “human rights” are adapted to their own civilizations, because, as the Chinese have said, humans are never merely individuals but are always imbedded within a society and culture.

mardi, 12 juillet 2011

Robert Steuckers sur "Méridien Zéro" - Paris 16juin 2011

Robert Steuckers sur "Méridien Zéro"

Paris, 12 juin 2011



jeudi, 12 mai 2011

Robert Steuckers: Answers given to the Scandinavian Group "Oskorei"

Robert Steuckers:

Answers Given to the Scandinavian Group and Internet Forum “Oskorei / motpol.nu”)

 

AvrilJuillet2010 186.jpgPicture: Walking along Heidegger's path in Todtnauberg, Germany, July 2010 (Photo, copyright: AnaR).

 

Why did you found « Synergies Européennes » ?

 

Initially I had no intention to found any group or subgroup in the broad family of New Right clubs and caucuses. But as, for many reasons, cooperation with the French branch around Alain de Benoist seemed to be impossible to resume, I first decided to retire completely and to devote myself to other tasks, such as translations or private teaching. This transition period of disabused withdrawal lasted exactly one month and one week (from December 6th, 1992 to begin January 1993). When friends from Provence phoned me during the first days of 1993 to express their best wishes for the New Year to come and when I told them what kind of decision I had taken, they protested heavily, saying that they preferred to rally under my supervision than under the one of the always mocked “Parisians”. I answered that I had no possibility to rent places or find accommodations in their part of France. One day after, they found a marvellous location to organise a summer course. Other people, such as Gilbert Sincyr, generously supported this initiative, which six months later was a success due to the tireless efforts of Christiane Pigacé, a university teacher in political sciences in Aix-en-Provence, and of a future lawyer in Marseille, Thierry Mudry, who both could obtain the patronage of Prof. Julien Freund. The summer course was a success. But no one had still the idea of founding a new independent think tank. It came only one year later when we had to organise several preparatory meetings in France and Belgium for a next summer course at the same location. Things were decided in April 1994 in Flanders, at least for the Belgians, Italians, Spaniards, Portuguese and French. A German-Austrian team joined in 1995 immediately after a summer course of the German weekly paper “Junge Freiheit”, that organized a short trip to Prague for the participants (including Sunic, the Russian writer Vladimir Wiedemann and myself); people of the initial French team, under the leading of Jean de Bussac, travelled to the Baltic countries, to try to make contacts there. In 1996, Sincyr, de Bussac and Sorel went to Moscow to meet a Russian team lead by Anatoly Ivanov, former Soviet dissident and excellent translator from French and German into Russian, Vladimir Avdeev and Pavel Tulaev. We had also the support of Croatians (Sunic, Martinovic, Vujic) and Serbs (late Dragos Kalajic) despite the war raging in the Balkans between these two peoples. In Latin America we’ve always had the support of Ancient Greek philosophy teacher Alberto Buela, who is also an Argentinian rancher leading a small ranch of 600 cows, and his old fellow Horacio Cagni, an excellent connoisseur of Oswald Spengler, who has been able to translate the heavy German sentences of Spengler himself into a limpid Spanish prose. The meetings and summer courses lasted till 2003 and the magazines were published till 2004. Of course, personal contacts are still held and new friends are starting new initiatives, better adapted to the tastes of younger people. In 2007 we started to blog on the net with “euro-synergies.hautetfort.com” in seven languages with new texts every day and with “vouloir.hautetfort.com” only in French with all the articles in our archives. This latest initiative is due to a rebuilt French section in Paris. These blogging activities bring us more readers and contacts than the old ways of working. Postage costs were in the end too high to let the printed stuff survive. The efforts of our American friend Greg Johnson, excellent translator from French into English, has opened us new horizons in the world, where English is more largely known than other European languages, except Spanish. The translations of Greg can be read on “counter-currents.com”. Tomislav Sunic with all his connections in the New World, in England and Scandinavia has played a key role in this step forward. He will force me to write in English in the next future, just as you do now, and to abandon my habit to write mainly in French and sometimes in German, languages that I master better that English. The next long interview in English will be the one that Pavel Tulaev submitted to me some days ago (January 2011). In fact, when I entered as a full member the New Right groups in September 1980, after having been drilled during a special summer course in Provence in July 1980 in the frame of the so-called “Temistoklès Savas Promotion” (T. Savas was a Greek friend who had just died in a motorbike accident in the Northern Greek mountains), I promised to Prof. Pierre Vial, who was at that time one of the main leaders of the celebrated GRECE-group, to lead a metapolitical battle till my last breath. So things are still going on as they ought to.

 

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The marvellous water bridge of Rocquevafour were formerly the GRECE Summer Courses were given

Now the very purposes of “Synergies Européennes” or “Euro-Synergies” were to enable all people in Europe (and outside Europe) to exchange ideas, books, views, to start personal contacts, to stimulate the necessity of translating a maximum of texts or interviews, in order to accelerate the maturing process leading to the birth of a new European or European-based political think tank. Another purpose was to discover new authors, usually rejected by the dominant thoughts or neglected by old right groups or to interpret them in new perspectives.

 

“Synergy” means in the Ancient Greek language, “work together” (“syn” = “together” and “ergon” = “to work”); it has a stronger intellectual and political connotation than its Latin equivalent “cooperare” (“co” derived from “cum” = “with”, “together” - and “operare” = “to work”). Translations, meetings and all other ways of cooperating (for conferences, individual speeches or lectures, radio broadcasting or video clips on You Tube, etc.) are the very keys to a successful development of all possible metapolitical initiatives, be they individual, collegial or other. People must be on the move as often as possible, meet each other, eat and drink together, camp under poor soldierly conditions, walk together in beautiful landscapes, taste open-mindedly the local kitchen or liquors, remembering one simple but o so important thing, i. e. that joyfulness must be the core virtue of a good working metapolitical scene. When sometimes things have failed, it was mainly due to humourless, snooty or yellow-bellied guys, who thought they alone could grasp one day the “Truth” and that all others were gannets or cretins. Jean Mabire and Julien Freund, Guillaume Faye and Tomislav Sunic, Alberto Buela and Pavel Tulaev were or are joyful people, who can teach you a lot of very serious things or explain you the most complicated notions without forgetting that joy and gaiety must remain the core virtues of all intellectual work. If there is no joy, you will inevitably be labelled as dull and lose the metapolitical battle. Don’t forget that medieval born initiatives like the German “Burschenschaften” (Students’ Corporations) or the Flemish “Rederijkers Kamers” (“Chambers of Rhetoric”) or the Youth Movements in pre-Nazi Germany were all initiatives where the highest intellectual matters were discussed and, once the seminary closed, followed by joyful songs, drinking parties or dance (Arthur Koestler remembers his time spent at Vienna Jewish Burschenschaft “Unitas” as the best of his youth, despite the fact that the Jewish students of Vienna considered in petto that the habits of the Burschenschaften should be adopted by them as pure mimicking). Humour and irony are also keys to success. A good cartoonist can reach the bull’s eye better than a dry philosopher.

 

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Provence village of Lourmarin where three Summer courses of "Synergies Européennes" were held

 

How do you view the proper relationship between the national state and the European Community?

 

Well, it depends which national state you are talking about. Some states have a strong political personality, born out of their own history. Others are remnants of former greater empires, like many states in Central Europe, which once upon a time were parts of the Austrian-Hungarian Habsburgs Empire. France, Britain and Sweden, for instance, have such a well-defined strong personality. Belgium, the country in which I was born, is a more or less artificial state, being a remnant entity of the Austrian-Hungarian Empire and of the medieval German Holy Roman Empire but having been strongly under the influence of France due to the use of French language in the Southern part of the kingdom and among the elites, even in Flemish speaking provinces. Croatia has been part of the Hungarian Crown’s Lands within the Austrian-Hungarian Empire and still desires to have closer links with Austria, Germany and Italy. Bosnia cultivates both the nostalgia of the Austrian-Hungarian Empire and of the Ottoman Empire. The Netherlands has certainly a stronger identity than Belgium or Croatia but this identity has the tendency to develop in two very different directions: a see-oriented direction towards Britain and the United States, or a land-oriented direction towards Germany and Flanders in Belgium. Countries with a weaker identity have the tendency to be more pro-European than the ones that have this strong history born personality I’ve just mentioned. But on the other hand Britain is experimenting nowadays a process of devolution, especially in Scotland and in a lesser extent in Wales. France is still theoretically the embodiment of a strongly centralised state but regional and local identities are flourishing as an alternative to the official universalistic ideology of the “République”, leading to a compelled acceptation of mass immigration imposed to the native populations, that, as a result, instinctively take up local or regional roots, which look more genuine and gentle, being seen as in complete accordance with one’s “deepest heart”.

 

To theorise the “proper relationship” between the national state and the European Union, you have to look out for a functioning model, in which several types of identities, be they linguistic or confessional, are overlapping and displaying a kind of mosaic patchwork on a smaller scale than Europe, which is obviously such a patchwork, especially in its central continental areas. The only functioning model we have is the Swiss model. This democratic model was born in an intersection area in the middle of the European continent, where three main European languages and one local language meet as well as two different Christian faiths, Protestantism and Catholicism, Swiss Protestantism being once more divided between Lutherans in German speaking Basle and Calvinist in French speaking Geneva, with remnants of Zwingli’s Protestantism around Zurich. Most German speaking Swiss are otherwise Roman Catholics, while most French speaking Swiss are Protestants except in the Canton of Jura. To coordinate optimally all these differences, what could lead to endless conflicts, the Swiss political system invented a form of federalism that allowed people to live in peace while keeping their differences alive. This could be a model for all European states and for regions within these states. The federal level in Switzerland is a “slim” and efficient level. Most matters are left in the hands of local politicians and officials. Moreover the Swiss system foresees the referendum as a decision making instrument at both federal and cantonal levels. The people can introduce a claim at local or national level, leading to the organisation of a referendum for all kind of matters: the building of a bridge, ecological problems, introduction or suppression of a railway or a bus connection, etc. In 2009 and in 2010, two referendums took place at federal level: the first one was introduced by a rightist populist party to forbid the building of minarets in Swiss cities and towns, in accordance to the very old ecological and town-planning laws of the Swiss Confederation, mostly accepted or introduced by leftist “progressive” political forces in former times. In November 2010, also very recently, people voted to expel all criminal foreigners out of the country, avoiding in this way the most painful effects of mass immigration. Such people’s initiatives would be impossible in other European countries, despite the fact that expelling criminals cannot be considered as “racist” (as non criminal foreigners cannot be expelled) or as hostile to particular religious faiths, as no religion tolerates crimes as acceptable patterns of behaviour.

 

Therefore, the possible adoption of this Swiss model, beyond its latest anti-immigration aspects, would allow other European peoples to vote in order to coin a policy-making decision about actual problems and so to avoid being arrogantly ordained by ukases imagined by the fertile fantasy of Eurocratic eggheads in Brussels. The adoption of the Swiss model implies of course to reduce most of the biggest states in Europe into smaller entities or to adopt a federal system like in Spain, Austria, Belgium or Germany, plus the possibility to organise referendums like in Switzerland, as this is not the case in the otherwise complete federal states I’ve just mentioned. This is a lack of democracy. The main problem would be France, where this kind of federalism and of democracy has never been introduced. Nevertheless, the demand for the referendum system is growing in France, as you can read it on www.polemia.com, where former New Right exponent Yvan Blot is currently resuming all his ideas, suggestions and critics about this topic.

 

96720241.jpgPicture: The Splügenpass at the Italian-Swiss boarder where Synergon's Summer Course 1996 was held (Photo: RS)

 

The introducing of a general federal system in Europe with broad devolution within the existing states is not accepted everywhere. In Italy, where the federalist Lega Nord is continuously successful in the Northern provinces of the country, partisans of a strong state argue that a balkanization in the disguise of a general federalisation would weaken many state’s instruments that have been firmly settled in former times and enable the present-day state foundations or practices to avoid absorption by globalist American-lead agencies or concerns. This is of course an actual risk. So all the state institutions having been developed in Europe to enhance autarky (self-sufficiency) at whatever level possible must be kept out of any dissolution process implied by any form of devolution.

 

A policy consisting of introducing a referendum to avoid people being crushed by too centralised states or by eurocrats, of a devolution allowing this genuine form of democracy to be established everywhere and of keeping alive all institutions aiming at self-sufficiency was perhaps the hope of Solzhenitsyn for his dear old Russia. Such a policy ought to be made secure according to historical Russian and Swiss models, but cannot of course be implemented by the current political personnel. Needless to say that such a personnel is corrupt but not only that. It is brainwashed and duped by all kind of silly ready-made ideologies or blueprints, invented mostly in American think tanks, their European counter-parts and the main media agencies. To summarize it, these ideologies aim at weakening the societies by mocking their traditional patterns of behaviour, at generalizing the ideological assets of neo-liberalism in order to let globalization be thoroughly implemented in every corner of the world and at reducing Europe to remain once for ever a disguised colony of the United States.

 

Therefore, there is the need to replace such a deceiving personnel by new teams in every European country. These new teams cannot be the usual populist alternative parties as they are mostly unaware of the dangers of neo-liberalism, i.e. the new universalistic ideology suggested and imposed by the most dangerous think tanks of the left and of the establishment: from the camouflaged Trotskites within the social-democratic parties to the “new philosophers” in France, who paved the way to a subtle mixture of “political correctness”, apparent libertarianism, an apparently vehement and staunch defence of the human rights, avowed antifascism and anticommunism (communism being the result of a worship of mostly German “thought masters” (“maîtres-à-penser”) like Hegel  or Marx). The usual populist parties never managed to develop a discourse about and against this real danger jeopardizing Europe’s future. They were each time trapped by one aspect or another of this subtle mixture, especially all the anticommunist aspects.

 

A “new team” should give following answer to the now well-established official ideology of the main medias:

-          A defence of the social systems in Europe or of an adaptation/modernization of them, erasing the corruptions that deposited during several decades; the model would be of course the partnership existing since the foundation of the Federal Republic of Germany between workers and bosses; the investment model called the “Rhine Model” by the French thinker Michel Albert, where the capital is permanently invested in new technologies, in Research & Development, in academic think tanks, etc. The defence of the so-called socialist social systems in Europe aims essentially at preserving the families’ patrimony (especially modest working-class families because it gives them a safe security net in case of recession), at securing the future of the school and academic networks (now disintegrating under the iron heel of the banksters’ neoliberalism) and at securing a free and good functioning medical system in all European countries. It has often been said that the “non merchant sectors” were suffering due to all kind of imposed shortages (in the name of an alleged economic efficiency) and to the poor salaries earned by teaching or medical personnel. The “anti-shopkeeper” mentality of the so-called “right” or “new right” is an old heritage linking us to the ideals of the Scotsman Thomas Carlyle and the American poet Ezra Pound. If we want to translate these core ideas into a political programme, we’ll have to elaborate in each European country a specific defence of the “non merchant sectors”, as a civilization is measured not by material and transient productions but by the excellence of its medical and academic systems. We always were defenders of the primacy of culture against the iron heel of banks and economics.

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The Varese Lake, Lombardia, where Synergon's Seminar 1995 and Synergon's Summer Course 2000 was held

 

-          The notion of human rights, as they are propagated by the mainstream medias and by the official American think tanks, is a would-be universalistic ideology, aiming at replacing all the old messianic faiths, be they a religious bias or a Hegelian or Marxist tinted ideology (“the main narratives” of Jean-François Lyotard). But the mainstream notion of human rights are not merely an ideology, it is an instrument fabricated by strategists at the time of President Jimmy Carter, in order to have a constant opportunity to meddle in the affairs of alien countries, in order to weaken them (a strategy already suggested by Sun Tzu). The Chinese could observe very early that drift from a pious reference to human rights towards manipulation and subversion and reacted in arguing that every civilization should be permitted to adapt the notion of human rights to its own core cultural patterns. If the Chinese have the right to adapt, why wouldn’t we Europeans not be entitled to give our own interpretation of human rights within the frame of our own civilization? And above all to be allowed to make a clear distinction, when human rights are evoked, between what is genuine in the true defence of citizens’ rights and obligations and what is the result of an offensive attack perpetrated by an alien “soft power” in order to destabilize our countries’ policy in whatever matters. We should have the courage to denounce every abuse in the manipulating of the human rights’ topic when they are solemnly summoned up only in order to promote any American imperialist project in Europe, as, for instance, the war against Yugoslavia in 1999 was. The justification put forward to start this war was the so-called breach of human rights committed by the Serbian government against the Albanians composing the majority of Kosovo’s population. But in the end it brought to power an infamous gang in this American-backed secessionist province of Kosovo, currently accused of trafficking human organs, weapons and prostitutes. Where are the rights of the people having been bereft of their organs by force or of the poor girls attracted by seducing work contracts in Western Europe, then beaten, locked up in some dreary cellar and finally forced to be on the game? All the media orchestrated humbug about human rights promoted by Carter, Clinton and Albright ended exactly in the worst breaches in common law, that were deleterious for thousands and thousands of victims. The American discourse about human rights is deceitfulness and cant and nothing else. The real purpose was to establish a gigantic military base in Kosovo, namely “Camp Bondsteel”, in order to replace the abandoned bases in Germany after the Cold War and the German reunification and to occupy the Balkans, an area which, since Alexander the Great, allows every audacious conqueror to control Anatolia and all areas beyond it, namely Iraq and Persia. A “new team” in Europe should ceaselessly stigmatize and vilify these abuses and clearly tell the public opinion of their respective countries what are the real purposes behind each American human rights policy. The “new team” should work a bit like Noam Chomsky in the United States, who indefatigably reveals what is Washington’s hidden agenda in every part of the world.

 

To adopt a Swiss model with referendum at local and national level, to reject vehemently the anti-autarky policies induced by the neo-liberal ideology and economical theory, to reject also the mainstream bias of “political correctness” and to perceive the real geopolitical and strategic intentions hidden behind each American step are not capabilities that the political personnel in Europe can currently display. Therefore you won’t have a proper relationship between the national states (and the people as an ethnic reality) and the highest institutions of the European Union, as long as a fooled political pseudo-elite is ruling these latest. You need “new teams” to induce a “proper relationship”.            

 

What is your analysis of the current European Union and it’s future and potential?

 

The answer to the question you ask here could be the stuff of a whole book. Indeed to answer it properly and in a complete way, you need to evoke the all story of the European integration process, starting with the founding act of the CECA/EGKS, i.e. the “European Community of Coal and Steel”, in 1951. After that you had the “Treaty of Rome” in 1957, launching the so-called “Common Market” and, later, the “Treaty of Maastricht” and the “Treaty of Lisbon”.  It seems useless to resume now the entire history of the European “Eurocratic” institutions, especially at a present time when they are totally degenerated by liberal and neo-liberal ideas that of course weaken them and make them in a certain way superfluous. The core idea at the very beginning was to create an “autonomous market”, leading to a certain autarky, which was absolutely possible when the six founding countries possessed large parts of Africa and could so exploit the most important industrial and mineral resources. The decolonization and the support that the United States provided to the independence movements in Africa bereft Europe of a direct access to the main resources. The core idea of an autarky within a certain “Eurafrican” commonwealth has no real significance anymore. This new situation could already have been foreseen in October 1956 when the United States tolerated (and indirectly supported) the Soviet invasion of Hungary despite the opinion of their main allies in Europe and condemned the French-British intervention in Egypt. The year 1956 announced the fate of Europe: the European powers had no right to intervene within Europe itself, as Hungary had freed itself from Soviet yoke and as the treaties signed after 1945 foresaw the withdrawal of all Soviet troops out of the country after some months. The European powers, including Britain, had no right anymore to intervene in Africa in order to keep order.

 

The decolonization process left Europe without a necessary “Ergänzungsraum”, i. e. a “complementary space”, that could be administrated from European capitals and give African people the efficiency of well drilled executives, what they lack since then, precipitating the whole Black continent into a terrible misery. But autarky doesn’t mean the direct access to mineral resources: it means first of all “food autarky”. Few European countries are (or were at the end of the 80s, just before the collapse of the Soviet block) really independent at food level or are now able to produce food excesses. Only Sweden, Hungary, France and Denmark were. For the excellent French demographist Gaston Bouthoul Denmark is the best example of a well-balanced agriculture. This small Scandinavian country is able to produce food excesses that make of it an “agricultural superpower” in Europe: one should simply remember that Danish peasants furnished 75% of the food for the German Wehrmacht during WW2. Without the Danish food excesses, Hitler’s armies wouldn’t have resisted so long in Russia, in Northern Africa and in the West (Italy).

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Perugia, Umbria (Italy) where the common "New Right" Conference (with Dr. Marco Tarchi, Dr. Alessandro Campi, Alain de Benoist, Michael Walker and Robert Steuckers) was held in February 1991 and where Synergon's Summer Course 1999 took place

 

The core idea of autarky survived quite long within the European institutions. We should remember the last plan trying to materialise autarky, the so-called “Plan Delors”, proposing a policy of large scaled public works and of favouring telecommunications and public transports within the EU area. The EU has no future if it remains what American economists called “a penetrated system” at the time of the Weimar Republic in Germany when American big business tried a disguised colonisation of the defeated Reich through the Young and Dawes Plans. The EU is now a penetrated system where not only American multinationals are carving important segments of the inner European market but also the new Chinese State’s companies and where the textile industry is now entirely dependant from delocalized factories settled in Turkey or Pakistan. Unemployment reaches astronomical figures in Europe because of delocalisation.

 

Recently the German weekly magazine “Der Spiegel” has published figures showing that Europe is experimenting now a real decay. More and more European countries are leaving the hit parade of the 20 most important economies on the world. The results of the PISA inquiry about the levels reached by school systems reveals also a general decay of the European standards. University teacher and former student and translator of Carl Schmitt, Julien Freund, thought us in his important book “La fin de la Renaissance” (1981) that decay comes when you begin to hate yourself, to despise what you are and to abhor your own past. The whole “Vergangenheitsbewältigung” not only in Germany but in all European countries, where children and teenagers are subtly induced to loathe themselves and their fatherlands, has repercussions on the general economics of the entire continent. The EU can only survive when it finds its ideological roots again, i. e. the very notion of autarky. Otherwise the process of decay will amplify tremendously and lead to the complete disappearance of the European peoples and civilisation. In this process the EU area may become, as a kind of new “Eurabia” or Euro-Turkey or Afro-Europe, an appendix of a “Transatlantic Union” under US leadership. 

 

Well, let us now turn to the real question, the question that matters. Are we socialists or not? If we are, what’s the difference between us and the conventional socialists or social democrats?  What’s the difference between the synergist anti-liberal with his New Right background and the Marxist or Post-Marxist we find in all the parliaments in Europe and of course in the European Parliament where they constitute the second main group after the Christian Democrats of the EPP? Well, the conventional socialists would say that they get their inspiration from their holy icon Marx and from his followers of the 2nd International, even if a born-again Marx would fiercely mock their liberal and permissive bias with the acidity he always used to lash verbally his foes. The problem is that the socialism of the direct heirs of the 2nd International is a type of socialism without a frame, consisting mainly of irresponsible promises emitted by cynical politicians in order to grasp as many mandates or seats as possible. Long before Marx wrote his well-known communist manifesto, there was an economical genius in Germany called Friedrich List, who opposed the free trade ideology of Britain at that time. Free trade meant in the first half of the 19th Century a generalized colonial system in the entire world, where Britain would have been the world only workshop or factory, while the rest would have remained underdeveloped only producing raw materials for the Sheffield or Manchester mills. Included all European countries of course. List asserted that every country had the genuine right to develop its own territorial assets. As the British fleet was the instrument enabling the British Crown to be ubiquitous and reach the harbours on all shores where it could get the raw materials and sell the products of England’s factories, List suggested an inner development of all countries in the world by inner colonization (fertilization and cultivation of all abandoned lands), building of railways and canals in order to boost communications. List inspired the German government under the leading of Bismarck, the small Belgian kingdom which was an economical power having experimented an actual industrial revolution immediately after Britain, the French positivists for the necessity of starting an inner agricultural colonization of the former Gallic mainland and above all the US government that had to face the huge problem of developing the gigantic land space between the Atlantic and the Pacific. List is the intellectual father of the Transcontinental Railway and of the canals linking the Lakes and the Saint Lawrence River. He is the real intellectual father of the industrial power of the United States. On the other hand he inspired anti-colonialists in the former Third World, especially India and China: Gandhi, who wanted the Indians to cultivate cotton and weave their own clothes with it, and Dr. Sun Ya Tsen, founder of the Chinese Republic in 1911, were more or less inspired by List’s theories and practical suggestions. The Chinese National-Republican economist Kai Sheng Chen, who theorized the very important notion of  “armed economy”, was a pupil of List and of Ludendorff, who adapted the peaceful ideas of List in the context of WW1. Taiwan and South Korea have proved that Kai Sheng Chen’s ideas can be successfully realized.

 

In the present-day United States the caucus around Lyndon LaRouche has produced an excellent analysis of the opposition between the Free Trade system and List’s practical views of a world of free autarkic areas. You can find a long documentary on the Internet about this dual interpretation given by the LaRouche’s group. Many Europeans would of course object that LaRouche’s vision of the economical history of the Western World during these two last centuries is quite over-simplified. Of course it is. But the core of this interpretation is correct and sound, whereas the over-simplification made of the all corpus a good didactical instrument. There is indeed an opposition between Free Trade (neo-liberalism, reaganomics, thatcherite economics, Chicago Boys, Hayek’s theories, etc.) and List’s idea of a harmonious juxtaposition of autarkies on the world map. The LaRouche caucus never quotes List (as far as I know) and says Lincoln and McKinley were opponents to the Free Trade, a position that, according to Lyndon LaRouche, explains their assassinations. Both were killed after a plot aiming at cancelling all political steps towards a North American autarkist system. Teddy Roosevelt and Woodrow Wilson were supporters of the Free Trade system and of a British-American alliance along the lines theorized by an almost forgotten proponent of geopolitics, Homer Lea, author of a key book, “The Day of the Saxons”. Lea, having got a degree in West Point, had been dismissed for medical reasons and turned to pure theory, advocating an eternal alliance of Britain and the United States. We can read in his book today the general principles of a control of the South Asian “rimlands” by both Anglo-Saxon sea powers, especially Afghanistan, and of a control of the Low Countries and Denmark to avoid any push forward of Germany in the direction of the North Sea or any push forward of France in the direction of the harbours of Antwerp and Rotterdam.

 

The LaRouche caucus aims obviously at emphasizing the role in history of some icon figures of America like Abraham Lincoln of Franklin Delano Roosevelt. Nevertheless Free Trade and Continental Autarky are truly a couple of opposites that you cannot deny, even if the binary antagonism isn’t certainly so sharp as explained by LaRouche’s team. For instance, it is true that F. D. Roosevelt started his career as a US President by launching the huge project of the “Tennessee Valley”, foreseeing the building of a series of colossal dams to tame the violent waters of the Tennessee, Mississippi and Missouri rivers. The New Deal and the “Tennessee Valley Project” were distinctly continental purposes but they were torpedoed by the proponents of Free Trade, who in the end imposed a new Free Trade policy, an alliance with Britain, despite the fact that Chamberlain tried to create an inner Commonwealth autarky. This shift in Roosevelt’s policy lead to war with Japan and Germany because the failure of the New Deal policy implied to choose for exportations and to abandon the project of developing the inner Northern American market. If you have to prevent other areas in the world to develop their own closed markets, you must destroy them, according to the good old colonial logics, and get them as exportation markets. So the United States were doomed to destroy the European system of the Germans and the “Co-Prosperity Sphere of East Asia” under the leadership of Japan.

 

To summarize our position, let us remember that Russia developed and came out of underdevelopment under the “Continental Project” of Serguei Witte and Arkady Stolypin, who were either dismissed after a gossip campaign or assassinated by a crazy revolutionist. China after its communist isolation under Mao turned to a form of autarkist model under Deng Xiao Ping, leading the country to an unchallenged economical success. Putin in Russia is trying, with less success, to adopt the same guidelines. But the “Continental Autarkists” are assembling nowadays under the direction of the informal Shanghai Group or of the BRIC (Brazil, Russia, India, China). Europe and the United States will have to adapt in order to avoid complete decay. The key idea to successfully perform this adaptation is the good old project of Friedrich List. And the American can refer to one of his most brilliant students: Lawrence Dennis, who coined a project for “continental autarky”, being influenced by the “continentalist” school of South America, where he lived for a quite long time as a diplomat.

 

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The Flemish village of Munkzwalm where many technical meetings and several Spring Courses were held between 1989 and 1995

 

Q.: Is it important for the pro-European activist to be familiar with geopolitics?

 

Of course. If you are a pro-European activist, you should perceive Europe as a geopolitical entity, surrounded by possible foes and having to control militarily its periphery, for instance by preventing the North African states to become sea powers again or to prevent any alien power to provide them sea power tools or missiles able to strike the Mediterranean coasts of Europe. The whole history of Europe is the history of a long defence battle against Barbary Coast pirates and their Ottoman rulers. Once this danger eliminated, Europe could develop and prosper. Nowadays mass immigration within the boarders of European countries replace the external danger of Barbary Coast piracy or of Ottoman threat by introducing parallel economical circuits and mafia systems of drug bosses, the so-called “diaspora mafias”, who weaken the whole social system by literally milking money from the well established European social security system and by earning colossal fortunes from drug dealing (Moroccan cannabis which amounts to 70% of the entire European consumption or Central Asian heroin dispatched by Turkish mafias). The type of danger has changed but comes always from the very next periphery of Europe. Racialist as well as so-called anti-racist arguments are preposterous in such matters, as you don’t need to develop a “racialist argumentation” to criticize mass immigration: you simply have to stress the fact that international authorities like the UNESCO or the UNO have urged the EU to finance alternative crops in Morocco, in order to replace the huge fields of cannabis in the Northern parts of the country by useful plantations. But the money given by the EU has been used to triple the area where cannabis crops are cultivated! So Morocco, the Moroccan citizens or the European citizens of Moroccan origin who trust drugs from the Rif area are lawbreakers in front of the EU, UNESCO and UNO policy. Anti-racist arguments, caucuses and legislations, trying to crush all people criticizing mass immigration, are in fact tools in the hand of the secret lobbies and the drug bosses that try to weaken Europe and to maintain our homelands in a permanent state of debility and decrepitude.

 

For you Swedes, as fellow countrymen of Rudolf Kjellén and Sven Hedin, geopolitics is of course a genuine part of your political and cultural heritage. Moreover the Russian Yuri Semionov, author of a tremendously interesting book on Siberia, was a refugee in Sweden in the Thirties. In Swedish libraries you must find a lot about the first theories on geopolitics (as it was Kjellén who coined the word), about the travelogues of Hedin, explorer of Central Asia and Tibet, and maybe about Semionov’s works. At the very beginning of the so-called New Right project, geopolitics was still taboo. There was certainly an implicit geopolitics among diplomats or generals, which was not genuinely different from the former geopolitical endeavours of the previous decades, but the very word was taboo. You couldn’t talk about geopolitics without being accused of trying to resume Nazi geopolitics, which had been set once for all as “esoteric”. Karl Haushofer, the German pupil of Kjellén, had been depicted as a crazy mystical mage having disguised his belonging to a so-called secret society of the “Green Dragon” behind a weak discourse about history, geography and international affairs. When you read Haushofer and his excellent “Zeitschrift für Geopolitik” (which survived him under the name of “Geopolitik” in the Fifties), you find comments on current affairs, reasonable reflections about frontiers within and outside Europe, interviews of foreign diplomats and excellent analyses about the Pacific area but no pseudo-Chinese or neo-Teutonic esoteric humbug. At the end of the Seventies, things changed. In the United States, Colin S. Gray decided to break definitively the taboo on geopolitics. As an Anglo-Saxon proponent of geopolitics, Gray was of course a pupil of Sir Halford John MacKinder, of Homer Lea and of their pupil Spykman. But he explained that Haushofer’s geopolitics was a continental reaction against MacKinder’s sea power geopolitics. Haushofer was so rehabilitated and could be studied again as a normal proponent of geopolitics and not as a mystical crackpot.

 

In the group of students, who followed the works of the New Right groups in Brussels at the end of the Seventies and was lead by late Alain Derriks, we had of course purchased a copy of Gray’s book but, at the same time, we discovered the book of an Italian general, Guido Giannettini, “Dietro la Grande Muraglia” (“Beyond the Great (Chinese) Wall”). This book was extremely well written, offered simultaneously a historical approach and present-day analyses, and opened wide perspectives. Giannettini had observed how the whole international chessboard had been turned upside down in 1972, when Kissinger and Nixon had coined a new implicit alliance with communist China. Formerly, the American lead Western world had faced a giant Eurasian communist block, embracing China and the USSR, even when the relationship between Moscow and Beijing wasn’t optimal anymore or could even become sometimes frankly antagonist (with a clash between both armies along the River Amur in Far Eastern Siberia). After the defeat of Germany in 1945, Europe had been divided, according to the rules settled at Teheran and Yalta, into a Western part dominated by NATO and an Eastern part under the direction of the Warsaw Pact. At that time Euro-nationalists around my fellow countryman Jean Thiriart, rejected both systems and pleaded for an alliance with China and the Arab world (Egypt, Syria and Iraq) in order to loose the choking entanglement of both NATO and Warsaw Pact. In Thiriart’s clearly outlined strategy for his Europe-wide but tiny movement, Chinese and Arabs would have had for task to keep Americans and Soviets busy outside Europe, so that the pressure would be lighter to bear in Europe and lead, if possible, to a successful liberation movement, aiming at restoring Europe’s independence and sovereignty. When Americans and Chinese joined their forces to contain and encircle Soviet Russia, the wished Euro-Chinese alliance to disentangle Yalta’s yoke in Europe became a sheer impossibility. On the other side, the Arabs were too weak and not interested in a European revival, as they feared a come back of the colonial powers in their area, as during the Suez affair in October 1956. Giannettini’s option for a Euro-Russian block became the only possible choice. Thiriart agreed. So did we. But our views about a possible future Euro-Russian alliance were confused at the very beginning: we couldn’t accept the occupation of Eastern Europe and even less the partition of Germany that is, geographically speaking, the core of Europe. On the other hand, the American disguised occupation was also for us an unacceptable situation, especially after De Gaulle’s breach with NATO and the new independent course in international affairs that it induced, according to Dr. Armin Mohler. After the Israeli victory of June 1967 with the help of Mirage III fighters and bombers, France’s new world policy lead to the exportation of Dassault jet fighters in Latin America, South Africa, India and Australia. It could have generated a new European based aeronautical industry, as in 1975 the Scandinavian and Low Countries air forces had the choice between the Mirage IV, the Saab Viggen jet, a new model produced by a future common French-Swedish project, or the American F-16. European independence was only possible if Europe could build an independent aeronautical industry, based on merges between already existing aeronautical companies. The fact that after corruption affairs the Scandinavian and Low Countries armies opted for the American F-16 jet ruined the possibility of a jointed independent European aeronautical industry. It was the purchase of the F-16 jets and the subsequent ruin of a possible French-Swedish fighter project that induces our small group to reject definitively all forms of pendency in front of the Western hegemonic power. But what else if the Iron Curtain seemed to be not removable and if the inner European situation was apparently a stalemate, bound to remain as such eternally?

 

Other readings helped us to improve our views. I’ll quote here two key books that shifted unequivocally our viewpoints: Prof. Louis Dupeux’ doctor paper on German “national bolshevism” at the time of the Weimar Republic in the Twenties and Prof. Alexander Yanov’s UCLA paper on the Russian “New Right” in the last years of Soviet rule, at the end of Brezhnev’s era and just before Gorbachev’s perestroika. Dupeux helped us to understand the relevancy of the Soviet-German tandem in the Twenties, starting with the Rapallo Treaty of 1922 (between Rathenau and Chicherin). This relevancy could explain us the cause of the ephemeral Ribbentrop-Molotov Pact of August 1939. A European-Russian tandem could therefore offer the possibility of independence and Continental-Eurasian strength. But such a tandem was impossible under communist rule. But was communism as monolithic as it was described in the Western press and medias? In his paper Yanov divided Soviet-Russian political thought into two categories and each of these two categories again in two others: the Zapadniki (the Westerners) and the Narodniki (the proponents of Russian identity). You could find dissident Zapadniki in the emigration and pro-regime Zapadniki within the Soviet institutions (i. e. Marxist of the old school as Marxism was a Western importation). You could also find dissident Narodniki in the emigration, such as Solzhenitsyn, and pro-regime Narodniki in the Soviet-Russian academic world, such as the writer Valentin Rasputin, who wrote “rural” novels criticizing the reckless industrialisation and “electrification” of old traditional Russian villages or areas. For Yanov the Russian New Right was incarnated in all the Narodniki, be they dissidents or not, and all Narodniki were of course dangerous compeers and rascals as they challenged dominant Western as well as Soviet principles. So our position, and the one staunchly defended in Germany by former Gulag prisoner Wolfgang Strauss (arrested during the East German riots of June 1953), was to hope for a Narodniki political or metapolitical revolution in Russia and in Eastern Europe, giving the possibility to create an International of Narodniki, from the Atlantic coasts to the Pacific Ocean, challenging the Western hemisphere and its liberal leftist ideology. Meanwhile after Reagan’s election in November 1981 the missile crisis swept all over Europe. The piling up of missiles on both sides of the Iron Curtain risked in case of war to destroy definitively all European countries. The reaction was passionate especially in Germany: more and more puzzled voices required a new neutrality status, to avoid implication in a military system of warmongers, and pleaded for a withdrawal from NATO, as the Treaty’s Organisation was lead by an external hegemonic power, which didn’t care for the safety of Europe and was ready to unleash a horrible nuclear apocalypse upon our countries. A neutrality status, as suggested by General Jochen Löser in Germany (in “Neutralität für Mitteleuropa”), implied also to promote a kind of “Third Way” system, which would have been a synthesis between state socialism and market capitalism. “Wir Selbst” of Siegfried Bublies (Koblenz) was the leading magazine, which backed a policy of NATO withdrawal and Central European neutrality, a “Third Way” (for instance the one theorized by the Slovak economist Ota Sik), a reconciliation with Russia (according to Ernst Niekisch or Karl-Otto Paetel as dissidents both of the Weimar Republic and of the Third Reich), the devolution movements in Western and Eastern Europe, and the new dissidents in the Soviet dominated block. The magazine had been created in 1979 and remained till the very beginning of the 21st Century the main forum for alternative thought with a humanist touch in all Europe. I mean “humanist” in the sense given to this word by the main non Westernized dissidents of Eastern Europe, being no Narodniki in the narrow sense of this expression. The years 1982 and 1983 were determined by the pacifist revolt throughout Europe, especially in Germany around an interesting thinker like air force Lieutenant-Colonel Alfred Mechtersheimer, and in the Low Countries but also in Britain, where huge demonstrations were held to prevent the dispatch of American missiles. Our small group supported the pacifist movement against the conventional positions of many other Rightist or even New Right clubs (including de Benoist at that time, who accused us of being the “Trotskites” of the movement, positioning himself as a kind of Stalin-like Big Brother!). The new pacifism and neutralism ceased to thrive when Gorbachev declared he intended to launch a glasnost and perestroika policy to soften the Soviet rule. Once Gorbachev promised a new policy, we could only wait and see, without abandoning all necessary scepticism. 

 

During the second half of the Eighties, we hoped for a new world, in which the Iron Curtain would one day disappear and the dominant systems would gently evolve towards a “Third Way”. In 1989, when the Berlin Wall was suppressed, we all thought very naively that the liberation of Europe and of Russia was imminent. The Gulf War and the dissolution of Yugoslavia, the invasion of Iraq and of Afghanistan proved that Europe was in fact totally unable to take an original decision in front of the world events, with the slight exception of the short French, German and Russian opposition to the invasion of Iraq in 2003, an opposition naively hailed as the new “Paris-Berlin-Moscow Axe” but an Axe that couldn’t of course prevent the unlawful invasion of Saddam Hussein’s country. So we still are in a desolate state of subjugation despite the fact that Europe now counts 27 states in full membership.

 

Let us come back to geopolitical theory. In 1979, when we discovered Giannettini’s book, I read General Heinrich Jordis von Lohausen’s book “Mut zur Macht”, which was a very good summary and actualisation of Kjellen’s ideas, as well as of all notions formerly defined by Haushofer and his broad team (Walter Pahl, Gustav Fochler-Hauke, Otto Maull, Walter Wüst, R. W.  von Keyserlingk, Erich Obst, etc.). I wrote a small paper for my end examination of “International Affairs”, which was read with interest by the teacher, who found Lohausen’s positions interesting but still “dangerous”. Geopolitics in June 1980, date when I passed the examination with brio (18/20! Thank you, dear General von Lohausen!), was still taboo in “poor little Belgium”. It wouldn’t last a long time before this “dangerousness” would definitively belong to the past. The French intellectual world produced successively many excellent geopolitical studies: I’ll only quote here Yves Lacoste’s journal “Hérodote”, the accurate maps of Michel Foucher, the encyclopaedic studies of Hervé Coutau-Bégarie and the courses of Ayméric Chauprade (who, as a teacher in the French High Military Academy, was recently sacked by Sarközy because he couldn’t accept the coming back of France in the commanding structures of NATO as a full member state). In the Anglo-Saxon world, the best books on the matter are those produced by the British publishing house “I. B. Tauris” (London).

 

You cannot concentrate only on geopolitics as a mean strategic way of thinking. To use the tools properly you need an accurate knowledge in history that the shelves in Anglo-Saxon bookshops offer you in abundance. Then to be a good proponent of geopolitics you need to study lots of maps, especially historical maps. I therefore collect historical atlases since I got the first one in my life, the official one you had to buy when you reached the third year in the secondary school. When I was 15, I bought my very first German book, volume two of the “DTV-Atlas zur Weltgeschichte”, at Brussels’ flea market. The book lies now since about forty years on my desk! Indispensable tools are also the atlases of the British University teacher Colin McEvedy, which were translated into Dutch for Holland’s schools. McEvedy sees history as a regular succession of collisions between “core peoples” (Indo-Europeans, Turkish-Mongolic tribes, Semitic nomads of the Arabic peninsula, etc.), which he perceives as balls moving on a kind of huge billiard table, which is Eurasia with all its highways across the steppes. By reading McEvedy’s comments on the maps he draws we can understand history as permanent systolic and diastolic movements of “core peoples” (together with assimilated alien tribes or vanquished former foes) against each other, in order to control land, highways or sea accesses to them. And what is European history if not a long process of resisting more or less successfully Mongolic or Turkish assaults in the East and Hamito-Semitic incursions in the South? Next to McEvedy, the most interesting historical atlas in my collection is the one that a Swiss professor produced, namely Jacques Bertin’s “Atlas historique universel – Panorama de l’histoire du monde”, where you’ll find even more precise maps than the ones of McEvedy. Also, the German DTV-Atlas (which exists in an English version published at Penguin’s publishing house in Britain), McEvedy’s works and Bertin’s panorama are the tools that I use since many years. They have been my paper companions since I was a teenager.

 

What is your analysis of the actual and ideal relationship of Europe and Russia, Turkey and the United States?

 

To answer your question here in a complete and satisfying way, I should rather write a couple of thick books instead of babbling some insufficient explanations!  Indeed your question asks me in fact to summarize in some short sentences the whole history of mankind. I suppose that, for historical reasons, Swedes don’t perceive Russia and Turkey as citizens of Central or Western Europe would perceive these countries. Swedes must remember the attempt of King Charles XII to restore what was seen as the “Gothic Link” between the Baltic and the Black Sees by becoming the heir of the Polish-Lithuanian State in decay at his time: therefore he had to wage war against Russia and try to obtain the Turkish alliance. During the Soviet-Finnish war of winter 1939-40, Swedes were terribly worried because the move of Stalin’s Red Army to recuperate Finland as a former Tsarist province implied a future Soviet control of the Baltic See reducing simultaneously Swedish sovereignty and room for manoeuvre in these waters. It was also jeopardizing the fragile independence of the Baltic States.

 

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Vlotho, Low Saxony (Germany) where a lot of meetings, conferences and Summer courses took place

 

Russia still wants to have access to the Atlantic via the Baltic see routes but in a less aggressive way than in Soviet times, when a messianic ideology was running the agenda. After the disappearing of the Iron Curtain, we are back to the situation we had in 1814. Once Napoleon Bonaparte had been eliminated and together with him the tone-downed Bolshevism of his time, i. e. the blood drenched French revolution ideology, Europe was a more or less united block nicknamed in Ancient Greek language the “Pentarchy” (The “Five Powers”), stretching from the Atlantic to the Pacific coasts. We often forget nowadays that Europe was a strategic united block between 1814 and 1830, i. e. only during fifteen years. This unity allowed the pacification of Spain in 1822-23, the Greek independence from the Ottoman Empire in 1828 and later the crushing of Barbary Coast piracy by the landing of French troops in present-day Algeria in 1832. But the “Pentarchy” ceased to be a harmonious symphony of allied traditional powers when Belgium become independent from the King of Holland: indeed, Britain (in order to destroy the sea power of Holland, the industrial capacities in present-day Belgium’s Walloon provinces and the potentialities of the Indonesian colonial realm of the United Low Countries Kingdom) and France (aiming at recuperating Belgium and the harbour of Antwerp as well as a portion of the Mosel Valley in Luxemburg, leading to the very middle of German Rhineland in Koblenz) supported the rather incoherent Belgian independence movement while the other powers (Prussia, Austria and Russia) supported the Dutch King and his United Kingdom of the Low Countries. France, which started in the Thirties of the 19th Century to carve its African Empire not only in Algeria but also in present-day Gabon and Senegal, and Britain, which was already a world empire whose cornerstone was India, became very soon Extra-European realms deriving their power from wealthy colonies and were therefore not more interested in the strategic unity of Europe, as the genuine civilisation area of all the people of our Caucasian kinship. The competition between European powers to get colonies implied that colonial rivalries could perhaps end in inner European conflicts, what happened indeed in 1914. The spirit of 1814 was kept alive by the “Drei Kaisersbund”, the “Alliance of the three Emperors” (United Germany after 1871, Austria-Hungary and Russia), which unfortunately started to disintegrate after Bismarck’s withdrawal in 1891 and due to the French-Russian economical-financial alliance under Tsar Alexander III (cf. the limpid book of Gordon Craig and Alexander L. George, “Zwischen Krieg und Frieden. Konfliktlösung in Geschichte und Gegenwart”, C. H. Beck, Munich, 1984; this book is a history of European diplomacy from the Treaty of Vienna in 1814 to WW1, where the authors describe the gradual disintegration of the “Pentarchy”, leading to the explosion of 1914; both authors remember also that Nixon and Kissinger tried to re-establish a kind of “Pentapolarity”, with China, Japan, the United States, Europe and Soviet Russia, but the attempt failed or was reduced to nought by the new human rights’ diplomacy of Carter. The only possible present-day “Pentapolarity” is represented by the “BRIC”-system, with Brazil, Russia, Iran, India, China and maybe, in a next future, post-Mandela South Africa).

 

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Sababurg Castle, along the "Märchenstrasse" ("Fairy Tales Road"), Hessen (Germany), where the German friends usually held their regular meetings

 

In the first decade of the 20th Century, the “Entente” was not an obvious option at the very beginning: Russia and Britain were still rivals in Central Asia and on the rimland of South Asia; Britain and France were rivals in Sudan as Britain couldn’t tolerate a French military settlement on the Nile River (the Fashoda incident in 1898), a situation which would have cut the British possessions in the Southern part of Africa from the Egyptian protectorate in the North; we should remember here that Cecil Rhodes’ project was to link Cape Town to Cairo by a British managed Trans-African railway, after the elimination of the German colony of Tanganyka or a possible occupation of Belgian Katanga. Even if already grossly decided in 1904, the French-British-Russian alliance, known as the Entente, was far to be a sure fact before the fatidic year of 1914. The Anglo-Russian dispute in Persia had still to be settled in 1907. Moreover the three Entente powers hadn’t yet shared their part of the pie on the rimlands, as France had to accept first the de facto English protectorate in Egypt. In return for this acceptation, Britain accepted to support France’s interests in Morocco against the will of the German Emperor, who wanted to extend the Reich’s influence to the Sherifan Kingdom in North Africa, threatening to close the Mediterranean and to reduce to nought the key strategic importance of Gibraltar. For all these reasons, it is obviously not sure that Russian efficient ministers as Witte or Stolypin would have waged a war, as Russia was still economically and industrially to weak to sustain a long term war against the so-called Central Powers, i.e. Austria, Germany and the Ottomans, especially as China and Japan could possibly take advantage in the Far East of a debilitated Russia on the European stage.

 

The problem is that we Europeans cannot escape the necessity of using the Siberian raw materials and the gas and oil of the Caucasian, Central Asian and Russian fields. The weakness of Europe lays in its lack of raw materials (nowadays 90% of the rare earths, indispensable for high tech electronic devices, have to be bought in China). Europe could save itself from the Ottoman entanglement by conquering America and by circumnavigating Africa and arriving in the Indian harbours without having to pass through Islam dominated areas. Europeans aren’t visceral colonialists: they carved colonial empires despite their will, simply to escape an Ottoman-Muslim invasion.

 

The European-Turkish relationship has always been conflictual and remains today as such. It is not a question of race or even of religion, although both factors ought of course to be taken reasonably into account. Religion played certainly a key role as the Seldjuks had turned Muslim before attacking and beating the Byzantine Empire in 1071 but one forgets too often that at the same time other Turkish tribes, known as the Cumans, attacked Southern Russia and moved in the direction of the Low Danube without having turned Muslim: their faith war still Pagan-Shamanic. They nevertheless coordinated their wide scale action with their Muslim cousins. Muslim and Pagan-Shamanic Turks took the Pontic area (Black Sea as Pontus Euxinus) in a tangle: the Pagan Cumans in the North, the Muslim Seldjuks in the South. It is neither a question of race as present-day Turkey is a mix of all possible neighbouring peoples, tribes and ethnic kinships. It isn’t a joke to say that you have now Turks of all colours, like on an advertisement panel of Benetton! The European Danubian, Balkanic (Bosnians, Greeks, Albanians) and Ukrainian contribution to the ethno-genesis of the present-day Turkish population is really important, as are the parts of converted local Byzantine Greeks or Armenians or as are also the Sunni Indo-European Kurds. The Arab-Syrian influence is also clear in the South. The Turkish danger is that the Turks, whatever their real origin may be, still see themselves as the heirs of all the Hun, Mongolic and Turkish tribes that moved westwards to the Atlantic. Sultan Mehmed, who took Constantinople in 1453, kept in his mind the idea of the general move of Turkish tribes westwards but added to his geopolitical vision the one that moved the Byzantine general Justinian, who wanted at the beginning of the 7th Century to conquer again all the Mediterranean area till the shores of the Atlantic. Mehmed’s vision was also a merge of Turkish and Byzantine geopolitics. In his own eyes, he was the Sultan and the Byzantine Basileus at the same time and wanted to become also Pope and Emperor, once his armies would have taken both Rome (“the Red Apple”) and Vienna (“the Golden Apple”). Mehmed even thought that one day such a shift as a “translatio imperii ad Turcos” could happen, like there had been a “translatio imperii ad Francos” and “ad Germanos”, just after the definitive crumbling down of the Roman Empire.  

 

The idea of moving westwards is still alive among Turks. The strong Turkish desire to become a full member of the EU means the will to pour the Anatolian demographic overpopulation into the demographically declining European states and to transform them in Muslim Turkish dominated countries. This statement of mine is not a mean reflection of an incurable “Turkophobic” obsession but is purely and simply derived from an analysis of Erdogan’s speech in Cologne in February 2008. Erdogan urged the Turkish immigration in Germany and in other European countries not to assimilate, as “assimilation is a crime against mankind” because it would wipe out the “Turkishness” of Turkish people, and urged also to create autonomous Turkish communities within the European states, that would welcome the new immigrants by marriage of by so-called “family gathering”. Later Erdogan and Davutoglu threaten to back the Turkish mafias in Europe, would the authorities of the EU postpone once more the admission of Turkey as a full member state. Every serious political personality in Europe has to reject such a project and to struggle against its possible translation into the everyday European reality. A migration flood of totally uneducated workforces into Europe would lead to high joblessness and let the social security systems collapse definitively. It would mean the end of the European civilisation.

 

The Turks are plenty aware of the key position their country has on the world map. Would I be a Turk, I would of course staunchly support Erdogan and Davutoglu. But I am not and cannot identify myself to such an alien vision of geopolitics. I wouldn’t care if all the efforts of the new Turkish geopolitics would be directed towards the Near East, as the Near East needs a hegemonic regional power to get rid of the awful chaos in which it is now desperately squiggling. It wouldn’t perhaps not be so easy for the Turks to become again the hegemonic power in an Arab Near East as conflicts were frequent between Ottomans and Arab nationalists, especially since the end of the 19th Century when Sultan Abdulhamid started a centralisation policy, which was achieved by the strongly nationalist Young Turks in power since 1908. Arab liberal nationalists contended this new Young Turkish nationalist rule, which was not more genuinely Islamic, universal and Imperial-Ottoman but strictly Turkish national, stressing the superiority of the Turks within the Ottoman Empire, reducing simultaneously the Arabs to second-class citizens. The challenging Arab nationalists were severely crushed at the eve of WW1 (public hangings of Arab liberal intellectuals were common in Syrian or Lebanese towns at that time). But a renewed Turkish policy in the Near East cannot in principle collide frontally with the vital and paramount European interests, except of course if it would dominate the Suez Canal zone and control this essential portion of the sea route leading from West Europe to the Far East: one should not forget that the Zionist idea, i. e. the idea of settling Jews in the area between Turkish Anatolia and Mehmet Ali’s successful Egypt of the first half of the 19th Century, that was supported by France, was an idea shaped in the late 1830s in the English press and not in the mind of Rabbis in Eastern European ghettos. The idea had already been evoked by Prince Charles de Ligne during the war between the Ottoman Empire and the coalition of Russia and Austria in the 1780s as a means to weaken the Turks and to create a focal point of troubles on another front, far from the Balkans, Crimea and the Caucasus; Napoleon wanted also to settle Jews in Palestine in order to prevent a future Turkish domination in the Suez area, as the French at that time, by supporting the Mameluks of Egypt against their Turkish masters, already had the intention to dig a canal between the Mediterranean and the Red Sea. Zionism is also not a genuine ideology born in Jewish ghettos but an idea forged artificially by the British to use the Jews as mere puppets. This role of Israel as a simple puppet state explains also why the relationship between Turkey and Israel are worsening now as the renewed Ottoman diplomacy of Davutoglu induces the Turkish state to resume his previous influences in the Arab Near East or Fertile Crescent. This could lead to a complete reverse of alliances in the region: voices in the United States are pleading for a new Iranian-American tandem between Mesopotamia and the Indus River which would fade or dim the usual alliance between Ankara, Washington and Tel Aviv. Such a shift would be as important as the Nixon-Kissinger renewed diplomacy of 1971-72, when suddenly China, the former “rogue state”, turned instantaneously to be the best ally of the States. It would also rule out many oversimplifying ideologists who have opted for cartoonlike pro-Zionist, pro-Palestinian (or pro-Hamas or pro-Hizbollah) or pro-Iranian positions in order to support either a Western Alliance or an Anti-Western/Anti-American coalition on the international chessboard. Things might or even may be completely turned upside down within a single decade. The Anti-American pro-Iranian ideologist of today may become a pro-Zionist Anti-American tomorrow if he wants to remain Anti-American and if he is not turned still crazier by the crumbling down of his too schematic worldview as many Western Maoists did in the 1970s, when their former anti-American anti-imperialist perorations coined on the Chinese model of Mao’s cultural revolution became totally outdated and preposterous once Kissinger had forged an alliance with communist China, that wasn’t ready anymore to support Maoist zealots and puppets in the Western world. Indeed, the United States would better than now contain Russia, China and India in case of a renewed alliance with Teheran. And using the quite wide influence sphere of the “Iranian civilization” (as the former Shah used to say), they could extend more easily their preponderance in Central Asia, in the Fertile Crescent, in Lebanon (with the Shiite minority armed by the Hizbollah) and in the Gulf where Shiite minorities are important. But Iran would then become a too powerful ally, exactly like China, the new ally of 1972, does. And before Iran would become a new China and develop naval capacities in the Gulf and in the Oman Sea, i. e. in one of the main areas of the Indian Ocean, like China wants to control entirely the Southern Chinese Sea in the Pacific, Europe would have to unite with Russia and India to contain a pro-American Iran! Stephen Kinzer, former “New York Times” bureau chief in Turkey, celebrated analyst of Iran’s turmoil in 1953 (the Mossadegh case) and International relations teacher at Boston University, pleads in his very recent book “Reset Middle East” for a general alliance on the Near East, Middle East and South Asian rimlands between Turks, Iranians and Americans (which would include also Pakistan and so re-establish the containing bolt that the Bagdad Treaty formerly was). When you are interested in geopolitics you should have fine observing skills and foresee all possible shifts in alliances that could occur in a very near future. It is also obvious that if Washington continues to treat Teheran as a “rogue state”, the Iranians will be compelled to play the game with Russia that remains nevertheless historically a foe of the Persians. Each Russian-Persian tandem would split in its very middle the rimland’s room that was organised by the Bagdad Treaty of the Fifties and give the Russians indirectly a broad “window” on the Indian Ocean, which is a state of things totally contrary to the principles settled by Homer Lea in 1912 and since then cardinal to all the Anglo-Saxon sea powers.  

 

The relationship with the United States is a quite complex one. Two main ideas must be kept in mind if you want to understand our position:

1)       Like the British historian Christopher Hill brilliantly demonstrated in his books “The World Turned Upside Down – Radical Ideas During the English Revolution” and “Society and Puritanism in Pre-Revolutionary England”, the core ideas that lead to the foundation of the British Thirteen Colonies in the Northern part of the New World was “dissidence” in front of all the European political systems inherited from the past. Later Clifford Longley in “Chosen People – The Big idea that Shapes England and America” produced an very accurate historical analysis of this Biblical idea of a Chosen People that leads Britons and Americans to perceive themselves not as a particular people of the European Caucasian family but as a “lost tribe of Israel”. Longley explains us that state of affairs by writing that Britons and Americans don’t have an identity, as other European people have, but thinks that they have a particular destiny, i. e. to build an aloof “New Jerusalem” and not a concrete defensive Empire of the European people, that would be born out of the genuine historical traditions of the subcontinent and simultaneously the legitimate, syncretic, Continental and Insular (Britain, Ireland, Sicily, Crete, Cyprus, etc.) heir of the Roman Empire and of the medieval Holy Roman Empire of the German Nation. The very idea of incarnating a “New Jerusalem” leads to despise the “non chosen”, even if they are akin people having importantly contributed to the ethno-genesis of the English or American nation (Dutch, Flemings, Northern Germans as Hanovrian or Low Saxons, Danes and Norwegians). Kevin Phillips, former Republican strategist in the United States and political commentator in leading American papers, in his fascinating book “American Theocracy – The Peril and Politics of Radical Religion, Oil and Borrowed Money in the 21st Century”, criticizes the new political theology induced by the several Bush’s Administrations between 2000 and 2008, that have bereft the Republicans from the last remnants of traditional diplomacy, leading to what he calls an “Erring Republican Majority”. Indeed each chosen people’s theology introduced in the events of the international chessboard destroys all the traditional ways of practising diplomacy, as surely as French Sans-Culottes’ Republicanism or Bolshevism did or Islam Fundamentalism does. Europe, as a continent that has a long memory, cannot admit a scheme that rejects vehemently all the heritages of the past to replace them by mere artificial myths, that were moreover imported from the Near East in Roman times and have received a still faker interpretation in the decades just after Reformation.

 

2)       The second main fact of history to keep in mind in order to understand the complex Euro-American relationship is the effect the Monroe Doctrine had on the international chessboard from the second quarter of the 19th Century onwards. In principle the Monroe Doctrine aimed at preventing European interventions in the New World or the Western Hemisphere as the Spanish “creole” countries had rebelled against Madrid and gained their independence and as the British had burnt Washington in 1812, after having invaded the States from Canada, and the Russians were still formally in California and Alaska. Monroe feared a general intervention of the “Pentarchy” powers everywhere in the new World that would have prevented the former Thirteen Colonies to develop and would synchronously have choked any attempt to rise as a Northern American continental and bi-oceanic power. Indeed the young Northern American Republic faced at that time a huge Eurasian block that seemed definitively indomitable, with British room projections in India and Southern Africa. The American historian Dexter Perkins in his book “Hands off: A History of the Monroe Doctrine” (1955) explains us that President Monroe got the audacity to challenge the European/Eurasian block at a time when the United States couldn’t actually assert any well-grounded power on the international chessboard. Monroe’s bold affirmation created US power in the world, simply because a pure will, expressed in plain words, can really anticipate actual power, be the very first step towards it. It is not a simple matter of chance that Carl Schmitt stressed the uttermost importance of the Monroe Doctrine in the genesis of the geopolitical shape of present-day world. Jordis von Lohausen says in his book “Mut zur Macht” that if Monroe wanted to preserve the New World from any European intervention, he wanted simultaneously to keep this New World for the USA themselves as sole hegemonic power. But if the New World is united under the leadership of Washington, it must control the other banks of the Oceans in a way or another to prevent any concentration of power able to disturb US hegemony or to regain authority in Latin America, be it directly political (like during the attempt of Maximilian of Hapsburg to create a European-dominated Empire in Mexico in 1866-67 with the support of France, Belgium, Spain and Austria) or indirectly by trade and economical means (as Germany did just before the two World Wars). So in the end effect, the Monroe Doctrine implies that the United States have to control the shores of Western Europe and of Morocco and the ones of Japan, China, Indochina and the Philippines in order to survive a the main superpower in the world.

 

The critical attitude we always have developed in front of the US American fact derives from these two core ideas. We cannot accept a Biblical ideology refusing to take into account our real roots and reducing all the institutions generated by our history to worthless rubbish. We can neither accept an affirmation of power that denies us the right to be ourselves a power on political, military and cultural levels. Would America get rid of the former British dissident ideology and adopt the principles of continental autarky, as Lawrence Dennis taught to do, there wouldn’t be any problem anymore. It would even be of great benefit for the US American population itself.

 

In your many articles you have exhibited an impressive knowledge of European thinkers from Hamsun and Evola to Spengler and Schmitt. Do you consider some of them more important, and a good starting-point for the pro-European individual?

 

The study of our “classical” heritage of authors is a must if we want to create a real alternative worldview (“Weltanschauung”). Moreover, Evola, Spengler and Schmitt are more linked to each other than we would imagine at first glance. Evola is not only the celebrated traditional thinker who is worldwide known as such. He was an intrepid alpinist who climbed the Northern wall of the Lyskamm in the Alps. His ashes were buried in the Lyskamm glacier by his follower Renato del Ponte after he had been cremated in Spoleto (a town that remained true to Emperor Frederick Hohenstaufen) after his death in 1974. Evola was a Dadaist at the very beginning of his career as an artist, a thinker and a traditionalist. His was totally involved in the art avant-gardes of his time, as he himself declared during a very interesting television interview in French language that you can watch now on your internet screen via “you tube” or “daily motion”. This position of him was deduced from a thorough rejection of Western values as they had degenerated during the 18th and 19th Centuries. We have to get rid of them in order to be “reborn”: the Futurists thought we ought to perform promptly this rejection project in order to create a complete new world owing absolutely nothing to the past; the Dadaists thought the rejection process should happen by mocking the rationalist and positivist bigotry of the “stupid 19th Century” (as Charles Maurras’ companion Léon Daudet said). Evola after about a decade thought such options, as throwing rotten tomatoes at scandalized bourgeois’ heads or as exhibiting an urinal as if it was a masterwork of sculpture, were a little childish and started to think about an exploration of “the World of Tradition” as it expressed itself in other religions such as Hinduism, the Chinese Tao Te King, the first manifestations of Indian Buddhism (“the Awakening Doctrine”), the Upanishads and Tantric Yoga. For the European tradition, Evola studied the manifestations and developed a cult of Solar Manly Tradition being inspired in this reasoning by Bachofen’s big essay on matriarchal myth (“Mutterrecht”). Thanks to the triumph of the Solar Tradition, a genuine Traditional Europe could awaken on the shores of the Mediterranean and especially in the Romanized part of the Italic peninsula, invaded by Indo-European tribes having crossed the Alps just before the Celts did after them. Besides, he was the translator of Spengler and reviewed a lot of German books written by authors belonging to what Armin Mohler called the “Konservative Revolution”. In Italy Evola is obviously very well known, even in groups or academic work teams that cannot be considered as “conservative-revolutionist”, but the role he played as a conveyer of German ideas into his own country is often neglected outside Italy. But still today people rediscover in Latin countries figures of the German “Konservative Revolution” through the well-balanced reviews Evola once published in a lot of intellectual journals from the 1920s to the 1960s. As his comments on these books and publications were very well displayed on didactical level, he can also be still very helpful to us today.

 

Evola was also a diplomat trying to link again to Italy the countries having belonged to the Austrian-Hungarian empire. He was active in Prague, in Vienna (a City he loved) and in Budapest. He also had contacts with the Romanian Iron Guard, which he admired as a kind of citizens’ militia controlling severely the bends of petty politics limping towards corruption and “kleptocracy”. Even if he was mobilized when he was still a very young man as an artillery officer in the Italian army during WW1, Evola disapproved the war waged against traditional Austria and didn’t agree with the Futurists, d’Annunzio and Mussolini who were hectic interventionist warmongers. He was aware that the destruction of the Holy Roman Imperial Tradition in the centre of Europe would be a catastrophe for European culture and civilization. And it was indeed a catastrophe that we still can grasp today: a contemporary author like Claudio Magris, born in Trieste, explains it very well in his books, especially in “Danube”, a kind of nostalgic travelogue, written during peregrinations from one place to another in this lost Empire of former times, now torn into many scattered pieces belonging to thirteen different countries.

 

Carl Schmitt in several books or articles expresses the nostalgia of a kind of “Empire’s secret Chamber” regulating the general policy of a “greater room” (“Grossraum”): for him the members of such a Chamber, if it ever becomes reality, would find inspiration from Bachofen’s ideas and their interpretations, from Spengler pessimistic decay philosophy and from the analyses of all possible teams devoted to geopolitics (Haushofer and others). Carl Schmitt just as Evola was also deeply interested in art avant-gardes.

 

My interest for Hamsun comes from the implicit anthropology you find in his works: the real man is a peasant running an estate. He is free: what he owns is his own production; he is never defined or bound by others, i. e. by alien capitalists or by State’s servants or by foreign rulers or by the eager members of a ruling and crushing party (Orwell’s pigs in “Animal Farm”). The general urbanization process that started in the historical cities of Europe (especially Paris, London and Berlin) and in the new hectic cities of the United States lead to the emerging of an enslaved mankind, unable to coin its own destiny with the only help of his own inner and physical forces. Spengler and Eliade both say also that true mankind is incarnated in the “eternal peasant”, who is the only type of man that can generate genuine religion. David Herbert Lawrence’s most important book for us is without any doubt “Apocalypse”: this English author laments the disappearing of “cosmic forces” in man’s life, due to the bias inaugurated by Reformation, Deism (mocked by Jonathan Swift), 18th Century Enlightenment and political extremism derived from the blueprints (Burke) of the French Revolution. Man became gradually detached from the cosmic frame in which he was embedded since ever. He’s lost also all his links to the natural communities in which he was born, like the poor immigrant Hamsun was in Chicago or Detroit, limping from one miserable job to another, bereft of all youth friends and family members. The cosmic frame Lawrence was talking about receives a comprehensive and understandable translation for the humble in the aspect of a religious liturgy and calendar (or almanac), expressing symbolically the rhythms of nature in which each man or woman lives. Although Flanders has been urbanized since the Middle Ages and had important industrial cities like Bruges and Ghent, the anthropological ideal of the 19th Century romantic or realist Flemish literature is the one of the independent peasant (“Baas Gansendonck” in Hendrik Conscience’s novel, the unfortunate and stubborn Father figure in Stijn Streuvels’ “Vlaschaard”, the heroes of Ernst Claes’ and Felix Timmermans’ rural novels and short stories, etc.). In Russian literature too, the rural element of the population is perceived as doomed under any communist or Westernized regime but simultaneously perceived as the only force able to redeem Russia from its horrible past. Solzhenitsyn pleaded for a general liberation of the Russian peasantry in order to restore the Ukrainian “Corn Belt” in the “Black Earth” area, giving Russia back the agricultural advantages it potentially had before the total destruction of the “Kulaks” by the Bolsheviks.

 

But we can talk for hours and hours, write full pages of interpretations of our common literary heritage; I cannot answer your question thoroughly as it would need writing a good pile of books. Let us conclude by saying Tradition or literary “ruralism” (be it Flemish, Scandinavian or Russian) are good things provided you don’t remain glued into it. Futurism is a dynamic necessity also, especially in societies like ours, where the countryside isn’t the only life frame anymore. Marinetti and more recently Guillaume Faye stressed the fact that in order to be able to compete on the international chessboard we have the imperious task to get rid of archaisms. But if Faye is obviously more futurist that “archaist”, I plead for a good balance between immemorial past and audacious future (like Claes did in his marvellously filmed novel “Mira”, in which a backward rural community refuses the building of a bridge that would link the village to the next important town; the young sensual prostitute Mira, treated as a witch by the village bigots, having just come back from Paris, where she was on the game, falls in love with the handsome engineer, the bridge is built and the village dwellers linked to the rest of the people’s community without abandoning their roots – the ideal balance between past and future, between demure morality and forgiven sin, is realised). To put it in realistic arguments: we need both a sound rural population (crushed nowadays by the EU-ukases) and a high tech engineering elite (able to create super-weapons) to become a re-born superpower, which would not be unnecessarily aggressive or feverish  “imperialist” (in the bad sense of the word), but calmly civilian (Zaki Laïdi) and simply powerful by its plain presence in the world. Mentally, we, as the forerunners of the needed “new teams” in present-day messy and derelict Europe, should be real and staunch “archeo-futurists”, mastering our roots and planning boldly our future. The rest is only mean and petty trifles.    

(Answers given in Forest-Flotzenberg, March 2011).